Traitement par la justice pénale des homicides commis par un partenaire intime par opposition aux autres types d'homicides
4. Résultats (suite)
4.5 Prise en compte du facteur sexe : effets distincts et effets combinés
Si l'objet de notre étude consistait à examiner l'importance accordée à la relation intime par la justice pénale ainsi que l'évolution de cette importance au fil du temps, les recherches antérieures sur le sujet ont montré que la relation intime présente un lien étroit avec le facteur sexe dans les crimes de violence interpersonnelle. Rappelons-nous que les victimes et les agresseurs des femmes sont généralement des membres de la famille, en particulier des partenaires intimes de sexe masculin, alors que, dans le cas des hommes, les agresseurs et les victimes sont plus souvent d'autres hommes (étrangers ou autres). En outre, comme nous l'avons déjà précisé, il a également été établi que le sexe de la victime et de l'accusé influe sur les décisions judiciaires dans les affaires de crime avec violence. Par conséquent, si l'on veut isoler les effets indépendants de la relation intime sur les résultats du processus pénal, on doit prendre en considération à la fois le sexe de la victime et celui de l'accusé. Nous décrivons ci-dessous les effets distincts et combinés du sexe sur les décisions prises dans les affaires d'homicides comprises dans notre échantillon.
Présentant les résultats d'un examen des effets distincts du sexe, le tableau 4.8 indique que le sexe de l'accusé influe sur l'issue de diverses étapes du processus pénal. Premièrement, les résultats du modèle 3 montrent que, parmi les accusés, les hommes étaient plus souvent déclarés coupables à l'issue d'un procès que les femmes. En outre, selon les résultats du modèle 5, la probabilité globale de condamnation s'avérait plus élevée chez les hommes que chez les femmes, et, d'après le modèle 6, les hommes étaient plus susceptibles que les femmes d'être trouvés coupables de meurtre au premier ou deuxième degré, les deux infractions les plus graves. Enfin, en examinant les résultats du modèle 7, on constate que les hommes recevaient plus souvent une peine de ressort fédéral. Par ailleurs, le sexe de la victime revêt également de l'importance à toutes les étapes du processus pénal, à une exception près. Tout d'abord, quand la victime était un homme, l'accusé était moins souvent accusé de meurtre au premier degré (modèle 1) et subissait moins souvent un procès (modèle 2), comparativement aux affaires où la victime était une femme. Ensuite, toujours dans les cas où l'on avait affaire à une victime de sexe masculin, on observe que, parmi les accusés acquittés (modèle 4), on comptait moins de personnes déclarées non criminellement responsables pour cause de troubles mentaux. En outre, les personnes accusées d'avoir tué un homme étaient globalement plus susceptibles d'être condamnées (modèle 5), mais risquaient moins d'être reconnues coupables de meurtre (modèle 6) que celles accusées d'avoir provoqué la mort d'une femme. Enfin, au chapitre de la détermination de la peine, les premières étaient moins nombreuses à être condamnées à l'emprisonnement dans un établissement fédéral (modèle 7) et se voyaient imposer des peines plus courtes (modèle 8) que les secondes.
Il est donc clair, à la lumière de ces résultats, que le sexe de la victime et celui de l'accusé constitue des facteurs déterminants dans le cadre du processus pénal. Lorsqu'on se penche uniquement sur les homicides intersexuels[35], un examen des effets combinés du facteur sexe et du type de relation entre la victime et l'accusé apporte d'autres renseignements sur le lien entre la relation intime et les résultats du processus pénal. Nous procédons ci-dessous à deux comparaisons. En premier lieu, nous comparons, pour chaque type d'homicide intersexuel, ces résultats dans les cas où il y avait relation intime entre les protagonistes et dans les autres cas. En second lieu, pour chacun des types d'homicides (déterminé par la relation entre la victime et l'accusé), l'issue des affaires d'homicides dans lesquelles l'accusé était un homme, et la victime, une femme, est comparée à celle des affaires où l'accusé était une femme, et la victime, un homme.
Le tableau 4.11 montre que la relation entre la victime et l'accusé présente un lien avec les résultats auxquels en arrive la justice pénale dans les affaires d'homicides mettant en cause un accusé de sexe masculin et une victime de sexe féminin, à tout le moins lorsqu'on examine la question dans le cadre d'une analyse bidimensionnelle. En effet, dans la catégorie des homicides intersexuels, cinq des sept résultats examinés accusent des différences significatives selon le type de relation qui existe entre l'accusé et la victime. Par exemple, les hommes accusés d'avoir provoqué la mort d'une femme étaient beaucoup moins susceptibles d'être inculpés de meurtre au premier degré lorsqu'ils avaient entretenu une relation intime avec la victime que dans le cas contraire (35 % contre 51 %). Conformément aux résultats relatifs au traitement réservé aux affaires d'homicides commis par un partenaire intime en général, il s'avère que les affaires d'homicides mettant en cause un accusé de sexe masculin et une victime de sexe féminin faisaient moins souvent l'objet d'un procès quand il y avait eu entre les protagonistes une relation intime que lorsqu'une telle relation n'avait pas existé pas entre eux (54 % contre 78 %). De la même façon, des différences ressortaient aussi en ce qui concerne les trois dernières étapes du processus pénal : les hommes accusés d'avoir tué une partenaire intime risquaient moins d'être condamnés pour meurtre (47 % contre 71 %) et de se voir imposer une peine de ressort fédéral (87 % contre 96 %), et ils recevaient des peines plus courtes (d'environ cinq ans) que lorsque la victime n'était pas un partenaire intime. Par contraste, dans les affaires d'homicides dans lesquelles l'accusé était une femme, et la victime, un homme, on ne notait pas de différence significative dans les résultats du processus pénal en fonction du type de relation entre la victime et l'accusé. Toutefois, l'absence d'une association statistique significative pourrait être due à la faible taille des échantillons.
Accusé de sexe masculin-victime de sexe féminin | Accusé de sexe féminin-victime de sexe masculin | |||
---|---|---|---|---|
Relation intime | Autre | Relation intime | Autre | |
Résultat | ||||
Accusation de meurtre au premier degré | 35 %** | 51 % | 22 % | 19 % |
Affaire soumise à un tribunal | 54 %*** | 78 % | 42 % | 60 % |
Verdict de culpabilité | 70 % | 58 % | 35 % | 40 % |
Probabilité globale de condamnation | 84 % | 66 % | 71 % | 64 % |
Condamnation pour meurtre | 47 %** | 71 % | 6 % | 15 % |
Peine de ressort fédéral | 87 %* | 96 % | 51 % | 63 % |
Durée de la peineb | 10*** | 15 | 4 | 5 |
Nota : * p < 0,05 ** p < 0,01 *** p < 0,001
- a L'un des résultats visés par l'étude– le type d'acquittement – n'est pas pris en compte ici parce que le nombre de cas était trop faible dans certaines cellules pour permettre une analyse.
- b Exprimée en années.
Lorsqu'on examine le tableau 4.12, qui présente les résultats d'une comparaison entre le traitement accordé aux accusés de sexe masculin et à ceux de sexe féminin pour les deux types d'homicides, on remarque que la combinaison de sexe entre les protagonistes revêt une importance dans les deux cas. Examinons d'abord les homicides commis par un partenaire intime. Il ressort que, en tant qu'accusés, les hommes et les femmes font l'objet d'un traitement différent lorsqu'on examine huit des résultats abordés. De façon plus précise, mentionnons que, comparativement aux femmes accusées d'avoir provoqué la mort d'un partenaire intime de sexe masculin, les hommes inculpés d'homicide contre un partenaire intime de sexe féminin étaient plus souvent reconnus coupables dans le cadre d'un procès (70 %, par comparaison avec 35 %). De plus, ils étaient globalement plus susceptibles d'être condamnés (84 % contre 71 %), étaient plus souvent reconnus coupables de meurtre (47 % contre 6 %), recevaient plus souvent une peine de ressort fédéral (87 % contre 51 %) et se voyaient imposer des peines plus longues (d'environ six ans). Il est probable que certaines de ces variations soient attribuables aux contextes différents dans lesquels les hommes et les femmes commettent des homicides dans le cadre d'une relation intime. Par exemple, les recherches indiquent que les hommes qui tuent un partenaire intime de sexe féminin ont dans bien des cas fait subir des mauvais traitements à leur victime avant l'homicide, alors que les femmes qui tuent un partenaire intime de sexe masculin ont elles-mêmes été victime de la violence de ce partenaire avant l'homicide (ministère de la Justice, 2003)[36]. Dans notre étude, en ce qui concerne la catégorie des homicides mettant en cause des protagonistes entre lesquels il n'y avait pas de relation intime, on note également des différences entre les hommes et les femmes dans le traitement qu'ils reçoivent au sein du système de justice pénale. Les accusés de sexe masculin s'avéraient en effet plus susceptibles d'être inculpés de meurtre au premier degré (51 %, comparativement à 19 %) et de subir un procès (78 % contre 60 %). De plus, ils risquaient davantage d'être condamnés pour meurtre (71 % contre 15 %), de recevoir une peine de ressort fédéral (96 % contre 63 %) et de se voir imposer une peine plus longue (15 ans, comparativement à 5 ans).
Tableau 4.12 : Résultats du processus pénal pour chaque type d'homicide selon la combinaison de sexes entre les protagonistes, échantillon réduit, Toronto, 1974-2002
Relation intime | Autre | |||
---|---|---|---|---|
Accusé de sexe masculin-victime de sexe féminin | Accusé de sexe féminin-victime de sexe masculin | Accusé de sexe masculin-victime de sexe féminin | Accusé de sexe féminin-victime de sexe masculin | |
Résultat | ||||
Accusation de meurtre au premier degré | 35 % | 22 % | 51 %*** | 19 % |
Affaire soumise à un tribunal | 54 % | 42 % | 78 %* | 60 % |
Verdict de culpabilité | 70 %** | 35 % | 58 % | 40 % |
Probabilité globale de condamnation | 84 %* | 71 % | 64 % | 66 % |
Condamnation pour meurtre | 47 %*** | 6 % | 71 %*** | 15 % |
Peine de ressort fédéral | 87 %*** | 51 % | 96 %*** | 63 % |
Durée de la peineb | 10 | 4 | 15*** | 5 |
Nota : * p < 0,05 ** p < 0,01 *** p < 0,001
- a L'un des résultats visés par l'étude– le type d'acquittement – n'est pas pris en compte ici parce que le nombre de cas était trop faible dans certaines cellules pour permettre une analyse.
- bExprimée en années.
Enfin, effectuée afin d'évaluer d'autres facteurs, judiciaires et autres, l'analyse multidimensionnelles (dont les résultats ne sont pas présentés ici) révèle que la combinaison de sexes qui existe entre la victime et l'accusé présente un lien significatif avec les résultats du processus pénal, surtout les décisions prises aux dernières étapes. De façon plus particulière, mentionnons que, comparativement aux femmes accusées d'avoir tué un homme, les hommes inculpés d'homicide sur la personne d'une femme étaient (peu importe le type de relation entre eux) plus susceptibles d'être reconnus coupables de meurtre, de recevoir une peine de ressort fédéral et de se voir imposer une peine plus longue. Comme nous n'avons pu analyser certaines variables judiciaires importantes, ces résultats ne devraient pas être interprétés comme s'ils appuyaient la thèse d'un traitement plus clément de la justice à l'égard des accusés de sexe féminin Nous abordons cette question plus en détail dans la partie « Discussion et conclusion ».
- [35] Les homicides intersexuels sont des homicides mettant en cause des personnes de sexe différent (accusé de sexe masculin et victime de sexe féminim, ou accusé de sexe féminin et victime de sexe masculin) plutôt que des personnes de même sexe (accusé et victime de sexe masculin, ou accusé et victime de sexe féminin). Cette partie de notre analyse se centre sur les homicides intersexuels uniquement parce que nous avons recensé seulement 11 cas d'homicides mettant en cause des partenaires intimes qui étaient tous les deux de sexe masculin, et aucun cas d'homicide mettant en cause deux partenaires intimes de sexe féminin.
- [36] Les résultats présentés dans le rapport du ministère de la Justice se fondent sur la jurisprudence et doivent donc être interprétées avec prudence, car ils ne sont basés que sur les cas signalés, lesquels ne constituent pas nécessairement un échantillon représentatif. Cependant, les études réalisées dans le domaine des sciences sociales ont montré de façon constante que les hommes et les femmes qui tuent un partenaire intime ne le font pas pour les mêmes raisons. Par exemple, deux constatations bien documentées issues des recherches sur la violence sont, tout d'abord, que le fait de tuer un partenaire intime constitue souvent le point culminant d'une violence continue au sein de la relation intime, violence dont l'auteur est souvent un homme (Gartner et al, 1999; Campbell, 1992), et que, en second lieu, il existe des différences marquées entre les hommes et les femmes sur le plan des motivations et de la situation qui sous-tendent un tel crime (Gartner et coll., 1999; Silverman et Kennedy, 1987). En effet, les femmes tuent plus souvent un partenaire intime après avoir subi pendant longtemps les mauvais traitements de ce dernier ou avoir été témoins des mauvais traitements qu'il infligeait à ses enfants et parce qu'elles craignent que cette violence se poursuive ou s'aggrave. De plus, lorsqu'une telle situation a été démontrée, la culpabilité qu'on leur attribue en justice peut être moindre. En revanche, les hommes tuent plus souvent un partenaire intime de sexe féminin parce que cette personne veut mettre un terme à la relation ou l'a déjà fait, et le fait de prouver ce dernier facteur peut accroître leur culpabilité aux yeux de la loi. Par exemple, Dawson (2003a) a établi que les hommes oupables du meurtre d'une ancienne partenaire intime étaient traités plus sévèrement par les tribunaux que ceux qui avaient tué une femme avec qui ils avaient toujours une relation intime.
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