Projet de loi S-15 : Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial
Déposé au Sénat le 11 décembre 2023
Note explicative
L’article 4.2 de la Loi sur le ministère de la Justice exige que le ministre de la Justice prépare un « Énoncé concernant la Charte » pour chaque projet de loi du gouvernement afin d’éclairer le débat public et parlementaire au sujet d’un projet de loi du gouvernement. L’une des plus importantes responsabilités du ministre de la Justice est d’examiner le projet de loi afin de vérifier s’il est incompatible avec la Canadian Charter des droits et libertés [la Charte]. Par le dépôt d’un Énoncé concernant la Charte, le ministre fait part de plusieurs des considérations principales qui ont guidé l’examen visant à vérifier si un projet de loi est incompatible avec la Charte. L’Énoncé recense les droits et libertés garantis par la Charte qui pourraient être mis en jeu par un projet de loi, et il explique brièvement la nature de ces répercussions eu égard aux mesures proposées.
L’Énoncé concernant la Charte présente également les raisons pouvant justifier les restrictions qu’un projet de loi pourrait imposer aux droits et libertés garantis par la Charte. L’article premier de la Charte prévoit que ces droits et libertés peuvent être assujettis à des limites raisonnables, pourvu qu’elles soient prescrites par une règle de droit et que leurs justifications puissent se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique. Il s’ensuit que le Parlement peut adopter des lois qui limitent les droits et libertés garantis par la Charte. Il n’y aura violation de la Charte que si la justification de ces limites ne peut être démontrée dans le cadre d’une société libre et démocratique.
Un Énoncé concernant la Charte vise à fournir des renseignements juridiques au public et au Parlement se rapportant aux effets possibles d’un projet de loi sur les droits et libertés dans la mesure où ces effets ne sont ni négligeables ni trop théoriques. Il ne s’agit pas d’un exposé détaillé de toutes les considérations envisageables liées à la Charte. D’autres considérations constitutionnelles pourraient également être soulevées pendant l’examen parlementaire et la modification d’un projet de loi. Un Énoncé ne constitue pas un avis juridique sur la constitutionnalité d’un projet de loi.
Considérations relatives à la Charte
Le ministre de la Justice a examiné le projet de loi S-15, Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial. Cet examen comprenait la prise en considération des objectifs et des caractéristiques du projet de loi.
Voici une analyse non exhaustive des façons dont le projet de loi S-15 pourrait mettre en jeu les droits et libertés garantis par la Charte. Elle est présentée en vue d’aider à éclairer le débat public et parlementaire relativement au projet de loi.
Aperçu
Le projet de loi S-15 modifierait le Code criminel pour y ajouter une nouvelle infraction qui interdirait la possession, la reproduction ou la fécondation d’éléphants et de grands singes en captivité et qui obligerait une personne à prendre des précautions raisonnables pour empêcher la reproduction naturelle d’un éléphant ou d’un grand singe en captivité. La nouvelle interdiction de posséder un éléphant ou un grand singe ne s’appliquerait pas aux éléphants ou aux grands singes vivant actuellement en captivité. Des exceptions seraient également prévues pour la prestation des soins vétérinaires; les programmes de conservation ou de recherches scientifiques autorisés par le gouvernement fédéral ou provincial; dans des circonstances où la captivité est dans l’intérêt du bien-être de l’animal en vertu d’un permis délivré par le gouvernement fédéral ou provincial. La nouvelle infraction interdirait également l’utilisation d’éléphants et de grands singes en captivité dans le cadre de spectacles en interdisant certaines actions, comme l’organisation ou la direction d’une exposition, d’une démonstration ou d’un événement au cours duquel des éléphants ou des grands singes sont donnés en spectacle, et la réception d’argent à cet égard. Cette nouvelle infraction au Code criminel serait passible d’une amende maximale de 200 000 $.
Le projet de loi S-15 apporterait également des modifications à la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial. Cette loi serait modifiée de manière à interdire l’importation au Canada ou l’exportation hors Canada d’un éléphant ou d’un grand singe vivant. Toutefois, le ministre de l’Environnement (le ministre) pourrait délivrer un permis autorisant l’importation ou l’exportation de ces animaux dans le cadre d’un programme de recherches scientifiques ou de conservation, ou si l’importation ou l’exportation est dans l’intérêt du bien-être de l’animal. Le ministre pourrait également autoriser une personne à posséder des éléphants ou des grands singes en captivité dans l’intérêt du bien-être de l’animal ou à faire reproduire ou permettre leur reproduction naturelle dans le cadre d’un programme de recherches scientifiques ou de conservation. Enfin, le projet de loi établirait des règles obligeant une personne qui possède un éléphant ou un grand singe en captivité d’en aviser le ministre conformément aux règles fédérales et provinciales, y compris l’obligation de fournir au ministre les renseignements que celui-ci peut exiger relativement à l’éléphant, au grand singe ou à sa progéniture.
Interdiction d’organiser des événements au cours desquels des éléphants ou des grands singes en captivité sont donnés en spectacle (alinéa 2b) de la Charte)
L’alinéa 2b) de la Charte protège le droit à la liberté d’expression. Il vise, de façon générale, à protéger toutes les formes d’expression. La nouvelle infraction qui interdit l’utilisation d’éléphants et de singes en captivité au Canada dans le cadre d’un spectacle pourrait mettre en jeu les droits garantis par l’alinéa 2b) parce que l’infraction proposée interdit l’organisation d’événements au cours desquels des éléphants et des grands singes sont donnés en spectacles, en plus d’interdire ces événements eux-mêmes.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de l’infraction avec l’alinéa 2b) de la Charte. L’infraction proposée vise à protéger un groupe vulnérable d’animaux en captivité contre les pratiques dommageables. Elle s’applique à une forme d’expression très précise et limitée qui viserait l’organisation d’événements individuels au cours desquels des éléphants ou des grands singes en captivité sont donnés en spectacle au Canada. L’infraction proposée relative à l’organisation ne limiterait pas l’organisation d’autres types de spectacles autorisés par la loi et ne tendrait pas à priver les personnes de renseignements qui pourraient leur être utiles. Au même titre que la commercialisation d’un produit dommageable, la forme d’expression visée par l’infraction proposée véhicule peu les valeurs qui sous-tendent la liberté d’expression et, par conséquent, s’éloigne de la cœur de la protection accordée par l’alinéa 2b).
Élargissement des infractions prévues par la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial (article 7 de la Charte)
À l’heure actuelle, commet une infraction quiconque contrevient à l’une des dispositions de la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial. Le projet de loi introduirait de nouvelles obligations législatives en ce qui concerne l’importation et l’exportation d’éléphants et de grands singes en captivité, dont la violation pourrait entraîner une peine d’emprisonnement. Pour cette raison, le droit à la liberté garanti par l’article 7 de la Charte serait mis en jeu.
L’article 7 de la Charte protège contre l’atteinte aux droits à la vie, à la liberté et à la sécurité d’une personne, à moins que cela ne se fasse en conformité avec les principes de justice fondamentale, notamment les principes contre le caractère arbitraire, la portée excessive et la disproportion totale. Une loi est arbitraire lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis à l’article 7 d’une manière qui n’est pas rationnellement liée à l’objet de la loi. Une loi est d’une portée excessive lorsqu’elle a des répercussions sur les droits garantis à l’article 7 d’une façon qui, bien que généralement rationnelle, va trop loin en interdisant certains actes qui n’ont aucun lien avec la réalisation de l’objectif législatif. Une loi est totalement disproportionnée lorsque ses effets sur les droits garantis à l’article 7 sont si sévères qu’ils sont « sans rapport aucun » avec l’objet de la loi.
Les considérations suivantes appuient la compatibilité avec l’article 7 de la Charte de l’infraction de contrevenir à l’une des dispositions de la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial, dans sa version modifiée par le projet de loi. Les mesures proposées dans le projet de loi sont semblables à une infraction édictée dans la Loi visant à mettre fin à la captivité des baleines et des dauphins en 2019. Les mesures visent à atteindre un équilibre entre les données scientifiques qui démontrent que les éléphants et les grands singes ne devraient pas, pour des raisons de cruauté, vivre en captivité et la reconnaissance de certaines circonstances limitées qui pourraient justifier leur captivité. La portée de l’infraction est adaptée pour refléter cet équilibre. Diverses exceptions à la nouvelle interdiction visant l’importation et l’exportation d’éléphants et de grands singes seraient reconnues. Ces exceptions pourraient tenir compte de considérations comme le bien-être des éléphants et des grands singes, les programmes de recherches scientifiques et les programmes de conservation. Ainsi, l’infraction est limitée aux situations où l’importation et l’exportation d’éléphants et de grands singes ne sont pas dans l’intérêt du bien-être des animaux ou sont justifiées pour diverses autres raisons d’intérêt public. Le ministre aurait également le pouvoir discrétionnaire d’imposer les conditions qu’il juge appropriées lorsqu’il délivre des permis autorisant des exceptions à l’interdiction générale d’importer et d’exporter ces animaux. L’exercice de ce pouvoir discrétionnaire doit être fait conformément à la Charte. De plus, seul le non-respect de la nouvelle interdiction d’importer ou d’exporter des éléphants et des grands singes pourrait entraîner une peine d’emprisonnement. Le non-respect des autres nouvelles obligations prévues par la Loi modifiant le Code criminel et la Loi sur la protection d’espèces animales ou végétales sauvages et la réglementation de leur commerce international et interprovincial et la commission de la nouvelle infraction qui serait ajoutée au Code criminel seraient passibles d’une amende, et non d’une peine d’emprisonnement.
Pouvoir d’exiger des renseignements (article 8 de la Charte)
Le projet de loi contient des dispositions permettant au ministre de recueillir des renseignements aux fins de l’administration du régime. Il établirait des règles exigeant que les personnes avisent le ministre dans divers délais précisés dans le projet de loi qu’elles possèdent un éléphant, un grand singe ou sa progéniture en captivité. Les personnes seraient également tenues de fournir au ministre les renseignements que celui-ci pourrait exiger relativement à l’éléphant, au grand singe ou à sa progéniture.
Les pouvoirs prévus par la loi qui permettent de recueillir des renseignements pourraient mettre en jeu les droits garantis par l’article 8 de la Charte. L’article 8 de la Charte garantit une protection contre les fouilles, les perquisitions ou les saisies « abusives ». L’objet de l’article 8 est de protéger toute personne contre les intrusions abusives dans sa vie privée. Une fouille, perquisition ou saisie sera raisonnable si elle est autorisée par une loi, si la loi elle-même est raisonnable (en ce sens qu’elle établit un équilibre entre le respect de la vie privée et les intérêts que poursuit l’État), et si elle est menée de manière raisonnable.
Les considérations qui suivent appuient la compatibilité de l’obligation de fournir des renseignements avec l’article 8 de la Charte. La mesure ne s’applique qu’à certains renseignements relativement à un éléphant ou à un grand singe en captivité. Il est peu probable que ces renseignements soient des renseignements pour lesquels il existe une attente raisonnable en matière de vie privée. Les renseignements qui seraient recueillis sont pertinents à l’administration et à l’application d’un important régime de réglementation. Lorsqu’il recueille des renseignements personnels de façon discrétionnaire, le ministre doit exercer son pouvoir discrétionnaire conformément à la Charte et établir un équilibre entre les répercussions sur le droit à la vie privée et les objectifs du régime prévus par la loi. Les pouvoirs conférés par la loi d’exiger la collecte de renseignements pertinents à des fins réglementaires ou administratives plutôt qu’aux fins de mener une enquête sur des infractions criminelles ont été jugés raisonnables au titre de l’article 8 de la Charte.
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