Élargir nos horizons : Redéfinir l'accès à la justice au Canada
Ateliers (suite)
3. Diversité et accès à la justice
Le professeur Brian Etherington, de la Faculté de droit de l’Université de Windsor, a dirigé cet atelier. Il a donné son avis sur la mesure dans laquelle les besoins en matière d’accès à la justice des différents groupes qui composent la société canadienne sont comblés. Il a mentionné :
Des progrès majeurs ont été réalisés sur le plan du fond, à la fois en ce qui concerne la reconnaissance des intérêts des divers groupes et du sens de la notion de justice et d’égalité pour leurs membres. Il en a cependant été autrement en ce qui concerne les mécanismes de prestation et les procédures nécessaires pour assurer l’accès à la justice.
Il a ensuite démontré comment, depuis 20 ans, notre système de justice reconna ît beaucoup plus les intérêts des groupes minoritaires qui doivent être protégés. Les années 1980 à 1985 ont été particulièrement importantes à cet égard :
La notion traditionnelle d’égalité – une égalité purement formelle signifiant un traitement identique pour tous sans égard aux caractéristiques personnelles – a été abandonnée en faveur d’une nouvelle conception d’égalité matérielle des chances permettant à chacun de démontrer ses capacités sans être entravé par des obstacles qui sont fondés sur des attributs de la diversité ou qui ont une incidence défavorable inutile sur les membres des groupes désignés par un motif de discrimination prohibé.
Cependant, en dépit de ces progrès, « nous n’avons pas vraiment réussi à élaborer des mécanismes de prestation qui permettent de concrétiser la promesse d’une grande expansion du droit à l’égalité »
. Différentes raisons expliquent cet échec, notamment des mesures de mise en œuvre et d’évaluation et des mécanismes de communication déficients et des ressources insuffisantes. Finalement, « nous avons commencé à transférer des instances et des tribunaux publics à des organisations privées – les syndicats et les arbitres chargés du règlement des griefs – le pouvoir d’examiner les plaintes relatives aux droits de la personne »
. Cette tendance présente cependant un danger :
Les spectres de la privatisation et de la collectivisation des processus d’application des droits de la personne et des droits garantis par la Charte nous amènent à craindre que l’équilibre fragile existant entre, d’une part, les valeurs que sont l’accès à la justice et l’égalité matérielle et, d’autre part, les valeurs d’efficience et du marché, qui est inhérent à tout régime de protection des droits de la personne, ne soit graduellement perdu en faveur des valeurs du marché.
M. Etherington a tiré la conclusion suivante :
La promesse d’égalité et de protection des intérêts de ces groupes qui découle des modifications législatives adoptées récemment et des décisions portant sur la teneur des droits garantis par la Charte et par les lois relatives aux droits de la personne n’a jamais été plus grande. Mais, pour bon nombre de membres des groupes minoritaires, la réalisation de cette promesse est menacée par notre incapacité à élaborer des mécanismes de prestation appropriés en matière d’accès à la justice. Par exemple, nous n’avons pas été en mesure de trouver des mécanismes acceptables et efficaces permettant d’imposer des mesures relatives à l’équité en matière d’emploi à l’échelle du système au bénéfice d’une majorité de Canadiens. Nous n’avons pas été en mesure non plus d’allouer des ressources suffisantes pour que les plaintes de discrimination présentées sous les régimes traditionnels des droits de la personne puissent être traitées efficacement. En outre, il y a la tendance vers la privatisation et la collectivisation des processus de règlement des plaintes fondées sur la Charte ou sur les lois relatives aux droits de la personne.
Il sera très difficile de corriger la situation et de recentrer nos efforts sur l’accès à la justice afin que les intérêts des différents groupes soient protégés dans le climat économique actuel :
Ce qu’il faut, c’est rien de moins qu’un nouvel engagement envers les valeurs d’accès à la justice afin d’assurer la protection des intérêts des groupes minoritaires et une recherche de nouvelles ressources et de mécanismes publics de prestation qui nous permettront de combler le fossé entre la promesse et la réalité. Mais nous devons, dans notre examen de nouveaux mécanismes de prestation, nous préoccuper davantage de leur efficacité en matière de protection des intérêts des différents groupes qui composent la société canadienne que du fait qu’ils permettent de venir à bout des cas accumulés.
Discussions
Le conférencier a demandé aux participants de penser à ce qui pourrait être fait pour concrétiser les promesses de reconnaissance des droits à l’égalité et de la diversité. Voici certains des commentaires qui ont été formulés par les participants :
- Si la tendance vers la privatisation se maintient, il faudra mettre en place de nouvelles formes de médiation pour protéger les droits. Dans de nombreuses situations, les gens n’ont aucun pouvoir juridique (p. ex. dans les domaines des droits de la personne, des normes d’emploi, de la procédure de médiation de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié).
- Le discours juridique actuel ne porte pas sur les motifs de discrimination combinés (p. ex. être autochtone et être une femme). Bien qu’elles posent leurs propres problèmes, les solutions de rechange comme la médiation peuvent s’avérer plus efficaces dans les cas de motifs combinés (race, classe et sexe) que le système traditionnel.
- S’il y a déséquilibre des pouvoirs, nous ne devons pas seulement nous attaquer aux mécanismes en place en matière d’accès à la justice : nous devons également examiner les problèmes sociaux systémiques.
Il doit y avoir un engagement ferme envers la diversité et l’accès à la justice. Les institutions responsables de l’accès à la justice ne sont pas dévouées.« On note chez les tribunaux une absence affligeante de volonté de discuter du racisme. »
Un participant- Pour ce qui est de l’accès à la justice, la bonne nouvelle, c’est qu’on reconna ît les problèmes et les enjeux. La mauvaise nouvelle, c’est que nous ne sommes pas sûrs des solutions à apporter à ces questions difficiles.
- Nous devons briser les catégories rigides d’accès à la justice et laisser tomber un processus strict en matière de litiges pour régler les vraies questions (p. ex. la procédure en place dans les pensionnats doit permettre de régler les cas de violence sexuelle, physique et psychologique).
- Avant de trouver des moyens de réaliser « nos promesses », nous devons déterminer ce que sont ces promesses et qui nous sommes en tant que société.
Nous ne pouvons pas abandonner le système traditionnel pendant que nous cherchons des solutions de rechange. Que savons-nous au sujet des stratégies élaborées récemment dans le but d’ouvrir le système traditionnel – des stratégies pour ouvrir la magistrature et les écoles de droit, des stratégies concernant le maintien de l’ordre et la formation sur la sensibilité - et de leurs incidences?« Traditionnellement, nous célébrons le droit et évitons les questions raciales; le système traite des questions raciales en les évitant. Nous obscurcissons la question en utilisant des termes comme « diversité », mais qu’est ce que cela signifie? Préjugés raciaux plus pouvoir institutionnel égalent racisme. »
Un participant- Ce sont toujours les personnes en situation de pouvoir qui parlent de « partenariats », non les gens dans la collectivité. Nous devons redéfinir le lien entre pouvoir et collectivités.
- Les personnes en situation de pouvoir sont favorables à l’égalité et à la diversité uniquement parce que c’est la chose à faire sur le plan politique. Il importe d’avoir un lobby politique plus puissant. Nous devons également nous fixer des objectifs et suivre de près les progrès réalisés.
- Vous ne pouvez pas promouvoir un meilleur accès à la justice sans disposer de ressources et sans avoir davantage de comptes à rendre. Les personnes au pouvoir sont disposées à changer, mais elles ne disposent pas des ressources nécessaires pour le faire.
4. Rôle des citoyens et des collectivités
Carol McEown, de la Legal Services Society of British Columbia (Vancouver), a dirigé cet atelier. Pour aider à encadrer la discussion, elle a raconté trois histoires décrivant les efforts faits par la collectivité pour utiliser le système juridique ou pour traiter avec lui.
La première histoire concernait le travail de l’Upper Skeena Counselling and Legal Assistance Society qui, peu de temps après sa création, a eu à traiter des affaires relatives aux droits des Autochtones. L’une de ses affaires portait sur les droits de pêche. De accusations avaient été déposées contre 17 personnes et des filets appartenant à des familles avaient été saisis :
Les accusations se sont promenées dans les tribunaux pendant plus d’un an, jusqu’ à ce que nos chefs décident d’intervenir. Les filets saisis illégalement par les agents des Pêches ont été récupérés quand nos chefs ont investi leurs bureaux et ont repris leurs filets! Un juge qui était responsable en grande partie du retard à régler l’affaire a vu celle-ci lui être retirée quand nous avons contesté ses commentaires racistes; finalement, la Cour suprême de la C.-B. a confié l’affaire à un juge qui a entendu toutes les accusations en une seule journée. Les accusations ont été abandonnées! Quelle victoire mémorable!
Cette histoire montre comment, en revendiquant des droits, une collectivité a appris à « se servir de la loi pour promouvoir [ses] intérêts »
. La collectivité a ultérieurement négocié avec succès la création de comités de protection de l’enfance et de nouveaux protocoles pour protéger les enfants autochtones.
La deuxième histoire portait sur les efforts faits par des groupes communautaires pour aider les personnes qui comparaissent devant le tribunal de la famille sans être assistées d’un avocat. Un programme de formation sur la défense des droits devant le tribunal de la famille a été élaboré et financé afin que des personnes puissent aider des demandeurs et des défendeurs à remplir les formulaires requis et à préparer leurs arguments.
Le programme a été couronné de succès au début, mais une évaluation effectuée deux ans plus tard a révélé que « la moitié des projets mis en place pour aider les clients à se représenter eux-mêmes devant le tribunal s’occupaient dorénavant de donner de l’information, de mettre en rapport des personnes avec d’autres services et d’offrir un ‘soutien émotionnel’ »
.
Mme McEown a expliqué :
Deux éléments étaient absolument nécessaires pour que le projet fonctionne. Le groupe communautaire parrainant le programme devait disposer d’un financement stable, de ressources suffisantes pour gérer le programme et d’une certaine crédibilité dans la collectivité. En outre, il devait pouvoir compter sur un représentant du système de justice familiale. Sans la crédibilité du personnel et de la collectivité, il aurait été impossible de maintenir les services. Sans le soutien d’une personne venant du système, il était trop difficile de continuer à fournir le service. Des clients n’étaient pas mis en rapport avec d’autres intervenants, le travail était contesté et aucune mesure de soutien n’existait.
« Les règles étant beaucoup plus complexes, les gens sont obligés de frapper à plusieurs portes et de présenter leur cas à différents forums avant de pouvoir le soumettre à un juge. »
Carol McEown
Le problème s’explique en partie par le fait que la procédure est devenue beaucoup plus complexe. Ce qui semble manquer, c’est une forme de coopération qui reconna ît les obstacles auxquels fait face une personne qui cherche à résoudre un problème ayant une solution juridique.
La troisième histoire portait sur des programmes de justice réparatrice pour les jeunes. Ces programmes communautaires axés sur la recherche de solutions ont pour but de garder les jeunes éloignés du système judiciaire. Mme McEown a fait remarquer :
Tout ce que la collectivité devait faire, c’était convaincre les responsables des services correctionnels et le gouvernement provincial de réduire le financement des lieux de détention et d’utiliser les sommes ainsi dégagées pour financer les programmes de rechange. Lorsque j’ai parlé à la province, on m’a répondu que, si les programmes étaient financés, il ne s’agirait plus de véritables initiatives communautaires.
Mme McEown a également entendu des histoires d’enfants qui n’auraient normalement jamais été accusés, qui ont consenti à une peine parce qu’ils ne savaient pas qu’ils avaient leur mot à dire.
Ces histoires mettent en lumière trois problèmes qui doivent être résolus :
- Il existe de nombreuses collectivités. Quel est le meilleur endroit où discuter des différents points de vue sur la justice et apprendre d’autres façons de la rendre?
- Les programmes élaborés par une collectivité peuvent ne pas convenir à une autre. Le règlement extrajudiciaire des conflits et les programmes de justice réparatrice sont considérés comme les nouveaux sauveurs du système de justice.
- Comment en arriver à ce que le système de justice partage son pouvoir et ses ressources?
Discussions
Les discussions ont rapidement porté sur les façons de définir les collectivités et de les faire participer au processus d’accès à la justice. Les participants ont formulé les observations suivantes :
Il est très difficile de maintenir la participation de la collectivité. Du temps, de l’attention et des discussions sont nécessaires pour définir votre collectivité sur le terrain (pour construire des ponts). Vous devez être flexible et tenir compte de la diversité. En outre, certaines collectivités ne sont pas intéressées à fournir des services.« L’éducation du public est un élément important du développement communautaire. »
Un participant- Nous parlons d’organiser les collectivités de façon qu’elles puissent être en contact avec le système de justice traditionnel, mais comment faire? Comment intégrer une personne en autorité dans la collectivité et comment nous assurer qu’une telle personne est présente dans la collectivité?
- Certains participants étaient préoccupés par le transfert des services et des responsabilités à la collectivité. Celle-ci a besoin de ressources suffisantes pour ne pas être simplement une
« couverture »
sur qui on se décharge de ses responsabilités. - La loi n’est pas la meilleure ressource en cas de problème dans la collectivité. Il faut soutenir les systèmes sociaux de façon que la loi ne soit utilisée qu’en dernier recours. Dans le système actuel, la loi est trop souvent invoquée pour régler les problèmes sociaux.
- La justice devrait être informelle. Les collectivités sont en partie détruites par la primauté du droit. Nous pourrions peut-être éviter cette approche.
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