Alinéa 11b) – Droit d’être jugé dans un délai raisonnable

Disposition

11. Tout inculpé a le droit :

  1. d’être jugé dans un délai raisonnable.

Dispositions similaires

Autre législation canadienne

Le droit à un procès équitable est également garanti par l’alinéa 2e) de la Déclaration canadienne des droits. L’article 7 fournit une certaine protection résiduelle contre un délai attribuable à l’État dans des cas bien limités.

Instruments internationaux portant sur les droits de la personne qui lient le Canada

On trouve une garantie semblable à l’alinéa 14(3)c) du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Objet

Le but principal de l’alinéa 11b) est de protéger les droits suivants de la personne accusée : a) le droit à la sécurité de la personne; b) le droit à la liberté; et c) le droit à un procès équitable (R. c. Jordan, [2016] 1 RCS 631, au paragraphe 20). La disposition sert également des intérêts sociétaux secondaires : a) celui de la protection du droit de la personne accusée d’être traitée de façon humaine et équitable; et b) celui de faire appliquer les lois, notamment en s’assurant que les individus qui les violent sont jugés en temps opportun. Plus un crime est grave, plus la société exige que la personne accusée soit traduite en justice (R. c. Morin, [1992] 1 RCS 771; R. c. Askov, [1990] 2 RCS 1199). Les procès instruits en temps utile sont également importants pour préserver la confiance générale du public envers l’administration de la justice (Jordan, précité, au paragraphe 25; Askov, précité, à la page 1221).

L’alinéa 11b) reconnaît la stigmatisation, l’atteinte à la vie privée de même que la tension et l’angoisse résultant du climat de suspicion que suscitent des procédures criminelles (Morin, précité, à la page 778; R. c. Godin, [2009] 2 RCS 3, au paragraphe 30). Il reconnaît également que le droit à un procès équitable est protégé par la tentative de faire en sorte que les procédures aient lieu pendant que la preuve est disponible et récente (Morin, précité), et que les délais écoulés peuvent compromettre la capacité de la partie défenderesse de présenter des éléments de preuve, de contre‑interroger les témoins ou de se défendre autrement (Godin, précité, au paragraphe 30).

Analyse

1. Inculpation

Voir l’analyse concernant l’article 11 – Généralités.

2. Tout inculpé

Les personnes morales de même que les personnes physiques bénéficient de la protection de l’alinéa 11b) (Québec (Procureure générale) c. 9147-0732 Québec inc., 2020 CSC 32, aux paragraphes 128 et 130; R. c. CIP Inc., [1992] 1 R.C.S. 843).

3. Application

L’alinéa 11b) vise la période de temps écoulée depuis l’inculpation jusqu’à la date de déclaration de la peine (R. c. K.G.K., 2020 CSC 7, aux paragraphes 3 et 28; R. c. Rahey, [1987] 1 RCS 588; R. c. MacDougall, [1998] 3 RCS 45) (voir la section portant sur le sens du mot « inculpation » dans l’analyse concernant l’article 11 dans son ensemble). Ainsi, l’alinéa 11b) ne s’applique pas aux délais qui précèdent l’inculpation (R. c. Kalanj, [1989] 1 RCS 1594), et ne commence à courir qu’à partir de l’inculpation (Carter c. La Reine, [1986] 1 RCS 981). L’alinéa 11b) ne s’applique pas non plus aux délais d’appel (R. c. Potvin, [1993] 2 RCS 880, procédure administrative Law Society of Saskatchewan c. Abrametz, 2022 CSC 29, au paragraphe 47) ou aux instances de type disciplinaire ayant trait à une profession ou à un métier d’intérêt public (Peet v. Law Society of Saskatchewan, 2014 SKCA 109). D’autres dispositions de la Charte, comme l’article 7, peuvent offrir des recours en cas de délais excessifs pendant la période préalable à l’inculpation ou celle de l’appel (Kalanj, précité; Potvin, précité ; voir aussi R. c. Hunt, [2017] 1 RCS 476, où la Cour suprême a accueilli l’appel, essentiellement pour les motifs dissidents de la juge Hoegg, qui a conclu que le délai antérieur au dépôt des accusations devrait être examiné suivant l’article 7, et non l’alinéa 11b)).

Nouvelles accusations : Selon la jurisprudence établie par les cours d’appel (aussi bien avant qu’après l’arrêt Jordan, précité), si une accusation est portée et retirée, puis réintroduite, il y a des circonstances dans lesquelles le délai visé par l’alinéa 11b) commence à courir à partir de la première inculpation (R. c. Ketchate, 2019 QCCA 557, au paragraphe 18; R. v. Scott, 2015 SKCA 144; R. v. Milani, 2014 ONCA 536, au paragraphe 48; autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 36095 (15 Janvier 2015) R. v. Kanda, 2021 BCCA 267, autorisation de pourvoi à la CSC refusée).

Nouveau procès : En appel, la personne accusée n’est plus « inculpée ». Elle le redevient seulement si la décision de première instance est annulée et qu’un nouveau procès est ordonné (R. c. J.F., 2022 CSC 17, aux paragraphes 23 et 61). Le droit d’une personne accusée d’être jugée dans un délai raisonnable conformément à l’alinéa 11b) s’applique à la personne accusée qui subit un deuxième procès (R. c. J.F., précité, au paragraphe 4). Lorsqu’un nouveau procès est ordonné, la computation des délais recommence à zéro (R. c. J.F., précité, aux paragraphes 55 et 60). Il s’ensuit que seuls les délais liés au second procès seront comptabilisés aux fins du calcul des délais selon les plafonds présumés applicables conformément au cadre d’analyse de l’arrêt Jordan (R. c. J.F., précité, aux paragraphes 3 et 60). Cependant, dans l’évaluation du caractère raisonnable des délais liés au second procès, la Cour pourrait considérer les délais liés au premier procès dans certaines circonstances exceptionnelles (R. c. J.F., précité, au paragraphe 60).

Prononcé du jugement : Selon la jurisprudence antérieure et postérieure à l’arrêt Jordan, la protection garantie par l’alinéa 11b) englobe le droit de voir sa sentence prononcée dans un délai raisonnable (MacDougall, précité, aux paragraphes 2 et 27; R. c. Gallant, [1998] 3 RCS 80; K.G.K., précité). Cependant, les plafonds présumés qui ont été fixés par l’arrêt Jordan n’incluent pas le temps que mettent les juges à rendre une décision (K.G.K., précité, aux paragraphes 3 et 23). Dans différentes décisions, la Cour d’appel de l’Ontario a conclu que le délai pour la détermination de la peine doit être analysé conformément aux principes énoncés dans Jordan, mais assujetti à son propre plafond présumé de cinq mois. (R. v. Charley, 2019 ONCA 726, aux paragraphes 77‑87; R. v. Hartling, 2020 ONCA 243, aux paragraphes 98‑99; R. v. Adu‑Bekoe, 2021 ONCA 136; R. v. J.K., 2021 ONCA 256).

Temps de délibération en vue du prononcé du verdict : La Cour suprême a affirmé que les plafonds fixés dans l’arrêt Jordan s’appliquent seulement du dépôt des accusations jusqu’à la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries au procès (K.G.K., précité, au paragraphe 33). Autrement dit, les plafonds présumés n’incluent pas le temps que prennent les juges pour rendre un verdict avant la détermination de la peine (le « temps de délibération en vue du prononcé du verdict »)(K.G.K., précité, aux paragraphes 3 et 23). Cependant, le délai attribuable au temps de délibération en vue du prononcé du verdict peut contrevenir à l’alinéa 11b) si « ce temps de délibération a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être compte tenu de l’ensemble des circonstances » (K.G.K., précité, auxparagraphes 4 et 58). Un lourd fardeau pèse sur la personne accusée pour prouver ce type d’atteinte : elle doit réfuter la présomption selon laquelle, d’une part, les juges de première instance sont les mieux placés pour mettre en balance les diverses considérations éclairant le temps de délibération en vue du prononcé du verdict et, d’autre part, que le temps de délibération en vue du prononcé du verdict qu’il a fallu aux juges dans une affaire donnée n’a pas été plus long qu’il était raisonnablement nécessaire qu’il le soit compte tenu des circonstances (K.G.K., précité, aux paragraphes 4 et 65).

Pour évaluer objectivement si, dans une affaire donnée, il y a eu infraction à l’alinéa 11b) quant au temps pris pour délibérer en vue du prononcé du verdict, le tribunal doit tenir compte des facteurs suivants, entre autres : 1) le temps de délibération en vue du prononcé du verdict; 2) à quel point le temps écoulé avant que le ou la juge ne prenne la cause en délibéré était rapproché du plafond pertinent fixé par l’arrêt Jordan; 3) la complexité de l’affaire; 4) tout élément pertinent au dossier émanant du ou de la juge ou du tribunal; 5) les conditions locales régnant dans un ressort donné; 6) la comparaison entre le temps qu’il a fallu et le temps qu’il faut généralement pour trancher une affaire de nature semblable (K.G.K., précité, aux paragraphes 67‑73).

Jeunes contrevenants : Les plafonds numériques établis dans l’arrêt Jordan afin de déterminer si un délai est présumé déraisonnable s’appliquent également aux adolescents accusés d’infractions au Code criminel et jugés devant un tribunal pour adolescents, sous le régime de la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents (R. c. K.J.M., 2019 CSC 55, au paragraphe 4). Le droit d’être jugé dans un délai raisonnable, garanti par l’alinéa 11b), revêt une importance particulière pour les adolescents, et ce, pour au moins cinq raisons : 1) renforcer le lien entre les actes et leurs conséquences (qui peut devenir moins clair si les délais sont trop longs), de façon à favoriser de manière générale la réadaptation et le développement social des adolescents; 2) réduire l’incidence psychologique du délai d’attente, qui peut avoir une plus grande incidence psychologique sur les adolescents que sur les adultes; 3) préserver le droit de présenter une défense pleine et entière, garanti par l’article 7 de la Charte, compte tenu du fait que les souvenirs des adolescents ont tendance à s’estomper plus rapidement que ceux des adultes, de sorte qu’il peut leur être plus difficile de se souvenir des situations passées en cas de délai prolongé; 4) éviter une éventuelle iniquité pour les adolescents si un long délai sépare l’infraction commise de la peine correspondante; et 5) promouvoir l’intérêt de la société à voir les adolescents réadaptés et réinsérés dans la société le plus rapidement possible (K.J.M., précité, aux paragraphes 50‑55).

4. Analyse fondée sur l’alinéa 11b) avant l’arrêt R. c. Jordan

Dans l’arrêt R. c. Jordan, précité, la Cour suprême du Canada a mis en place un nouveau cadre d’analyse pour évaluer si une personne accusée a été jugée dans un délai raisonnable, comme l’exige l’alinéa 11b).

Avant cet arrêt, l’analyse (énoncée plus en détail dans l’arrêt Morin, précité) exigeait une approche au cas par cas. Les juges devaient évaluer si le délai avait été déraisonnable et, par conséquent, s’il y avait eu violation de l’alinéa 11b), en examinant la longueur du délai, déduction faite des périodes auxquelles la personne accusée avait renoncé, puis examiner les raisons du délai, le préjudice subi par la personne accusée et les intérêts que l’alinéa 11b) protège (Godin, précité, au paragraphe 18).

Les motifs du délai étaient évalués en ventilant celui-ci en délais attribuables aux : i) délais inhérents à la nature de l’affaire; ii) actes de la personne accusée; iii) actes du ministère public; iv) limites des ressources institutionnelles (délai systémique); v) autres raisons (Morin, précité). Il ne s’agissait pas d’une application mathématique mais d’une décision judiciaire. L’analyse visait à fournir un cadre pour l’appréciation des intérêts (Morin, précité). Selon la Cour suprême, « [l]a méthode générale […] ne consiste pas dans l’application d’une formule mathématique ou administrative mais plutôt dans une décision judiciaire qui soupèse les intérêts que l’alinéa [11b)] est destiné à protéger et les facteurs qui, inévitablement, entraînent un délai ou sont autrement la cause du délai » (Morin, précité, à la page 787, cité dans Godin, précité, au paragraphe 18). Un poids différent était accordé au délai en fonction de la raison de celui-ci (R. v. Ghavami, 2010 BCCA 126, aux paragraphes 52‑53).

Les juges majoritaires dans l’arrêt Jordan, précité, ont déterminé qu’un nouveau cadre analytique était nécessaire après avoir conclu que le cadre de l’arrêt Morin comportait un certain nombre de lacunes doctrinales qui le rendaient trop imprévisible, difficile à saisir et complexe pour les tribunaux (Jordan, précité, aux paragraphes 32‑38). De plus, il ne s’attaquait pas à la culture de complaisance à l’égard des délais qui sont apparus dans le système de justice pénale en raison d’un certain nombre de facteurs, dont des pratiques inefficaces, une pénurie de ressources institutionnelles et la complexité accrue des processus préalables au procès et de ceux suivis durant les procès depuis Morin (Jordan, précité, au paragraphe 41).

Dans l’arrêt Jordan, les juges majoritaires voulaient que ce nouveau cadre d’analyse fasse en sorte que l’analyse fondée sur l’alinéa 11b) se concentre « sur les questions qui importent » et incite tous les participants au système de justice criminelle à collaborer pour que l’administration de la justice soit raisonnablement prompte (Jordan, précité, au paragraphe 5). Ils ont souligné qu’il était du devoir de tous les participants au système de justice criminelle d’éviter les délais inutiles en en ciblant les causes profondes (Jordan, précité, au paragraphe 137). Cela inclut la mise en œuvre de procédures plus efficaces dans les tribunaux, notamment des pratiques d’établissement de calendriers pour les procès (Jordan, précité, au paragraphe 139), et l’utilisation des pouvoirs de gestion des instances pour réduire les délais au minimum (R. c. Cody, [2017] 1 RCS 659, au paragraphe 38). Il incombe aux tribunaux, ainsi qu’aux avocats des deux parties, de proposer activement des moyens d’instruire plus efficacement les demandes et requêtes légitimes (Cody, précité, au paragraphe 39; K.J.M., précité, au paragraphe 80).

5. Critères de l’atteinte énoncés dans l’arrêt R. c. Jordan

[Note au lecteur : Étant donné l’écart important par rapport à la jurisprudence établie relativement à l’alinéa 11b), bon nombre d’aspects du nouveau cadre de l’arrêt Jordan continueront de se développer à mesure que les tribunaux l’examinent, en particulier pour les affaires qui sont assujetties aux réserves transitoires. Le présent document ne prétend pas traiter de façon exhaustive de chaque question devant être tranchée.]

Le nouveau cadre pour évaluer si un délai est déraisonnable, énoncé dans l’arrêt Jordan, précité, a fixé des plafonds numériques au-delà desquels le délai est présumé déraisonnable : 18 mois dans le cas des affaires instruites devant une cour provinciale et 30 mois dans le cas des affaires instruites devant une cour supérieure ou des affaires instruites devant une cour provinciale au terme d’une enquête préliminaire (Jordan, précité, au paragraphe 49). Le plafond de 30 mois s’applique également si la personne accusée change d’avis et opte pour un procès devant une cour provinciale au terme d’une enquête préliminaire. (Jordan, précité, au paragraphe 49, note de bas de page 3).

Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins les délais imputables à la défense) dépasse le plafond, il est présumé déraisonnable (Jordan, précité, au paragraphe 47). Pour réfuter cette présomption, le ministère public doit établir la présence de circonstances exceptionnelles. Si le délai ne peut être attribuable à une circonstance exceptionnelle, il est déraisonnable et un arrêt des procédures doit suivre (Jordan, précité, aux paragraphes 76 et 80).

Si le délai total entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (moins le délai imputable à la défense et la période découlant de circonstances exceptionnelles) se situe en deçà du plafond présumé, il incombe à la personne accusée de démontrer le caractère déraisonnable du délai. Pour ce faire, elle doit prouver 1) qu’elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, et 2) que le procès a été nettement plus long qu’il aurait dû raisonnablement l’être (Jordan, précité, au paragraphe 48).

i) Calcul pour déterminer si un délai se situe au-dessus ou en deçà du plafond présumé

Le délai total est calculé entre le dépôt des accusations et la conclusion réelle ou anticipée du procès (Jordan, précité, au paragraphe 60). L’expression « conclusion du procès » n’a pas été expressément définie dans l’arrêt Jordan, mais la Cour suprême a ultérieurement précisé qu’elle faisait référence à la fin de la présentation de la preuve et des plaidoiries dans le cadre du procès, et non à la date où le verdict est rendu, à la conclusion des requêtes postérieures au procès ou à la date de détermination de la peine (K.G.K., précité, au paragraphe 33). Une fois qu’a été établi le délai entre la date de dépôt des accusations et la fin de l’exposé de la preuve et des plaidoiries, il faut en soustraire le délai imputable à la personne accusée (Jordan, précité, au paragraphe 60).

Les délais suivants sont imputables à la personne accusée :

  1. Le délai que la personne accusée renonce implicitement ou explicitement à invoquer. Pour être valide, la renonciation doit être claire et sans équivoque et la personne accusée doit avoir pleinement connaissance de ses droits et de l’effet que la renonciation aura sur elle (Cody, précité, au paragraphe 27; Jordan, précité, au paragraphe 61; J.F., précité, au paragraphe 47). La renonciation, pour être claire, n’a pas à être verbalisée (R. c. Rice, 2018 QCCA 198, au paragraphe 161). La renonciation ne peut être inférée seulement à partir du silence ou du défaut d’agir ou de la présentation tardive d’une requête en arrêt des procédures fondée sur l’alinéa 11b), même si ces facteurs peuvent être pertinents dans l’analyse de la renonciation (R. c. J.F., précité, aux paragraphes 44, 47, 49 et 52). La personne accusée doit avoir fait « un acte exprès dont on peut déduire l’acquiescement au délai » (R. c. J.F., précité, au paragraphe 48, citant Askov, précité, à la page 1229). Selon la jurisprudence précédant l’arrêt Jordan, le silence de la personne accusée en réaction aux remarques faites par le ministère public au sujet du délai ne devrait pas être interprété comme une renonciation (R. c. Smith, [1989] 2 RCS 1120 à la page 1136; R. v. Williamson (2000), 144 C.C.C. (3d) 540 au paragraphe 18 (C.A. Ont.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée 147 C.C.C. (3d) vi). En revanche, si, à une conférence préparatoire, la personne accusée accepte une date ultérieure pour le procès sans soulever la question d’une contestation fondée sur l’alinéa 11b) devant le ou la juge, il s’agira alors d’une renonciation (R. v. Sapara, [2001] 227 A.R. 357 (C.A. Alb.), autorisation de pourvoi à la CSC refusée 293 A.R. 291n). Selon la jurisprudence postérieure à l’arrêt Jordan, consentir à une date de procès sans exprimer de préoccupations quant au délai peut, mais pas nécessairement, constituer une renonciation (voir R. v. Warring, 2017 ABCA 128, au paragraphe 17, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2017] C.S.C.R. no 224, où il a été conclu qu’il s’agissait d’une renonciation; voir aussi R. v. Regan, 2018 ABCA 55, aux paragraphes 82‑83, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2018] C.S.C.R. No. 102, où il n’en était pas une).

    OU

  2. Le délai qui résulte uniquement de la conduite de la défense. Le seul délai imputable à la défense qui puisse être déduit dans le cadre de ce volet est donc un délai qui : i) est uniquement ou directement causé par la personne accusée, par exemple si le tribunal et le ministère public sont prêts à procéder, mais pas la défense (Jordan, précité, aux paragraphes 63‑64; voir également R. v. Albinowski, 2018 ONCA 1084); et ii) découle d’une mesure prise illégitimement par la défense dans la mesure où elle ne vise pas à répondre aux accusations (Cody, précité, au paragraphe 30). L’illégitimité ne se limite pas qu’aux actions (notamment les demandes frivoles – voir Jordan, précité, au paragraphe 63), mais peut aussi s’étendre à l’inaction et aux omissions de la défense (Cody, précité, au paragraphe 33; Jordan, précité, au paragraphe 113) puisque l’avocat ou l’avocate de la défense doit « faire valoir activement les droits de son client à un procès tenu dans un délai raisonnable, collaborer avec l’avocat du ministère public lorsque cela sera indiqué et […] utiliser de façon efficace le temps du tribunal » (Cody, précité, au paragraphe 33, citant Jordan, précité, au paragraphe 138; Rice, précité, au paragraphe 58; R. v. Mallozzi, 2017 ONCA 644, au paragraphe 31, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, 37775 (12 avril 2018)).

    Pour déterminer si la conduite de la défense est légitime, le tribunal examinera autant le fond que la procédure (Cody, précité, au paragraphe 32). Autrement dit, la décision de prendre une mesure, ainsi que la manière dont celle-ci est exécutée, sont toutes deux susceptibles d’examen (Cody, précité, au paragraphe 32). Ce faisant, la cour peut prendre en considération les circonstances entourant l’action ou la conduite, dont le nombre total des demandes présentées par la défense, leur solidité, leur importance, la proximité des plafonds établis dans Jordan, le respect de toutes les exigences en matière de préavis ou de dépôt et la présentation de ces demandes dans les délais impartis (Cody, précité, au paragraphe 32). Indépendamment de son bien-fondé, une action de la défense peut être considérée comme illégitime dans le contexte d’une demande fondée sur l’alinéa 11b) si elle vise à retarder l’instance ou encore si elle témoigne d’une inefficacité ou indifférence marquées à l’égard des délais (Cody, précité, au paragraphe 32). Il n’est pas nécessaire que la conduite de l’avocat ou l’avocate de la défense équivaille à une faute professionnelle ou éthique pour être illégitime dans le cadre du calcul du délai imputable à la défense (Cody, précité, au paragraphe 35). La Cour suprême a aussi fait remarquer que la détermination de la légitimité de la conduite de la défense ne participe « aucunement d’une science exacte ». Cependant, elle constitue une question que les juges de première instance sont particulièrement bien placés pour trancher (Cody, précité, au paragraphe 31; Jordan, précité, au paragraphe 65), en fonction de la preuve et des observations des parties (Rice, précité, au paragraphe 67).

    La Cour suprême a souligné que la liste de ce qui constitue un délai « causé uniquement ou directement par l’accusé » n’est pas exhaustive et le ou la « juge du procès peut évidemment conclure que d’autres mesures ou actes de la défense ont causé le délai » justifiant une déduction (Cody, précité, au paragraphe 30; Jordan, précité, au paragraphe 64).

Il a été précisé dans l’arrêt Jordan que les mesures prises légitimement par la défense afin de répondre aux accusations portées contre elle ne constituent pas un délai qui lui est imputable (Jordan, précité, au paragraphe 65; Godin, précité, au paragraphe 11; Morin, précité, aux pages 793‑794). Le droit de la personne accusée de présenter une défense pleine et entière exige que la défense se voie allouer du temps pour préparer et présenter sa preuve (Cody, précité, aux paragraphes 29 et 34). Cette déduction vise à éviter que la défense puisse tirer avantage de « sa propre action ou de sa propre inaction » (Jordan, précité, au paragraphe 113).

Le temps dont la défense a besoin pour se préparer peut inclure le temps nécessaire pour retenir les services d’un ou d’une avocate (Regan, précité, au paragraphe 61) et le temps pour qu’un nouvel avocat ou une nouvelle avocate puisse se préparer (R. c. Guimont, 2017 QCCA 1754, au paragraphe 50). Cela dit, le droit à l’avocat ou l’avocate de son choix n’est pas absolu (Rice, précité, au paragraphe 74). Dans au moins un arrêt postérieur à l’arrêt Jordan, la cour a considéré une partie du temps passé à retenir les services d’un nouvel avocat comme un délai imputable à la défense (voir R. v. Gordon, 2017 ONCA 436, au paragraphe 7). Cependant, lorsque le délai était attribuable au fait que la personne accusée avait présenté une demande d’aide juridique et qu’elle l’avait présentée de nouveau après avoir demandé une ordonnance de type Rowbotham, un tribunal a conclu, après la publication de l’arrêt Jordan, que cela constituait bel et bien un délai institutionnel (D.M.S. v. R., 2016 NBCA 71, au paragraphe 24).

Pour calculer le délai imputable à la défense dans des affaires concernant des accusés conjoints, les cours d’appels ont conclu que le délai demandé par une personne accusée ne devrait pas être imputé à tous les accusés. Dans de tels cas, il faut adopter une approche individualisée à l’égard de l’attribution du délai causé par la défense (R. v. Gopie, 2017 ONCA 728, au paragraphe 128; voir aussi R. v. Manasseri, 2016 ONCA 703, au paragraphe 329, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2016] C.S.C.R. No. 513). La Cour suprême ne s’est pas encore prononcée sur l’approche qu’il convient de suivre pour évaluer les délais imputables à la défense dans les affaires concernant plusieurs accusés, notamment les questions suivantes : «  Est-ce qu’il faut — et dans l’affirmative, dans quelles circonstances — traiter de multiples accusés collectivement, plutôt qu’individuellement, dans l’appréciation des délais imputables à la défense au regard de l’alinéa 11b)? »; « Est-ce que des événements distincts au sens de l’arrêt Jordan, qui sont attribuables à un accusé en particulier, doivent entraîner des déductions uniquement à l’égard de l’accusé responsable de ces événements ou également à l’égard des autres coaccusés collectivement? » (R. c. Yusuf, 2021 CSC 22, au paragraphe 4).

Selon la jurisprudence précédant l’arrêt Jordan, bien que le ministère public ait le lourd fardeau de communiquer la preuve en temps opportun (R. c. Collins (M.E.), [1995] 2 RCS 1104), il incombe en partie aux avocats ou avocates de la défense de faire preuve de diligence raisonnable lorsqu’ils cherchent à l’obtenir (R. v. Sanghera, 2014 BCCA 249, au paragraphe 118, pourvoi confirmé [2015] 1 RCS 691; D.M.S. v. R., précité, au paragraphe 27). Selon la jurisprudence postérieure à l’arrêt Jordan, la communication tardive de la preuve par la Couronne, qui a amené la défense à demander un ajournement, n’est pas imputable à la défense (R. v. Pyrek, 2017 ONCA 476, au paragraphe 22; R. v. D.A., 2018 ONCA 96, aux paragraphes 21‑22).

ii) Lorsque le plafond présumé est dépassé

Lorsque le délai total (moins celui attribuable à la défense) excède le plafond présumé, cela est présumé déraisonnable. Toutefois, le ministère public peut réfuter cette présomption en démontrant que le délai est raisonnable vu l’existence de circonstances exceptionnelles (Jordan, précité, au paragraphe 68).

Les circonstances exceptionnelles sont celles qui sont indépendantes de la volonté du ministère public, c’est-à-dire a) qu’elles sont raisonnablement imprévues ou raisonnablement inévitables, et b) que l’avocat ou l’avocate du ministère public ne peut raisonnablement remédier aux délais lorsqu’ils surviennent (Jordan, précité, au paragraphe 69).

Bien que la détermination de la question de savoir si les circonstances sont « exceptionnelles » dépendra en fin de compte du bon sens et de l’expérience du juge ou de la juge du procès, elles relèvent habituellement de l’une des deux catégories suivantes :

  1. Événements distincts. Les circonstances ou événements exceptionnels distincts sont ceux qui i) sont raisonnablement imprévisibles ou inévitables, et qui ii) ne pouvaient pas raisonnablement être réduits par le ministère public ou le système judiciaire (Cody, précité, au paragraphe 48; Jordan, précité, aux paragraphes 73 et 75). Les événements distincts donnent lieu à la déduction quantitative de certaines périodes du délai net (Cody, précité, au paragraphe 48).

    Le premier volet du critère requiert que l’événement en cause ait été raisonnablement imprévisible ou raisonnablement inévitable – il n’impose pas au ministère public le respect d’une norme de perfection (Cody, précité, au paragraphe 58). Ces événements peuvent aussi bien comprendre des urgences médicales et familiales (MacDougall, précité; R. v. Coulter, 2016 ONCA 704, aux paragraphes 81‑82) que des événements imprévisibles ou inévitables qui peuvent faire mal tourner une affaire, comme lorsque la partie plaignante se rétracte de manière inattendue pendant son témoignage. Cette catégorie peut également comprendre les oublis et erreurs involontaires, ainsi que les circonstances dans lesquelles le procès a été plus long que ce à quoi on pouvait raisonnablement s’attendre malgré des efforts de bonne foi pour établir des estimations de temps réalistes (voir, par exemple, R. v. Antic, 2019 ONCA 160, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2019] C.S.C.R. no 128). Ce dernier exemple exige que les juges soient conscients des difficultés pratiques d’un procès pour déterminer si ce temps devrait être soustrait de la durée totale du délai (Cody, précité, au paragraphe 58; Jordan, précité, aux paragraphes 72‑75). Un délai qui résulte des limites systémiques de l’appareil judiciaire (notamment quand le ministère public et la défense sont prêts à procéder, mais que le tribunal n’est pas en mesure de les entendre) ne constitue pas un événement distinct et ne devrait pas être déduit (Cody, précité, au paragraphe 55; Jordan, précité, au paragraphe 81). De plus, le délai imputable à l’enquête préliminaire ne peut pas être considéré comme un événement distinct et exceptionnel, puisque la durée de cette enquête n’est pas une circonstance indépendante de la volonté du ministère public, selon le sens entendu dans l’arrêt Jordan (R. cThanabalasingham, 2020 CSC 18, au paragraphe 5).

    Quand un événement distinct est raisonnablement imprévisible, il incombe au ministère public d’agir sur-le-champ pour régler le différend. S’il n’est pas en mesure de le faire, cette période ne sera pas déduite (Cody, précité, au paragraphe 52). Cela dit, le deuxième volet du critère se rapporte à la raisonnabilité : pour satisfaire à l’obligation de diligence raisonnable, le ministère public n’a pas à épuiser toutes les solutions imaginables en vue de remédier à l’événement en question (Cody, précité, au paragraphe 54).

  2. Affaires particulièrement complexes. Cette catégorie vise à tenir compte des affaires particulièrement complexes qui, eu égard à la nature de la preuve ou des questions soulevées, exigent un procès ou une période de préparation d’une durée exceptionnelle, si bien que le délai est justifié (Cody, précité, au paragraphe 64; Jordan, précité, aux paragraphes 77 et 80). Cela pourrait comprendre des affaires mettant en cause des questions de droit inédites ou complexes, plusieurs coaccusés (voir, par exemple, R. c. Vassell, [2016] 1 RCS 625, au paragraphe 6; R. v. Singh, 2016 BCCA 427, aux paragraphes 87 et 89; R. v. Bulhosen, 2019 ONCA 600, aux paragraphes 78‑79, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2019] C.S.C.R. no 423), ou un grand nombre de témoins (Jordan, précité, au paragraphe 77; Bulhosen, précité). La complexité d’une affaire ne se limite pas à la complexité du procès, mais peut aussi comprendre la complexité de la préparation nécessaire, notamment lorsqu’il y a une enquête policière poussée (R. v. Picard, 2017 ONCA 692, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2018] C.S.C.R. no 135). Avant l’arrêt Jordan, les affaires qui ont été reconnues comme étant particulièrement complexes comprenaient des actes d’accusation contenant plusieurs chefs d’accusation relatifs aux drogues assortis de nombreuses contestations fondées sur la Charte (R. v. Fehr, 2004 BCCA 53, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2004] C.S.C.R. No 136); des demandes de déclaration de délinquant dangereux et de déclaration de délinquant à contrôler (R. v. Vincent (2003), 114 C.R.R. (2d) 163 (C.S.J. Ont.)), et des procédures d’extradition lorsqu’il faut faire venir une personne accusée au Canada (R. v. MacIntosh, 2011 NSCA 111, aux paragraphes 69 et 106, confirmé [2013] 1 RCS 200).

    Contrairement aux délais imputables à la défense et aux événements distincts, la question de la complexité d’une affaire requiert une appréciation qualitative plutôt que quantitative. La complexité ne constitue une circonstance exceptionnelle que dans les cas où l’affaire dans son ensemble est particulièrement complexe. Elle ne peut être utilisée pour déduire des portions précises du délai. Au contraire, une fois effectuées toutes les déductions d’ordre quantitatif applicables, si le délai net continue d’excéder le plafond présumé, il est alors possible d’invoquer la complexité de l’affaire dans son ensemble pour justifier sa durée et réfuter la présomption que le délai était déraisonnable (Cody, précité, au paragraphe 64; Jordan, précité, au paragraphe 80). Le délai causé par une seule étape isolée présentant des aspects complexes ne devrait pas être déduit (Cody, précité, au paragraphe 65).

    La Cour suprême a précisé qu’une période qui a déjà été déduite en tant que délai imputable à la défense ou événement distinct ne doit pas être prise en considération dans l’appréciation de la complexité de l’affaire et ainsi être comptée deux fois (Cody, précité, au paragraphe 64, note en bas de page 2).

Pour ces deux catégories de circonstances exceptionnelles, il incombe au ministère public de démontrer qu’il a pris des mesures raisonnables pour éviter et régler les problèmes avant que le délai maximal applicable — le plafond — soit dépassé, même si ces mesures ont échoué en fin de compte. Le ministère public ne peut se contenter d’invoquer une difficulté passée ou de critiquer les délais institutionnels chroniques. Dans les affaires complexes, il faut notamment déterminer si le ministère public a établi et suivi un plan concret pour réduire au minimum les retards occasionnés par une telle complexité (Jordan, précité, aux paragraphes 70 et 79; R. c. Auclair, [2014] 1 RCS 83, au paragraphe 2; Bulhosen, précité, aux paragraphes 80‑84). Lorsque le ministère public a pris des mesures raisonnables pour éviter et traiter les délais : ce qui compte, c’est l’effort et l’initiative, et non le succès (Bulhosen, précité, au paragraphe 83).

Lorsque le ministère public décide de poursuivre conjointement deux accusés ou plus, il doit rester vigilant pour s’assurer que sa décision ne compromet pas les droits reconnus aux accusés par l’alinéa 11b) (Vassell, précité, au paragraphe 5). Dans certains cas, le ministère public pourrait devoir disjoindre les procédures afin de faire valoir les droits garantis à l’une des personnes accusées par l’alinéa 11b) (Vassell, précité, au paragraphe 10; R. v. Manasseri, 2016 ONCA 703, au paragraphe 323, examiné dans le contexte d’une affaire assujettie aux réserves transitoires énoncées dans l’arrêt Jordan).

Si le délai ne peut être attribuable à une circonstance exceptionnelle, il est déraisonnable et un arrêt des procédures doit suivre (Jordan, précité, aux paragraphes 76 et 80).

iii) Lorsque le plafond n’a pas encore été atteint

Lorsque le plafond présumé n’a pas encore été atteint, un tribunal peut toutefois conclure que le délai dans un cas particulier était déraisonnable. En pareil cas, il incombe à la personne accusée d’établir deux choses :

  1. Elle a pris des mesures utiles qui font la preuve d’un effort soutenu pour accélérer l’instance, compte tenu de ce qu’elle aurait pu faire et de ce qu’elle a effectivement fait pour que la cause soit entendue le plus rapidement possible. Pour satisfaire à ce critère, la personne accusée doit démontrer qu’elle ne s’est pas contentée de faire des efforts symboliques pour accélérer l’instance. Il pourrait s’agir d’essayer d’obtenir les dates les plus rapprochées possible pour la tenue de l’audience, de collaborer avec le ministère public et le tribunal et de répondre à leurs efforts et d’aviser le ministère public en temps opportun que le délai commence à poser problème. Pour prendre cette décision, le ou la juge du procès ne doit pas évaluer si chacune des décisions de la personne accusée a été prise à la perfection, mais plutôt si elle a agi raisonnablement (Jordan, précité, aux paragraphes 84‑85).

    ET

  2. Le procès a été nettement plus long que ce qu’il aurait dû raisonnablement être. Ce type d’évaluation exigera des juges qu’ils tiennent compte d’une panoplie de facteurs, y compris la complexité du dossier, la question de savoir si le ministère public a pris des mesures raisonnables pour accélérer l’instance, les considérations de nature locale, comme le temps que prend généralement un procès du type de celui dont ils sont saisis pour arriver à procès eu égard aux circonstances locales et systémiques, et, le cas échéant, la jeunesse de la personne accusée. Cette évaluation n’est pas fondée sur des calculs précis ou de menus détails, mais il s’agit plutôt d’un examen de l’affaire dans son ensemble (Jordan, précité, aux paragraphes 87‑90; K.J.M., précité, au paragraphe 4).

Lorsque la personne accusée n’est pas en mesure d’établir ces deux critères, la demande fondée sur l’alinéa 11b) doit être rejetée (Jordan, précité, au paragraphe 82). Dans les affaires impliquant de jeunes contrevenants, la Cour suprême a établi que la nécessité accrue de traiter rapidement les affaires mettant en cause des adolescents doit être prise en compte pour déterminer si un délai inférieur au plafond présumé est déraisonnable, et plus particulièrement pour évaluer le deuxième volet du critère – à savoir si le procès a été nettement plus long qu’il aurait raisonnablement dû l’être (K.J.M., précité, aux paragraphes 4 et 68). Dans le contexte d’un deuxième procès, les deux facteurs suivants sont pertinents dans l’évaluation du caractère raisonnable des délais d’un deuxième procès lorsqu’ils sont inférieurs aux plafonds présumés : 1) la nécessité de prioriser la tenue des deuxièmes procès lors de l’établissement du calendrier des audiences ; et 2) la règle générale selon laquelle les délais liés au nouveau procès doivent être plus courts que ceux liés au premier (R. c. J.F., précité, aux paragraphes 69-71). Tous, et plus particulièrement le ministère public, doivent s’assurer que la tenue du nouveau procès est priorisée lors de l’établissement des dates de procès et que les délais liés au deuxième procès sont aussi courts que possible (R. c. J.F., précité, au paragraphe 72).

iv) Affaires déjà en cours

Dans l’arrêt Jordan, il est précisé que le nouveau cadre d’analyse s’applique aux affaires déjà en cours à la date de la décision (8 juillet 2016) (Cody, précité, au paragraphe 25; Jordan, précité, au paragraphe 95; R. c. Williamson, [2016] 1 RCS 741). Toutefois, ces affaires sont assujetties à deux réserves qui permettent aux tribunaux d’exercer un certain pouvoir discrétionnaire et de faire en sorte qu’une affaire se poursuive alors que le plafond a déjà été atteint ou qu’il y ait un arrêt des procédures lorsque le plafond n’a pas encore été atteint (Jordan, précité, au paragraphe 95). Il est possible de tenir compte de ces considérations d’ordre transitoire, comme troisième forme de circonstances exceptionnelles (Cody, précité, au paragraphe 46; Jordan, précité, aux paragraphes 94‑98). Il devrait s’agir de la dernière étape de l’analyse et on ne devrait y recourir que dans les cas où, comme en l’espèce, la déduction de périodes liées à des événements distincts ne réduit pas le délai sous le plafond présumé, et où un délai supérieur au plafond ne peut être justifié sur la base de la complexité de l’affaire (Cody, précité, au paragraphe 67).

Pour déterminer si le délai est déraisonnable dans ces cas transitoires, le ou la juge du procès doit appliquer le nouveau cadre d’analyse avec souplesse et selon le contexte, tout en étant sensible au fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant (Jordan, précité, au paragraphe 94). Tout comme le critère de la complexité de l’affaire, l’application de la mesure transitoire exceptionnelle implique une appréciation qualitative (Cody, précité, au paragraphe 68).

Dans les cas où le délai excède le plafond, la mesure exceptionnelle transitoire s’applique lorsque le ministère public convainc le tribunal que le temps qu’il a fallu pour instruire l’affaire est justifié suivant le cadre d’analyse applicable auparavant sur lequel se sont raisonnablement fondées les parties (Cody, précité, au paragraphe 68; Williamson, précité, au paragraphe 24; Béliveau c. R., 2016 QCCA 1549). Cela suppose qu’il faille procéder à un examen contextuel, eu égard à la manière dont l’ancien cadre a été appliqué et au fait que la conduite des parties ne peut être jugée rigoureusement en fonction d’une norme dont ils n’avaient pas connaissance.

Alors que certains facteurs ne sont plus expressément pris en considération dans le nouveau cadre établi dans l’arrêt Jordan, pour les causes en cours d’instance, les facteurs pris en considération dans l’ancien cadre, y compris le préjudice subi et la gravité de l’infraction, peuvent aider à déterminer si les parties se sont raisonnablement fondées sur l’état antérieur du droit (Thanabalasingham, précité, au paragraphe 8; Jordan, précité, au paragraphe 96; Williamson, précité, au paragraphe 30; M.G. c. R., 2019 QCCA 1170, aux paragraphes 102‑103; Dupuis c. R., 2016 QCCA 1930, au paragraphe 32, autorisation de pourvoi à la CSC refusée, [2016] C.S.C.R. no 539; Béliveau c. R., précité, aux paragraphes 129‑131; voir également Williamson, précité, aux paragraphes 33‑37, ainsi que Cody, précité, au paragraphe 70, pour des observations sur les difficultés qui découlent de l’examen de la gravité de l’infraction en tant que facteur analytique). De plus, les juges des procès devraient tenir compte du haut degré de tolérance pour les délais institutionnels dans certaines localités en particulier (Jordan, précité, aux paragraphes 97 et 100‑102). Le délai institutionnel commence lorsque les parties sont prêtes pour le procès, mais que le système ne peut leur permettre de procéder (Morin, précité).

Lorsque le délai se situe en deçà du plafond, les juges des procès n’exigeront pas de la personne accusée qu’elle démontre qu’elle a pris des initiatives pour accélérer les choses, étant donné que cela n’était pas exigé selon le cadre établi dans l’arrêt Morin. Les tribunaux doivent appliquer les deux critères — soit celui relatif à l’initiative dont a fait preuve la personne accusée et celui de la question de savoir si le temps qu’a mis la cause pour être entendue a excédé de manière manifeste le temps qui était raisonnablement requis — en fonction du contexte et du fait que les parties se sont fiées à l’état du droit qui prévalait auparavant (Jordan, précité, au paragraphe 99). Dans ces cas, bien que la personne accusée ne soit pas tenue de démontrer qu’elle a pris des initiatives pour accélérer les choses, toute mesure qu’elle aurait prise l’aidera à démontrer que le délai excède de manière manifeste ce qui était raisonnablement nécessaire (Jordan, précité, au paragraphe 99). Le délai institutionnel raisonnablement acceptable dans le ressort en cause selon le cadre d’analyse qui prévalait auparavant sera également considéré comme étant un des éléments du délai raisonnable nécessaire (Jordan, précité, au paragraphe 100).

En formulant ces réserves transitoires, la Cour suprême a souligné que, en règle générale, son jugement ne devrait pas transformer automatiquement en un délai déraisonnable ce qui aurait antérieurement été considéré comme un délai raisonnable, reconnaissant qu’il faut du temps pour changer les choses (Jordan, précité, au paragraphe 102). Par ces mesures, on tente plutôt d’établir un équilibre entre le fait d’accorder en bloc des arrêts de procédures uniquement parce qu’il existe présentement des problèmes de délais institutionnels et celui de suspendre les droits des personnes accusées protégés par l’alinéa 11b) pendant que le système cherche à s’adapter au nouveau cadre d’analyse.

S’agissant de l’application de la mesure transitoire exceptionnelle, la Cour suprême a fait remarquer que les juges de première instance doivent garder à l’esprit les portions de l’instance qui se sont déroulées, selon le cas, avant ou après l’arrêt Jordan. Pour ce qui est des aspects de l’affaire survenus avant Jordan, comme il en a été question précédemment, il importe de s’attacher aux facteurs qui étaient pertinents pour l’application du cadre établi dans Morin, y compris la gravité de l’infraction et le préjudice subi. Pour la partie du délai qui s’écoule après le prononcé de Jordan, il faut plutôt s’attacher à la question de savoir si les parties et les tribunaux ont disposé de suffisamment de temps pour s’adapter (Cody, précité, au paragraphe 71, citant Jordan, précité, au paragraphe 96, R. c. Hanan, 2023 CSC 12, au paragraphe 6).

6. Procédure et recours

i) Procédure

Une demande présentée en vertu du paragraphe 24(1) de la Charte enclenche une enquête sur le caractère raisonnable du délai (Morin, précité). La demande doit normalement être présentée au tribunal de première instance, bien qu’un tribunal supérieur puisse l’entendre également (R. c. Smith, précité), notamment si le tribunal inférieur est lui-même en cause dans le délai (R. c. Rahey, [1987] 1 RCS 588). Lorsque le plafond est dépassé, une analyse fondée sur l’alinéa 11b) n’est déclenchée que lorsque le ministère public entend invoquer des circonstances exceptionnelles (Jordan, précité, au paragraphe 111).

La demande peut être présentée avant ou pendant le procès. Une violation de ce droit ne peut généralement pas être soulevée pour la première fois lors d’un appel, à moins de circonstances exceptionnelles (R. c. J.F., précité, aux paragraphes 37 et 42; R. v. Neidig, 2018 BCCA 485, au paragraphe 112; R. v. S.C.W., précité, au paragraphe 27; R. v. Mason, 2003 NSCA 139, au paragraphe 12; R. v. Rabba (1991) 3 OR (3d) 238 (C.A. Ont.) (juge Arbour, tel était alors son titre)).

ii) Recours

La suspension d’instance est la réparation minimale pour une violation de ce droit, car le tribunal n’a plus compétence pour procéder (Rahey, précité; voir également Jordan, précité, aux paragraphes 76 et 114). Le délai excessif qui ne dépasse pas les limites acceptables selon la Constitution peut constituer un facteur atténuant lors de la détermination de la peine (R. v. Bosley, [1992] O.J. No. 2656 (C.A. Ont.)). Selon la Cour d’appel de l’Ontario, lorsqu’il est établi que le délai de détermination de la peine contrevient à l’alinéa 11b), la mesure à prendre pour y remédier doit s’appliquer à la peine et non à la déclaration de culpabilité, puisque la suspension d’une déclaration de culpabilité serait susceptible de déconsidérer l’administration de la justice (Hartling, précité, au paragraphe 114). Par conséquent, dans le cas des délais postérieurs à la déclaration de culpabilité, la Cour a conclu que la bonne mesure à prendre consiste à atténuer davantage la peine, alors que la suspension de la déclaration de culpabilité conviendrait seulement aux cas où l’infraction à l’alinéa 11b) aurait eu lieu avant la déclaration de culpabilité (Hartling, précité, aux paragraphes 111‑122 ; Adu-Bekoe, précité, au paragraphe 4). La Cour suprême a établi que la question de savoir si une demande fondée sur l’alinéa 11b) peut être présentée après la déclaration de culpabilité et, dans l’affirmative, si une réparation autre que l’arrêt des procédures peut être accordée, devra être examinée à une autre occasion.

Le contenu est à jour jusqu’au 2023-07-31.