Projet de loi C-38 : Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes)
Déposé à la Chambre des communes le 9 février 2017
Note explicative
La ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » (Énoncé) afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet des projets de loi d’initiative gouvernementale. Une des responsabilités les plus importantes de la ministre de la Justice consiste à examiner les projets de loi afin d’évaluer leur conformité avec la Charte canadienne des droits et libertés [la Charte]. Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, la Ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen de la conformité d’un projet de loi avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte qui sont susceptibles d’être touchés par le projet de loi, et explique brièvement la nature de cet engagement au regard des mesures proposées.
L’Énoncé présente également les raisons pouvant justifier les restrictions que le projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés protégés par la Charte. L’article premier prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits ou libertés protégés par la Charte. Il n’y a violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
L’Énoncé vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement. Il ne s’agit pas d’un exposé complet de toutes les considérations potentielles concernant la Charte, compte tenu du fait qu’un projet de loi peut faire l’objet de modifications au cours du processus parlementaire. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire. L’Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité du projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
La ministre de la Justice a examiné la conformité du projet de loi C-38, Loi modifiant la Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), avec la Charte, conformément à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et caractéristiques du projet de loi, notamment l’importance de promouvoir les valeurs qui sous-tendent la Charte - à savoir la dignité humaine, la liberté, la sécurité de la personne, le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités, et le droit d’un inculpé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable.
L’analyse non exhaustive qui suit concernant les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par le projet de loi, vise à éclairer le débat public et parlementaire.
Promouvoir les valeurs qui sous-tendent la Charte, notamment le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités (art. 12 de la Charte)
L’ancien projet de loi C-452, Loi modifiant le Code criminel (exploitation et traite de personnes), a été sanctionné en juin 2015, mais n’est pas encore entré en vigueur. Le projet de loi C-452 modifierait le Code criminel en édictant l’article 279.05, lequel exigerait que les tribunaux imposent des peines consécutives pour les infractions de traite de personnes et toute autre infraction connexe basée sur les mêmes faits, dont un grand nombre sont passibles de peines minimales obligatoires d’emprisonnement. La plupart des infractions de traite de personnes sont passibles de peines minimales obligatoires allant de un an à six ans. Puisque les peines minimales obligatoires sont susceptibles de limiter de manière injustifiable le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels ou inusités, garanti par l’article 12 de la Charte, et que l’exigence relative à l’imposition de peines consécutives vient ajouter à cette préoccupation, le projet de C-38 permettrait de faire entrer en vigueur l’ensemble du projet de loi C-452, à l’exception de la disposition sur les peines consécutives obligatoires.
Plus précisément, l’article 279.05 risque d’être jugé comme étant une restriction injustifiable au droit protégé par l’article 12 de la Charte. Les tribunaux ont statué que le droit à la protection contre tous traitements ou peines cruels et inusités vise à empêcher l’imposition de peines exagérément disproportionnées. Même si, de façon générale, les peines infligées pour des infractions basées sur les mêmes faits sont purgées de façon concurrente, l’article 279.05 exigerait que de telles peines soient purgées de façon consécutive, lorsque la personne est condamnée en même temps pour une infraction de traite de personnes et pour toute autre infraction basée sur les mêmes faits. Au regard de l’article 12 de la Charte, cette disposition pourrait être particulièrement préoccupante lorsque l’acte vise la perpétration de multiples infractions de traite de personnes et autres infractions, à l’égard de multiples victimes par exemple, susceptibles d’être passibles de peines minimales obligatoires. Les tribunaux seraient tenus d’imposer ces peines consécutivement, quelle que soit la situation particulière du contrevenant, ce qui risquerait de donner lieu à des peines exagérément disproportionnées dans certaines circonstances raisonnablement prévisibles. Une peine exagérément disproportionnée est par définition une peine « excessive au point de ne pas être compatible avec la dignité humaine » et une peine « odieuse ou intolérable » pour la société. Un tel résultat pourrait porter atteinte à la protection contre toute peine cruelle et inusitée garantie par l’article 12 de la Charte.
La décision de ne pas faire entrer en vigueur l’article 279.05 est compatible avec l’engagement que le gouvernement a pris de veiller à ce que toute législation respecte et maintienne les droits conférés par la Charte. Cela permettrait également au gouvernement de poursuivre, dans le cadre de sa vaste révision du système de justice pénale, l’examen approfondi qu’il fait des dispositions connexes prévoyant l’imposition de peines obligatoires. Pour l’instant, les autres dispositions du projet de loi C-452 seraient mises en vigueur, ce qui permettrait de promouvoir les valeurs sous-jacentes à la Charte et de renforcer la réponse du Canada en matière de droit pénal à l’égard de la traite de personnes et de l’exploitation.
Le droit de l’inculpé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable (al. 11d) de la Charte)
Par ailleurs, le projet de loi C-452 modifierait le Code criminel en édictant le paragraphe 279.01(3). Le paragraphe 279.01(3) permet à un poursuivant de prouver un des éléments de l’infraction de traite de personnes – soit qu’un accusé exerce un contrôle, une direction ou une influence sur les mouvements de la victime – en démontrant que l’accusé vit ou se trouve habituellement en compagnie de la victime. Généralement, un poursuivant doit prouver tous les éléments d’une infraction hors de tout doute raisonnable, par preuve directe ou circonstancielle. Dans ce cas-ci, bien que l’accusé aurait l’occasion de soulever un doute raisonnable, le poursuivant aurait seulement besoin de prouver que l’accusé vit ou se trouve habituellement en compagnie de la victime afin de démontrer un des éléments de l’infraction de traite – soit le contrôle, la direction ou l’influence sur les mouvements de la victime. Pour cette raison, le paragraphe 279.01(3) pourrait être considéré comme une exception au droit que la Charte garantit à un accusé d’être présumé innocent tant qu’il n’est pas déclaré coupable (al. 11d)). Toute restriction au droit protégé par l’al. 11d) de la Charte doit être raisonnable et sa justification doit pouvoir se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique, comme l’exige l’article premier de la Charte.
Dans sa décision R. c. Downey, rendue en 1992, la Cour suprême du Canada a confirmé la validité d’une présomption similaire en matière de preuve dans le contexte des infractions relatives à la prostitution. Les considérations suivantes appuient la justification de la présomption prévue au paragraphe 279.01(3). Premièrement, le fait de procéder plus efficacement à la poursuite des trafiquants de personnes constitue un objectif urgent et réel. Deuxièmement, la présomption est en soi raisonnable à tirer. Troisièmement, elle a une incidence minimale sur la présomption d’innocence puisqu’elle touche seulement un élément de l’infraction et qu’elle est réfutable si l’accusé présente un élément de preuve qui permet de soulever un doute raisonnable. Enfin, la présomption est une réponse conçue pour surmonter les difficultés de preuve susceptibles d’exister dans le cadre des poursuites relatives à la traite de personnes, eu égard à la vulnérabilité des victimes et au déséquilibre du pouvoir entre celles-ci et leurs trafiquants. Par exemple, des plaignantes vulnérables craignent souvent de subir des représailles de la part de leurs trafiquants, et de ce fait, éprouvent des difficultés à les dénoncer.
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