Projet de loi C-34 : Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada

Projet de loi C-34 : Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada

Déposé à la Chambre des communes le 10 février 2023

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justiceexige que le ministre de la Justice prépare un énoncé concernant la Charte pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire sur un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin de vérifier s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés [« la Charte »]. Par le dépôt d’un énoncé concernant la Charte, le ministre fait état de certaines des principales considérations qui ont été prises en compte lors de l’examen visant à vérifier si le projet de loi est incompatible avec la Charte. L’énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte qui sont susceptibles d’être touchés par le projet de loi et explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

L’énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les limites que le projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leur justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

L’énoncé concernant la Charte vise à fournir des renseignements juridiques au public et au Parlement quant aux effets possibles du projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations relatives à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification du projet de loi. L’énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité du projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C‑34, Loi modifiant la Loi sur Investissement Canada, afin de vérifier s’il est incompatible avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons dont le projet de loi C‑34 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire sur le projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte aux fins d’un énoncé concernant la Charte.

Règles de protection des renseignements dans le cadre des contrôles judiciaires

Le projet de loi instituerait une procédure de protection des renseignements dans le cadre du contrôle judiciaire des décisions, des décrets et des arrêtés pris en vertu de la partie IV.1 de la Loi sur Investissement Canada (la Loi), qui concerne l’examen des investissements portant atteinte à la sécurité nationale. Il s’agit d’un cadre qui s’apparente à ceux qui existent dans plusieurs autres régimes législatifs. Le projet de loi obligerait le juge à tenir, à la demande du ministre, une audience à huis clos et en l’absence du demandeur et de son avocat pour entendre les observations sur les éléments de preuve ou autres renseignements, dans le cas où la communication de ces éléments de preuve ou renseignements pourrait porter atteinte, selon lui, aux relations internationales, à la défense nationale, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Le projet de loi obligerait le juge à garantir la confidentialité des renseignements de nature délicate dont la communication porterait atteinte aux relations internationales, à la défense nationale, à la sécurité nationale ou à la sécurité d’autrui. Bien que ces renseignements ne puissent pas être communiqués, le juge serait tenu de veiller à ce que soit fourni au demandeur un résumé des éléments de preuve ou autres renseignements qui permet au demandeur d’être suffisamment informé de la thèse du gouvernement.

Liberté d’expression (alinéa 2b))

L’alinéa 2b) de la Charte prévoit que chacun a la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression, y compris la liberté de la presse et des autres moyens de communication, ce qui comprend le « principe de la publicité des débats judiciaires », qui reconnaît aux membres du public le droit de recevoir de l’information sur les procédures judiciaires. Étant donné que le projet de loi prévoit que le juge peut, dans certaines circonstances, recevoir des éléments de preuve et des renseignements dans le cadre d’une audience tenue à huis clos et en l’absence du demandeur, il pourrait faire intervenir l’alinéa 2b) de la Charte.

Les considérations suivantes appuient la compatibilité de cet aspect du projet de loi avec la Charte. À l’instar des autres droits garantis par la Charte, le principe de la publicité des débats judiciaires n’est pas absolu et peut être limité pour réaliser des objectifs urgents. La protection des renseignements de nature délicate contre toute communication est un intérêt de l’État important et reconnu. Le pouvoir projeté d’exiger une audience à huis clos ne s’applique que dans des circonstances où le juge est d’avis que la communication des éléments de preuve ou autres renseignements pourrait donner lieu aux atteintes précisées. Le reste de l’instance se tiendrait en présence du public et du demandeur. Le résumé fourni au demandeur, comme l’exige le projet de loi, ferait également partie du dossier judiciaire public. Il incomberait au juge de déterminer si la communication des éléments de preuve ou autres renseignements donnerait lieu aux atteintes précisées et de veiller à ce qu’un résumé suffisant soit fourni.

Communication de renseignements aux organismes d’application de la loi

Le projet de loi édicterait de nouveau, avec modifications, la disposition existante qui permet au ministre de communiquer, à certains organismes d’enquête, des renseignements par ailleurs confidentiels recueillis dans le cadre de l’application de la Loi. À l’heure actuelle, cette disposition permet au ministre de communiquer ces renseignements à un organisme d’enquête, pour l’application de la partie IV.1 de la Loi (qui concerne l’examen des investissements portant atteinte à la sécurité nationale), dans le cadre de toute enquête licite menée par l’organisme qui les reçoit. Elle permet également à l’organisme d’enquête de communiquer ces renseignements dans le cadre de sa propre enquête licite. Le projet de loi permettrait également au ministre de communiquer des renseignements par ailleurs confidentiels au gouvernement de tout État étranger ou à tout organisme de celui‑ci qui est responsable de l’examen des investissements étrangers aux fins d’examen des investissements relativement à la sécurité nationale. La communication de renseignements commerciaux pourrait porter atteinte à l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée et pourrait donc faire intervenir l’article 8 de la Charte.

Droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies abusives (article 8 de la Charte)

L’article 8 de la Charte prévoit la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives ». L’objet de l’article 8 est de protéger l’individu contre une intrusion abusive de l’État lorsqu’il existe une attente raisonnable en matière de respect de la vie privée. La fouille, la perquisition ou la saisie qui porte atteinte à l’attente raisonnable en matière de respect de la vie privée ne sera pas abusive si elle est autorisée par une loi, si la loi elle‑même n’est pas abusive (en ce sens qu’elle établit un juste équilibre entre les droits à la vie privée et l’intérêt de l’État) et si elle n’a pas été effectuée d’une manière abusive. L’appréciation du caractère non abusif de la loi repose sur un critère souple qui tient compte de la nature et de l’objet du régime législatif et de la nature du droit à la vie privée touché.

Les considérations suivantes appuient la compatibilité de ces dispositions avec l’article 8. La communication de renseignements à un organisme d’enquête national est compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis, c’est‑à‑dire pour faciliter l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale dans le cadre de toute enquête licite menée par l’organisme. La communication de renseignements par l’organisme d’enquête dans le cadre de sa propre enquête licite serait, à l’instar des autres communications de renseignements effectuées dans le cadre de toute enquête licite, effectuée conformément aux pouvoirs de cet organisme, compte tenu des contraintes imposées par la loi, la common law ou la Charte. La communication à un organisme étranger responsable de l’examen des investissements étrangers est nécessaire pour assurer la réciprocité, qui permet de réaliser l’objet de la Loi en facilitant la communication de renseignements par les organismes étrangers à l’appui d’examens effectués par le ministre relativement à la sécurité nationale. Ce type de communication pourrait également être compatible avec les fins auxquelles les renseignements ont été recueillis dans le cas où la communication est effectuée pour faciliter l’examen des investissements relativement à la sécurité nationale. Enfin, il s’agit de pouvoirs qui sont tous discrétionnaires et qui devraient être exercés conformément à l’article 8 de la Charte.