Profil des contrevenants et récidive chez les auteurs d'actes de violence conjugale en Ontario

Résumé

La question de la violence conjugale a été, et continue d'être, une grande priorité des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Au cours des quinze dernières années, le gouvernement fédéral, tout comme bon nombre de gouvernements provinciaux et territoriaux, ont lancé des programmes de prévention et de traitement à l'intention à la fois des victimes et des auteurs d'actes de violence conjugale. De plus, des programmes d'éducation publique sur les coûts humains et financiers de la violence conjugale ont été bien établis. Des lois portant expressément sur la violence conjugale ont été adoptées dans cinq provinces et deux territoires en vue de compléter les mesures qui existaient en vertu du Code criminel.

En 1997, le gouvernement de l'Ontario a créé le Programme de tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale, qui a commencé avec deux projets pilotes dans la région de Toronto. En 1998, le programme avait été étendu à six localités supplémentaires (Brampton, Région de Durham, Hamilton, London, North Bay et Ottawa). Par ailleurs, il y avait, en juin 2005, des tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale dans 42 localités de l'Ontario, et il est prévu qu'un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale existera dans les 54 localités où siègent les tribunaux de cette province à la fin de 2005-2006.

La présente étude vise à comparer les caractéristiques des infractions, les antécédents criminels et le récidivisme d'un échantillon de contrevenants ayant été condamnés en Ontario relativement à un acte de violence conjugale dans un ressort doté d'un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale avec un échantillon de contrevenants condamnés par d'autres tribunaux dans des ressorts dépourvus de tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale. Elle porte aussi sur l'incidence des antécédents criminels, ainsi que sur les caractéristiques de la condamnation et de la peine sur la probabilité de récidive en matière de violence conjugale.

Un échantillon de 500 contrevenants ayant été condamnés pour violence conjugale entre le 1er janvier et le 31 décembre 2001 par un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale de l'Ontario et un échantillon de 500 contrevenants ayant été condamnés par d'autres tribunaux de l'Ontario ont été sélectionnés au hasard. Un formulaire « Condamnations au criminel - Libérations conditionnelles et inconditionnelles et renseignements connexes » (aussi appelé « fiche dactyloscopique », « casier judiciaire » ou « registre du CIPC ») concernant ces contrevenants a été extrait par la Gendarmerie royale du Canada (GRC) et envoyé à la Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice du Canada pour la saisie et l'analyse de données. Les antécédents criminels de l'ensemble des 1 000 contrevenants ont été consignés depuis le début jusqu'au 30 décembre 2003 sous forme de base de données Access et ont été analysés au moyen du logiciel Statistical Analysis System (SAS).

Différentes analyses statistiques ont été entreprises pour présenter les caractéristiques des contrevenants, des infractions et des peines selon le tribunal pour l'ensemble des contrevenants de l'échantillon. De plus, sont aussi présentées les données sur les variables ayant une incidence sur la probabilité de récidive et les variables les plus fortement liées à la récidive.

Quelques variables ont montré des écarts importants entre les contrevenants ayant comparu devant les deux types de tribunaux. Les contrevenants qui ont comparu devant un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale étaient généralement plus âgés que ceux ayant comparu devant d'autres tribunaux de l'Ontario. Ils risquaient plus d'avoir été condamnés, en ce qui concerne la condamnation pour violence conjugale répertoriée, pour des actes de violence moins graves. Ils étaient aussi plus susceptibles d'avoir reçu une peine d'emprisonnement, mais la peine d'emprisonnement médiane a été plus courte, comparativement aux contrevenants ayant comparu devant d'autres tribunaux de l'Ontario.

L'examen des antécédents criminels des contrevenants a montré quelques différences entre les contrevenants des deux types de tribunaux. Bien qu'un nombre semblable de contrevenants ayant comparu devant les deux types aient eu des condamnations antérieures dans leur casier judiciaire et que des proportions semblables de contrevenants aient eu des condamnations pour actes graves de violence ou infractions avec violence, les contrevenants ayant comparu devant un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale étaient moins susceptibles d'avoir déjà été condamnés pour violence conjugale comparativement à ceux qui avaient comparu devant d'autres tribunaux de l'Ontario. De plus, ils étaient aussi plus susceptibles que les contrevenants ayant comparu dans d'autres tribunaux de l'Ontario d'avoir reçu, comme peine la plus grave, une peine d'emprisonnement à l'égard de condamnations antérieures.

On a aussi constaté des différences entre les contrevenants ayant comparu devant les deux types de tribunaux quand a été pris en compte le relevé de nouvelles condamnations après la condamnation pour violence conjugale répertoriée. Bien que des proportions semblables de contrevenants aient reçu des nouvelles condamnations après la condamnation pour violence conjugale répertoriée, ceux ayant comparu devant un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale étaient moins susceptibles d'être condamnés de nouveau pour une infraction grave avec violence ou un acte de violence conjugale. Ils étaient toutefois plus susceptibles de recevoir une peine d'emprisonnement pour la nouvelle condamnation. Enfin, le temps écoulé entre la condamnation pour violence conjugale répertoriée et la nouvelle condamnation était légèrement plus court dans le cas des contrevenants ayant comparu devant un tribunal chargé de l'instruction des causes de violence conjugale.

En ce qui concerne l'incidence des différentes variables sur la récidive, le sexe, l'âge, l'existence d'un casier judiciaire antérieur, la gravité d'une condamnation antérieure, la peine infligée pour la condamnation antérieure, la peine pour la condamnation pour violence conjugale répertoriée, la durée de la peine d'emprisonnement infligée relativement à la condamnation pour violence conjugale répertoriée, le nombre total de condamnations au cours d'une vie et le nombre total d'accusations sans condamnation semblent tous jouer un ròle statistiquement significatif dans la probabilité de récidive.

Les conclusions présentées dans le présent rapport n'ont pas permis de montrer qu'un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale ait pour effet de réduire la probabilité générale de récidive. Ces données ne nous ont pas permis de conclure à un rapport positif solide entre la comparution devant un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale et la récidive. Toutefois, les contrevenants qui ont comparu devant un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale étaient moins susceptibles que les contrevenants ayant comparu devant d'autres tribunaux de l'Ontario de recevoir une nouvelle condamnation pour acte de violence conjugale ou autre infraction avec violence, et ils étaient plus susceptibles de recevoir une nouvelle condamnation pour une infraction de nature administrative. Par ailleurs, ils étaient plus susceptibles de recevoir une peine d'emprisonnement dans les cas de la condamnation pour violence conjugale répertoriée et de la nouvelle condamnation.

La présente étude comporte quelques limites. Comme l'analyse est fondée sur le casier judiciaire des contrevenants, elle ne montre que l'incidence d'éléments précis liés au casier judiciaire des contrevenants sur la probabilité de récidive. Les variables liées à la personne, comme l'état matrimonial, la relation de l'intimé avec la victime, le niveau d'éducation, la situation d'emploi, le revenu, le fait de vivre à la ville ou à la campagne, devraient être prises en compte lorsqu'il s'agit de cerner celles qui influent le plus sur la probabilité de récidive. Ces variables ne figurent pas dans le casier judiciaire des contrevenants faisant partie de l'échantillon et ne sont donc pas incluses à titre de variables explicatives. L'analyse pourrait aussi être bonifiée par une vision à l'échelle nationale dans laquelle pouvait être observée l'incidence de variables comme l'économie, la politique, la démocratie, le développement social sur la probabilité de récidive.

Bien que toutes les condamnations pour violence conjugale répertoriées aient été des infractions de nature conjugale, comme il s'agissait du point de base de la présente analyse, il n'a pas été possible de définir de façon exacte les infractions de nature conjugale antérieures et postérieures, parce que les policiers ne remplissent pas le Volunteer Screening Initiative[1] du fichier des casiers judiciaires de la GRC de la même manière. Cette limite a posé des difficultés dans le recensement des infractions conjugales antérieures ou des nouvelles condamnations de nature conjugale. Des renseignements supplémentaires auraient permis de dresser un portrait plus exact de la réalité sous-jacente à la récidive d'actes violents de nature conjugale. Il se peut que la plupart des nouvelles condamnations soient de nature conjugale, qu'il s'agisse d'un incident réel de violence conjugale ou d'une infraction administrative en ce qui concerne la condamnation pour violence conjugale répertoriée, mais il a été impossible d'établir de façon définitive la véritable nature de ces infractions antérieures ou de ces nouvelles condamnations.

Bien que la présente étude ne puisse entièrement expliquer la fréquence de la récidive dans les cas de violence conjugale, elle permet d'éclairer la question et fournir des renseignements sur un tribunal spécialisé créé par une province en vue de traiter la question de la violence conjugale. Les renseignements examinés dans le présent rapport peuvent aider à concevoir les programmes ou services éventuels afin de traiter la récidive en matière de violence conjugale pour ainsi en avoir une meilleure compréhension.

1. Introduction

La question de la violence conjugale a été, et continue d'être, une grande priorité des gouvernements fédéral, provinciaux et territoriaux. Au cours des quinze dernières années, le gouvernement fédéral, tout comme bon nombre de gouvernements provinciaux et territoriaux, ont lancé des programmes de prévention et de traitement à l'intention à la fois des victimes et des auteurs d'actes de violence conjugale. De plus, des programmes d'éducation publique sur les coûts humains et financiers de la violence conjugale ont été bien établis. Des lois portant expressément sur la violence conjugale ont été adoptées dans les provinces et territoires suivants en vue de compléter les mesures qui existaient en vertu du Code criminel :

Alberta :
Protection Against Family Violence Act (11 juin 1999);
Manitoba:
Loi sur la violence familiale et la protection, la prévention et l'indemnisation en matière de harcèlement criminel (29 juin 1998);
Territoires du Nord-Ouest :
Protection Against Family Violence Act (1er avril 2005);
Nouvelle-Écosse :
Domestic Violence Intervention Act (1er avril 2003);
Île-du-Prince-Édouard :
Victims of Family Violence Act (16 décembre 1996);
Saskatchewan :
Victims of Domestic Violence Act (1er février 1995);
Yukon :
Loi sur la prévention de la violence familiale (11 décembre 1997).

Depuis 1997, l'Ontario, le Manitoba, l'Alberta et le Yukon ont mis en place des tribunaux spécialisés et des procédures judiciaires pour traiter les affaires de violence conjugale. Ces tribunaux spécialisés en violence conjugale ont été créés en vue de reconnaître la nature spéciale des cas de violence conjugale et de sensibiliser le personnel du système de justice pénale à la nature et l'étendue de cette problématique. Des systèmes et des protocoles ont aussi été élaborés pour soutenir la coordination à l'intérieur et à l'extérieur du système de justice en réaction à la dynamique unique de la violence conjugale.

En 1997, le gouvernement de l'Ontario a créé le Programme de tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale, qui a commencé avec deux projets pilotes dans la région de Toronto. En 1998, le programme avait été étendu à six localités supplémentaires (Brampton, Région de Durham, Hamilton, London, North Bay et Ottawa). Par ailleurs, il y avait, en juin 2005, des tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale dans 42 localités de l'Ontario[2], et il est prévu qu'un tribunal pour l'instruction des causes de violence conjugale existera dans les 54 localités où siègent les tribunaux de cette province à la fin de 2005–2006.

Les objectifs du Programme de tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale de l'Ontario sont les suivants :

  1. assurer une poursuite et une gestion efficaces des causes de violence conjugale;
  2. intervenir tòt dans les situations de violence conjugale;
  3. fournir un meilleur soutien aux victimes de violence conjugale tout au long du processus de justice pénale;
  4. accroître la responsabilisation des contrevenants.

Le Programme de tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale de l'Ontario comporte deux éléments :

  1. L'intervention précoce
  2. Des poursuites coordonnées

Intervention précoce

Cette composante du Programme de tribunaux pour l'instruction des causes de violence conjugale vise à fournir aux contrevenants qui ont commis une première infraction l'occasion d'apprendre à utiliser des moyens non violents pour régler des conflits. La victime est consultée et informée de la participation de l'accusé à ce projet. Pour être admissible au programme, ce dernier doit satisfaire aux critères suivants :

  1. n'avoir aucune condamnation antérieure pour une infraction de violence conjugale;
  2. ne pas avoir utilisé d'arme au moment de la commission de l'infraction;
  3. ne pas avoir infligé de blessures importantes à la victime.

Si l'accusé est admissible au programme, il peut choisir de plaider coupable et de participer au programme d'intervention auprès des partenaires violents à titre de condition de mise en liberté sous caution. Dans certains cas, l'accusé peut recevoir l'ordre de suivre leprogramme d'intervention auprès des partenaires violents pendant sa période de probation, auquel cas, il ne lui serait pas nécessaire de comparaître de nouveau devant le tribunal.

Le programme d'intervention auprès des partenaires violents est un programme spécialisé de counseling et d'éducation de 16 semaines, dispensé par des organismes communautaires aux personnes accusées de comportements violents à l'égard de leur partenaire. Le programme d'intervention auprès des partenaires violents vise à rendre les contrevenants responsables de leur comportement et à accroître la sécurité des victimes. Il offre aux participants l'occasion d'examiner les croyances et les attitudes qui servent à justifier le comportement violent et d'apprendre des moyens non violents de régler des conflits. À la fin du programme d'intervention auprès des partenaires violents, si la participation à ce programme est une condition de la mise en liberté sous caution, l'accusé retourne devant le tribunal pour la détermination de sa peine, et le tribunal reçoit alors un rapport sur les progrès accomplis dans le cadre du programme. Si l'accusé a réussi le programme d'intervention auprès des partenaires violents avec succès, le poursuivant recommandera une absolution sous condition et ce, pour éviter à l'accusé d'avoir un casier judiciaire. Si le contrevenant n'a pas suivi le programme, n'y a pas pleinement participé, ou s'il a commis une nouvelle infraction pendant le programme, les conditions de sa mise en liberté sous caution seront considérées comme ayant été violées. Le contrevenant peut alors être accusé et traité dans le cadre du programme des poursuites coordonnées.

Poursuites coordonnées

Une équipe policière spécialisée, des procureurs de la Couronne et du personnel du Programme d'aide aux victimes et aux témoins (PAVT) travaillent tous ensemble pour enquêter, procéder à des poursuites et offrir du soutien et des renseignements aux victimes. Les procureurs de la Couronne demandent souvent à la police de recueillir, en plus de la déclaration de la victime, des copies d'appels au 911, des rapports médicaux et des photographies des lésions, des entrevues avec la famille et les voisins et des enregistrements audio ou vidéo des déclarations de la victime. La police porte aussi des accusations s'il existe des motifs raisonnables de croire que le contrevenant n'a pas respecté les conditions de sa mise en liberté sous caution ou de sa probation. Les procureurs de la Couronne spécialement formée en violence conjugale utilisent cet élément de preuve supplémentaire pour engager des poursuites et apporter du soutien à la victime.