Les effets des programmes de justice réparatrice : Analyse documentaire sur la recherche empirique
2. BREF APERÇU DE LA JUSTICE RÉPARATRICE
L’aperçu qui suit vise à fournir un contexte initial d’interprétation et de discussion des résultats de la recherche. De nombreux articles d’universitaires, livres et documents gouvernementaux fournissent une analyse détaillée des bases et des principes théoriques de la justice réparatrice. Le présent document, quant à lui, vise à offrir un examen exhaustif de la recherche fondée sur des données empiriques et portant sur les résultats obtenus grâce au recours aux pratiques de justice réparatrice; il ne constitue pas une critique du paradigme propre à cette forme de justice. Il existe également un certain nombre de questions d’ordre juridique et moral qu’il serait important d’examiner en procédant à une recherche systématique, notamment les écarts de pouvoir entre les participants, le côté biaisé du processus de renvoi et le manque de représentation par avocat, mais elles dépassent les limites du présent document.
2.1 Perspective historique
La tendance vers un système de justice axé sur les victimes et la collectivité n’est pas un phénomène nouveau. Elle découle plutôt de la réapparition d’une façon d’aborder le crime et les conflits qui est très répandue à travers l’histoire. Zehr (1985) a affirmé que le paradigme actuel de la justice pénale, que nous considérons comme si naturel et si logique, ne régit en fait notre compréhension du crime et de la justice que depuis seulement quelques siècles (pp.6 et 7). C’est une approche communautaire non judiciaire et non juridique qui a dominé l’histoire de l’Occident. Braithwaite (1997) affirme que la justice réparatrice a en fait été le modèle dominant de la justice pénale tout au long de la majeure partie de l’histoire des civilisations. Une perspective historique représente donc une discussion sur les événements qui ont mené à la réapparition des principes de justice réparatrice.
Au cours des années 1970, les défendeurs des prisonniers et les universitaires préconisaient la protection des droits des délinquants, un recours moindre à l’incarcération et l’amélioration des conditions au sein des établissements. Leur attitude était alors dictée par la prise de conscience, de plus en plus répandue dans le domaine des sciences sociales, du fait que le comportement criminel était pour une large part le résultat de conditions sociales défavorables. Cette nouvelle compréhension coïncidait avec un mouvement qui souhaitait ne plus voir le litige accusatoire comme le seul moyen possible de régler les conflits. Le recours à des procédés tels que la médiation, l’arbitrage et la négociation s’est accru dans les domaines du droit civil et du droit familial. En outre, on exigeait de plus en plus du système de justice qu’il offre aux victimes une meilleure possibilité de se faire entendre et qu’il leur permette de jouer un rôle plus formalisé dans le processus de justice pénale.
C’est en 1974 qu’est apparu le premier programme de médiation entre la victime et le délinquant au Canada. Deux délinquants accusés de vandalisme ont alors rencontré leurs victimes pour tenter d’en venir à une entente sur la réparation des torts causés par leur crime. Depuis ce temps, un certain nombre de programmes similaires ont été créés au Canada et ailleurs dans le monde. Certains principes de la justice réparatrice, comme le pardon et la réparation, sont des concepts fondamentaux du judaïsme et du christianisme. C’est pourquoi ce sont les collectivités chrétiennes et juives qui ont été les premières à promouvoir et à mettre en œuvre les pratiques de justice réparatrice. Les modèles de justice réparatrice tirent aussi leur origine des méthodes traditionnelles utilisées par les Autochtones pour régler les conflits. Celles-ci misent sur la participation de la collectivité et la mise en œuvre de solutions holistiques. La surreprésentation des Autochtones dans les établissements correctionnels du Canada a rendu nécessaire le recours à des approches plus traditionnelles, telles que les conseils de détermination de la peine, dans le cas des délinquants autochtones.
Ce mouvement a récemment reçu une impulsion supplémentaire à la suite de trois importants faits nouveaux survenus au Canada. Dans le premier cas, le législateur a reconnu, en adoptant le projet de loi C-41, l’importance des solutions de rechange à l’incarcération. Dans le deuxième cas, la Cour suprême du Canada, dans R. c. Gladue, a pris acte de l’importance de tenir compte des besoins particuliers des délinquants autochtones et de réduire le recours à l’incarcération. Dans le troisième cas, le discours du Trône de 1999 contenait la reconnaissance explicite de l’importance de la justice réparatrice dans la société canadienne.
2.2 Base théorique
La fusion des pratiques et des principes de justice réparatrice a donné lieu à une approche plus globale du crime, qui fait intervenir les délinquants, les victimes et la collectivité. Ce type de justice requiert non seulement une modification des pratiques, mais également une transformation des opinions sur le sujet. La meilleure façon d’illustrer le virage philosophique nécessaire consiste à examiner la définition du comportement criminel qui a cours à l’heure actuelle. Le discours juridique moderne définit un crime comme un tort causé à l’État. Par conséquent, c’est un représentant de l’État qui poursuit toute personne accusée d’avoir commis un crime. Ce que l’on reproche le plus à cette définition, c’est le défaut de reconnaître l’existence de la victime, puisque c’est cette dernière qui subit effectivement le tort causé par le crime. La justice réparatrice propose une définition du comportement criminel davantage axée sur la victime et selon laquelle le tort est causé à la personne plutôt qu’à l’État. La redéfinition du problème rend inadéquates les solutions utilisées jusque-là. La victime, dont les intérêts dans le processus sont cruciaux, doit pouvoir y contribuer et y jouer un rôle utile, en plus d’obtenir réparation.
Les modèles de justice réparatrice reposent sur plusieurs grands principes. En premier lieu, un crime est avant tout un conflit entre des personnes, qui cause un tort à la victime et à la collectivité, ainsi qu’au délinquant. Le fait qu’il s’agisse d’une atteinte à l’État n’est que secondaire. Ce concept simple a de profondes conséquences, comme le démontrent les différentes définitions du crime énoncées ci-dessus. En deuxième lieu, le système de justice pénale doit avoir comme principal objectif d’amener les victimes, les délinquants et la collectivité à se réconcilier, tout en réparant le préjudice causé par un comportement criminel. Cela ne veut pas dire pour autant que la sécurité du public n’est pas prépondérante. C’est plutôt le moyen de l’assurer qui porte à controverse. En troisième lieu, le système de justice pénale doit faciliter la participation active des victimes, des délinquants et de la collectivité, ce qui entraîne la réduction du rôle joué par l’État.
En théorie, les pratiques de justice réparatrice peuvent comporter plusieurs avantages. Elles offrent aux victimes la possibilité de se faire entendre au cours du processus et répondent à plusieurs besoins essentiels des êtres humains, notamment celui d’être consultés et d’être compris. La victime pourra, dans certains cas, éprouver une certaine satisfaction du fait d’avoir pu jouer un rôle dans la prévention d’éventuels comportements criminels et obtenir réparation. Le processus peut aussi être thérapeutique pour les délinquants qui assument la responsabilité de leurs actes et font le nécessaire pour réparer le tort causé. Pour les membres de la collectivité, le processus permet de donner une dimension humaine au système de justice pénale et de réduire la peur du crime en fournissant des données plus précises sur les délinquants et le crime en général. La justice réparatrice permet également aux membres de la collectivité d’avoir voix au chapitre dans le processus de justice pénale. On dit du processus de justice réparatrice qu’il s’agit d’une expérience dont tous les participants sortent grandis et davantage en contrôle de leur vie.
2.3 Modèles de pratiques
On peut regrouper les modèles de pratiques fondés sur les principes mentionnés plus haut en trois catégories : les cercles de détermination de la peine, la concertation communautaire et la médiation entre la victimes et le délinquant. Ces catégories, même si on les présente comme distinctes, sont quelque peu artificielles, en ce sens qu’il arrive souvent que leur structure et leurs pratiques se chevauchent ou soient très semblables. En général, la justice réparatrice vise à rassembler la victime, le délinquant et un représentant de la collectivité afin qu’ils essaient ensemble de trouver un moyen de réparer le tort causé par le crime.
La collectivité joue un rôle moins important dans la médiation entre la victime et le délinquant, puisque le médiateur est habituellement le seul représentant de la collectivité présent. Les participants se rencontrent pour discuter du crime, de ses répercussions sur leur vie et des démarches possibles en vue de réparer le tort causé. La collectivité joue un rôle plus important dans la concertation communautaire, qui est essentiellement un prolongement de la médiation dans le but d’inclure un plus grand nombre de participants. Les cercles de détermination de la peine, qui comptent à peu près le même nombre de participants que les concertations communautaires, tirent leurs origines de la culture autochtone traditionnelle en tant que moyen de régler les différends et ils incluent habituellement les aînés de la collectivité. Ils sont tenus, dans la majorité des cas, après qu’une condamnation a eu lieu et sont utilisés dans un contexte de détermination de la peine plutôt que comme une solution de rechange au système de justice (c.-à-d. déjudiciarisation).
2.4 Points d’entrée
Le système de justice pénale comporte quatre points d’entrée servant à instaurer les pratiques de justice réparatrice. Le schéma no1 illustre le continuum.
Schéma 2.1. — Points d’entrée dans le système de justice pénale

POLICE | COURONNE | TRIBUNAUX | SYSTEME CORRECTIONNEL |
---|---|---|---|
avant l'accusation | après l'accusation | après la condammation | après la détermination de la peine |
avant la condammation | avant la peine | avant la réinsertion sociale |
Le cas d’un délinquant peut être renvoyé à un programme de justice réparatrice à n’importe lequel des quatre points d’entrée. Le modèle intègre les principes de la justice réparatrice dans le système de justice actuel, plutôt que de concevoir celle-ci comme un système de rechange. Plus l’infraction est grave, plus le cas est susceptible d’être renvoyé à une étape avancée du processus. On suppose donc que les résultats de la recherche pourraient varier selon le point d’entrée du programme, encore plus que ne le feraient les approches ou les modèles de pratiques qui en découleraient. En outre, les effets des programmes de justice réparatrice risquent d’être « dilués »par le degré d’intégration de la victime et du délinquant dans le système traditionnel.
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