Projet de loi C-7 : Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

Projet de loi C-7 : Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir)

Déposé à la Chambre des communes le 21 octobre 2020

Note explicative

L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte canadienne des droits et libertés (« la Charte »). Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre partage plusieurs des considérations principales ayant informé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte susceptibles d’être touchés par un projet de loi et il explique brièvement la nature de ces répercussions, eu égard aux mesures proposées.

Un Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Cela signifie que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des informations juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations liées à la Charte envisageables. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.

Considérations relatives à la Charte

Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi C-7, Loi modifiant le Code criminel (aide médicale à mourir), afin d’évaluer s’il est incompatible avec la Charte, suite à l’obligation que lui impose l’article 4.1 de la Loi sur le ministère de la Justice. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.

Voici une analyse non exhaustive des façons par lesquelles le projet de loi C-7 est susceptible de toucher les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.

Aperçu

L’aide médicale à mourir touche un certain nombre d’intérêts divergents et de valeurs sociétales. Le projet de loi C-7 vise à établir un équilibre entre ces intérêts et ces valeurs, notamment entre l’autonomie des personnes admissibles à l’aide médicale à mourir, la protection des personnes vulnérables contre toute incitation à mettre fin à leur vie et l’enjeu important de santé publique que constitue le suicide. Cet équilibre particulier, qui est différent de celui établi par les dispositions législatives actuelles, repose sur la décision rendue par la Cour supérieure du Québec dans l’affaire Truchon c. Canada (2019), les données probantes canadiennes et internationales en la matière et les consultations sur l’aide médicale à mourir qui ont été menées récemment au Canada.

Conformément aux dispositions législatives en vigueur, les personnes qui demandent l’aide médicale à mourir doivent remplir tous les critères d’admissibilité énoncés aux paragraphes 241.2(1) et 241.2(2) du Code criminel. Plus particulièrement, elles doivent être âgées d’au moins 18 ans et être capables de prendre des décisions en ce qui concerne leur santé, et elles doivent être admissibles à des soins de santé financés par le gouvernement fédéral ou un gouvernement provincial ou territorial. Elles doivent faire une demande d’aide médicale à mourir de manière volontaire, notamment sans pressions extérieures, et elles doivent consentir de manière éclairée à recevoir l’aide médicale à mourir après avoir été informées des moyens disponibles pour soulager leurs souffrances. Enfin, elles doivent être affectées de problèmes de santé graves et irrémédiables, au sens du paragraphe 241.2(2). Une personne est affectée de problèmes de santé graves et irrémédiables si elle est atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable, si sa situation médicale se caractérise par le déclin avancé et irréversible de ses capacités, si elle éprouve des souffrances persistantes qui lui sont intolérables et qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elle juge acceptables, et si sa mort naturelle est devenue raisonnablement prévisible.

Modification des critères d’admissibilité

Le projet de loi C-7 modifierait le Code criminel afin de permettre aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible d’obtenir l’aide médicale à mourir. Cependant, il continuerait d’interdire l’aide médicale à mourir dans les cas où la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué.

Mesures de sauvegarde

Ce projet de loi permettrait la création de deux ensembles de mesures de sauvegarde, le premier pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et le deuxième, pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible. En ce qui concerne les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, les mesures de sauvegarde actuellement prévues dans la loi, qui sont décrites plus en détail ci-après, continueraient de s’appliquer, avec deux modifications. Premièrement, un seul témoin indépendant, et non deux, devrait signer la demande écrite d’aide médicale à mourir du patient. Deuxièmement, la période de réflexion de 10 jours serait éliminée.

En ce qui concerne les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, les mesures de sauvegarde décrites ci-dessus, ainsi que quatre nouvelles mesures de sauvegarde plus précises, s’appliqueraient. Ces mesures de sauvegarde additionnelles, qui sont décrites plus en détail ci-après, comprendraient une période d’évaluation d’au moins 90 jours, une deuxième évaluation de l’admissibilité effectuée par un praticien qui possède de l’expertise en ce qui concerne la condition qui est à l’origine des souffrances de la personne, et deux clarifications relativement au critère du consentement éclairé.

Exceptions à l’obligation de donner son « consentement final »

En plus des modifications donnant suite à la décision Truchon, le projet de loi instaurerait également deux exceptions à l’obligation de donner son « consentement final » au moment de l’administration de l’aide médicale à mourir. La première exception s’appliquerait aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui ont conclu une entente par laquelle elles donnaient leur consentement préalable. La deuxième exception s’appliquerait dans les cas où l’auto-administration de la substance fournie aux fins de l’aide médicale à mourir a échoué.

Modification du régime de surveillance

Enfin, le projet de loi C-7 apporterait des améliorations afin de combler certaines lacunes dans le régime de surveillance fédéral actuel pour veiller à ce que des données soient recueillies sur toutes les demandes et tous les cas d’aide médicale à mourir. Les modifications exigeraient la déclaration de certains renseignements de la part de tous les médecins et de tous les membres du personnel de la santé qui effectuent des évaluations (ou des évaluations préliminaires) de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. L’infraction d’omettre sciemment de se conformer aux obligations en matière de rapports prévues à la loi actuelle serait également modifiée afin de veiller à ce qu’elle s’applique à tous les professionnels qui seraient assujettis aux obligations élargies de déclaration.

Élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible

Le projet de loi C-7 élargirait l’admissibilité à l’aide médicale à mourir en abrogeant le critère d’admissibilité selon lequel la mort naturelle de la personne doit être devenue raisonnablement prévisible (paragraphe 1(1)).

Vie, liberté et sécurité de la personne (article 7) et égalité (article 15)

L’article 7 garantit à chacun le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité de sa personne et autorise le gouvernement à ne porter atteinte à ce droit qu’en conformité avec les principes de justice fondamentale. Ces principes englobent les notions de caractère arbitraire, de portée excessive et de disproportion exagérée. Une mesure législative est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui n’a aucun lien rationnel avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative est excessive lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis par l’article 7 d’une façon qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en visant un comportement qui n’a aucun lien avec l’objectif de la mesure. Une mesure législative est exagérément disproportionnée lorsque ses répercussions sur les droits garantis par l’article 7 sont graves au point d’être « sans rapport aucun » avec l’objectif de la mesure.

Le paragraphe 15(1) de la Charte protège le droit à l’égalité. Il dispose que la loi ne fait acception de personne et s’applique également à tous, et que tous ont droit à la même protection et au même bénéfice de la loi, indépendamment de toute discrimination, notamment des discriminations fondées sur les déficiences mentales ou physiques.

Dans l’arrêt Carter c. Canada (2015), la Cour suprême du Canada a statué que la réaction d’une personne à des problèmes de santé graves et irrémédiables est primordiale pour sa dignité et son autonomie. Pour les personnes dans cette situation, auxquelles la loi permettrait de demander une sédation palliative, de refuser une alimentation et une hydratation artificielles ou de réclamer le retrait d’un équipement médical de maintien de la vie, une prohibition criminelle de l’aide médicale à mourir empiéterait sur leur liberté et leur sécurité de la personne. Cette prohibition prive en effet ces personnes de la possibilité de prendre des décisions relatives à leur intégrité corporelle, ce qui peut entraîner de graves souffrances. L’élargissement de la loi afin de permettre d’offrir l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible protégerait le droit à la liberté et à la sécurité de la personne des personnes qui demandent l’aide médicale à mourir en réaction à une maladie grave et irrémédiable.

Le droit à la vie entre en jeu lorsqu’une mesure ou une loi prise par l’État a directement ou indirectement pour effet d’imposer la mort à une personne ou de l’exposer à un risque accru de mort. L’élargissement de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir inclut l’expansion des exceptions aux prohibitions criminelles contre l’enlèvement intentionnel de la vie. Par conséquent, on pourrait porter atteinte au droit à la vie et à la sécurité de sa personne garanti par l’article 7 si des mesures de sauvegarde suffisantes ne sont pas incluses pour protéger les personnes vulnérables contre les abus et les erreurs. Étant donné que les exceptions étendues s’appliqueraient lorsque la personne qui demande l’aide médicale à mourir a une maladie, une affection ou un handicap grave et incurable, le projet de loi pourrait mettre en jeu le droit à la même protection de la loi que garantit l’article 15 aux personnes handicapées.

Les considérations suivantes appuient la conformité des modifications proposées au regard des articles 7 et 15 de la Charte. Suivant le projet de loi, les personnes continueraient d’être admissibles à l’aide médicale à mourir seulement si elles ont fait une demande de manière volontaire, notamment sans pressions extérieures. Elles devraient toujours aussi consentir de manière éclairée après avoir été informées des moyens disponibles pour soulager leurs souffrances. Le projet de loi érigerait au titre d’infraction criminelle le fait d’administrer l’aide médicale à mourir lorsque l’une des exigences imposées n’est pas respectée – que ce soient les critères d’admissibilité ou les garanties procédurales, qui sont décrites plus en détail ci-après.

De plus, les considérations suivantes appuient la conformité des modifications proposées au regard de l’article 15 de la Charte. À l’instar des dispositions législatives actuelles, le projet de loi continuerait d’affirmer la valeur inhérente et l’égalité de chaque vie humaine (préambule). Selon les dispositions législatives élargies, l’admissibilité à l’aide médicale à mourir ne serait pas fondée sur des stéréotypes négatifs qui associent le handicap avec la perte de dignité ou de qualité de vie, mais plutôt sur le respect de l’autonomie de toutes les personnes atteintes d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap grave et incurable de choisir l’aide médicale à mourir en réaction à des souffrances intolérables qui ne peuvent être apaisées dans des conditions qu’elles jugent acceptables.

Interdiction de l’aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé sous-jacent

Bien qu’il vise à élargir l’admissibilité à l’aide médicale à mourir aux personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, le projet de loi exclurait les personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué. L’alinéa 241.2(2)a) prévoit que, pour être admissible à l’aide médicale à mourir, la personne doit être « atteinte d’une maladie, d’une affection ou d’un handicap graves et incurables ». Selon le projet de loi, la maladie mentale ne serait pas considérée comme une maladie, une affection ou un handicap au sens de l’alinéa 241.2(2)a) (paragraphe 1(2)).

Liberté et sécurité de la personne (article 7) et égalité (article 15)

Étant donné que le paragraphe 1(2) continuerait d’interdire l’aide médicale à mourir aux personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé invoqué, cette disposition est susceptible de mettre en jeu le droit à la liberté et à la sécurité de la personne. Ce paragraphe déclenche également l’application de l’article 15, car l’exclusion de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir s’appliquerait aux personnes qui souffrent d’une maladie mentale. Les considérations suivantes appuient la conformité du paragraphe 1(2) au regard de la Charte.

Dans l’arrêt Carter, qui traite des droits garantis par l’article 7 de la Charte auxquels porte atteinte la prohibition absolue de l’aide médicale à mourir qui a été établie conformément aux dispositions législatives antérieures, la Cour suprême du Canada a déclaré que la prestation de l’aide médicale à mourir aux personnes affectées de troubles psychiatriques ne s’inscrit pas dans les paramètres de ses motifs.

L’exclusion que prévoit le paragraphe 1(2) pour les personnes dont la maladie mentale est le seul problème de santé est formulée en des termes restrictifs. Plus particulièrement, cette exclusion s’appliquerait seulement à la maladie mentale (qui relève principalement du domaine de la psychiatrie). L’exclusion ne repose pas sur l’hypothèse selon laquelle les personnes atteintes d’une maladie mentale ne sont pas capables de prendre des décisions et ne les rendrait pas inadmissibles à recevoir l’aide médicale à mourir si elles répondent aux autres critères, par exemple si elles souffrent d’un autre problème médical considéré comme étant une maladie, une affection ou un handicap grave et irrémédiable. Qui plus est, cette exclusion n’est pas fondée sur l’incapacité d’évaluer la gravité des souffrances que peut causer la maladie mentale. Elle est plutôt fondée sur les risques inhérents et la complexité que comporterait la possibilité d’obtenir l’aide médicale à mourir pour les personnes qui souffrent uniquement d’une maladie mentale. D’abord, les données probantes démontrent qu’il est particulièrement difficile d’évaluer la capacité décisionnelle des personnes qui sont atteintes d’une maladie mentale qui est suffisamment grave pour justifier la présentation d’une demande d’aide médicale à mourir, et le risque d’erreur est élevé lors d’une telle évaluation. Ensuite, il est généralement plus difficile de prévoir l’évolution d’une maladie mentale que l’évolution d’une maladie physique. Enfin, l’expérience récente dans les quelques pays où l’aide médicale à mourir est permise (Belgique, Pays-Bas et Luxembourg) a soulevé quelques préoccupations. Ces inquiétudes concernent l’augmentation de ce type de cas et le nombre élevé de cas où une aide médicale à mourir a été fournie aux personnes atteintes d’une maladie mentale. Étant donné que la pratique de l’aide médicale à mourir est relativement nouvelle au Canada, le corpus de preuves et de recherches sur les pratiques actuelles et potentielles, y compris en ce qui concerne les maladies mentales, est encore en cours d’élaboration.

Mesures de sauvegarde

Ce projet de loi permettrait la création de deux ensembles de mesures de sauvegarde, le premier pour les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et le deuxième, pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible.

En ce qui concerne les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible, les mesures de sauvegarde actuellement prévues dans la loi continueront de s’appliquer, avec certaines modifications (paragraphe 1(3)). Premièrement, le patient devrait présenter une demande d’aide médicale à mourir par écrit devant un témoin indépendant qui signera sa demande (paragraphe 1(4)). À l’heure actuelle, les dispositions existantes prévoient deux témoins indépendants. Deuxièmement, deux praticiens indépendants devraient confirmer que la personne remplit tous les critères d’admissibilité. Troisièmement, la personne devrait être informée qu’elle a le droit de retirer sa demande en tout temps. Quatrièmement, à moins que la personne ait signé une entente par laquelle elle donnait son consentement préalable, elle peut retirer son consentement immédiatement avant l’administration de l’aide médicale à mourir et redonner expressément son consentement à nouveau (paragraphe 1(3)). Cinquièmement, si la personne éprouve de la difficulté à communiquer, le médecin praticien devrait prendre toutes les mesures nécessaires pour lui fournir un moyen de communication fiable afin qu’elle puisse comprendre les renseignements qui lui sont fournis et faire connaître sa décision (paragraphe 1(5)). Le projet de loi éliminerait la période de réflexion de 10 jours qui est actuellement prévue (paragraphe 1(6)).

Compte tenu des différentes considérations associées à l’aide médicale à mourir pour les personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, le projet de loi permettrait la création de nouvelles mesures de sauvegarde plus précises qui devraient être respectées avant que ces personnes puissent obtenir l’aide médicale à mourir (paragraphe 1(7)).

Premièrement, le projet de loi exigerait un délai d’au moins 90 jours pour la réalisation de l’évaluation de l’admissibilité à l’aide médicale à mourir. Pour conclure qu’une personne est admissible à l’aide médicale à mourir, le praticien doit établir que tous les critères d’admissibilité énoncés aux paragraphes 241.2(1) et 241.2(2) sont remplis. Ce délai de 90 jours pourrait être raccourci si le praticien qui effectue l’évaluation juge que la personne perdra bientôt ses capacités, mais seulement si l’évaluation de l’admissibilité peut être effectuée en moins de temps.

Deuxièmement, le projet de loi exigerait que l’une des deux évaluations obligatoires de l’admissibilité soit réalisée par un médecin ou un infirmier praticien qui possède une expertise en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne. Toutefois, il n’est pas requis que le médecin ou l’infirmier praticien soit un spécialiste.

Enfin, le projet de loi instaurerait deux modifications visant à clarifier les critères applicables au consentement éclairé dans ce type de contexte. La première modification consisterait à exiger expressément que la personne soit informée des services de consultation psychologique, des services de soutien en santé mentale, des services de soutien aux personnes handicapées, des services communautaires et des soins palliatifs qui sont disponibles et adaptés à sa situation, et qu’on lui offre de consulter les professionnels qui fournissent de tels services ou soins. La deuxième modification consisterait à exiger que la personne et les praticiens conviennent que les moyens raisonnables et disponibles pour soulager les souffrances de la personne ont été discutés avec cette dernière et ont été sérieusement envisagés avant que l’aide médicale à mourir ne soit fournie.

Vie, liberté et sécurité de la personne (article 7) et égalité (article 15)

Comme il a été mentionné plus haut, d’une part, si des mesures de sauvegarde suffisantes ne sont pas incluses pour protéger les personnes vulnérables contre les abus ou les erreurs, le fait de permettre ou d’élargir l’accès à l’aide médicale à mourir est susceptible de faire intervenir le droit à la vie et à la sécurité de sa personne garanti par l’article 7 ainsi que le droit à l’égalité garanti par l’article 15. D’autre part, le droit à la vie, à la liberté ou à la sécurité de sa personne serait également susceptible d’être touché si les mesures de sauvegarde sont contraignantes à un point tel qu’elles limitent inutilement l’accès à l’aide médicale à mourir pour les personnes admissibles. Les considérations suivantes appuient la conformité des mesures de sauvegarde avec la Charte.

Les deux ensembles de mesures de sauvegarde seraient adaptés aux différents risques et considérations associés à l’aide médicale à mourir, selon que la mort naturelle de la personne est raisonnablement prévisible ou non. Ils contribueraient tous deux à garantir la détection des problèmes affectant l’admissibilité à l’aide médicale à mourir, dont le caractère volontaire de la demande d’aide médicale à mourir et la capacité de la personne à fournir un consentement éclairé. Le fait d’exiger que la demande d’aide médicale à mourir soit présentée devant un seul témoin indépendant est une mesure de sauvegarde adéquate, car le témoin confirme seulement qu’il a signé et daté la demande et ne joue aucun rôle dans l’évaluation de l’admissibilité ou l’application d’autres mesures de sauvegarde.

Les mesures de sauvegarde applicables aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible tiennent compte des risques réduits et des complexités de l’aide médicale à mourir dans ce contexte. Les données indiquent que les mesures de sauvegarde actuelles permettent de protéger les personnes vulnérables dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible. L’élimination de la période de réflexion de 10 jours pour ces personnes permettrait de répondre aux préoccupations des professionnels de la santé et des experts qui estiment que la période de réflexion entraîne souvent une souffrance prolongée, mais n’a pas pour effet de protéger la personne. En effet, il ressort de l’expérience acquise avec la loi actuelle que les personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui demandent l’aide médicale à mourir le font après une longue période de réflexion.

Les nouvelles mesures de sauvegarde plus précises applicables aux personnes dont la mort naturelle n’est raisonnablement pas prévisible correspondent aux différentes considérations associées à l’aide médicale à mourir dans ce contexte. En imposant un délai minimal de 90 jours pour l’évaluation de l’admissibilité, les intervenants disposeraient alors de suffisamment de temps pour évaluer tous les aspects pertinents du dossier de la personne, dont les traitements ou les services qui sont mis à sa disposition pour alléger ses souffrances. L’exigence selon laquelle l’un des deux praticiens qui effectuent l’évaluation doit posséder de l’expertise en ce qui concerne la condition à l’origine des souffrances de la personne permettrait de s’assurer que tous les traitements possibles ont été identifiés et envisagés et que les autres critères d’admissibilité ont été remplis. En même temps, cette exigence ne nécessiterait pas la participation d’un spécialiste, ce qui pourrait constituer un obstacle dans les régions éloignées et rurales où il peut y avoir peu de spécialistes. Ces deux mesures de sauvegarde seraient appliquées en combinaison avec les clarifications relatives au critère du consentement éclairé. Ces clarifications exigeraient que la personne soit informée des différents services disponibles et qu’il lui ait été offert de consulter les professionnels qui fournissent ces services. La personne concernée et les praticiens seraient également tenus de convenir que des moyens raisonnables permettant d’alléger ses souffrances ont été abordés et qu’ils ont été sérieusement envisagés.

Exceptions à l’exigence de consentement final pour recevoir l’aide médicale à mourir

Sous le régime actuel, le médecin ou l’infirmier praticien doit, immédiatement avant de fournir l’aide médicale à mourir, donner à la personne la possibilité de retirer sa demande et s’assurer qu’elle consent expressément à recevoir l’aide médicale à mourir. Aux termes du projet de loi, il y aurait deux situations dans lesquelles il y aurait exception à l’exigence de « consentement final » (paragraphe 1(7)).

Premièrement, le paragraphe 1(7) permettrait aux personnes dont la mort est devenue raisonnablement prévisible de recevoir l’aide médicale à mourir sur la base d’une « entente de consentement préalable » à certaines conditions (paragraphe 241.2(3.2) proposé). L’option serait offerte à une personne dans la mesure où sa demande d’aide médicale à mourir a été évaluée et approuvée conformément aux mesures de sauvegarde applicables et où elle a indiqué la date à laquelle elle souhaite que la procédure ait lieu. Le projet de loi exigerait aussi que la personne ait été informée par le médecin ou l’infirmier praticien qu’elle risque de perdre la capacité à donner son consentement final et qu’ils aient ensuite conclu une entente par écrit. Dans cette entente, la personne consentirait à l’avance à recevoir l’aide médicale à mourir à une date précise et le médecin ou l’infirmier praticien accepterait de fournir l’aide médicale à mourir conformément à l’entente si, à cette date, la personne a perdu la capacité à consentir. Cependant, l’aide médicale à mourir ne pourrait être fournie en vertu d’une telle entente lorsque la personne manifeste – au moyen de paroles, de sons ou de gestes – un refus que la substance utilisée pour causer la mort lui soit administrée ou une résistance à ce qu’elle le soit. De telles circonstances invalideraient l’entente de consentement préalable (paragraphe 241.2(3.4)).

La deuxième exception à l’exigence de consentement final permettrait à une personne qui choisit de s’administrer elle-même la substance causant la mort de prévoir une solution de rechange dans l’éventualité où l’auto-administration de la substance ne provoquerait pas la mort dans la période déterminée, mais entraînerait la perte de la capacité à consentir à la procédure. Pour que cette exception puisse s’appliquer, la personne serait tenue d’avoir conclu une entente avec le médecin ou l’infirmier praticien. Cette entente prévoirait expressément que le médecin ou l’infirmier praticien serait présent au moment de l’auto-administration de la substance causant la mort et qu’il terminerait la procédure si la personne perdait la capacité de prendre des décisions sans toutefois mourir dans la période déterminée.

Vie, liberté et sécurité de la personne (article 7)

Les exceptions proposées à l’exigence de consentement final sont susceptibles de faire intervenir les garanties juridiques de la Charte, et ce, tant dans le cas de personnes autorisées à consentir à l’avance à recevoir l’aide médicale à mourir que dans le cas de personnes non autorisées à le faire.

Comme il a été mentionné plus haut, le droit à la vie entre en jeu lorsqu’une mesure ou une loi prise par l’État a directement ou indirectement pour effet d’imposer la mort à une personne ou de l’exposer à un risque accru de mort. Le fait de permettre l’aide médicale à mourir dans le cas de personnes ayant perdu la capacité de retirer un consentement donné antérieurement, ou de consentir à la procédure, est susceptible de faire intervenir le droit à la vie si la loi ne prévoit pas des mesures de sauvegarde suffisantes pour protéger les personnes vulnérables contre les abus ou les erreurs.

À l’inverse, continuer d’exiger le consentement final dans les situations autres que les deux qui sont prévues dans le projet de loi C-7 pourrait faire intervenir les droits garantis par l’article 7 dans le cas de personnes non autorisées à consentir préalablement à l’aide médicale à mourir. Le projet de loi est susceptible de mettre en cause le droit à la liberté et à la sécurité de la personne dans la mesure où il pourrait limiter l’accès à l’aide médicale à mourir dans le cas de personnes qui perdent la capacité à consentir avant le moment où elles se tournent vers l’aide médicale à mourir, et qui n’entrent pas dans l’une des deux exceptions à l’obligation de donner son consentement final. Il pourrait aussi mettre en cause le droit à la vie dans la mesure où il inciterait certaines personnes à mettre fin à leur vie plus tôt qu’elles ne le souhaiteraient.

Les considérations suivantes appuient la conformité des modifications proposées au regard de la Charte. Le projet de loi C-7 permettrait une exception à l’exigence de consentement final seulement dans deux cas précis. Les limites établies dans le projet de loi permettraient de faire en sorte, autant que possible, que l’aide médicale à mourir soit fournie uniquement aux personnes qui souhaitent la recevoir, dans des situations où les risques d’abus ou d’erreurs sont faibles.

L’exception en cas d’échec de la procédure d’auto-administration d’une substance devant causer la mort s’appliquerait aux personnes ayant préalablement été évaluées médicalement, puis jugées admissibles à recevoir l’aide médicale à mourir, et ayant démontré qu’elles souhaitaient mourir et qu’elles étaient prêtes à s’enlever la vie en s’administrant elles-mêmes une substance devant provoquer leur mort. L’exigence que le médecin ou l’infirmier praticien soit présent lors de la procédure d’auto-administration de la substance constituerait une protection contre les risques d’abus en contribuant à garantir que la personne avait amorcé la procédure d’aide médicale à mourir de plein gré.

De façon similaire, l’exception pour les personnes qui ont conclu une « entente de consentement préalable » aux termes du paragraphe 241.2(3.2) proposé s’appliquerait seulement aux personnes dont la mort naturelle est raisonnablement prévisible et qui, après avoir été évaluées médicalement puis jugées admissibles à recevoir l’aide médicale à mourir, ont fixé la date à laquelle aura lieu la procédure. Ces critères aideraient à faire en sorte que l’aide médicale à mourir soit fournie uniquement aux personnes résolues à mourir en raison de problèmes de santé actuels qui leur causent des souffrances intolérables, dans des circonstances où le risque de vulnérabilité ou d’incertitude quant aux souhaits de la personne est réduit. Le projet de loi protégerait aussi contre la prestation de l’aide médicale à mourir non souhaitée en prévoyant le cas où des paroles, des sons ou des gestes indiquent que la personne ne souhaite pas recevoir l’aide médicale à mourir, ce qui viendrait invalider l’entente de consentement préalable.

Continuer d’exiger le consentement final à recevoir l’aide médicale à mourir dans le cas de personnes dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible reflète la complexité et les risques inhérents associés à de telles situations. Une personne dont la mort naturelle n’est pas raisonnablement prévisible, mais qui risque de perdre la capacité à consentir, pourrait tenter de prévoir la procédure d’aide médicale à mourir, non pas en raison de souffrances intolérables actuelles, mais parce qu’elle craint que ses problèmes de santé ne lui causent des souffrances intolérables dans le futur. Les données indiquent cependant que des prévisions comme celle-là sont très incertaines et que les gens en général arrivent à s’adapter aux changements de leur état de santé mieux qu’ils ne l’avaient cru au départ, arrivant souvent à trouver une qualité de vie dans des circonstances qu’ils auraient cru être intolérables. Ainsi, permettre à des personnes dont la mort n’est pas raisonnablement prévisible de consentir à l’avance à recevoir l’aide médicale à mourir risquerait d’abréger des vies qui ne sont pas autrement sur le point de s’éteindre, dans des circonstances où la personne pourrait ne pas éprouver de souffrances intolérables et ne plus souhaiter mourir. Compte tenu des données dont on dispose à l’heure actuelle, il est impossible de savoir si un régime de mesures de sauvegarde serait susceptible d’atténuer un tel risque et de préserver l’équilibre que le projet de loi vise à établir entre les valeurs et intérêts opposés qui interviennent dans le contexte actuel.

Collecte de données élargie

Sous le régime actuel, les médecins et les infirmiers praticiens qui reçoivent une demande écrite d’aide médicale à mourir doivent fournir des renseignements précis conformément au Règlement sur la surveillance de l’aide médicale à mourir. Le paragraphe 3(1) du projet de loi C-7 propose d’élargir l’obligation de fournir des renseignements prévue au paragraphe 241.31(1) afin qu’elle s’applique aux autres professionnels qui procèdent aux évaluations préliminaires de l’admissibilité d’une personne à recevoir l’aide médicale à mourir ainsi qu’aux médecins et infirmiers praticiens qui évaluent l’admissibilité avant d’avoir reçu une demande écrite.

Fouilles, perquisitions ou saisies abusives (article 8)

L’article 8 de la Charte, qui garantit à chacun le droit à la protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives », protège les attentes raisonnables en matière de vie privée. Une fouille ou saisie n’est pas abusive si elle est autorisée par une loi, si la loi qui l’autorise est raisonnable en ce sens qu’elle établit un juste équilibre entre le droit à la vie privée et l’intérêt poursuivi par l’État, et si la fouille ou saisie en tant que telle est effectuée de manière raisonnable. Dans la mesure où les obligations de fournir des renseignements concernent des renseignements à caractère personnel liés à l’état de santé d’une personne et à son intention de recevoir l’aide médicale à mourir, elles font intervenir l’article 8.

Les considérations suivantes appuient la conformité, au regard de l’article 8, des obligations élargies concernant les renseignements qui doivent être fournis. Une surveillance rigoureuse du régime canadien d’aide médicale à mourir est nécessaire pour informer la population au sujet des résultats obtenus grâce aux mesures législatives et assurer la transparence du régime. Les obligations élargies concernant la prestation de renseignements établissent un juste équilibre entre le droit à la vie privée des personnes qui se tournent vers l’aide médicale à mourir et l’intérêt de la société à ce que le régime fonctionne de la façon souhaitée, notamment en ce qui a trait à la protection des personnes vulnérables.

Élargissement de l’infraction d’omission de se conformer aux obligations de renseignements à fournir

Le fait pour un médecin ou un infirmier praticien d’omettre sciemment de se conformer aux obligations concernant les renseignements à fournir aux termes du paragraphe 241.31(1) constitue une infraction sous le régime actuel. Le projet de loi C-7 élargirait la portée de cette infraction de manière à ce qu’elle vise également les professionnels qui seraient assujettis aux obligations élargies en matière de renseignements à fournir introduites par le paragraphe 3(1).

Droit à la liberté (article 7)

L’infraction élargie est susceptible d’entraîner une peine d’emprisonnement et elle fait donc intervenir le droit à la liberté garanti par l’article 7. Le ministre a cependant examiné les dispositions pertinentes et n’a relevé aucun aspect susceptible d’aller à l’encontre des principes de justice fondamentale.

Liberté de conscience et de religion des professionnels de la santé

Le projet de loi C-7 rendrait l’aide médicale à mourir accessible dans un plus grand nombre de situations et des demandes pourraient par conséquent être faites dans des circonstances qui vont à l’encontre des valeurs morales ou des croyances religieuses de certains professionnels de la santé. Comme c’est le cas sous le régime actuel, rien dans le projet de loi n’oblige les professionnels de la santé à fournir l’aide médicale à mourir, et les nouvelles dispositions ne portent par ailleurs aucunement atteinte à leurs droits en matière de liberté de conscience et de religion garantis par l’article 2a) de la Charte.