Projet de loi C‑58 : Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles

Déposé à la Chambre des communes le 28 novembre 2023
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire sur le projet de loi. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner les dispositions du projet de loi afin d’évaluer si elles sont incompatibles avec la Charte canadienne des droits et libertés (la « Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre communique certaines des considérations principales ayant guidé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte auxquels pourrait porter atteinte le projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.
Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des renseignements juridiques au public et au Parlement qui se rapportent aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations envisageables liées à la Charte. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-58, Loi modifiant le Code canadien du travail et le Règlement de 2012 sur le Conseil canadien des relations industrielles, afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons dont le projet de loi C-58 pourrait porter atteinte aux droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à orienter le débat public et parlementaire sur le projet de loi. Elle ne constitue pas une description exhaustive de l’ensemble du projet de loi; Elle est plutôt axée sur les éléments qu’il convient de prendre en compte dans le contexte d’un Énoncé concernant la Charte.
Aperçu
Le projet de loi modifierait diverses dispositions du Code canadien du travail en vue de renforcer l’interdiction d’utiliser des travailleurs de remplacement durant une grève ou un lock out légal. Actuellement, le Code canadien du travail interdit à tout employeur d’utiliser des travailleurs de remplacement au cours d’une grève ou d’un lock out légal, dans le but établi de miner la capacité de représentation d’un syndicat. Les modifications interdiraient à tout employeur d’utiliser les services d’employés, de personnes occupant un poste de direction ou de personnes occupant un poste de confiance comportant l’accès à des renseignements confidentiels en matière de relations du travail pour leur faire exécuter les fonctions des employés en grève ou en lock out. L’interdiction s’appliquerait à tout employé ou toute personne embauché après que l’avis de négociation a été donné. Elle s’appliquerait également aux entrepreneurs et aux employés d’un autre employeur, peu importe le moment où ils ont été embauchés.
Le projet de loi interdirait aussi aux employeurs d’utiliser les services de tout employé de l’unité de négociation visée par une grève ou un lock out si l’ensemble des employés de l’unité de négociation cessent de travailler, sous réserve des exigences prévues aux articles 87.4 ou 87.7 du Code canadien du travail, qui permettent notamment le maintien de la prestation des services nécessaires afin de prévenir des risques imminents et graves pour la sécurité et la santé du public. Des modifications sont également proposées au processus de maintien des activités afin de l’accélérer. Elles prévoient notamment des délais qui inciteraient les parties à régler leurs différends plus tôt de même que des pouvoirs supplémentaires qui accéléreraient la prise de décisions du Conseil canadien des relations industrielles.
L’interdiction d’utiliser des travailleurs de remplacement est également assujettie à une exception visant à permettre aux employeurs d’utiliser les services de toute personne pour faire face à des menaces imminentes ou graves. Celles-ci comprennent une menace imminente ou grave pour la vie, la santé ou la sécurité de quiconque, une menace de destruction ou d’endommagement des biens ou des installations de l’employeur, ou une menace de dommages environnementaux graves touchant les biens ou les installations de l’employeur. L’utilisation de travailleurs de remplacement pour faire face à ces menaces imminentes ou graves doit être nécessaire et l’employeur doit être incapable d’y faire face de quelque autre façon que ce soit.
Les modifications sont conçues en vue d’améliorer les relations du travail, sauvegarder le droit de grève des travailleurs, limiter les interruptions aux négociations collectives, et mieux protéger la santé et sécurité du public pendant les grèves et lock-outs dans les industries et milieux de travail sous réglementation fédérale.
Interdiction relative aux travailleurs de remplacement (alinéa 2d) de la Charte)
L’alinéa 2d) de la Charte prévoit que chacun a la liberté d’association. La liberté d’association a été interprétée comme l’interdiction de perturber de manière importante le processus de négociations collectives, qui comprend le droit de grève.
Les modifications proposées renforcent l’interdiction relative aux employeurs qui utilisent des travailleurs de remplacement lors d’une grève ou d’un lock-out et changeraient le processus de maintien des activités à l’appui de la liberté d’association et du droit de grève. Les exceptions proposées à l’interdiction d’utiliser des travailleurs de remplacement ont été soigneusement adaptées de manière à permettre l’utilisation de services pour faire face à des menaces imminentes ou graves, telles qu’une menace pour la vie, la santé ou la sécurité de quiconque, ou une menace de destruction ou d’endommagement des biens de l’employeur. Les modifications relatives au processus de maintien des activités imposent des délais aux parties pour aider à prévenir les retards et soutenir le processus de négociations collectives et le droit de grève.
Interdiction relative aux employés d’une unité de négociation (alinéa 2b) de la Charte)
L’alinéa 2b) de la Charte protège le droit à la liberté de pensée, de croyance, d’opinion et d’expression. Il a fait l’objet d’une interprétation large englobant toutes les activités ou communications qui transmettent ou tentent de transmettre une signification, à l’exception de celles qui impliquent de la violence ou des menaces de violence.
L’interdiction pour les employeurs de faire appel aux services d’employés qui font partie d’une unité de négociation dont l’ensemble des employés cessent de travailler durant une grève ou un lock-out pourrait porter atteinte à la liberté d’expression d’un employé. Certains volets d’une grève peuvent comprendre une activité expressive comme le piquetage. L’interdiction proposée empêcherait les employés de traverser les lignes de piquetage et de continuer à travailler malgré la grève, ce qui pourrait en soi être considéré comme une action expressive destinée à transmettre une signification. L’interdiction proposée pourrait donc porter atteinte à la liberté d’expression.
Les considérations suivantes démontrent la compatibilité de cet aspect du projet de loi avec la Charte. L’interdiction appuierait la négociation collective libre et équitable et le droit de grève, et pourrait réduire les tensions et la violence potentielle parmi les employés en grève ou en lock-out. Les employés continueraient d’être libres d’exprimer leurs opinions, y compris leur désaccord avec la grève ou le lock-out et pourraient exprimer leurs points de vue autrement qu’en traversant la ligne de piquetage et en tentant de continuer à travailler malgré la grève ou le lock-out. L’interdiction s’appliquerait seulement dans le contexte d’un arrêt de travail complet et ne s’appliquerait pas aux autres mesures de grève.
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