S-4 : UN PREMIER PROJET DE LOI D'HARMONISATION

Par Marie-Noëlle Pourbaix [1], conseillère juridique,
Section du Code civil,
ministère de la Justice du Canada

Le bijuridisme canadien et l'harmonisation des lois fédérales avec le droit civil du Québec ont déjà fait couler beaucoup d'encre. Les mérites de la dualité juridique canadienne ont été loués, avec raison, au cours de nombreux événements et dans plusieurs textes. Le but du présent texte n'est pas de reprendre ces propos ni de faire un nouvel exposé sur les origines et les avantages du bijuridisme mais plutôt de nous attarder à l'un des résultats concrets de la mise en œuvre du programme d'harmonisation : le projet de loi d'harmonisation no 1 de la législation fédérale et du droit civil du Québec, S-4[2]. Ce projet de loi est d'autant plus notable que s'il est adopté, il fera œuvre de pionnier en la matière. Son prédécesseur, le projet de loi S-22[3], mort au Feuilleton en raison des impératifs politiques de l'automne 2000, a donné le coup d'envoi et a produit une vive impression lors de son entrée au Parlement. La grande majorité des sénateurs présents lors de sa considération en comité[4] ont été séduits, tant par l'éloge qu'en a fait la ministre de la Justice que par l'innovation qu'il représente.

Précisons dès maintenant que le présent texte se veut descriptif plutôt qu'argumentatif. L'auteure ayant elle-même contribué à certaines des propositions d'harmonisation qui y sont contenues, sa critique ne pourrait être objective. Nous laissons donc à d'autres le soin de poser un regard critique sur son contenu. Ceci étant dit, comme il est généralement indiqué de dire quelques mots sur l'origine du sujet dont nous traiterons, nous commencerons cet exposé en décrivant brièvement la toile de fond sur laquelle les premiers résultats d'harmonisation se sont articulés (1.) Puis, en deuxième partie, nous entrerons dans le cœur du sujet où nous nous attarderons aux principaux éléments composant le projet de loi S-4 (2.).

1. Origines du projet de loi S-4

En prévision de l'entrée en vigueur du Code civil du Québec, le 1er janvier 1994, et des conséquences de celui-ci sur l'application des lois fédérales dans la province de Québec, le ministère de la justice du Canada a mis sur pied, en 1993, une équipe de juristes pour étudier cet impact. C'est ainsi qu'est née la Section du Code civil. Les juristes de cette section ont rapidement constaté que des amendements à la législation fédérale seraient nécessaires afin qu'elle reflète le nouveau vocabulaire et les nouveaux concepts civilistes.

Cette première constatation faite, il fallait décider comment s'y prendre pour harmoniser la législation fédérale avec le nouveau droit civil du Québec. La première étape qui parut évidente à tous fut la sélection des lois à être harmonisées (1.1). Puis, comme il faut un début à toute chose, une première expertise s'est développée dans trois domaines du droit (1.2). Les premiers résultats des efforts d'harmonisation se sont concrétisés en 1998 avec le dépôt du projet de loi C-50 (1.3). Ce dernier, mort au Feuilleton, a été réintroduit deux ans plus tard sous le numéro S-22 avec certaines modifications et de nombreux ajouts (1.4). La partie qui suit décrit plus en détail chacune de ces étapes.

1.1 Exercice de sélection des lois fédérales à être harmonisées

Le corpus de la législation fédérale compte au-delà de 700 lois. Chacune d'elles devra être examinée individuellement afin de déterminer si elle trouve application au Québec ou si elle fait appel au droit civil du Québec à titre de droit supplétif. Lors d'un premier examen, la Section du Code civil en a dénombré près de 350 qui sont susceptibles de s'appliquer au Québec. Parmi celles-là, certaines ont été choisies pour être la cible des premiers efforts d'harmonisation et ce, selon différents critères. Ces critères variaient entre la fréquence d'utilisation de la loi et le degré de difficulté qu'elle représentait. Une fois cette sélection arrêtée, le processus d'harmonisation s'est enclenché.

1.2 Élaboration d'une expertise dans trois domaines du droit

La démarche d'harmonisation est innovatrice. Au début de cette initiative, aucun manuel décrivant le processus ou la méthodologie à suivre n'existait[5]. Il a donc été jugé sage de commencer par développer une expertise dans seulement trois domaines du droit : le droit des biens, des sûretés et de la responsabilité civile. Les lois retenues pour harmonisation ont été examinées à la lumière de ces trois domaines. C'est ce qui explique le fait que la majorité des lois contenues au projet de loi S-4 sont harmonisées partiellement. Ultérieurement, ces lois seront reprises et harmonisées à la lumière de tous les autres domaines du droit civil[6]. Une fois ces lois harmonisées entièrement, les propositions de modifications législatives les concernant seront introduites dans un nouveau projet de loi d'harmonisation.

Le développement de cette expertise ne s'est toutefois pas fait en vase clos. La Section du Code civil a travaillé, et travaille toujours, en étroite collaboration avec les ministères responsables de l'application des lois visées ainsi qu'avec la Direction des services législatifs du ministère de la Justice. De plus, elle a souvent eu recours aux services de professeurs universitaires réputés[7]. Avant le premier dépôt du projet de loi d'harmonisation — c'est-à-dire, le 12 juin 1998 — la ministre de la Justice a entrepris des consultations publiques exhaustives. Un bon nombre de groupes de la communauté juridique québécoise y ont participé, notamment le Barreau du Québec, la Chambre des notaires du Québec et des représentants de l'Association du Barreau canadien (Section Québec). Il n'est pas exagéré d'affirmer que le projet de loi d'harmonisation ait engendré un consensus au sein de la communauté juridique. Et c'est la mise en commun de toute cette expertise qui a assuré son succès.

1.3 Projet de loi C-50

Le 12 juin 1998, le tout premier projet de loi d'harmonisation a vu le jour et a reçu la première lecture à la Chambre des communes. Rétrospectivement, il a été l'embryon de l'actuel projet de loi S-4 et a jeté les bases des principales composantes de celui-ci. Par exemple, les modifications apportées à la Loi d'interprétation[8] s'y trouvaient déjà, de même que celles faites aux trois lois pilotes soit la Loi sur les immeubles fédéraux[9], la Loi sur la faillite et l'insolvabilité[10] et la Loi sur la responsabilité civile et le contentieux administratif [11]. Il modifiait, de plus, une vingtaine de lois diverses harmonisées au regard des trois domaines de droit mentionnés plus haut. Le projet de loi C-50 est mort au Feuilleton lors de la prorogation de la Chambre.

1.4 Projet de loi S-22

Le projet de loi S-22 a été le successeur du projet de loi C-50. Il a été déposé au Sénat le 11 mai 2000. Il reprenait essentiellement le contenu de C-50 avec quelques modifications devenues nécessaires suite aux commentaires reçus lors de la deuxième consultation publique[12] et suite aux changements récents apportés au Code civil du Québec[13]. De plus, il comprenait des propositions de modifications législatives à 25 lois additionnelles et ce, toujours au regard du droit des biens, des sûretés et de la responsabilité civile.

Le projet de loi S-22 s'est rendu en deuxième lecture et a été référé au Comité sénatorial sur les affaires juridiques et constitutionnelles qui s'est réuni le 14 juin 2000 pour en discuter. Cela a permis à la ministre de la Justice, responsable du projet, d'en faire la présentation aux sénateurs présents. C'était donc la première fois que les parlementaires avaient l'occasion de prendre connaissance de la démarche d'harmonisation de façon concrète. Dans l'ensemble, les sénateurs l'ont accueilli avec enthousiasme[14].

En raison de la dissolution du Parlement en automne 2000, le projet de loi S-22 est, lui aussi, mort au Feuilleton. Mais les espoirs de voir naître une législation harmonisée ne sont pas morts pour autant. Dès l'ouverture de la nouvelle session parlementaire, le projet de loi a été redéposé. Il porte, depuis le 31 janvier 2001, le numéro S-4[15].