Repenser l’accès à la justice pénal au Canada : un examen critique des besoins, des réponses et des initiatives de justice réparatrice
2. Réévaluer les « Besoins » en fonction de l'accès et de la justice (suite)
2.3 Les « besoins » des délinquants dans la procédure pénale
Ceux qui ont étudié le système de justice criminelle disent qu'il est injuste envers les pauvres et qu'il fait autant de tort que de bien à ceux qu'il touche. Au lieu de trouver des moyens efficaces de régler nos conflits à l'intérieur de nos familles, de nos écoles et de nos collectivités, nous reléguons nos mésadaptés sociaux pauvres au système de justice criminelle, où ils entrent dans un cercle vicieux dans lequel on les emprisonne et les rejette ensuite dans la rue, pour recommencer peu de temps après. Au lieu d'admettre la tendance quasi-universelle des adolescents (surtout les garçons) de commettre des infractions criminelles mineures et au lieu de prendre des mesures pondérées pour la contrôler, nous arrêtons des milliers de jeunes hommes des milieux défavorisés et les enfermons avec des criminels endurcis qui leur donnent des leçons de crime.
Le système de justice criminelle n'est pas seulement injuste mais aussi un échec monumental qui pousse nos jeunes gens vers le crime au lieu de les aider à revenir dans le droit chemin (Conseil national du bien-être social, 2000, p. 3)[35].
Dans son rapport détaillé sur les problèmes relatifs au travail policier, aux décisions touchant le cautionnement (notamment les libérations conditionnelles) et la détermination de la peine, le Conseil national du bien-être social décrit comment des principes neutres entraînent le traitement injuste des accusés défavorisés et particulièrement des membres pauvres de minorités visibles. Dès le départ, le rapport du CNBS, La justice et les pauvres, mentionne que les études sur la propension à commettre des crimes demeurent peu concluantes. Même si quelques études antérieures ont établi un lien entre le niveau socio-économique et les actes criminels (les habitants des quartiers pauvres étant plus susceptibles de commettre des actes criminels), le rapport du CNBS fait état de deux études récentes menées en Ontario dans lesquelles on a constaté que les soucis d'argent n'ont joué qu'un rôle mineur dans l'activité criminelle. Les chercheurs ont examiné les caractéristiques familiales d'adolescents incarcérés et ont constaté que « la violence familiale entre les conjoints et à l'endroit des enfants, l'éclatement de la famille, accompagné de l'absence du père, ainsi que la consommation excessive de boissons alcooliques par les parents et les enfants jouaient des rôles bien plus importants »
. (Conseil national du bien-être, 2000, p. 7, qui cite des études d'Ulzen et Hamilton, 1998; et de Shamsie, Hamilton et Sykes, 1996). D'autres études ont révélé des liens entre le crime et le chômage; on a déterminé que les réseaux d'emplois familiaux (relations ayant permis à des adolescents de trouver un emploi et de se bâtir une carrière légitime) constituent « le facteur critique qui distingue les jeunes contrevenants qui continuent de commettre des offenses de ceux qui refont leur vie »
(Conseil national du bien-être social, 2000, p. 8, qui cite Hagan, 1993). En outre, les jeunes de la rue sont plus susceptibles d'avoir un comportement criminel parce que la culture de la rue est souvent favorable à la perpétration d'actes criminels; par ailleurs, il semble significatif qu'un grand nombre de jeunes qui aboutissent dans la rue viennent de familles éclatées et ont subi des mauvais traitements aux mains de leurs parents ou de leurs familles d'accueil. Hagan conclut que « bien des enfants victimes de mauvais traitements et de négligence de la part de leur famille sont forcés de se réfugier dans la rue où ils subissent de nouveau des mauvais traitements de la part du système de justice »
(Conseil national du bien-être social, 2000, p. 10, qui cite Hagan, 1994).
Dans un tel contexte, les questions relatives aux besoins de ceux qui s'engagent dans des activités criminelles doivent prendre en compte leur situation générale. Les études donnent à penser qu'un grand nombre de jeunes, surtout les hommes, peuvent se livrer à des activités qui contreviennent à la loi et que bon nombre d'entre eux sont susceptibles d'avoir peu de soutien familial - et même un vécu de violence familiale - en plus d'être sans travail ou de n'avoir que peu de chances d'obtenir un emploi. Ils ont donc sans doute besoin de soutien social au niveau de l'éducation et de possibilités d'emploi et une chance d'établir des relations de confiance. En fait, comme on l'indique dans le rapport du CNBS, l'absence d'emploi peut influer sur l'admissibilité d'un délinquant à une mise en liberté sous caution et sur sa peine s'il est trouvé coupable; une condamnation criminelle risque fort de nuire à sa capacité subséquente de trouver un emploi. Dans un tel contexte, il n'est pas difficile de conclure que le système de justice pénale conventionnel ne satisfait peut-être pas bien aux « besoins » de l'accusé et que d'autres solutions de rechange qui prennent en compte l'ensemble de la personne et non seulement l'acte criminel isolé peuvent offrir davantage à l'accusé et peut-être aussi à la collectivité. Des réponses peuvent être adaptées aux « besoins » plus fondamentaux de l'accusé, au lieu de la réponse habituelle du système de justice pénale : arrestation, audition sur cautionnement, plaidoyer ou prononcé de culpabilté et détermination de la peine, incluant l'incarcération possible (Griffiths, 1999)[36]. Au terme d'un examen des décisions discrétionnaires de la police, du processus décisionnel dans les auditions sur cautionnement et de la détermination de la peine, La justice et les pauvres conclut que tout porte à croire que la pauvreté défavorise systématiquement les accusés dans le système de justice pénale conventionnel. Dans un tel contexte, nous sommes au moins en droit d'affirmer que les pratiques de justice réparatrice peuvent améliorer une partie de ces problèmes, comme nous le verrons plus en détail dans le chapitre 3. Nous devons cependant aborder trois questions générales ici par rapport aux propositions voulant remplacer la justice pénale traditionnelle par des programmes de justice réparatrice.
Le premier point concerne la répression différentielle de la criminalité juvénile et de la rue d'une part, et de la criminalité en col blanc d'autre part. Le Conseil national du bien-être social rapporte que la criminalité en col blanc est surtout le fait de personnes bien éduquées et ayant un bon emploi : fraude fiscale, détournement de fonds, infractions aux lois sur les valeurs mobilières et aux lois antitrust, et négligence criminelle découlant de manquements en matière de santé et de sécurité au travail. Selon le Conseil national du bien-être social, « on retrouve les criminels en col blanc de la classe supérieure qui sont responsables de beaucoup plus de décès et qui volent beaucoup plus d'argent que les pauvres, mais qui sont rarement qualifiés de criminels et rarement condamnés par une société dans laquelle beaucoup de gens pensent que la soif du gain est une caractéristique admirable »
(Conseil national du bien-être social, 2000, p. 12, qui cite Braithwaite, 1992). En outre, étant donné que les pauvres sont beaucoup moins susceptibles de pouvoir payer des amendes, ils sont plus susceptibles d'être emprisonnés pour non-paiement d'amendes que les Canadiens de classe moyenne. En recommandant un principe « d'égalité » pour le système de justice pénale, le Conseil national du bien-être social estime donc que les effets du système de justice criminelle devraient être essentiellement les mêmes sur les délinquants, « peu importe leur sexe, leur âge, leur race, leur orientation sexuelle, leur origine nationale ou ethnique, leur religion, leur situation d'emploi et de famille, leur revenu, leur classe sociale, leurs déficiences mentales ou physiques ou leur endroit de résidence au Canada »
(Conseil national du bien-être social, 2000, p. 117). Le rapport du CNBS recommande en particulier l'adoption du système de « jours-amendes » dans lequel le montant d'une amende est déterminé par une combinaison de la gravité de l'infraction et du revenu disponible de l'accusé (Conseil national du bien-être social, 2000, p. 130). L'étude recommande aussi un traitement égal pour les criminels en col blanc. Dans La justice et les pauvres, on cite une histoire racontée par Roland Penner, ancien procureur général du Manitoba, pour examiner comment des cadres supérieurs qui encouragent des conditions de travail dangereuses ne sont pas différents des voleurs de banque qui paniquent et tuent quelqu'un et comment les hommes riches qui trichent sur leurs déclarations de revenu ne sont pas différents des mères pauvres qui fraudent l'aide sociale :
Supposons que je sois devenu un roi-philosophe et que je puisse apporter tous les changements que je désire. Supposons que je décide d'éliminer du Code criminel les infractions mineures de contrôle social et les crimes sans victime. De plus, supposons que les auteurs de crimes mineurs contre la propriété purgent leur peine dans la collectivité plutôt qu'en prison. Par ailleurs, supposons que l'évasion fiscale, le fait de polluer sciemment l'environnement, la publicité trompeuse, les faillites frauduleuses et les crimes de fixation des prix valent à leurs auteurs une peine d'emprisonnement automatique. Maintenant, faisons venir « l'homme de Mars » qui se trouve toujours dans les histoires de ce genre. À son arrivée, je lui fais visiter la prison provinciale près de Winnipeg. Que dirait-il? « Vous avez sûrement un problème avec vos Blancs de la classe moyenne, n'est-ce pas? » (Conseil national du bien-être social, 2000, p. 30, qui cite Harp et Hofley, éd., 1980)
L'histoire de Penner illustre la façon dont la définition de l'activité criminelle et les politiques sur l'application de la loi, notamment les questions d'application différentielle de la loi par rapport aux pauvres, peuvent influer radicalement sur la façon dont nous définissons les problèmes des délinquants dans le système de justice pénale. Il est donc important que la procédure pénale conventionnelle et les mesures de justice réparatrice prennent en considération ce contexte stratégique global.
Le deuxième point concerne le lien entre les « besoins » des accusés et la définition de l'activité criminelle elle-même. Il est peut-être important de déterminer s'il y a actuellement trop d'activités considérées comme « criminelles ». Ron Levi est d'avis qu'à cause de politiques de tolérance zéro et d'autres mesures axées sur « la ligne dure », des jeunes sont traînés devant le système de justice pénale pour des activités qu'on pourrait souvent traiter autrement (Levi, dans McCamus, Rapport de l'examen du régime d'aide juridique de l'Ontario, 1997, p. 758). Le Conseil national du bien-être social a aussi souligné le lien qui existe entre le nombre de policiers et le nombre d'habitants dans diverses collectivités : en augmentant le nombre de policiers dans certaines collectivités, on a assisté à des « vagues de criminalité » immédiates[37]. Le rapport du CNBS laisse aussi entendre que des lois comme la Loi sur la sécurité dans les rues de l'Ontario[38] et les arrêtés municipaux qui limitent les activités des mendiants peuvent augmenter le nombre de personnes accusées d'infractions criminelles. En fait, dans son étude de l'aide juridique réalisée en 1995, le Conseil national du bien-être social constate l'impact de plusieurs infractions visant des activités interdites en public, « notamment consommer de l'alcool dans la rue., crier, jurer, flâner et se comporter en ivrogne » :
Ces lois visent surtout les pauvres; certains d'entre eux n'ont pas de domicile et beaucoup d'autres passent leur temps dans la rue ou dans d'autres endroits publics pour ne pas rentrer dans le logement exigu et sans confort où ils habitent. Au Canada en 1992, ces lois ont été invoquées pour porter plus de 100 000 accusations contre des hommes et plus de 10 000 accusations contre des femmes, ce qui nous rappelle le célèbre adage selon lequel « la loi, dans son auguste égalité, interdit au riche comme au pauvre de dormir sous les ponts, de mendier dans les rues. » (Conseil national du bien-être social, 1995, p. 7).
Par conséquent, il est possible d'envisager les pratiques de justice réparatrice comme des solutions de rechange au système de justice pénale conventionnel quand vient le temps de déterminer la façon de satisfaire aux besoins des accusés criminels, surtout des jeunes et des défavorisés. Il est cependant tout aussi important de revoir les catégories d'activités considérées comme « criminelles » pour déterminer si la décriminalisation de certaines d'entre elles pouvait éliminer complètement la nécessité d'une intervention du système de justice pénale. Dans ce contexte, l'un des principes directeurs proposés par La justice et les pauvres est la « modération », c'est-à-dire l'idée que le système de justice devrait se retenir d'intervenir[39]. Bien entendu, les délinquants, particulièrement les jeunes, dont la situation familiale et professionnelle nuit à leur capacité de devenir vraiment indépendants pourraient encore avoir besoin d'un meilleur soutien. La question fondamentale est de savoir si l'étiquetage de leurs actes (et de ces accusés) comme « criminels » est la façon la plus efficace de réaliser ces objectifs. Une autre façon d'examiner cette question consiste à se demander dans quelle mesure les ressources communautaires qui étaient auparavant disponibles pour aider les jeunes et qui ont été retirées dans les années 1990 sont maintenant redéployées (peut-être en partie seulement) dans des programmes de justice réparatrice par suite de la nouvelle définition de l'activité criminelle.
Dans ce contexte également, il est peut-être important de se pencher sur un troisième point : les caractéristiques des délinquants, notamment leur sexe et leur race. Selon Maureen Cain et d'autres auteurs :
[trad. libre] « Les conclusions les plus constantes et les plus remarquables depuis l'époque de Lombroso jusqu'à l'ère de la criminologie post-moderne ne sont pas que la plupart des criminels viennent de la classe ouvrière [.] mais bien que la plupart des criminels soient et ont toujours été des hommes. Au lieu de nous interroger sur la façon dont la masculinité des hommes est liée à ce résultat, [.] nous demandons pourquoi les femmes ne commettent pas d'infraction, comme si même les attributs criminogènes de la masculinité étaient normaux comparativement à la conformité inébranlable et résignée des femmes. C'est parce que le regard criminologique ne peut distinguer le sexe; le discours criminologique ne peut parler homme et femme (Cain 1989, cité dans Walklate, 1995, p. 20-21).
Le taux d'activité criminelle chez les femmes demeure plus faible que chez les hommes, mais des données montrent que le nombre de délinquantes a augmenté aux États-Unis. Par exemple, dans un rapport de 1998, on s'inquiète du nombre croissant de délinquantes et du fait que le système juridique américain et particulièrement les prisons ne satisfont pas à leurs « besoins » :
[trad. libre] Tout indique qu'on devrait accorder plus d'attention aux préoccupations des délinquantes adultes et aux programmes qui leur sont destinés. En 1995, plus de femmes ont été arrêtées, condamnées et envoyées en prison que jamais auparavant; les délinquantes représentent 6,3 % des populations des prisons d'État et fédérales, une hausse par rapport à 3,8 % en 1975. La nature des actes criminels pour lesquels les femmes sont condamnées aujourd'hui a aussi changé. En 1975, les femmes étaient plus susceptibles d'être incarcérées pour des crimes comme le vol, l'usage de faux, le détournement de fonds et la prostitution. En 1995, un pourcentage grandissant de femmes ont été condamnées à la prison pour des infractions en matière de drogue. Malheureusement, cette augmentation du nombre de délinquantes ne s'est pas accompagnée d'une attention accrue à des programmes spécialisés destinés aux femmes [.] C'est particulièrement vrai à la lumière de l'adoption récente d'une approche plus répressive dans le système de justice pénale (National Institute of Justice, 1998, p. vii).
Le rapport du National Institute of Justice renferme des points similaires à propos des jeunes délinquantes et conclut que les filles demeurent gravement négligées dans le système de justice pour les jeunes (National Institute of Justice, 1998, p. viii). Nous avons trouvé peu d'analyses des différences entre les jeunes femmes et les jeunes hommes aux prises avec la justice pénale au Canada, mais quelques auteurs estiment qu'il faudra peut-être mettre au point des interventions de justice réparatrice pour satisfaire aux « besoins » propres aux jeunes délinquantes (Pepi, 1998, p. 85).
Selon Dianne Martin, les délinquantes au Canada sont globalement typiques des femmes détenues dans l'ensemble du monde occidental : elles sont généralement pauvres, jeunes, blanches, mères célibataires ayant peu de condamnations antérieures, sinon aucune. Elles commettent des crimes mineurs, comme le vol à l'étalage, la prostitution et les infractions en matière de drogue. Par ailleurs, Martin souligne que la plupart d'entre elles sont aussi des survivantes de la violence, qu'elle soit physique ou sexuelle, ou les deux (Martin, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 190-191). Selon Martin, une proportion substantielle de délinquantes sont également pauvres. En fait, l'auteure caractérise la fraude de l'aide sociale comme un « crime de femme » :
[trad. libre] De nombreuses raisons expliquent cette situation. Le besoin accru d'aide sociale engendré par la récession récente s'est accompagné de l'augmentation habituelle du ressentiment exprimé envers les bénéficiaires. Ce ressentiment se traduit par un appui à une répression plus sévère pour ceux qui enfreignent les règles, même lorsque l'infraction est motivée par « le besoin et non l'avidité » et lorsque la pauvreté et les privations ont contraint une bénéficiaire à ne pas déclarer les contributions d'un petit ami ni tous les gains d'un emploi à temps partiel. Dans ces cas difficiles, des circonstances pitoyables et compréhensibles semblent réclamer la clémence, mais la clémence reçue est souvent minime et une peine d'emprisonnement est un risque réel (Martin, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 193).
Les statistiques des personnes inculpées en 1994 confirment l'analyse de Martin. Même si 55 % des personnes inculpées de prostitution sont des femmes, les pourcentages de femmes accusées d'autres infractions sont relativement faibles, sauf pour la fraude (30 %) et le vol de moins de 1 000 $ (33 %) (Martin, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 193, qui cite le Rapport de la Commission d'enquête sur certains événements survenus à la prison des femmes de Kingston, 1996, p. 222). Il semble donc que certains besoins propres aux femmes dans le système de justice peuvent découler de leur pauvreté, de même que de la violence et des mauvais traitements qu'elles ont subis dans le passé.
En outre, comme les constatations de la Commission sur le racisme systémique dans le système de justice pénale en Ontario le montrent, les délinquants qui font partie de minorités raciales au Canada éprouvent aussi des difficultés. La Commission conclut que :
Le système de justice pénale comprend une série d'étapes décisionnelles où sont exercés de vastes pouvoirs discrétionnaires. Ces pouvoirs sont exercés de façon subtile, complexe et interactive, qui permettent à la racialisation d'influer sur les pratiques et les décisions et aux préjugés de se transmettre d'une étape à l'autre du processus (Commission sur le racisme systémique,1995, p. 117).
Les données de la Commission ont révélé la sur-représentation considérable des Noirs parmi les accusés dans le système de justice pénale de l'Ontario[40]. Frances Henry est d'avis que le rapport de la Commission fournit des données de recherche excellentes pour expliquer cette sur-représentation des prévenus de race noire dans les prisons - le résultat de l'impact de l'emprisonnement avant le procès et le traitement différentiel par rapport à la mise en liberté sous caution et à d'autres mesures préalables au procès pour les prévenus de race noire (Henry, 1996, p. 231). Dans son examen des constatations et des conclusions de la Commission, Toni Williams souligne aussi qu'il faut examiner toutes les étapes de la procédure pénale pour évaluer si le racisme entre en jeu dans les décisions visant les délinquants de race noire, et de quelle façon. Elle conclut de plus au sujet des théories en matière de détermination de la peine que des croyances et des hypothèses culturelles au sujet des Noirs peuvent modeler implicitement les évaluations que les juges font des personnes qui comparaissent devant eux, surtout quand on demande au juge d'évaluer des facteurs insaisissables, comme l'attitude ou la personnalité d'une personne condamnée (Williams, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 214).
Face à de telles données, il n'est pas étonnant de trouver des recherches qui révèlent que « les membres de nombreuses minorités raciales et ethniques [au Canada] ont profondément l'impression que les intervenants du système de justice pénale font preuve de discrimination à leur égard » (Etherington, 1994, p. viii). Par ailleurs, Etherington estime qu'il faut examiner de quelle façon les procureurs exercent leur pouvoir discrétionnaire et élaborer des lignes directrices pour le structurer, « notamment une directive suivant laquelle l'origine raciale ou ethnique ne doit pas être considérée, lorsqu'on entreprend des discussions sur le plaidoyer ou lorsqu'on conclut une entente sur le plaidoyer »
(Etherington, 1994, p. xi-xii). Au terme d'un examen de nombreux rapports sur la discrimination dans le système de justice, Etherington fait état d'un certain consensus sur les mesures permettant de résoudre ces problèmes[41]. Il pense toutefois aussi que les problèmes du système de justice pénale sont souvent liés à des considérations plus globales à propos de la discrimination raciale dans la société canadienne. Il explique que :
Le système de justice criminelle n'existe pas isolément et plusieurs obstacles rencontrés par des membres des minorités, lorsqu'ils cherchent à obtenir justice, sont créés par des institutions qui sont généralement considérées comme n'étant pas du ressort du système de justice criminelle. Lorsque des personnes sont rejetées par des groupes dominants de la société, ou qu'elles perçoivent ce rejet par des groupes dominants, un conflit est plus susceptible de se produire entre ces personnes et les valeurs de la majorité. Il est donc d'une importance capitale de se demander si le système de justice non criminelle au sens large offre aux minorités raciales et ethniques l'accès à la justice dans les domaines économique et social ou lorsqu'ils [sic] cherchent à obtenir réparation pour des torts causés dans les domaines économique et social(Etherington, 1994, p. xiii).
Comme Etherington, le Conseil national du bien-être social a aussi attiré l'attention dans son rapport de 1995 sur la nécessité de mesures plus globales pour prévenir les infractions, surtout chez les jeunes hommes. Le rapport décrit le succès d'un camp de sport destiné à de jeunes Autochtones dans le Nord du Manitoba et de programmes préscolaires au Michigan, tous deux ayant réduit les activités criminelles d'adolescents (Conseil national du bien-être social, 1995, p. 86-87). Comme ces approches plus globales de l'activité criminelle le révèlent, les « besoins » des délinquants peuvent englober des questions qui vont au-delà des infractions criminelles elles-mêmes, et il peut être nécessaire de prendre en compte la pauvreté, le sexe et la race de même que la corrélation entre ces caractéristiques pour certains délinquants. Les « besoins » des délinquants peuvent donc nécessiter des réponses assez spécifiques de la part du système de justice pénale, qu'il s'agisse du système conventionnel ou d'un système qui embrasse
2.4 Les « besoins » des victimes et des collectivités en matière de justice
Nous avons vu qu'on fait nettement plus de place depuis quelques décennies aux « besoins » des victimes dans le système de justice pénale. Cette évolution reflète des étapes antérieures de la justice pénale, avant la création de procédures organisées par l'État qui ont clairement délimité la justice pénale comme « publique » et différente des réclamations civiles « privées ». Dans une étude de 1985 portant sur des solutions de rechange aux cours criminelles, Tony Marshall analyse les « besoins » des victimes dans la procédure criminelle. Selon Marshall, les victimes souffrent de deux formes de pertes : 1) des pertes matérielles, notamment la perte d'argent et de biens, ou le préjudice physique; et 2) des pertes émotionnelles, notamment des sentiments d'angoisse, d'insécurité ou de « pollution ». Il signale cependant que la justice pénale n'est pas bien conçue pour satisfaire à l'un ou à l'autre de ces besoins des victimes. Par rapport aux pertes matérielles par exemple, le système de justice pénale considère que les actes du délinquant créent avant tout une dette envers la société, de telle façon que le système n'est pas bien adapté pour aider financièrement la victime (Marshall, 1985, p. 20). De plus, les besoins émotionnels de la victime ne peuvent être satisfaits que si l'État peut garantir que le délinquant est puni. Ce qui est peut-être plus important, Marshall pense que la participation des victimes à la procédure criminelle (à titre de témoin, par exemple) peut, en fait, renforcer le sentiment d'impuissance des victimes qui découle de l'expérience initiale de l'acte criminel et ajouter encore à leur frustration ou même à leur détresse (Marshall, 1985, p. 21).
L'incapacité du système de justice pénale de satisfaire à ces besoins des victimes est la source de nombreuses prétentions concernant le potentiel de la justice réparatrice. Mark Umbreit mentionne par exemple que les procédures de médiation entre la victime et le délinquant peuvent tenir les délinquants responsables de leurs actes et insister sur l'impact humain du crime sur la victime, en plus de fournir aux délinquants des possibilités d'assumer la responsabilité de leur crime en se rachetant auprès des victimes; en outre, la médiation peut encourager la participation active des victimes et des collectivités dans l'administration de la justice et améliorer la qualité de la justice obtenue et par les délinquants et par les victimes (Umbreit, 1994, p. 5). Dans un même ordre d'idée, Bazemore pense que la médiation entre la victime et le délinquant dans le domaine de la justice pour les jeunes pourrait mieux satisfaire aux besoins des victimes, mais également satisfaire mieux aux besoins de toutes les parties concernées :
[trad. libre] Le fait que le plaidoyer en faveur des droits et de la participation des victimes ne soit pas un jeu à somme nulle constitue peut-être l'intuition la plus exceptionnelle de la justice réparatrice. L'accent sur les besoins des victimes n'est donc pas incompatible avec une préoccupation à l'égard des besoins et des risques que présentent les délinquants et avec une préoccupation à l'égard des besoins généraux des collectivités. La justice réparatrice reconnaît trois clients. dans tout processus de « justice » : la victime, le délinquant et la collectivité (Bazemore, 1999, p. 299).
Nous verrons plus en détail dans le chapitre 3 les mécanismes de la médiation entre la victime et le délinquant, mais il est important d'analyser ici la façon dont les besoins des victimes sont définis - de même que les conséquences qui découlent de ces définitions par rapport au choix des procédures visant à satisfaire à ces besoins. Dans un tel contexte, il est aussi important d'examiner la mesure dans laquelle divers processus, notamment le système de justice pénale, accordent la priorité aux besoins des victimes, et des collectivités, par rapport à ceux des délinquants.
Une façon de garantir que les besoins des victimes jouissent d'un certain degré de priorité est de créer une charte des droits des victimes. Bacchus estime donc que la promulgation de la Loi sur les victimes d'actes criminels en Ontario en 1996 a représenté un pas important pour reconnaître les besoins des victimes d'actes criminels dans le système de justice pénale, et qu'elle a obligé les substituts du procureur général à assurer la participation des victimes conformément à la loi (Bacchus, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 219)[42]. Cette insistance sur la participation de la victime dans l'administration de la justice pénale est également manifeste dans des affirmations selon lesquelles les « besoins » des victimes doivent être reconnus comme des « droits ». Dans leur analyse de la victimologie critique, Mawby et Walklate soulignent que les accusés ont des « droits » et que le système de justice pénale doit donc reconnaître que les « besoins » des victimes sont également des « droits »[43]. Ils affirment aussi que de nombreux besoins restent insatisfaits pour ceux qui ne correspondent pas aux définitions actuelles de « victime », et qu'il est essentiel de reconnaître la façon dont des iniquités structurelles dans la société ont des incidences fondamentales sur la victimisation criminelle (Mawby et Walklate, 1994, p. 169). Mawby et Walklate décrivent quatre domaines dans lesquels il faut améliorer les « droits » des victimes : le droit de jouer un rôle actif dans le système de justice pénale (notamment par les déclarations des victimes obligatoires); le droit d'être informé des progrès de la poursuite contre un accusé et le droit d'être indemnisé; le droit à une aide financière (notamment des régimes d'assurance et l'aide de la police); et le droit aux conseils et au soutien d'organismes subventionnés par l'État.
Quelques études définissent aussi les besoins des victimes par rapport aux avantages de la justice réparatrice, du moins en fonction des réactions des victimes à de tels programmes. Par exemple, Umbreit et ses collaborateurs ont recensé plusieurs études qui semblent confirmer la préférence des victimes pour le programme de médiation entre la victime et le délinquant aux États-Unis[44]. Les victimes qui participent à ces sondages semblent avoir un réel besoin de confronter les délinquants en personne. Selon les auteurs, la médiation pourrait satisfaire en outre aux besoins des victimes non seulement dans les cas de crimes contre les biens et de voie de fait mineurs mais aussi dans des crimes de violence grave, notamment le meurtre; par ailleurs, les auteurs estiment que beaucoup plus de recherches et d'évaluations portant sur des échantillons plus grands sont nécessaires pour tirer des conclusions fermes. En fait, ils recommandent la prudence puisqu'ils pensent que de nombreuses conséquences négatives non voulues pourraient résulter de telles initiatives, notamment une nouvelle victimisation importante de la victime (Umbreitet coll., 1999, p. 340). Dans ce contexte, il peut être significatif que les auteurs insistent également sur l'utilité de la justice réparatrice pour satisfaire non seulement aux besoins des victimes mais aussi à ceux des délinquants et des collectivités :
[trad. libre] À la base, la médiation et le dialogue entre la victime et le délinquant dans des crimes de violence grave visent à faire participer les personnes les plus touchées par l'horreur de cet acte violent à la démarche consistant à tenir le délinquant vraiment responsable, à aider les victimes à mieux comprendre, sinon à avoir un sentiment de clôture face au grave préjudice qu'elles ont subi, et à aider toutes les parties à être plus à même de poursuivre leur vie de façon positive. Cette nouvelle pratique de la justice réparatrice mérite certainement d'être développée et analysée plus à fond en plus de justifier une attitude de soutien prudent et éclairé (Umbreit et coll., 1999, p. 340-341, nous soulignons).
Les avantages des pratiques de justice réparatrice pour les collectivités auraient donné une impulsion importante à leur adoption en Australie. S'appuyant sur son examen de trois études de cas employant le modèle Wagga Wagga, O'Connell pense que de telles pratiques sont nécessaires pour rétablir la « collectivité » :
[trad. libre] La conférence a pour objet de recréer la collectivité, ce qui est essentiel pour nous aider à donner un sens à un monde qui a subi un changement social considérable au cours des 40 dernières années. [Tous] ceux qui ont affaire avec [la justice pénale] éprouvent à un certain moment une certaine « coupure » de la collectivité [.] Le processus de conférence permet de renforcer ces collectivités et permet aux gens concernés de rétablir des liens avec les personnes significatives dans leur vie. Ces expériences soulèvent des questions à propos de notre dépendance croissante vis-à-vis des professionnels. (travaillant dans un isolement relatif) pour aider les collectivités à se rétablir à la suite d'une perturbation qui menace la cohésion sociale (O'Connell, dans Healy et Dumont, éd., 1997, p. 143).
Même s'il n'est peut-être pas indiqué de concevoir des pratiques de justice réparatrice en ne prenant en considération que les besoins des victimes, il peut être important de saisir clairement le lien qui existe entre les demandes contradictoires au sein de ces pratiques. Il est important de mettre en ouvre des protocoles pour définir les compromis qui peuvent être indiqués pour satisfaire aux « besoins » des parties, surtout lorsqu'il risque d'y avoir conflit ou incohérence entre les besoins des victimes et les besoins des collectivités ou des délinquants. Par exemple, les réformes du Code criminel (projet de loi C-41) qui ont codifié les droits des victimes de participer aux audiences de détermination de la peine et qui ont établi les dispositions concernant la restitution aux victimes, la présentation des déclarations des victimes et les suramendes compensatoires, semblent avoir permis aux victimes de participer davantage à la procédure pénale conventionnelle. Cependant, après avoir examiné ces dispositions, Sandra Bacchus conclut que l'attention accordée aux besoins des victimes risque d'engendrer plus de condamnations avec sursis pour améliorer les chances des délinquants de faire restitution à leurs victimes (Bacchus, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 225, qui cite R. v. Visanji et al.[45]). La prise en considération des besoins de restitution des victimes influe donc clairement sur l'éventail des peines imposées aux délinquants. Par ailleurs, il faudra peser les besoins des victimes et des délinquants dans les pratiques de justice réparatrice comme dans le système de justice pénale conventionnel. Il est donc aussi important de noter que d'autres personnes que la victime peuvent subir un préjudice, notamment le délinquant (Llewellyn et Howse, 1998).
Dans ce contexte, le sexe des victimes peut aussi être un facteur important pour satisfaire à leurs besoins. Le rapport du National Institute of Justice aux États-Unis indiquait en 1994 que les femmes sont victimisées environ cinq fois plus souvent que les hommes par des personnes avec qui elles ont des rapports intimes - conjoint, ancien conjoint ou petit ami/petite amie (National Institute of Justice, 1998, p. viii). D'après une comparaison du traitement des femmes victimes d'actes criminels en 1975 et 1995, le rapport conclut qu'il y a eu quelques changements positifs dans le traitement des femmes victimes d'actes criminels dans le système de justice pénale : la criminalisation de la violence conjugale, la création de centres de traitement des agressions sexuelles, la promulgation de la charte des droits des victimes et l'adoption de la Violence Against Women Act en 1994. Le rapport conclut néanmoins que :
[trad. libre] Malgré ces changements, les données disponibles sur la violence à l'égard des femmes illustrent le besoin de mesures additionnelles, comme une approche concertée et intégrée pour réduire et prévenir la victimisation des femmes. Une approche concertée du problème évoque une collaboration entre les forces de l'ordre, les bureaux de la poursuite et les cours, de même qu'avec les défenseurs des droits des victimes et les fournisseurs de services. Pour que la réponse du système de justice pénale soit efficace, les professionnels du système devraient partager une vision qui donne la priorité à la sécurité et le bien-être des femmes victimes (National Institute of Justice, 1998, p. 56)[46].
Quelques mesures au Canada ont visé à satisfaire à ces besoins à l'intérieur du système de justice pénale conventionnel, notamment les cours spécialisées dans les affaires de mauvais traitements infligés à des enfants et de violence conjugale. Ces cours offrent les services d'un personnel spécialisé et une coordination entre les services sociaux et les procureurs. Pourtant, de nombreuses études menées au Canada ont révélé que le système de justice pénale ne fournit pas une réponse sûre et efficace aux femmes victimes de violence intime. Par exemple, dans une étude de l'accès à la justice dont jouissent des immigrantes victimes de violence au Nouveau-Brunswick, Miedema a constaté l'existence de contraintes religieuses et culturelles ancrées au sein de familles immigrantes qui font en sorte qu'il est difficile, sinon impossible, pour des femmes de demander de l'aide si elles sont victimes de violence aux mains de leurs conjoints : « la peur d'humilier ou de déshonorer la famille (le mari) était un mécanisme de contrôle social très puissant qui interdisait aux femmes de demander de l'aide dans des cas de violence »
(Miedema, 1996, p. 7, traduction libre).
Dans une étude connexe, Miedema et Wachholz ont conclu que :
Pour la vaste majorité des participantes, l'interaction des normes culturelles et de l'oppression structurelle représente un obstacle très sérieux à l'accès au système de justice pour les immigrantes victimes de violence. Toutes les femmes [.] ont décrit leur vie sociale comme profondément enracinée dans des structures patriarcales [.] Ainsi, la norme qui définit la violence comme une question de nature privée et personnelle, à laquelle s'ajoute la crainte de déshonorer la famille, fait en sorte qu'elles hésitent parfois beaucoup à faire appel au système judiciaire. Les contraintes structurelles comme les obstacles linguistiques, le racisme perçu dans le système de justice pénale et au sein des organismes de services sociaux, ainsi que l'absence d'une représentation et de services ethnoculturels suffisants ont aussi un effet dissuasif lorsqu'il s'agit de demander de l'aide (Miedema et Wachholz, 1998, p. 34, qui citent Currie, 1995).
Ces questions sont l'écho de celles soulevées par Martin et Mosher qui croient que les années 1970 à 1990 ont donné lieu à une politique de réforme visant la néo-criminalisation de la violence conjugale. Les auteures concluent toutefois que tout porte à croire que la stratégie de néo-criminalisation a mal servi les femmes; elles expliquent qu'une réaction énergique de la justice pénale expose la femme à des préjudices variés et ne comporte des avantages potentiels que dans de rares cas (Martin et Mosher, 1995, p. 37).
Martin et Mosher proposent une stratégie plus complexe qui se garde d'homogénéiser les différences des femmes maltraitées et de leur refuser le statut d'agentes rationnelles aptes à exercer un choix dans leur propre intérêt, une stratégie qui reconnaît que l'intervention de la justice pénale peut n'être qu'un des nombreux services et interventions nécessaires (Martin et Mosher, 1995, p. 43, qui citent Sheptycki, 1991). Ce genre d'approche montre que les besoins de victimes d'actes criminels différents peuvent être différents, surtout par rapport à la condition féminine, et que même parmi les victimes de violence conjugale, les besoins de chaque femme peuvent être différents parce que leur situation est différente. Dans l'ensemble toutefois, dans le contexte des besoins des femmes victimes de violence conjugale, il y a de bonnes raisons de penser que le taux de déclaration actuel est extrêmement faible. En s'appuyant sur des données tirées de l'Enquête canadienne sur la violence envers les femmes de 1993, Gartner et Macmillan concluent que la police est informée relativement rarement de ces victimisations, dans seulement 15 % des cas environ (Gartner et Macmillan, 1995, p. 405). Toutefois, Gartner et Macmillan ne se prononcent pas, au terme de leur évaluation des débats entre chercheurs, sur la question de savoir si un taux de déclaration supérieur satisfait mieux aux besoins des femmes. Ils insistent néanmoins sur le fait que leur étude a confirmé la mesure dans laquelle les crimes de violence contre les femmes continuent d'exister en dehors du domaine du droit (Gartner et Macmillan, 1995, p. 423)[47].
Ces questions concernant l'échec du système de justice pénale à l'égard des femmes qui sont victimes peuvent aussi s'appliquer à certaines victimes appartenant à des minorités visibles. Selon Barbara Hudson, certaines femmes et certains Noirs victimes peuvent avoir de la difficulté à mobiliser le système de justice pénale parce qu'ils ne concordent pas avec la définition de la « victime idéale »; par exemple, ce problème a affligé des prostituées ou d'autres femmes indépendantes et sexuellement actives qui tentaient de porter des accusations de viol (Hudson, 1998, p. 244). Hudson croit en outre qu'il est important de signaler les réactions différentes du système de justice pénale aux crimes de nature raciale et sexuelle d'une part et aux crimes de la rue commis par des gens sans pouvoir : si on a pris ces derniers au sérieux et on les a « surpénalisés », les premiers ont trop souvent été ignorés :
[trad. libre] Autrement dit, les fins symboliques de censure et de déclaration des limites morales du droit pénal ont déjà été servies par rapport à ces dernières catégories d'infraction, tandis que dans le cas de la violence racialisée et sexualisée, ce n'est que récemment que la force symbolique du droit pénal a été déployée et ce, en partie seulement (surtout dans le cas de la violence raciale) pour montrer que la société, du moins dans son organisation officielle, désapprouve ces formes de comportement (Hudson, 1998, p. 245).
Selon Hudson, il est aussi important de reconnaître la façon dont les rapports de pouvoir dans la société agissent sur la perpétration d'actes criminels. Elle pense par exemple que l'inégalité sociale qui pousse tellement de jeunes hommes dans une marginalité économique peut les inciter à user de violence pour appuyer leurs prétentions à une supériorité raciale et sexuelle. Par conséquent, elle soutient que les rapports de pouvoir différentiels sont complètement différents dans les crimes conjugaux, sexuels et raciaux par opposition aux crimes contre la propriété et d'autres formes de crimes motivés par la « survie économique ». Elle craint donc que les processus de médiation, qui accordent une place centrale à la relation entre la victime et le délinquant - supplantant la relation entre le délinquant et l'État - risquent de reproduire et de renforcer le déséquilibre de pouvoir inhérent à l'acte criminel, au lieu de confronter le délinquant dans un contexte où le pouvoir de l'État agit au nom (à la place) de la victime (Hudson, 1998, p. 247). Tout en reconnaissant le besoin de la victime que la collectivité condamne les actes du délinquant, Hudson met aussi en doute l'efficacité réelle de l'humiliation communautaire :
[trad. libre] . De nos jours, la plupart d'entre nous n'habitons pas des « collectivités », mais des alliances temporaires, changeantes qui se forment en fonction d'un prudentialisme privé. Associations de résidents, associations de parents, contribuables du centre-ville, détaillants de centres commerciaux, réunions d'actionnaires, groupes de femmes : voilà les catégories de collectivités qui réclament maintenant l'allégeance de leurs membres, plutôt que les collectivités. Le maillon le plus faible de la justice réparatrice est . qu'est-ce que la collectivité; qu'est-ce que l'intérêt communautaire et comment peut-il être représenté? Sans le souci de rendre les collectivités plus sûres, la justice réparatrice court le danger de substituer simplement la justice civile pour la justice pénale. Sans la collectivité, la justice réparatrice est réduite aux points de vue contradictoires de la victime et de l'auteur du crime, et il n'y a aucun groupe social dans lequel le délinquant peut éprouver de la honte ou vivre une réinsertion [.] Pour servir les fonctions expressives de la répression, les partisans des processus réparateurs devront trouver des façons de séparer clairement la condamnation de l'acte de la négociation des mesures convenant aux rapports qui existent entre la victime, le délinquant et la communauté (Hudson, 1998, p. 251-253).
Comme Martin et Mosher, Hudson reconnaît aussi toutefois que les politiques « de la ligne dure » par rapport à la violence sexuelle (et raciale) risque de ne rien régler dans le système de justice pénale actuel : la ligne dure des mesures pénales dans les cas de violence raciale, sexuelle et conjugale ne s'appliquerait qu'aux pauvres et aux marginalisés, les puissants continuant de se livrer à leur comportement raciste et misogyne à huis clos. La ligne dure fera donc en sorte que les riches recevront des services d'aide psychologique et les pauvres, une peine d'emprisonnement (Hudson, 1998, p. 155).
Ces remarques révèlent le contenu politique des discussions portant sur les « besoins » des victimes. Walklate pense qu'il y a eu convergence des défenseurs des intérêts des femmes (qui ont attiré l'attention sur le taux et la gravité des crimes de violence contre les femmes) et des besoins politiques de « durcir » les politiques visant la criminalité (Walklate, 1995, p. 33). David Garland soutient aussi que les politiques punitives actuelles ont été modelées, du moins en partie, par l'établissement d'un lien avec les intérêts et les sentiments des victimes :
[trad. libre] Les victimes elles-mêmes, les familles des victimes, les victimes potentielles, l'image projetée de « la victime » sont maintenant systématiquement invoquées à l'appui des mesures de ségrégation punitive. Les politiciens américains annoncent des lois prévoyant des peines obligatoires, accompagnés sur le podium par la famille des victimes d'actes criminels. Les victimes d'actes criminels sont invitées à prendre la parole à des congrès des partis politiques britanniques. Des mesures sont baptisées du nom de victimes [.] Le nouvel impératif est de protéger les victimes, d'entendre leur voix, d'honorer leur mémoire, d'exprimer leur colère, d'apaiser leurs craintes. La rhétorique du débat sur les mesures pénales évoque systématiquement l'image de la victime. Une logique politique a été établie en vertu de laquelle le fait d'être « pour » les victimes signifie automatiquement d'être dur à l'égard des délinquants. On suppose une politique stratégique à somme nulle dans laquelle le gain du délinquant correspond à la perte de la victime [.] On ne reconnaît pas assez la mesure dans laquelle l'image de la victime en est venue à acquérir le statut d'un « individu représentatif » dans la société contemporaine (Garland, 2000, p. 351).
L'analyse de Garland donne à penser que le discours politique s'est approprié les « besoins » réels des victimes, les a transformés, en fait, en « besoins représentatifs » des victimes. De cette façon, l'accent mis sur les besoins des victimes peut avoir contribué à l'adoption d'objectifs politiques « de la ligne dure » en fournissant un soutien accru à l'égard de périodes d'incarcération plus nombreuses et plus longues. Dans un tel contexte, les besoins réels des victimes elles-mêmes peuvent être moins importants, sinon occultés. En outre, le discours peut créer le besoin pour ceux qui prétendent que la justice réparatrice constitue une solution de rechange viable de prendre garde de ne pas se laisser emporter par un programme politique « de la ligne dure » pour définir les besoins réels des victimes. Dans l'ensemble, les besoins des victimes et les besoins des délinquants et des collectivités (notamment des collectivités autochtones) semblent à la fois complexes et contestés par rapport aux objectifs et aux valeurs de la justice pénale au Canada.
- [35] Dans son mémoire sur les peines minimales obligatoires, l'Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry écrit que « les Autochtones, les membres de groupes racisés et les pauvres font face à un système de justice pénale où les décisions discrétionnaires sont systématiquement prises à leur désavantage, à partir de la décision de porter une accusation prise par la police au moment de son enquête, de la décision de poursuivre prise par le substitut du procureur général, des décisions rendues par le juge au terme du procès ou au moment de déterminer la peine, des pratiques pénales et des décisions disciplinaires prises par les autorités carcérales, jusqu'aux décisions prises par la Commission des libérations conditionnelles » : voir Association canadienne des sociétés Elizabeth Fry, Réforme des moyens de défense visés par le Code criminel : provocation, légitime défense et défense des biens (Ottawa : ACSEF, 1999, p. 9).
- [36] Dans un exemple d'une telle situation, un homme possédant un dossier de condamnations à l'adolescence et à l'âge adulte pour voies de fait et entrées par effraction a été de nouveau accusé d'entrée par effraction et de vol. Le substitut du procureur de la Couronne réclamait l'incarcération. L'affaire a plutôt été traitée dans un programme de justice réparatrice qui a recommandé : une condamnation avec sursis, dont la surveillance est assurée par le programme de justice réparatrice; la participation à un cours de techniques de communication interpersonnelle; l'exécution d'une évaluation par l'Addictions Foundation of Manitoba et la participation régulière aux rencontres des Alcooliques Anonymes; le respect des conditions stipulées dans l'entente de médiation; et des cours d'alphabétisation. Le juge a accepté le plan (Griffiths, 1999, p. 281-382). Cet exemple montre la façon dont le plan adopté par le processus de justice réparatrice tentait de répondre aux « besoins » de l'accusé, des besoins qui étaient sans doute beaucoup plus complexes que les seules accusations criminelles auxquelles il faisait face. Même si l'accusé avait 32 ans à l'époque, ses antécédents criminels comme adolescent et adulte révélaient un mode d'activité criminelle qui justifiait des réponses de plus en plus sévères au sein du système de justice pénale. On peut soutenir que le fait de « détourner » cette affaire des tribunaux a été plus bénéfique pour l'accusé et la collectivité que de le jeter en prison. En outre, on a évité le coût de l'incarcération. Sous cet angle, les pratiques de justice réparatrice semblent avoir d'énormes possibilités de répondre aux « besoins » des accusés et des collectivités (Griffiths, 1999).
- [37] Selon Roach, il faut aborder la thèse de la réduction du contrôle policier avec prudence. Mary Hyde croit que la dépendance des collectivités autochtones vis-à-vis de la police pour obtenir certains services non disponibles autrement dans les réserves engendre des taux d'effectifs policiers élevés, augmente la probabilité d'intervention policière et « criminalise » un comportement qui n'aurait autrement pas été criminel si d'autres organismes s'en étaient occupé. L'ajout de policiers ne fait qu'augmenter la sur-représentation des Autochtones dans les prisons (Roach, 1999, p. 264, qui cite Hyde, 1992, p. 370).
- [38] La Loi sur la sécurité dans les rues prévoit une amende d'au plus 500 $ pour la première infraction et d'au plus 1 000 $ ou jusqu'à 6 mois d'emprisonnement, ou les deux, pour la deuxième infraction.
- [39] Toutes les études qui ont été faites sur le système de justice criminelle au Canada. ont souligné l'importance de la modération. Dans son sens le plus large, « être modéré » veut dire : a) que le système de justice criminelle ne devrait pas intervenir dans la vie des gens à moins que ce ne soit nécessaire pour les empêcher de nuire à d'autres personnes; et b) qu'on ne devrait pas se servir du système de justice criminelle pour accomplir des tâches qui seraient mieux accomplies par une autre institution » (Conseil national du bien-être social, 2000, p. 117).
- [40] Selon Roach :
[trad. libre] La sur-représentation est claire et nette. Les Noirs représentent 15 % des admissions dans les prisons de l'Ontario, mais seulement 3 % de la population de la province. Le taux d'admission de Blancs adultes dans les prisons ontariennes en 1992-1993 était de 106 pour 100 000 habitants tandis que les taux d'admission des Autochtones et des Noirs s'établissaient à 1 993 et 3 636 respectivement. La plupart des admissions de Noirs, mais non d'Autochtones, concernent des prévenus renvoyés en détention sans être condamnés, à qui l'on a refusé une mise en liberté sous caution [.] L'enquête explique la sur-représentation dramatique des Noirs dans les prisons de l'Ontario par l'inégalité sociale et économique et par l'application différentielle de la loi dans la procédure pénale (Roach, 1996, p. 239).
- [41] « Les mémoires réclament à l'unanimité l'adoption de mesures visant à apaiser les inquiétudes de ceux qui estiment que les intervenants du système judiciaire font preuve de racisme et de discrimination en exerçant leur pouvoir discrétionnaire. Les quatre types de mesures dont on recommande l'adoption le plus fréquemment sont une augmentation du nombre des représentants des minorités parmi les intervenants du système judiciaire à tous les niveaux; la mise sur pied de cours de formation interculturelle et de cours de formation à la lutte contre le racisme qui seraient offerts aux intervenants du système judiciaire; la création de programmes visant à nouer des relations entre les intervenants du système judiciaire et les membres des communautés minoritaires, afin d'améliorer les relations entre eux; le contrôle des organismes, notamment de ceux qui sont chargés d'examiner les plaintes, pour découvrir les cas où des plaignants ont été maltraités et fournir aux membres des communautés minoritaires la possibilité d'obtenir une réparation » (Etherington, 1994, p. xiii). Michael Wylie a aussi analysé en détail les suggestions visant à améliorer la compréhension des différences culturelles de la part des avocats. Wylie conclut que pour fournir des services juridiques dans un Canada multiculturel, les avocats doivent comprendre le contexte culturel dans lequel le problème d'un client se présente. Voir Wylie, Enhancing Legal Counselling in Cross-Cultural Settings, (1996), vol. 15, Recueil annuel de Windsor d'accès à la justice, p. 47.
- [42] Bacchus explique que les procureurs de la Couronne ont l'ordre de veiller à ce que les intérêts des victimes d'actes criminels soient représentés à toutes les étapes de la poursuite dans une mesure compatible avec le rôle premier d'un procureur, tandis que les remarques de la victime n'ayant aucun rapport avec la détermination de la peine ne devraient pas être présentées à la cour. Par conséquent, le procureur de la Couronne est parfois tenu d'évaluer ou de filtrer les préoccupations de la victime et d'équilibrer le droit à la dignité des victimes et un certain degré de participation dans la procédure avec son rôle d'officier de la cour (Bacchus, dans Roberts et Cole, éd., 1999, p. 219-220, nous soulignons).
- [43] Dans son examen des droits des victimes, Roach conclut que, même s'ils ont obtenu une certaine reconnaissance, les droits des victimes d'actes criminels [au Canada] sont encore plus fragiles que les droits de l'accusé ou les droits des groupes défavorisés qui réclament la protection égale du droit pénal. Il croit qu'une partie de l'explication peut se trouver dans la Charte qui a enchâssé les droits à l'application régulière de la loi et les droits à l'égalité, mais non les droits des victimes d'actes criminels. Selon Roach, les victimes d'actes criminels ont eu un certain impact sur la procédure pénale, mais il a été limité et contesté (Roach, 1999, p. 309).
- [44] [trad. libre] « Les données empiriques et l'expérience concrète montrent très clairement aujourd'hui que la plupart des victimes de crimes contre la propriété et de voies de fait mineures choisissent la médiation si on leur en donne la possibilité, les taux de participation des victimes variant souvent entre 60 % et 70 % dans de nombreux programmes. Un sondage d'opinion publique aléatoire réalisé à la grandeur du Minnesota a révélé que 84 % des citoyens, dont un grand nombre avaient été victimes d'actes criminels, indiquent qu'ils seraient susceptibles d'envisager de participer à une médiation entre la victime et le délinquant s'ils étaient victimes d'un crime contre la propriété [.] Un sondage plus récent réalisé auprès de fournisseurs de services aux victimes à la grandeur du Minnesota a révélé que 91 % d'entre eux estiment que la MVD est un service important à offrir aux victimes de façon volontaire et qu'il devrait être disponible dans tous les districts judiciaires de l'État » (Umbreit et coll., 1999, p. 322).
- [45] R. v. Visanji, Lall, and Akbar (inédit) Cour de justice de l'Ontario, Division provinciale, 2 juillet 1997.
- [46] Le rapport du National Institute of Justice explique aussi comment les droits des victimes ne sont pas toujours respectés, et ce non-respect donne rarement lieu à des sanctions, même si l'on reconnaît ces droits aux victimes. On parle dans le rapport de la requête de Mary Byron de Jeffersontown au Kentucky qui désirait être informée quand son ancien petit ami, qui avait été trouvé coupable de l'avoir violée sous la menace d'une arme à feu, sortirait de prison. Malheureusement, elle n'a pas été informée et son ancien petit ami l'a assassinée. Sa succession a poursuivi le service de police de Jeffersontown et le détective qui ne l'avait pas informée, mais la poursuite a été rejetée. En appel, la cour a confirmé qu'il n'y avait aucune obligation d'informer Byron de la remise en liberté de son ancien petit ami (National Institute of Justice, 1998, p. 45, qui cite Lexington Herald-Leader, 13 juillet 1996).
- [47] Par contre, il est important de reconnaître que les propositions en faveur de stratégies d'intervention innovatrices dans le système de justice pénale, peut-être en particulier par rapport aux considérations relatives au sexe, peuvent susciter une vive opposition, comme on l'a vu lorsque des étudiants ont décidé de modifier leur approche des services d'aide juridique destinés aux femmes maltraitées à Ottawa. Voir Ruth Carey, Useless (UOSLAS) v. the Bar: The Struggle of the Ottawa Student Clinic to Represent Battered Women, (1992), vol. 8, Revue des lois et des politiques sociales, p. 54.
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