Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants

Résumé

Le présent rapport a été commandé par le ministère de la Justice pour étayer la mise en œuvre et l'évaluation de la Loi sur le système de justice pour les adolescents (« LSJPA »). La recherche visait deux objectifs principaux : fournir une description exhaustive des modes d'exercice actuels du pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des adolescents au Canada, et cerner et évaluer les facteurs qui influent sur l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire. Nous nous sommes efforcés de fournir des renseignements qui pourraient servir à deux fins, soit :

Nous avons procédé à une vaste collecte de renseignements qualitatifs et quantitatifs à partir d'un échantillon représentatif à l'échelle nationale composée de 95 services de police, dont plusieurs détachements de la Police provinciale de l'Ontario (« PPO ») et de la Gendarmerie Royale du Canada (« GRC »), au moyen de plus de 200 entrevues de policiers, d'observations faites lors de patrouilles, de documents détenus par les corps policiers et de données statistiques provenant du Programme de déclaration uniforme de la criminalité (« DUC »). L'échantillon est représentatif de l'ensemble des provinces et des territoires, de tous les types de collectivités et de tous les types de services de police, y compris des services municipaux indépendants, des polices provinciales, des services de police autochtones et des établissements de formation policière.

Exercice du pouvoir discrétionnaire de la police

Nous avons analysé deux aspects du processus décisionnel de la police concernant les adolescents : les suites données à l'incident par la police, c'est-à-dire soit l'inculpation (ou une recommandation en ce sens, dans les provinces où c'est le substitut du procureur général qui prend la décision finale), soit le renvoi de l'adolescent à un programme de déjudiciarisation avant l'inculpation ou à un programme de Mesures de Rechange, soit le règlement de l'incident par l'application d'une mesure officieuse; et la ou les méthodes choisies pour contraindre l'adolescent à comparaître devant le tribunal. La plupart des policiers ne voient pas ces décisions comme relevant de l'exercice d'un pouvoir discrétionnaire qui concerne strictement l'application de la loi, mais plutôt comme des éléments fondamentalement reliés entre eux parmi une gamme de moyens qu'ils peuvent prendre pour régler les situations impliquant des adolescents qui, croient ils, ont perpétré des infractions.

Les policiers semblent viser deux principaux objectifs lorsqu'ils décident des suites à donner à un incident. Un de ces objectifs est de satisfaire aux exigences de l'application traditionnelle de la loi : enquêter sur l'incident, identifier et appréhender le ou les auteurs de l'infraction et rassembler les éléments de preuve nécessaires en vue d'une poursuite éventuelle. Leur autre objectif, moins explicite, semble être de pourvoir à une sanction, ou une conséquence, indiquée, plus ou moins en marge du tribunal pour adolescents et du système correctionnel. En particulier dans les ressorts métropolitains, les policiers tendaient à déplorer la distance qu'ils perçoivent chez le procureur général et le tribunal pour adolescents, et la lenteur de leurs procédures, par contraste avec leur propre proximité de la réalité de la criminalité de rue, de leur propre capacité d'imposer des sanctions rapides et de leur connaissance de la situation et des besoins personnels des jeunes contrevenants.

Nos discussions avec des policiers nous ont permis de dresser une liste des conséquences, ou sanctions, que la police applique habituellement à un adolescent dont elle a des motifs raisonnables de croire qu'il a perpétré une infraction. Ces conséquences, ou sanctions, sont les Page suivantes, par ordre croissant de sévérité :

  1. Ne prendre aucune mesure.

  2. Donner un avertissement officieux.

  3. Impliquer les parents.

    1. Donner un avertissement officiel; et/ou

    2. Et/ou arrêter l'adolescent, l'amener au poste de police, puis le relâcher sans l'inculper.

    1. Arrêter l'adolescent, l'amener au poste de police, puis le renvoyer à un programme de mesures de rechange préalables à l'inculpation; et/ou

    2. Inculper l'adolescent sans procéder à son arrestation, au moyen d'une citation à comparaître ou d'une sommation, puis recommander des mesures de rechange postérieures à l'inculpation.

  4. Arrêter l'adolescent, l'inculper, puis le relâcher soit après lui avoir remis une citation à comparaître ou une sommation, soit (le plus souvent) après avoir obtenu de lui une Promesse de Comparaître sans conditions.

  5. Arrêter l'adolescent, l'inculper, puis le relâcher après avoir obtenu de lui une Promesse de Comparaître assortie de conditions ou après lui avoir fait remettre une Promesse à un fonctionnaire responsable.

  6. Arrêter l'adolescent, l'inculper, puis le maintenir sous garde jusqu'à une audience en vue de sa mise en liberté provisoire par voie judiciaire.

(La sévérité des options 6, 7 et 8 peut être atténuée par la recommandation de mesures de rechanges postérieures à l'inculpation.)

Un troisième objectif visé par la police découle de ce que les policiers considèrent comme leurs responsabilités en matière de prévention de la criminalité et de travail social. Dans bien des cas, la police renverra un adolescent à un programme de déjudiciarisation, non pas en guise de sanction, mais afin de combler les besoins discernés chez l'adolescent - qu'ils s'agissent de besoins directement liés à la criminalité ou des problèmes perçus comme appelant des mesures d'assistance. Il arrive aussi parfois que des agents maintiennent sous garde un adolescent qui risque de récidiver dans l'intérêt de la sécurité et du bien-être de l'adolescent.

La proportion d'adolescents appréhendés qui ont été inculpés a augmenté sous le régime de la Loi sur les jeunes contrevenants (« LJC »). Cela tient principalement à l'augmentation considérable des inculpations dans certaines provinces, notamment l'Ontario et la Saskatchewan, qui semble résulter du recours aux programmes de mesures de rechange postérieures à l'inculpation. L'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des adolescents au Québec et en Colombie-Britannique a beaucoup augmenté au cours de la dernière décennie, avec comme résultat que ces provinces affichent maintenant les plus faibles proportions d'inculpation d'adolescents appréhendés. Cela semble s'expliquer par les systèmes d'examen préalable à l'inculpation propres à ces deux provinces dans le domaine de la justice pour les adolescents.

De nombreuses formes de mesures officieuses s'offrent au policier qui appréhende un adolescent - ne prendre aucune mesure, donner des avertissements officieux ou officiels, impliquer les parents, arrêter l'adolescent et l'amener au poste de police, puis le relâcher, et le renvoyer de manière officieuse à un programme (c.-à-d. sans faire appel à des Mesures de Rechange). La vaste majorité des policiers et des corps de police de notre échantillonnage appliquent fréquemment des mesures officieuses à l'endroit des adolescents. La quasi-totalité des organismes de notre échantillonnage recourent aux avertissements officieux, et un tiers d'entre eux recourent à différentes formes d'avertissements officiels. Il est également de pratique courante de raccompagner à la maison des adolescents appréhendés et de mettre en cause les parents si possible. Un quart des répondants ont dit qu'une des mesures officieuses auxquelles ils ont recours à l'endroit d'un adolescent dont ils ont des motifs raisonnables de croire que celui-ci a perpétré une infraction consiste à l'arrêter et à l'amener au poste de police, puis à le relâcher sans l'inculper.

La quasi-totalité des organismes de notre échantillonnage recourent aux avertissements officieux, et un tiers d'entre eux recourent à différentes formes d'avertissements officiels. Il est également de pratique courante de raccompagner à la maison des adolescents appréhendés et d'impliquer les parents si possible. Un quart des répondants ont dit qu'une des mesures officieuses auxquelles ils ont recours à l'endroit d'un adolescent dont ils ont des motifs raisonnables de croire que celui-ci a perpétré une infraction consiste à l'arrêter et à l'amener au poste de police, puis à le relâcher sans l'inculper.

Environ la moitié des répondants renvoient les adolescents à des programmes de déjudiciarisation préalable à l'inculpation, que ce soit dans le cadre de Mesures de Rechange ou non. La vaste majorité des agents estiment qu'ils peuvent jouer un rôle utile auprès de certains jeunes contrevenants dans certaines circonstances. La déjudiciarisation sous forme de renvoi à un programme ou à un organisme est souvent considérée comme un moyen beaucoup plus efficace de composer avec un problème criminogène perçu chez l'adolescent, plutôt que de le renvoyer devant le tribunal pour adolescents; le renvoi à des Mesures de Rechange est également vu comme une sanction intermédiaire utile, représentant une sanction pour l'adolescent qui est plus sévère qu'une mesure officieuse, mais moins sévère que l'inculpation. La non-disponibilité des programmes de Mesures de Rechange constitue de loin la plus grande source de mécontentement mentionnée par les répondants. Dans beaucoup de collectivités, l'éventail de programmes est inadéquat; dans beaucoup d'autres, il n'y a aucun programme du tout.

Les infractions reliées à l'administration de la justice commises par des adolescents ont connu une croissance exponentielle au cours des 20 dernières années. Presque toutes ces infractions consistaient soit en des violations des conditions de la libération sous caution ou de probation, soit en des défaut de comparution devant le tribunal. Les policiers exercent moins leur pouvoir discrétionnaire à l'égard de ces infractions qu'à l'égard de toutes les autres infractions à l'exception du meurtre. Beaucoup de ces cas leurs sont renvoyés par d'autres intervenants du système - principalement le tribunal pour adolescents ou des agents de probation -, et ils estiment qu'ils n'ont d'autre choix que d'accéder à la demande d'inculpation. Lorsque les policiers eux-mêmes découvrent une violation, ils sont susceptibles de ne pas en tenir compte, à moins qu'il y ait des circonstances aggravantes. Souvent, par exemple, la violation n'est que la pointe de l'iceberg - l'adolescent a de nombreux antécédents judiciaires, y compris des violations antérieures, et il est mis en liberté sous caution dans le cadre de plusieurs causes en instance et/ou en probation par suite d'infractions antérieures. Aucun des agents que nous avons rencontrés semblait d'avis qu'il pouvait se permettre de ne pas tenir compte d'un défaut de comparution : une fois qu'un mandat est décerné en séance, les policiers estiment qu'ils n'ont pas de pouvoir discrétionnaire. Les policiers semblent contribuer à cette épidémie notamment par leurs décisions concernant les conditions de la mise en liberté. Dans certains cas, les policiers imposeront ou tenteront de faire imposer des conditions trop contraignantes qui sont susceptibles de créer par inadvertance un contexte dans lequel l'adolescent commettra presque à coup sûr une violation.

Les méthodes Page suivantes peuvent être employées pour contraindre un adolescent (ou un adulte) à comparaître devant un tribunal : la sommation et la citation à comparaître, qui peuvent être employées au lieu d'une arrestation ou comme méthode de mise en liberté après une arrestation; et la mise en liberté sur Promesse de comparaître, avec ou sans Promesse assortie de conditions. Théoriquement, la police peut également relâcher un adolescent en contrepartie d'un Engagement, mais cela ne se fait apparemment jamais. Le recours à la sommation ou à la citation à comparaître sans arrestation semblerait particulièrement souhaitable dans le cas des jeunes contrevenants, mais, dans les faits, ces méthodes sont rarement appliquées. Cela semble tenir principalement au fait que, lorsqu'un agent envisage d'inculper un adolescent ou de le renvoyer à un programme de Mesures de Rechanges préalables à l'inculpation, il doit rassembler suffisamment d'éléments de preuve pour étayer une poursuite, une tâche qui peut s'accomplir beaucoup mieux dans un poste de police que dans la rue ou dans une voiture de patrouille. De plus, le fait d'arrêter l'adolescent et de l'amener au poste de police avant de l'inculper sont vus comme des moyens de bien faire comprendre la gravité de la situation à l'adolescent.

Le recours à la sommation ou à la citation à comparaître sans arrestation semblerait particulièrement souhaitable dans le cas des jeunes contrevenants, mais, dans les faits, ces méthodes sont rarement appliquées. Cela semble tenir principalement au fait que, lorsqu'un agent envisage d'inculper un adolescent ou de le renvoyer à un programme de Mesures de Rechanges préalables à l'inculpation, il doit rassembler suffisamment d'éléments de preuve pour étayer une poursuite, une tâche qui peut s'accomplir beaucoup mieux dans un poste de police que dans la rue ou dans une voiture de patrouille. De plus, le fait d'arrêter l'adolescent et de l'amener au poste de police avant de l'inculper sont vus comme des moyens de bien faire comprendre la gravité de la situation à l'adolescent.

À la suite d'une arrestation et d'une garde temporaire, la plupart des agents préfèrent la Promesse de comparaître à la sommation ou la citation à comparaître comme méthode de mise en liberté, parce qu'elle peut s'accompagner d'une Promesse assortie de conditions spécifiques de mise en liberté. Beaucoup d'agents semblent accorder une importance considérable aux conditions contenues dans une promesse. Ils voient ces conditions comme des contraintes relativement précises, immédiates et exécutoires visant le comportement futur de l'adolescent et comme des conséquences (sanctions) immédiates et concrètes de l'infraction commise par l'adolescent. Parmi les méthodes visant à obliger une personne à comparaître, la plus contraignante est le maintien sous garde jusqu'à une audience en vue de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Les motifs invoqués par les agents de police pour justifier le maintien sous garde d'adolescents se répartissent en trois grandes catégories. La première comprend des raisons reliées à l'application de la loi, dans un sens strict, telles que l'établissement de l'identité, la protection d'éléments de preuve, avoir l'assurance de la comparution devant le tribunal d'un adolescent dont la police a des raisons de croire qu'il ne comparaîtrait pas autrement, et la prévention de la récidive. La deuxième catégorie de raisons peut se résumer à « la détention dans l'intérêt de l'adolescent ». Il peut s'agir de maintenir sous garde des adolescents qui sont intoxiqués, des adolescents qui n'ont pas de foyer sûr où rentrer s'ils sont relâchés et qui ne peuvent pas être pris en charge par des organismes de services sociaux, ou des adolescents qui se prostituent. Certains agents voient l'autre solution - la mise en liberté de l'adolescent pour le renvoyer dans un milieu dangereux et potentiellement létal - comme imprudente ou cruelle. Le troisième type de motifs repose sur une conception de la détention comme d'une autre mesure policière - c'est-à-dire, comme une autre mesure parmi la gamme de mesures que les policiers peuvent prendre pour infliger une sanction par suite du comportement illégal d'un adolescent ou pour faire en sorte que celui-ci ait des conséquences significatives.

Facteurs contextuels

Les corps policiers évoluent dans un contexte complexe, composé notamment de la communauté locale, des lois, politiques, procédures et programmes fédéraux et provinciaux, des ressources locales publiques et privées et de l'opinion publique. La police a peu ou pas de contrôle sur ce contexte. Aucun organisme public fédéral ou provincial ne peut non plus espérer exercer une influence immédiate significative sur certain des aspects importants du contexte du maintien de l'ordre, tels que le degré d'urbanisation, les caractéristiques sociodémographiques ou le niveau et le type de criminalité qui prévaut dans les collectivités desservies par la police. Cependant, les gouvernements provinciaux peuvent influer sur d'autres aspects du contexte du maintien de l'ordre qui ont des incidences sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police, notamment la relation entre les avocats du procureur général et la police ainsi que la disponibilité de programmes de déjudiciarisation.

Beaucoup d'agents de police considèrent que la disponibilité de ressources externes vers lesquelles diriger un adolescent appréhendé est essentielle pour leur permettre d'éviter de devoir inculper l'adolescent. Cette disponibilité varie grandement. Ces ressources sont beaucoup plus présentes dans les régions métropolitaines que dans les collectivités suburbaines/exurbaines ou, surtout, dans les collectivités rurales et les petites villes. Cependant, les agents les trouvent inadéquates dans tous les types de collectivités et dans toutes les régions du Canada. Lorsqu'il n'existe aucun organisme auquel la police peut confier un adolescent ayant besoin d'une surveillance et d'une intervention immédiates, les policiers se sentent alors parfois contraints de maintenir l'adolescent sous garde jusqu'à l'enquête sur la mise en liberté sous caution.

Certaines recherches, surtout aux États-Unis, ont établi une corrélation entre l'urbanisation et des taux de criminalité plus élevés et un recours plus fréquent à des mesures officielles par la police, tandis que l'on relève des taux de criminalité plus faibles et une plus forte ambiance communautaire dans les régions rurales et les petites villes, qui s'accompagne d'une attitude moins légaliste de la part des policiers. Au Canada, il n'y a aucune corrélation entre l'urbanisation et le taux de criminalité. Les taux de criminalité dans les petites collectivités sont aussi élevés que dans les plus grandes villes. Cependant, les adolescents commettent plus d'infractions graves avec violence et d'infractions contre les biens, et plus de crimes liés à des gangs, dans les régions métropolitaines. On relève également une attitude différente chez les policiers dans les régions rurales et les petites villes, de même que certaines différences d'approche policière entre les centres urbains et leurs environs suburbains et exurbains. Les collectivités rurales et celles des petites villes ont un climat social particulier qui semble également influer sur le processus décisionnel des policiers. Étant donné leur plus grande intégration sociale, les agents des régions rurales et des petites villes se sentent plus responsables envers leur collectivité. En revanche, les services de police dans la plupart des régions rurales et des petites villes au Canada sont assurés par des détachements de la police provinciale ou par des détachements de la GRC fonctionnant en vertu de contrats provinciaux, et les commandants de détachement au sein de la GRC et de la PPO doivent rendre des comptes à leurs supérieurs, et, en bout de ligne, au quartier général à Ottawa ou à Orillia. Les agents de police de régions rurales et de petites villes ont laissé entendre que les collectivités qu'ils desservent veulent que la police ait une attitude sévère vis-à-vis de la criminalité chez les jeunes, mais non qu'elle incarcère les adolescents. À comparer aux agents des régions métropolitaines ou suburbaines, les agents des régions rurales et des petites villes semblent recourir plus souvent à des mesures officieuses, mais moins souvent à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation.

Vingt-neuf pour-cent (29 %) des services de police ont dit qu'il y avait « beaucoup » de criminalité chez les jeunes dans leur collectivité, 17 % ont dit « pas beaucoup », et les autres ont indiqué « une quantité normale ». Les perceptions de hauts taux de criminalité chez les jeunes sont plus courantes dans les Prairies et les Territoires, de même que dans les régions métropolitaines. Les corps policiers qui affirment qu'il n'y a « pas beaucoup » de criminalité chez les jeunes inculpent une proportion plus élevée d'adolescents appréhendés. Ils sont aussi plus susceptibles de recourir à diverses formes de mesures officieuses et de mesures de déjudiciarisation préalable à l'inculpation, et ils sont plus susceptibles de maintenir un adolescent sous garde jusqu'à une audience en vue de sa mise en liberté provisoire par voie judiciaire et d'invoquer des motifs « légalistes » plutôt que des motivations sociales pour justifier la détention. Les agents dans la plupart des services ont affaire à des niveaux élevés d'infractions mineurs contre les biens et de voies de fait mineures perpétrées par des adolescents. Les trois-quarts des corps policiers estiment aussi qu'il y a des niveaux élevés d'infractions graves contre les biens perpétrées par des adolescents, en particulier des introductions par effraction. Un quart des services ont mentionné un problème d'infractions graves avec violence chez les adolescents. Un quart des services ont signalé un problème de gangs de jeunes. Les infractions graves avec violence et les gangs sont deux phénomènes plus courants dans les régions métropolitaines et dans les Prairies. Quatre-vingt pour-cent (80 %) des services de police interrogés percevaient un problème grave d'infractions liées à la drogue chez les adolescents dans leur ressort. Cette perception prévaut dans l'ensemble des provinces et des territoires et dans tous les types de collectivités. Quatorze pour-cent (14 %) des services de police - dont la totalité des corps policiers desservant des régions métropolitaines, à une exception près - ont signalé un problème de prostitution chez les adolescents. Nous n'avons relevé aucun rapport significatif entre les types de criminalité chez les jeunes signalés dans un ressort et l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard des adolescents dans ce ressort.

Quarante-deux pour-cent (42 %) des corps policiers interrogés ont déclaré qu'il y avait dans leur ressort des populations autochtones importantes vivant soit dans des réserves soit hors réserve. Ces populations sont plus nombreuses dans les Territoires, en Colombie-Britannique et dans les Prairies. Les services de police ayant dans leur ressort des autochtones hors réserve affichent des taux d'inculpation d'adolescents appréhendés qui sont légèrement supérieurs à ceux d'autres corps policiers. Les données recueillies au moyen d'entrevues indiquent que les corps policiers ayant dans leur ressort des populations autochtones sont légèrement plus susceptibles que d'autres corps policiers de recourir à des mesures officieuses, deux fois plus susceptibles de renvoyer un adolescent à un programme de Justice Réparatrice, moins susceptibles de recourir à des sommations et à des citations à comparaître, plus susceptibles de recourir à une Promesse de comparaître et à une Promesse remise à un fonctionnaire responsable, et plus susceptibles de maintenir l'adolescent sous garde jusqu'à une audience en vue de sa mise en liberté provisoire par voie judiciaire parce que l'adolescent est récidiviste ou est intoxiqué ou encore pour assurer la sécurité de ce dernier.

Environ deux tiers des répondants trouvaient que la collectivité appuyait généralement ou grandement la police, un quart des répondants ont fait des évaluations neutres ou mitigées, et 14 % des répondants trouvaient que la collectivité appuyait « quelque peu » la police ou « ne » l'appuyait « pas ». Nous n'avons relevé aucun rapport entre l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des adolescents et le degré perçu d'appui communautaire.

Facteurs organisationnels

L'aspect le plus saillant de l'organisation policière en ce qui a trait à son processus décisionnel à l'égard des jeunes contrevenants tient probablement à l'existence ou à l'absence d'une escouade d'intervention auprès des jeunes (ou de policiers spécialisés - c'est-à-dire, des agents qui sont affectés exclusivement à la criminalité chez les jeunes). Seuls 17 des 92 services de police interrogés disposent d'une escouade d'intervention auprès des jeunes ou de policiers spécialisés. Il s'agit dans tous les cas de services de police municipaux indépendants, et la vaste majorité d'entre eux (14) sont de grandes organisations, comptant plus de 100 agents. Ces corps policiers sont situés principalement dans des régions métropolitaines, surtout en Ontario, au Québec et en Colombie-Britannique. Il est difficile pour les services de police et les détachements de taille plus modeste d'affecter un ou plusieurs agents exclusivement à la criminalité chez les jeunes. Certains services de police et détachements de taille plus modeste comptent des agents qui se spécialisent dans les incidents impliquant des adolescents, mais ils assument aussi toutes sortes d'autres fonctions de maintien de l'ordre. Il semble que la présence d'escouades d'intervention auprès des jeunes et de policiers spécialisés au sein des services de police canadiens ait considérablement diminué depuis leur âge d'or des années 70, et cela est probablement attribuable dans une large mesure à des contraintes financières subies au cours des années 90.

Les services de police qui disposent d'une section de la jeunesse et/ou de policiers spécialisés ont une approche différente des incidents impliquant des adolescents. En particulier, les données recueillies lors d'entrevues révèlent qu'ils procèdent plus souvent à des renvois à des organismes externes et à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation, et qu'ils recourent moins souvent à l'inculpation en bonne et due forme. Ils sont plus susceptibles d'employer des méthodes moins contraignantes pour assurer la comparution. Cependant, lorsqu'ils utilisent des Promesses remises à un fonctionnarie responsable, ils ont tendance à imposer des conditions plus restrictives et qui sont ciblées au comportement délictueux de l'adolescent. Ils sont aussi plus susceptibles de recourir à la détention, de même qu'à la misen en liberté sous condition, comme moyen de composer avec ce qu'ils perçoivent comme les conditions criminogènes de la vie de l'adolescent. De nombreux programmes novateurs sont élaborés par des policiers spécialisés, et ceux-ci sont capables de prendre l'initiative de tisser des liens avec les jeunes au sein de la collectivité à titre primaire, secondaire ou tertiaire. Les policiers spécialisés qui assurent des fonctions de suivi et qui servent de personne-ressource aux policiers de patrouille contribuent à la collecte de renseignement ainsi qu'à une meilleure connaissance des mesures de rechange au tribunal pour adolescents officiel. En un sens, l'existence d'une escouade d'intervention auprès des jeunes - tout comme l'existence d'une brigade des homicides ou des vols à main armée - tend à démontrer que le service de police reconnaît le caractère distinct de ce type particulier de criminalité, et qu'il juge important de développer des compétences spéciales pour s'en occuper.

Quatre-vingt-trois pour-cent (83 %) des corps policiers interrogés ont des Agents de Liaison avec les Écoles (« ALE »), mais seulement 40 % d'entre eux assignent des fonctions d'application de la loi (intervention, enquête et traitement) à leurs ALE - ; dans les autres services de police, le rôle de l'ALE se limite à faire des présentations sur la prévention de la criminalité dans les écoles. Les ALE, surtout ceux qui exercent des fonctions d'application de la loi, sont plus nombreux dans les services de police plus importants, un phénomène sans doute attribuable à des questions de ressources. La présence d'ALE, surtout d'ALE exerçant des fonctions d'application de la loi, réduit légèrement le recours à l'inculpation à l'égard des jeunes contrevenants. Les services de police qui ont des ALE, surtout des ALE exerçant des fonctions d'application de la loi, semblent recourir à des mesures moins contraignantes pour donner suite à des actes de délinquance chez les jeunes : ils sont plus susceptibles de recourir à des mesures officieuses, moins susceptibles d'inculper un adolescent ou de le raccompagner à la maison ou de l'amener au poste de police pour l'interroger, plus susceptibles de renvoyer un adolescent à des organismes externes, plus susceptibles de recourir à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation et plus susceptibles d'employer des citations à comparaître pour contraindre l'adolescent à se présenter devant le tribunal.

La police communautaire a quatre dimensions : une dimension philosophique, une dimension stratégique, une dimension tactique et une dimension organisationnelle. La dimension stratégique de la police communautaire comprend l'adoption et la promulgation publique de politiques et de protocoles écrits concernant tous les aspects du maintien de l'ordre, et l'attribution de ressources importantes à la police communautaire. Selon les agents que nous avons rencontrés en entrevue, 22 % des services de police de l'échantillonnage ont mis en œuvre la dimension stratégique en attribuant des ressources importantes à la police communautaire. Les services de police qui ont attribué des ressources importantes à la police communautaire ont des taux d'inculpation plus faibles. Ils recourent plus souvent à des mesures officieuses, ils renvoient plus souvent des adolescents à des organismes externes, ils appliquent plus de mesure de rechanges préalables à l'inculpation, et ils utilisent plus de Promesses de Comparaître, soit pour éviter de maintenir l'adolescent sous garde, soit « à titre de conséquence plus grave » (que la sommation ou la citation à comparaître) pour l'adolescent.

La dimension tactique de la police communautaire comprend la participation à des programmes de prévention de la criminalité et l'adoption du modèle de processus de maintien de l'ordre axé sur la résolution des problèmes. Chacun des services de police de l'échantillonnage participe à des programmes de prévention de la criminalité, mais le degré de participation varie considérablement. Les services de police qui participent davantage à des programmes de prévention de la criminalité tendent à avoir un taux plus faible d'inculpation, surtout dans les collectivités qui affichent des niveaux élevés de criminalité chez les jeunes. On observe une corrélation entre une plus grande participation à des programmes de prévention de la criminalité et un recours plus fréquent à des mesures officieuses. L'adoption du modèle de processus de maintien de l'ordre axé sur la résolution des problèmes ne semble pas avoir beaucoup d'impact sur le processus décisionnel concernant les adolescents.

Environ la moitié de l'échantillonnage a été en mesure de fournir de la documentation sur les politiques et les protocoles concernant les jeunes contrevenants et les incidents impliquant des adolescents. Cependant, seulement 13 % des agents que nous avons interviewés trouvaient que les politiques et les protocoles de leur organisation étaient utiles, et seulement 2 % les trouvaient réalistes. Les services de police qui ont des politiques et des protocoles relatifs aux adolescents inculpent moins souvent les adolescents appréhendés : ils tendent à recourir plus fréquemment à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation et aux citations à comparaître. Les agents qui trouvent que les politiques et protocoles de leur organisation concernant les adolescents sont utiles ou réalistes sont plus susceptibles de recourir à différentes formes de mesures officieuses, à des renvois à des organismes externes, à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation et aux citations à comparaître; et ils sont également plus susceptibles d'invoquer la loi plutôt que des considérations d'ordre social lorsqu'ils prennent des décisions relatives au placement sous garde et à la mise en liberté.

Il y a deux modèles courants de pouvoir et de responsabilité en matière d'inculpation : l'autonomie de l'agent de première ligne ou la décision initiale de l'agent de première ligne sujette à révision par un ou plusieurs autres agents. L'incidence du modèle procédural d'inculpation varie selon que le service de police comporte ou non une escouade d'intervention auprès des jeunes. Le modèle qui affiche les plus faibles taux d'inculpation est celui de l'autonomie de l'agent de première ligne au sein d'un service de police qui dispose de policiers spécialisés. Le modèle qui affiche les plus haut taux d'inculpation est celui de l'autonomie de l'agent de première ligne sans policiers spécialisés. Ainsi, le modèle de l'autonomie de l'agent de première ligne entraîne un exercice plus fréquent du pouvoir discrétionnaire de ne pas inculper les adolescents si l'agent de première ligne a été formé à l'intervention auprès des adolescents, ou si le service de police préconise l'exercice du pouvoir discrétionnaire à l'égard des adolescents, comme en témoigne sa création d'une escouade d'intervention auprès des jeunes. Les services de police ne comptant aucun policier spécialisé et au sein desquels les agents de première ligne décident seuls de la manière de disposer des cas d'adolescents tendent à recourir moins fréquemment à des renvois à des organismes externes et à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation, et à inculper davantage. Enfin, les policiers de patrouille autonomes semblent recourir à des mesures moins contraignantes pour s'assurer de la présence d'un adolescent devant le tribunal.

Quarante pour-cent (40 %) des agents ont dit que leur travail était surtout réactif, 9 % ont dit qu'il était surtout préventif et 51 % ont dit que leur travail comportait « un peu des deux ». Les agents dont le travail est surtout préventif sont plus susceptibles de recourir à des mesures officieuses, moins susceptibles d'inculper formellement, moins susceptibles de placer les adolescents sous garde jusqu'à une audience en vue de leur mise en liberté provisoire par voie judiciaire, mais plus susceptibles d'imposer des conditions plus contraignantes lors de la mise en liberté en échange de Promesses.

Les services de police décentralisés recourent davantage aux mesures officieuses, à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation, aux Promesses de Comparaître, aux mises en liberté en échange de Promesses assorties de conditions et au maintien sous garde jusqu'à une audience en vue de la mise en liberté provisoire par voie judiciaire.

Facteurs liés aux infractions et aux contrevenants

Les facteurs « juridiques » de la gravité de l'infraction (notamment sa qualification aux termes du Code criminel, la présence d'une arme et le type d'arme, le cas échéant, et le fait qu'une victime a subi des lésions corporelles ou des dommages matériels) et des rapports antérieurs de l'adolescent avec la police constituent de loin les principaux déterminants de la décision de l'agent d'inculper ou de régler l'incident autrement. Cependant, le rapport entre le type d'infraction et la probabilité d'une inculpation n'est pas une simple question de « gravité ». Certaines infractions plus graves présentent des taux d'inculpation plus faibles, et certaines infractions moins graves présentent des taux d'inculpation plus élevés. L'inculpation est beaucoup plus probable si l'adolescent portait une arme, surtout une arme à feu (ce qui est très rare), ou si une victime a subi des lésions corporelles ou des dommages matériels importants.

Les antécédents de l'adolescent en matière d'activité criminelle ont une très grande influence sur le pouvoir discrétionnaire de la police. Le nombre d'interpellations antérieures de l'adolescent constitue de loin le facteur le plus susceptible de motiver une décision d'inculper.

Le deuxième facteur le plus important qui est pris en compte lors de la décision d'inculper ou non est le comportement de l'adolescent. Les agents ont insisté sur l'importance pour l'adolescent d'admettre la responsabilité de son acte délictueux et sur leur disposition à « lui donner une chance » lorsque l'adolescent exprimait des remords et un respect de la loi. Ils ont aussi mentionné à répétition « l'admission de responsabilité » comme critère d'admissibilité aux Mesures de Rechange.

Viennent ensuite, comme facteurs importants pris en compte lors de la décision d'inculper ou non, la préférence exprimée par la victime quant aux mesures à prendre à l'endroit du contrevenant, l'importance et la nature de la participation des parents (si les parents semblaient disposés et aptes à prendre en charge l'adolescent, et s'ils manifestaient une attitude appropriée vis-à-vis de l'acte délictueux de leur enfant) et la stabilité de la situation de l'adolescent à la maison et à l'école.

Quarante pour-cent (40 %) des répondants ont mentionné le fait que l'infraction soit reliée à un gang, et 22 % ont cité l'affiliation de l'adolescent à un gang, comme des facteurs ou des facteurs importants influant sur la décision qu'ils prennent.

Vingt-huit pour-cent (28 %) des répondants ont dit que l'âge de l'adolescent constituait un facteur ou un facteur important ayant une influence sur leur décision. Un adolescent appréhendé qui est âgé de 17 ans est 50 % plus susceptible d'être inculpé, même lorsque d'autres facteurs tels que la gravité de l'infraction et ses antécédents criminels sont contrôlés.

Certains autres facteurs jouent un rôle mineur ou secondaire dans la décision de la police d'inculper ou non un adolescent : si l'incident impliquait un ou plusieurs délinquants, le lieu et/ou le moment de la journée, si l'adolescent était sous l'effet de l'alcool ou de drogues, tout lien entre l'adolescent et la victime, et l'implication d'un délinquant adulte, le cas échéant.

D'après les agents interviewés, le type de victime (individu ou entreprise) et le sexe et la race de l'adolescent n'influent que peu ou pas sur la décision d'inculper. L'analyse des données statistiques provenant de la DUC2 tend à démontrer que les adolescents autochtones sont nettement plus susceptibles d'être inculpés, même lorsque d'autres facteurs pertinents sont contrôlés.

Nous avons comparé les opinions sur l'importance de ces facteurs exprimées par des agents exerçant dans différentes régions du pays, différents types de collectivités et différentes fonctions. Le résultat le plus frappant est l'uniformité des opinions chez tous les agents (et la concordance des données provenant des entrevues avec les résultats de l'analyse statistique des données de la DUC2, et, en fait, avec la plupart des recherches antérieures, au Canada et dans d'autres pays).

Conclusions

Notre recherche nous porte à croire que le principal obstacle à la déjudiciarisation policière des adolescents appréhendés est le manque de programmes adéquats. La vaste majorité des agents de police que nous avons interviewés croient que la déjudiciarisation officieuse et les Mesures de Rechange peuvent offrir des solutions valables à la criminalité chez les jeunes, mais beaucoup d'agents n'ont aucune possibilité d'y recourir, et presque tous les agents n'ont pas la possibilité d'y recourir autant qu'ils le voudraient, en raison de la non-disponibilité de ces programmes. Ainsi, les policiers sentent qu'ils n'ont d'autre choix que d'inculper l'adolescent dans des circonstances où une simple mesure officieuse leur paraît inadéquate. De l'avis des policiers que nous avons interviewés, les programmes de déjudiciarisation postérieure à l'inculpation ne constituent pas une mesure de rechange attrayante. Les policiers ont peu d'influence sur la décision relative à la déjudiciarisation postérieure à l'inculpation, et ils ne sont pas informés de ses résultats. Il leur paraît paradoxal de devoir inculper un adolescent afin de déjudiciariser son cas. Notre analyse de données statistiques confirme l'intuition que les mesures de rechange postérieures à l'inculpation entraînent une augmentation des inculpations.

Mis à part les programmes de déjudiciarisation comme tels, les programmes sociaux susceptibles d'offrir de l'aide aux adolescents qui sont dans le besoin ou qui risquent de récidiver sont, d'après beaucoup de nos répondants, terriblement inadéquats. En l'absence de ces programmes et organismes, les agents de police se retrouvent parfois dans la position de travailleurs sociaux substituts, ne voyant aucune autre possibilité que l'exercice de leurs pouvoirs d'arrêter, d'inculper et de maintenir sous garde des adolescents qui ont surtout besoin de protection et d'assistance, et non de sanctions pénales.

Concernant les mesures officieuses, au terme de la présente recherche, nous sommes parvenus à la conclusion qu'aujourd'hui comme dans le passé, la police applique fréquemment ce type de mesures aux adolescents appréhendés, et qu'elle continuera de le faire sous le régime de la nouvelle loi. Cependant, les mesures officieuses pourraient être beaucoup plus utilisées. Sous le régime de la Loi sur les jeunes délinquants, beaucoup de services de police recouraient à des mesures officieuses à l'égard de 75 % ou plus des adolescents appréhendés. Plusieurs services de police et détachements, surtout au Québec et en Colombie-Britannique, inculpent à l'heure actuelle seulement de 20 à 30 % des adolescents appréhendés. La LJC permettait expressément l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des adolescents : ne prendre « aucune mesure » ou prendre « des mesures autres que des procédures judiciaires », mais la mise en application de la LJC semble avoir lamentablement échoué pour ce qui est de la légitimation, tant aux yeux de la police qu'aux yeux de la population, du recours par la police à des mesures officieuses à l'égard des adolescents. La plupart des agents de police continuent de considérer que l'application d'une mesure officieuse (ou la déjudiciarisation préalable à l'inculpation) équivaut à « donner une chance au jeune », plutôt qu'à prendre une mesure légitime d'application de la loi par suite d'une infraction à la loi.

La LSJPA favorise la prise de mesures officieuses par la police, et, plutôt que de les rendre simplement acceptables, elle pose la présomption que de telles mesures sont indiquées dans le cas des délinquants primaires auteurs d'une infraction sans violence. Cependant, nous croyons qu'il faudra mener une importante campagne de sensibilisation pour persuader la police que les mesures officieuses constituent une intervention parfaitement légitime et indiquée à l'égard de la criminalité chez les jeunes - tout aussi légitime et indiquée, dans certaines circonstances, qu'un renvoi à un programme ou devant le tribunal.

La LSJPA favorise également le recours à des mesures extrajudiciaires dans le cas d'infractions reliées à l'administration de la justice. Cependant, tout comme pour l'application de mesures officieuses par la police, nous croyons qu'il faudra déployer des efforts importants pour faire accepter cette nouvelle façon d'aborder les infractions reliées à l'administration de la justice.

Les deux provinces dans lesquelles les policiers nous ont dit que les avocats du procureur général examinent leurs recommandations d'inculpation - le Québec et la Colombie-Britannique[1] - affichent également les plus faibles taux d'inculpation d'adolescents appréhendés au pays. Il paraît peu vraisemblable qu'il s'agisse d'une pure coïncidence. Plusieurs des agents en Colombie-Britannique nous ont dit qu'ils trouvaient le système d'examen de leurs recommandations d'inculpation par le substitut du procureur général si frustrant qu'ils préféraient, dans la mesure du possible, recourir à des mesures officieuses ou à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation (Mesures de Rechange). L'on peut tirer de ce qui précède la conclusion plutôt perverse qu'une des façons de réduire le recours à l'inculpation officielle par les policiers consiste à rendre la procédure si frustrante qu'ils éviteront d'y recourir.

Concernant les influences organisationnelles sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des adolescents, nos constatations nous amènent à conclure que les services de police qui veulent recourir davantage aux mesures officieuses et à la déjudiciarisation préalable à l'inculpation, et employer moins souvent des méthodes contraignantes pour assurer la comparution, pourraient envisager l'une quelconque des mesures Page suivantes : l'adoption intégrale du modèle de la police communautaire, dans toutes ses dimensions, y compris une restructuration organisationnelle fondamentale et une révision de l'orientation philosophique, l'attribution de ressources importantes à la police communautaire, une participation accrue aux programmes de prévention de la criminalité, surtout dans les collectivités aux prises avec des taux élevés de criminalité, et l'adoption du modèle de processus de maintien de l'ordre axé sur la résolution des problèmes à tous les niveaux de la hiérarchie; la création d'une escouade d'intervention auprès des jeunes, ou à tout le moins un ou plusieurs agents qui se spécialisent dans la criminalité chez les jeunes; l'adoption de politiques et de protocoles visant expressément le traitement des jeunes contrevenants et de la criminalité chez les jeunes; donner une formation sur le traitement de la criminalité chez les jeunes à tous les agents de première ligne, pour ensuite leur laisser le pouvoir de décider de manière autonome des suites qu'il convient de donner à des incidents impliquant des adolescents; attribuer des fonctions d'enquête et d'application de la loi aux ALE qui se bornent à l'heure actuelle à faire des présentations dans les écoles; adopter une approche plus préventive du maintien de l'ordre; et décentraliser le processus décisionnel au sein de l'organisation.

Beaucoup de cadres des services de police sont parfaitement conscients de l'utilité d'une escouade d'intervention auprès des jeunes, d'ALE qui exercent des fonctions d'application de la loi, etc., et beaucoup de services de police ont déjà eu des escouades de la jeunesse, mais celles-ci ont été démantelées en raison de contraintes financières éprouvées au cours des années 1990. Les activités de base de la police, aux yeux de la plupart des agents de police et de la plupart des citoyens, consistent à faire des patrouilles de routine et à répondre à des appels de services, c'est-à-dire aux dénonciations des citoyens. Par conséquent, pour que les différentes innovations organisationnelles décrites ci-dessus puissent être adoptées, un service de police doit non seulement recevoir le financement nécessaire pour cette innovation, mais il doit également avoir l'assurance d'un budget de base adéquat - parce qu'en cas d'inadéquation du budget de base relatif aux fonctions policières traditionnelles auxquelles s'attend le public, les fonds accordés pour l'innovation seront inévitablement détournés d'une manière ou d'une autre vers ce que tous considèrent comme les activités de base.

Notre analyse des facteurs pris en compte par la police lors de sa prise de décision a au moins une implication au regard de la mise en œuvre de la LSJPA. Cette implication concerne l'importance primordiale que la police accorde aux interpellations antérieures de l'adolescent, qu'elles aient mené ou non à une inculpation ou à une déclaration de culpabilité. Si la mise en œuvre de la LSJPA a notamment pour effet d'améliorer considérablement les processus d'enregistrement des mesures officieuses, afin de suivre le recours à ces mesures et leur efficacité, cela pourrait très bien avoir pour effet de mettre plus de renseignements à la disposition de la police concernant l'activité délictueuse antérieure de l'adolescent - ce qui pourrait entraîner une augmentation des inculpations.

Nous proposons plusieurs activités de recherche qui s'inscriraient dans le prolongement de la présente recherche : une évaluation de l'impact de la LSJPA impliquant une collecte de données comparables dans quelques années et l'analyse de tout changement survenu, le cas échéant; une étude de base de dossiers relatifs au pouvoir discrétionnaire de la police sous le régime de la LJC comportant une collecte de données quantitatives sur différents aspects du pouvoir discrétionnaire de la police, tels que les avertissements officieux, les avertissements officiels, les arrestations, etc.; une étude approfondie des services de police afin de recenser les « pratiques exemplaires » à l'égard des adolescents; une étude du traitement des infractions reliées à l'administration de la justice sous le régime de la LSJPA; et l'amélioration de la DUC2 comme outil de suivi de la mise en œuvre et de l'impact de la LSJPA, en étendant son champ d'application et en améliorant l'intégrité de ses indicateurs clés relatifs au pouvoir discrétionnaire de la police.