Examen du lien entre la criminalité et la situation socio-économique à Ottawa et à Saskatoon : Analyse géographique à petite échelle

2. Aspects sociaux et géographiques de la criminalité: un examen de la théorie et des écrits spécialisés

Des études en criminologie révèlent que certaines caractéristiques sociales sont liées à une plus grande probabilité de participer à des activités criminelles. Comme Sacco et Kennedy (2002, p.39) l'expliquent, il est bien connu que la plupart des délinquants ont tendance à être de jeunes hommes défavorisés. En fait, au Canada en 1999, 86 % de tous les contrevenants adultes et 75 % de tous les jeunes contrevenants (âgés de 12 à 17 ans) étaient de sexe masculin. Le désavantage social et économique s'est révélé étroitement lié à la criminalité, en particulier aux infractions les plus graves, dont les voies de fait, le vol qualifié et l'homicide. Les données collectées au sujet des contrevenants montrent qu'ils sont susceptibles d'être en chômage ou d'occuper un emploi non spécialisé et peu rémunérateur. Il y a également un lien entre les contrevenants et les groupes minoritaires, en particulier les Afro-Américains aux États-Unis et les Autochtones au Canada (Short, 1997, p. 26; Sacco et Kennedy, 2002, p. 40).

Les caractéristiques sociales des victimes d'actes criminels ressemblent à celles des contrevenants. Selon l'Enquête sociale générale (ESG) de 1999, c'est dans la tranche des jeunes Canadiens de 15 à 24 ans qu'on relève les taux les plus élevés de victimes de crimes de violence et de crimes contre les biens. L'ESG a aussi révélé que les taux de victimisation personnelle étaient plus élevés dans les régions urbaines et chez les personnes seules et celles vivant dans des ménages à faible revenu (moins de 30 000 $). Dans son étude portant sur les quatre grandes villes du Canada, Mata (2003) constate que les taux plus élevés de criminalité sont liés à la présence de groupes à risque, dont les Autochtones, les femmes et les chefs de familles monoparentales. Toutefois, en ce qui concerne certains crimes contre la propriété, comme l'introduction par effraction, le vol d'automobile et le vandalisme, des études ont montré que les taux de victimisation au Canada sont plus élevés pour les ménages à revenu plus élevé (Sacco et Kennedy, 2002, p. 48).

Il est possible d'étendre l'étude des caractéristiques sociales des contrevenants et des victimes à un examen critique du rôle du lieu comme influence sur l'activité criminelle. Des études ont porté sur les facteurs sociaux et économiques qui contribuent à la fréquence et à la nature des actes criminels commis dans une collectivité. Depuis quelques années, la géographie de la criminalité, avec son accent sur la cartographie et l'analyse spatiale, est devenue un domaine de recherche grandissant. Toutefois, la « criminologie cartographique » est issue d'une longue tradition. Par exemple, au 19e siècle, des dirigeants locaux et des fonctionnaires en Europe et en Amérique du Nord ont produit des cartes pour montrer que la criminalité était répartie de façon inégale dans les villes et les régions (Herbert, 1989, p. 1).

Dans les années 1920 et 1930, la doctrine écologique (aussi désignée du nom de Chicago School of Criminology) a été mise au point par Robert Park et Ernest Burgess. Elle postule que la criminalité présentera toujours une distribution géographique inégale et que cette variation découle des rapports entre les humains (ou des groupes d'humains) et ce qui les entoure. Comme Schmalleger et Volk (2001, p. 201) l'expliquent, la doctrine écologique insiste sur les attributs démographiques et géographiques des groupes et voit la désorganisation sociale qui caractérise les secteurs de délinquance comme une cause majeure de la criminalité et de la victimisation. En utilisant Chicago comme modèle, Park et Burgess ont constaté que l'activité criminelle était liée à ce qu'ils ont qualifié de « secteurs en transition » situées en périphérie du centre-ville (Winterdyk, 2000, p. 216).

Partisans de l'approche écologique, Clifford Shaw et Henry McKay (1942), ont proposé la théorie de la désorganisation sociale dans leur étude de collectivités ayant des taux de criminalité élevés. Chicago leur servant encore d'étude de cas, ils ont constaté que les taux de criminalité étaient distribués inégalement dans toute la ville d'une façon non aléatoire et que les collectivités les plus près du centre-ville étaient celles où les taux étaient les plus élevés. Ces quartiers ont été décrits comme des secteurs en transition, ayant un statut socio-économique faible, un grand nombre de minorités ethniques/raciales et une grande mobilité résidentielle (Wilcox, Land et Hunt, 2003, p. 28). Shaw et McKay concluent que les taux de criminalité élevés ne dépendaient pas des attributs personnels des groupes vivant dans les quartiers mais ils soutiennent plutôt que les facteurs structurels de la pauvreté, l'hétérogénéité élevée et la grande mobilité ont créé une « désorganisation sociale » et on présume que c'est la désorganisation sociale au niveau local qui est la cause de la criminalité (Wilcox, Land et Hunt, 2003, p. 28). De plus, Short (1997, p.50-51) soutient que la recherche (surtout aux États-Unis) a montré qu'en termes généraux, d'autres facteurs se conjuguent souvent à la pauvreté pour produire des taux élevés de crimes de violence à mesure que la structure familiale et la collectivité changent. Au milieu des années 1990, nous avons assisté à la renaissance de l'approche de Shaw et McKay, sous la forme de la « New Chicago School » qui a adopté des techniques informatisées de cartographie et d'analyse spatiale, en particulier grâce à l'utilisation de systèmes d'information géographique (SIG; Ainsworth, 2001, p. 85).

Travaillant dans le cadre de l'écologie du crime, le criminologue américain Rodney Stark (1987) s'est demandé comment les quartiers peuvent rester aux prises avec des taux de criminalité et de déviance élevés malgré un roulement complet de leurs populations. Il conclut qu'il doit y avoir quelque chose dans ces endroits qui alimente la criminalité. Stark a élaboré une théorie des quartiers déviants et il propose que cinq caractéristiques, ou facteurs essentiels, distinguent les secteurs à haut taux de criminalité :

  1. forte densité de population;
  2. pauvreté;
  3. utilisation mixte d'immeubles à des fins résidentielles et commerciales;
  4. transhumance;
  5. dilapidation.

Stark (1987, p.895-904) formule trente propositions pour établir une théorie des endroits dangereux et pour expliquer l'écologie du crime. Elles comprennent les suivantes :

  1. plus la densité est élevée, plus l'association entre les personnes les plus disposées et les moins disposées à la criminalité est grande;
  2. plus la densité est élevée, plus le niveau de cynisme moral est élevé;
  3. plus les foyers sont bondés, plus la tendance sera grande de se rassembler hors de la maison dans des endroits offrant des occasions d'avoir un comportement déviant;
  4. lorsque les maisons sont bondées, les enfants sont moins supervisés;
  5. un niveau de supervision réduit entraîne une mauvaise performance scolaire, avec une réduction conséquente des avantages à se conformer;
  6. les quartiers pauvres et densément peuplés ont tendance à être des quartiers à vocation mixte;
  7. les quartiers à vocation mixte offrent plus de possibilités de se rassembler hors de la maison dans des endroits propices à la déviance;
  8. les quartiers pauvres, densément peuplés à vocation mixte ont des taux élevés de population de passage.

On a critiqué l'approche écologique parce qu'elle insiste trop sur l'endroit tout en négligeant la personne. Comme Schmalleger et Volk (2001, p. 204) l'expliquent, en se concentrant sur le rôle que les institutions sociales et la désorganisation sociale jouent dans l'activité criminelle, les approches écologiques ne prennent pas suffisamment en compte l'influence de la psychologie individuelle, de la biologie distinctive ou du choix personnel dans l'activité criminelle. Une autre critique tient au fait que les taux de criminalité locaux peuvent varier dans une certaine mesure en fonction des décisions des services policiers, puisque la répression active dans une collectivité donnée crée la perception de taux plus élevés d'activités criminelles que c'est le cas en réalité. De nombreux actes criminels surviennent dans des quartiers non caractérisés par une désorganisation sociale. Des crimes liés à la violence, aux biens et aux stupéfiants sont régulièrement commis dans des collectivités riches et dans d'autres parties de la ville (Schmalleger et Volk, 2001, p. 205). De plus, Felson (2002, p.62-63) soutient que les taux de cambriolages résidentiels sont plus élevés dans les villes et collectivités de banlieue à faible densité où les caractéristiques de l'aménagement et de la disposition physiques offrent plus d'occasions.

Le concept de l'opportunité criminelle est une autre grande tradition théorique qui répond à quelques-unes des critiques de l'approche écologique. On suppose que l'opportunité est la condition nécessaire de l'acte criminel et que le nombre grandissant de biens de consommation dans les magasins et les foyers et la hausse marquée de la richesse personnelle ont créé de plus en plus d'opportunités pour l'activité criminelle. La théorie de la criminalité axée sur les activités routinières est étroitement associée à ce concept. Selon cette théorie, des facteurs liés à la démographie ou à la classe sociale contribuent à des routines d'activités particulières qui combinent trois conditions préalables de la criminalité :

  1. la présence d'un contrevenant motivé (comme un adolescent sans travail)
  2. une cible convenable (par exemple une maison renfermant des biens qui pourraient facilement être revendus)
  3. l'absence d'un gardien compétent (propriétaire, voisin ou ami vigilant)

(Clarke et Felson, 1993, p. 9; Knox, 1995, p. 256; Hackler, 2000, p. 169).

Selon la description qu'en donnent Wilcox, Land et Hunt (2003, p. 22), l'approche des activités routinières découle d'hypothèses fondées sur un choix rationnel et mettent l'accent sur les circonstances dans lesquelles l'acte criminel est le plus probable. Si peu de contrevenants peuvent choisir des cibles loin de chez eux, la grande majorité d'entre eux « surveilleront » des endroits locaux avec lesquels ils sont familiers lorsqu'ils cherchent une cible acceptable. Les contrevenants ont tendance à agir dans des secteurs qu'ils en sont venus à connaître, peut-être au cours d'activités non criminelles (Ainsworth, 2001, p. 86).

À mesure que la richesse augmente et que les modes de vie changent, les gens consacrent moins de temps à des activités routinières à la maison et plus de temps hors de la maison à des activités qui augmentent le risque d'être victimes (c.-à-d. dans des bars et autres endroits publics). En même temps, leur résidence non surveillée est plus susceptibles d'être la cible d'actes criminels, en particulier dans les banlieues, qui ne compte habituellement pas autant de voisins qui sont des parents ou des connaissances proches et qui sont des gardiens efficaces de leurs biens (Hackler, 2000, p.170). Un autre facteur est la prolifération de richesses facilement transportables, comme des ordinateurs, des caméras numériques et des lecteurs DVD, ce qui fait que les résidences (et dans bien des cas les personnes) qui possèdent ces biens précieux courent un plus grand risque d'être victimes d'un acte criminel. Comme Felson (2002, p.35) le dit, les articles les plus recherchés par les contrevenants sont dissimulables, portables, disponibles, précieux, agréables et disponibles.

Dans le contexte de la géographie de la criminalité, plusieurs études récentes en Amérique du Nord et en Europe ont employé des données et des techniques de cartographie afin d'examiner le lien entre la criminalité et la situation socio-économique au niveau intra-urbain. Par exemple, des études au Canada ont montré que la criminalité n'est pas distribuée uniformément au sein des villes et qu'il y a des différences notables quant aux taux et aux catégories de criminalité observés d'une ville à une autre. Les villes de l'Ouest canadien ont généralement des taux de criminalité plus élevés que celles de la région centrale et des Maritimes. Dans une étude menée par le Centre canadien de la statistique juridique, Fitzgerald, Wisener et Savoie (2004) ont examiné les caractéristiques des quartiers et la répartition de la criminalité à Winnipeg. Ils ont analysé les données sur la criminalité transmises par les services policiers dans le cadre du Programme de Déclaration uniforme de la criminalité fondée sur l'affaire (DUC2) de 2001, de même que les données du Recensement de 2001 et de l'aménagement du territoire de la ville de Winnipeg. L'étude a révélé que la criminalité à Winnipeg en 2001 était concentrée dans le centre-ville et que les quartiers à haut taux et à faible taux de criminalité présentaient des caractéristiques nettement différentes. Les secteurs à haut taux de criminalité avaient une situation socio-économique moins favorable, moins de stabilité résidentielle, une densité de population plus forte et certains modèles d'urbanisme qui peuvent augmenter les opportunités criminelles dans la ville.

Ley et Smith (2000) ont étudié l'association entre la criminalité et les privations sociales à Toronto et à Vancouver. Ils ont obtenu des données désagrégées sur la criminalité provenant de 207 secteurs de patrouille du service de police de la Région métropolitaine de Toronto et ils ont cerné des secteurs à haut taux de criminalité à l'intérieur et autour de la ville centrale qui, une fois cartographiés, correspondaient étroitement aux quartiers les moins favorisés. La situation était similaire à Vancouver, les secteurs très défavorisés étant corrélés avec des taux élevés de criminalité déclarée. Massimo, Haining et Signoretta (2001) ont employé une analyse spatiale fondée sur un SIG pour modéliser les secteurs à haute intensité criminelle (SHIC) dans un échantillon de grandes villes d'Angleterre. Ils ont intégré des données de recensement dans leur modèle et constaté que les SHIC sont caractérisés par des populations défavorisées, à haute densité et dont les taux de roulement sont plus élevés. Bowers et Hirschfield (1999) ont employé un SIG pour examiner les liens entre la criminalité et la répartition de différentes catégories de quartiers résidentiels défavorisés, à revenu moyen et riche à Merseyside, dans le Nord-Ouest de l'Angleterre. L'étude a révélé comment on peut employer un SIG pour bâtir un portrait multidimensionnel complexe des rapports entre la victime et les lieux des infractions.