Les effets des programmes de justice réparatrice : Analyse documentaire sur la recherche empirique

3. RÉSULTATS DE LA RECHERCHE EMPIRIQUE

Un grand nombre de programmes de justice non traditionnels ont été mis en œuvre aux ÉtatsUnis, au Canada, en Europe, en Afrique, en Nouvelle-Zélande et en Australie. Plusieurs de ces programmes ne respectent pas entièrement les principes de justice réparatrice, même si on considère qu’ils sont de nature réparatrice. Le présent document ne porte que sur les programmes fondés sur les principes mentionnés plus haut. Autrement dit, les résultats empiriques dont il est question dans la présente section proviennent de programmes qui cherchent à rétablir la relation entre la victime, la collectivité et le délinquant, en plus de chercher à réparer le tort causé par le crime.

3.1 Enjeux de la recherche

Vu la rapidité de l’évolution de l’environnement actuel de la justice pénale, la recherche est essentielle au succès de tout nouveau mouvement ou « vague » tel que la justice réparatrice (Bonta, Wallace-Capretta et Rooney, 1998; La Prairie, 1999). Malheureusement, on encourage rarement la vérification empirique des résultats produits par ce genre de mouvement. Que saiton réellement de l’efficacité des programmes de justice réparatrice? Comment savoir s’ils donnent de bons résultats?

Il existe plusieurs définitions évidentes d’un programme efficace. Premièrement, le programme doit chercher à réduire le taux de récidive, puisque la sécurité du public demeure la préoccupation prépondérante du système de justice pénale. La plupart des gens s’entendraient pour dire qu’un programme qui ferait au contraire augmenter les chances de nouveaux comportements criminels ne serait pas efficace. Deuxièmement, il doit répondre adéquatement aux besoins de la victime. On peut aisément mesurer ce facteur en procédant à des expériences contrôlées pour vérifier le niveau de satisfaction des victimes dans le système traditionnel, en comparaison de celui obtenu dans le cadre d’un programme de justice réparatrice. Troisièmement, on doit également prendre en compte les effets du programme sur la collectivité. Par exemple, le programme réduitil la peur du crime et augmentetil la perception de sécurité dans un quartier?

Les effets de la justice réparatrice ne se limitent pas seulement aux participants. Le système de justice pénale peut lui aussi être touché de façon significative par la prolifération des pratiques de justice réparatrice. En premier lieu, quels sont les coûts financiers liés aux programmes de justice réparatrice, par comparaison à ceux liés aux façons classiques de réagir face à la criminalité? En deuxième lieu, comment le rôle des acteurs au sein du système de justice estil modifié? Il est par exemple raisonnable de supposer que les choix qui s’offrent actuellement au policier ou au procureur de la Couronne qui traite avec un délinquant ne sont plus les mêmes compte tenu de l’existence de programmes de justice réparatrice de plus en plus accessibles. Il est également raisonnable de supposer que le rôle de l’avocat de service sera modifié, vu la déjudiciarisation d’un grand nombre de cas. Les responsables des décisions de libération conditionnelle serontils plus susceptibles d’accorder une libération aux délinquants qui ont participé à un programme de justice réparatrice avant leur libération? Cela doitil être un facteur? Il ne fait aucun doute que la collecte des statistiques criminelles seront modifiées par le nombre grandissant des solutions de rechange dont disposent les délinquants à l’étape antérieure à l’action judiciaire. À l’heure actuelle, les statistiques criminelles sont compilées surtout à partir des résultats d’enquêtes officielles menées auprès des tribunaux et des données sur les accusations portées par la police. L’exactitude des données officielles devient discutable au fur et à mesure que de plus en plus de cas de comportements criminels sont traités à l’extérieur du système. Il est donc utile de structurer les résultats à l’aide du cadre global suivant:

Tableau 3.1: Cadre de la recherche
AU NIVEAU DU PARTICIPANT Victimes Délinquants  Membres de la collectivité Satisfaction Récidive, satisfaction  Peur du crime, sentiment de sécurité
AU NIVEAU DU SYSTÈME Analyse des coûts-avantages Collecte de données Système de justice pénale Coûts financiers, élargissement du filet Statistiques criminelles Police, avocats, tribunaux,  système correctionnel

Il existe aussi des variables modératrices susceptibles d’influer sur les processus et l’issue des programmes de justice réparatrice, et qu’il faut donc examiner. D’un point de vue idéal, le moyen le plus exhaustif d’effectuer la synthèse de la documentation consisterait à recourir aux techniques de méta-analyse. Malheureusement, il n’existe pas à l’heure actuelle suffisamment d’études utilisant des groupes témoins pour justifier que l’on dépense les ressources nécessaires à un tel travail. Le tableau qui suit met en évidence un certain nombre de variables modératrices qui pourraient faire l’objet d’un examen ultérieur. Chacune de ces variables peut en bout de ligne influer sur l’issue d’un programme. L’âge du délinquant et la gravité de l’infraction pourraient par exemple être liés au taux de récidive ou au taux de satisfaction des victimes. Ou bien, le niveau de formation du médiateur et la participation des membres de la famille pourraient faire augmenter par la suite la peur du crime chez les membres de la collectivité participante.

Tableau 3.2: Variables modératrices
POINTS D’ENTRÉE Police Couronne Tribunaux Système correctionnel
MODÈLES DE PRATIQUES Concertations communautaires Médiations Cercles de détermination de la peine
VICTIMES Âge de lavictime Relation avec le délinquant Sexe de la victime
MÉDIATEUR Niveau de formation Bénévole ou rémunéré Justice ouServices sociaux
PARTICIPATION DE LA COLLECTIVITÉ Médiateur seulement Participation de la famille Participation restreinte de la collectivité Participation ouverte de la collectivité
INFRACTION Nature de l’infraction Violence familiale Infractions sexuelles
DÉLINQUANT Âge du délinquant Antécédents criminels Sexe du délinquant

3.2 Effets empiriques au niveau du participant

3.2.1 Récidive

À ce jour, il n’y a pas assez d’études portant sur la question de la récidive pour que l’on puisse formuler des conclusions définitives à ce sujet. En fait, les méthodes de recherche utilisées dans la plupart des études manquaient de rigueur et certains auteurs n’ont pas utilisé de groupes témoins créés au hasard. Dans les cas où on a eu recours à une tâche aléatoire, la nature volontaire des programmes produisait quand même un échantillon de volontaires, puisque les sujets pouvaient tout simplement refuser de participer à l’enquête. Ce gauchissement et l’absence subséquente de taux de récidive comparatifs adéquats limitent la possibilité de généraliser les résultats obtenus. Cependant, les constatations disponibles tendent à indiquer une légère réduction du taux de récidive chez les délinquants ayant participé à un programme de justice réparatrice, en comparaison du taux observé dans le système traditionnel. Les données qui suivent représentent un échantillon des résultats empiriques que l’on retrouve dans la documentation.

Il faut de toute évidence mieux comprendre les effets des programmes de justice réparatrice sur la récidive. Même si nous disposions de données sur les programmes de médiation entre la victime et le délinquant et sur les programmes de concertation communautaire, nous n’avons pu trouver aucune information sur le taux de récidive des délinquants qui ont participé à un cercle de détermination de la peine. Les concertations communautaires ont souvent lieu au point d’entrée avant la condamnation, tandis que les cercles de détermination de la peine ont souvent lieu à une étape subséquente à la condamnation. L’expérience vécue par les délinquants et leur degré d’intégration dans le système traditionnel sont donc différents. Si l’on doit considérer les programmes de justice réparatrice comme une solution de rechange raisonnable à certains aspects du système de justice pénale officiel, on devra faire d’autres recherches sur leurs effets à long terme, aux quatre points d’entrée.

3.2.2 Satisfaction des victimes et perceptions d’équité

Il est clair que les victimes semblent tirer satisfaction de leur participation à un programme de justice réparatrice. C’est peutêtre là l’élément d’information probante le plus essentiel à l’appui de l’élaboration d’approches réparatrices. Les programmes fondés sur les principes de justice réparatrice permettent d’atteindre l’objectif central qui consiste à prendre en compte les besoins des victimes. Il est également probable, quoique dans une moindre mesure, que la satisfaction des victimes dans le système de justice traditionnel soit inférieure à celle des victimes qui participent à un programme de justice réparatrice. Ici encore, on doit tenir compte de la question de la participation volontaire. Il faut également noter que la façon dont certains cas ont été traités a eu pour effet de mécontenter la victime. L’insatisfaction était toutefois due en grande partie au fait que le délinquant n’avait pas respecté l’entente intervenue au sujet de la réparation et ne fait pas douter de l’utilité ou de la réussite du processus de réparation.

3.2.3 Satisfaction des délinquants et perception d’équité

Certains faits portent à croire qu’il se pourrait qu’en permettant aux délinquants de vivre une expérience plus satisfaisante au sein du système de justice, on contribue à faire baisser le taux de récidive (Strang, Barnes, Braithwaite et Sherman, 1999). Le système de justice traditionnel « professionnalisé » offre très peu d’occasions aux délinquants de contribuer au déroulement du processus judiciaire et leur permet rarement de s’amender en offrant une réparation raisonnable. Par ailleurs, les programmes de justice réparatrice favorisent un cadre qui permet à toutes les parties, y compris le délinquant, de jouer un rôle utile et de trouver ensemble une solution en matière de réparation. On a effectué passablement de recherche sur les délinquants qui avaient participé à des programmes de justice réparatrice, dans le but d’évaluer leur niveau de satisfaction et l’impression qu’ils avaient d’avoir été traités équitablement. La grande majorité des études indiquent qu’un pourcentage élevé des délinquants sont satisfaits des programmes et les perçoivent comme équitables. La recherche révèle également que les délinquants jugent ces programmes plus satisfaisants et plus équitables que le système de justice pénale traditionnel.

3.2.4 Effets sur la collectivité

Même si, dans les documents théoriques portant sur la justice réparatrice, on décrit habituellement celleci comme un processus faisant intervenir la victime, le délinquant et la collectivité, il n’existe que très peu d’information sur la collectivité en tant que composante de cette triade. On a trouvé dans la documentation des données sur les effets positifs de la justice réparatrice sur les parents de jeunes contrevenants, les policiers et les dirigeants scolaires qui participent au processus. Il ya également lieu de croire que l’expérience de la justice réparatrice facilite le resserrement des relations entre les participants et crée un sentiment de contrôle et de sécurité plus grand au sein des collectivités. Il est néanmoins clair qu’il s’agit là d’une lacune capitale de la recherche. On sait en fait très peu de choses sur les effets à court et à long terme des programmes de justice réparatrice sur les membres de la collectivité qui participent au processus, notamment sur leur sentiment de sécurité, leur perception du système de justice pénale et leur peur du crime.

3.2.5 Ententes de dédommagement et taux de respect

Les ententes de dédommagement sont un aspect important des programmes de justice réparatrice. Une fois respectée, l’entente est le e visible du fait que le délinquant accepte d’être justiciable pour l’infraction commise et assume activement la responsabilité de réparer le préjudice causé. Les ententes de dédommagement prévoient habituellement une compensation financière, des services communautaires et (ou) des services rendus à la victime. La recherche disponible a indiqué un taux élevé d’ententes de dédommagement négociées et respectées dans le cas des programmes de justice réparatrice. De plus, les études dans lesquelles on compare des cas traités par la justice réparatrice avec des cas traités devant les tribunaux révèlent elles aussi un taux plus élevé d’ententes négociées et respectées dans le cas des programmes de justice réparatrice. Il appert donc que les programmes de justice réparatrice réalisent un autre de leurs principaux objectifs, soit la réparation du tort causé par le crime. Il appert également que la satisfaction des victimes est directement liée à la mesure dans laquelle les ententes sont respectées.

3.3 Effets empiriques au niveau du système

3.3.1 Coûts-avantages et élargissement du filet

Les coûts des programmes de justice réparatrice sont moins élevés que ceux du système de justice traditionnel. Ce sont habituellement des bénévoles qui agissent comme médiateurs, les cas peuvent souvent se régler en quelques heures et la plupart des délinquants n’ont pas besoin d’être représentés par un avocat. Étant donné la nature d’une partie importante des programmes de réparation (p. ex., le fait de n’accepter que des mineurs et des délinquants purgeant une première peine), un « élargissement du filet » est toutefois possible, par lequel d’autres délinquants sont introduits dans le système de justice pénale. Il est difficile de déterminer avec précision si l’élargissement du filet constitue un problème en raison de la grande variabilité des critères de renvoi à un programme de justice réparatrice et des quatre points d’entrée possibles dans le système. L’inclusion dans le système de délinquants supplémentaires à qui l’on aurait par ailleurs fait les mises en garde d’usage de façon formelle ou informelle feraitelle effectivement augmenter les dépenses publiques? Il y a probablement lieu de répondre à cette question par un oui. Dans le cas des programmes qui ont fait l’objet d’une évaluation dans la documentation, il y a cependant lieu de croire que les critères d’infraction utilisés pour les renvois sont en réalité plutôt de nature générale et qu’ils incluent un nombre croissant d’infractions plus graves, telles que les voies de fait et la conduite avec les facultés affaiblies, pour lesquelles les délinquants ne reçoivent habituellement pas de mise en garde. Dans le cas de la grande majorité des infractions moins graves, estil plus coûteux de juger un délinquant, qu’on fera par la suite surveiller par un agent de probation dans la collectivité, que de renvoyer son cas à un programme de justice réparatrice? Nous n’avons pu trouver d’étude présentant une comparaison détaillée entre le système de justice traditionnel et un programme de justice réparatrice qui permettrait de répondre à la question de façon adéquate. Les données sur les coûts des programmes et la question de l’élargissement du filet que nous avons trouvées dans la documentation étaient plutôt limitées.

3.3.2 Système de justice pénale

Nous n’avons malheureusement pas pu trouver de recherches publiées sur les effets de la justice réparatrice sur le système de justice pénale. Il s’agit là d’une importante lacune de la base de connaissances. Nous ne savons pas quelles seront les répercussions de l’augmentation du nombre des programmes de justice réparatrice sur le rôle des policiers, des avocats ainsi que des fonctionnaires judiciaires et des agents de correction. Le système de justice pénale officiel au Canada vit, selon toute probabilité, des changements importants, au fur et à mesure que nous évoluons vers un volet secondaire de la justice, qui repose sur la collectivité.

3.3.3 Collecte de données

Cet aspect de la recherche semble lui aussi être négligé dans la documentation. La baisse du taux de criminalité que nous connaissons en ce moment au Canada estil le reflet d’une réelle diminution des comportements criminels ou sommesnous témoins des effets des programmes de déjudiciarisation avant l’accusation, tels que les pratiques de justice réparatrice? Devonsnous mettre au point d’autres méthodes de collecte de données afin de pouvoir obtenir une image adéquate des vrais taux de criminalité? Les comparaisons avec les années précédentes deviennent de plus en plus difficiles à effectuer à mesure qu’un nombre de plus en plus élevé de délinquants voient leur cas traité hors des circuits traditionnels.

3.4 Sommaire des constatations

En général, il est clair que la recherche empirique sur la justice réparatrice en est encore à ses débuts. De nombreuses questions demeurent sans réponse. Plusieurs problèmes semblent toutefois avoir été résolus.