Le rôle de la victime au sein du processus judiciaire : une analyse bibliographique 1989 à 1999

2. Histoire et théorie (suite)

2. Histoire et théorie (suite)

2.2 Débat (suite)

2.2.2 Droit des victimes et modèles de justice pénale

En tentant de trouver un modèle théorique convenable afin de procurer une assise aux droits des victimes, le professeur Roach a proposé en 1996 un troisième modèle de processus pénal. Pendant des décennies, les commentateurs universitaires ont vanté les vertus descriptives et prescriptives des deux modèles de processus pénal du professeur Herbert Packer. Dans The Limits of the Criminal Sanction (1968), le professeur Packer décrit le modèle de lutte contre la criminalité de type chaîne de montage qui met l'accent sur la répression de la criminalité de manière efficiente ainsi que le modèle d'application régulière de la loi de type course à obstacle, qui met l'accent sur les libertés civiles et sur la fiabilité du verdict par opposition à l'efficience du processus. Selon le professeur Roach :

[TRADUCTION]
Les modèles de répression de la criminalité et d'application régulière de la loi ne suffisent plus à décrire le système judiciaire moderne. Un troisième modèle, le modèle des droits de la victime devrait être ajouté à ce mélange. Ce modèle est complexe et comporte de multiples facettes. Il implique des demandes concernant davantage de lois et de pour-suites, une plus grande sensibilité à l'endroit de l'accusé, comme les femmes violentées qui affirment être les vraies victimes, un rôle plus important pour la victime dans le procès de l'accusé et davantage de services et de soutien aux victimes. Le fait de fournir à la victime un rôle et du soutien dans le cadre du procès criminel pourrait corriger la nature fermée et parfois insensible à la fois du modèle de l'application régulière de la loi et celui de la répression de la criminalité. D'autre part, il est à craindre que les victimes d'actes criminels ne se voient attribuer qu'un rôle symbolique dans le processus criminel et que le recours à la sanction criminelle en leur nom n'améliore pas leur vie. Il peut également y avoir une concurrence fractionnelle parmi les victimes pour obtenir la préférence des décideurs. (Roach, 1996, p. 21)

Malheureusement, la formulation du professeur Roach concernant un troisième modèle est plutôt vague. Toutefois, en 1999, il a publié le premier et, à ce jour le seul texte universitaire sur les droits des victimes au Canada (Roach, 1999b). Dans ce livre, il précise et analyse d'une façon plus nuancée son troisième modèle. Il suggère qu'il existe deux formulations du modèle des droits des victimes dans le processus criminel : l'approche punitive et l'approche non punitive ou réparatrice. Il décrit comme suit l'approche punitive :

[TRADUCTION]
Un modèle punitif des droits des victimes se compare au modèle de répression de la criminalité en ce qu'il présume que la mise en ouvre d'une loi criminelle, d'une poursuite et d'un châtiment réprime la criminalité. Certains défenseurs des droits des victimes affichent le même vis-à-vis de la sanction criminelle qui caractérise le modèle de répression de la criminalité. Ceci peut représenter la prise en charge des droits des victimes par des intérêts professionnels dans la répression de la criminalité ou la domination des groupes de défense des victimes par les personnes qui ont été victimes des crimes les plus graves. La nature des politiques en matière de justice pénale, qui sont souvent motivées par d'horribles affaires de violence bien publicisées, entraîne certaines personnes à conclure qu'il est « irréaliste de s'attendre à ce que la défense des victimes prenne la tête du mouvement en faveur d'une réinsertion en ayant recours à la honte ». La défense des victimes met souvent l'accent sur la création de nouvelles lois criminelles dans l'espoir d'empêcher une future victimisation. Les réformes féministes des lois sur l'agression sexuelle et les nouvelles lois qui ciblent l'exploitation sexuelle des enfants sont conçues non seulement afin de protéger la vie privée et l'intégrité physique des victimes mais également afin de faciliter l'obtention de condamnations. Les déclarations des victimes et leur participation à la détermination de la peine ainsi qu'aux audiences de libération conditionnelle sont souvent orientées vers un châtiment plus sévère. Les droits des victimes peuvent, beaucoup plus directement que l'application régulière de la loi, renforcer et légitimer la répression de la criminalité. (Roach, 1999b, p. 30-31)

Puis il poursuit en décrivant ainsi le modèle non punitif des droits des victimes :

[TRADUCTION]
La préoccupation envers les victimes n'engendre pas une dynamique inévitable qui ferait en sorte que l'on se fierait à la sanction et au châtiment criminels. Une autre orientation se situe au-delà de la montagne russe que représente le fait de se fier à une sanction criminelle inadéquate et le fait de contrer les demandes d'application régulières de la loi et davantage dans le sens de la prévention de la criminalité et d'une justice réparatrice une fois le crime commis. On peut représenter par un cercle la prévention et la réparation. La collectivité clôturée avec sa propre force policière privée pourrait constituer une manifestation du cercle. La surveillance de quartier efficace ou l'autosurveillance des familles et des collectivités représente un autre exemple. Une fois le crime commis, le cercle représente le processus de guérison, de dédommagement et de justice réparatrice. Sous l'ange normatif, le modèle du cercle met en relief les besoins des victimes davantage que leurs droits et tente de minimiser la souffrance à la fois de la victimisation et du châtiment.

L'approche non punitive ne nuit pas aux stratégies et aux agents de répression de la criminalité mais, contrairement au modèle punitif, elle fait en sorte que leur importance ne soit plus centrale. Les familles, les écoles, les employeurs, les urbanistes, les assureurs ainsi que les personnes qui omettent de fournir des services sociaux et des possibilités économiques sont également responsables du crime. Le défi consiste à franchir d'un bond les lignes de compétence traditionnelles et à ne pas répartir trop uniformément la responsabilité. On peut réussir à prévenir la criminalité grâce au développement social afin d'identifier les personnes à risque et de leur procurer des services. Une intervention en bas âge visant les comportements perturbateurs et antisociaux et les faibles compétences parentales peuvent contribuer à empêcher de futurs crimes ainsi qu'à voiler les distinctions évidentes entre les victimes et les contrevenants. Parallèlement, des types plus immédiats de prévention de la criminalité, notamment le renforcement de la cible, un meilleur éclairage, un échange de renseignements entre les administrations et la modification des activités à haut risque jouent également un rôle. Les approches liées à la santé publique ciblent bien davantage la victime que ne le font les réactions de la justice pénale qui tentent de dissuader et de punir les contrevenants. Contrairement au modèle punitif, on se préoccupe peu de jeter le blâme sur les contrevenants ou les victimes. En vertu d'une approche de santé publique, le modèle non punitif reconnaît que les contrevenants et les victimes sont souvent issus de populations semblables et que ces populations sont exposées de façons disproportionnées à des dangers autres que la criminalité. La prévention de la criminalité peut évoluer en une approche davantage globale à la sécurité et au bienêtre qui n'établit pas de distinctions rigides et rapides entre le risque de victimisation par la criminalité et d'autres risques et dangers.

Une fois le crime commis, on vise surtout à réduire les dommages qu'il cause par la guérison, le dédommagement et la justice réparatrice. On peut refermer le cercle sans aucune intervention de l'extérieur puisque les victimes d'actes criminelles adoptent elles-mêmes des mesures afin de guérir et de tenter de prévenir le crime dans l'avenir. De façon plus prosaïque, le cercle de réparation peut tout simplement représenter une réclamation sur une police d'assurance qui rembourse l'argent que le détenteur de la police a investi en primes d'assurance lorsque la victime signale le crime, on peut représenter le cercle au moyen d'un processus de justice réparatrice qui permet au contrevenant d'endosser la responsabilité du crime et de tenter de réparer les dommages causés aux victimes par le biais, dans bien des cas, de procédures informelles comme les cercles de guérison autochtones, les conférences familiales et les programmes de réconciliation entre la victime et le contrevenant dans lesquels tous les intervenants sont assis en cercle. Toutes ces interventions ont en commun leur préoccupation concernant le bienêtre à la fois des contrevenants et des victimes, des approches informelles non punitives ainsi que la participation importante de la collectivité. Les principaux intervenants dans ces cercles devraient être la victime, le contrevenant et leur famille et partisans et non pas la police, les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense ou les juges qui peuvent s'approprier leur différend. Les victimes jouent le rôle le plus important et cela leur confère un certain pouvoir de décider si elles acceptent ou non des excuses et des plans de dédommagement. Dans le cadre d'une approche punitive des droits des victimes, toutefois, elles ne peuvent que faire des représentations auprès des législateurs, des juges et des administrateurs qui conservent le pouvoir ultime d'imposer un châtiment. (Roach, 1999b, p. 33-34)

Bien que la formulation du modèle punitif et non punitif des droits des victimes soit de nature informative, il est intéressant de souligner que dans le tout premier livre universitaire sur les droits des victimes au Canada, le professeur Roach ne consacre qu'un seul chapitre aux droits des victimes. Plusieurs des autres chapitres examinent de manière approfondie la question de savoir si on réussit ou non à accroître la protection des victimes aux dépens des droits de l'accusé. Que l'on qualifie de punitive ou réparatrice la philosophie pénale qui sous-tend les droits des victimes, il existe quand même dans la littérature un refrain récurrent selon lequel la réalisation entière des droits des victimes à participer au processus ne servira qu'à amoindrir les droits constitutionnels des personnes accusées (Acker, 1992). Il existe un sentiment à l'effet que s'il n'est pas convenablement encadré, le mouvement en faveur des droits des victimes nuira aux libertés civiles. Le professeur Hall, un défenseur des droits des victimes pendant les années 1980, se montre prudent en ce qui concerne l'augmentation constante des droits des victimes au cours des années 1990 :

[TRADUCTION]
Il y a plusieurs années, moi-même et un petit groupe de personnes demandions instamment que les victimes d'actes criminels soient traitées par les représentants de la justice pénale avec davantage de respect et de compassion. On a plaidé afin de donner aux victimes davantage de possibilités de devenir des intervenants importants dans le système judiciaire. De nombreux changements positifs et amples décrits ici et ailleurs sont survenus pendant une période relativement courte. Nous devrions nous réjouir de l'efficacité générale de ces efforts, mais le temps est venu de réclamer un équilibre convenable entre les victimes et le contrevenant.

Il est évident que les victimes de crimes constituent d'importants participants du système judiciaire et qu'elles ne doivent pas subir un traitement indifférent ou insensible. Toutefois, en ce qui concerne les décisions relatives aux affaires criminelles, nous devons agir avec prudence lorsque nous choisissons le type de renseignements que nous devrions demander aux victimes afin que les juges en tiennent compte lorsqu'ils imposent une peine. La déclaration de la victime constitue un moyen convenable de la façon dont certaines données devraient être transmises aux représentants du tribunal. Cependant, le contenu de la déclaration de la victime devrait se limiter aux descriptions factuelles des dommages qu'a subis la victime de façon à obtenir une évaluation raisonnablement précise de la culpabilité du contrevenant. Les règlements concernant la participation de la victime qui exigent une opinion ou une recommandation de la victime concernant la sentence représentent des mesures mal conçues qui donnent lieu à des conséquences beaucoup plus dommageables qu'elle n'entraînent d'avantages. On ne devrait pas les mettre en ouvre. Là où des législatures ont déjà approuvé de telles mesures, elles devraient être rescindées. (Hall, 1991, p. 265-266)

Malgré les réclamations d'avocats bien intentionnés, la participation de la victime, dans la plupart des circonstances, ne servira pas à gruger le droit de l'accusé à l'application régulière de la loi non plus qu'elle transformera le processus de détermination de la peine en une cérémonie cruelle. Il existe suffisamment de mesures de sécurité légales et constitutionnelles pour veiller à ce que les droitsdes victimes ne piétinent pas les droits des accusés. À ce jour, il n'est survenu qu'un seul domaine de conflits lorsque les droits des victimes ont semblé heurter de façon irréconciliable les droits des personnes accusées. C'est surtout dans le domaine des agressions sexuelles que nous retrouvons une confrontation irréconciliable entre le droit de la victime à la vie privée et le droit de l'accusé à une réponse et à une défense complètes. En ce qui concerne la production de dossiers de counseling d'une tierce partie (R. c. O'Connor, [1995] 4. R.C.S. 411) et en ce qui concerne la loi sur la protection des victimes de viol (R. c. Darrach, [2000] 2 S.C.R. 443;

R. c. Seaboyer, [1991] 2 R.C.S. 577), la Cour suprême du Canada a tenté de parvenir à une solution de compromis; toutefois, il n'en demeure pas moins qu'on ne peut jamais équilibrer parfaitement le droit à une réponse et à une défense complètes et le droit à la vieprivée. À l'exception de cette incompatibilité mince mais importante, la reconnaissance des droits des victimes n'a pas obtenu de gains aux dépens des droits de l'accusé.

La crainte de piétiner les droits constitutionnels fondamentaux ne fait référence qu'à l'augmentation des droits à la participation de la victime et ne concerne pas les droits sociaux qui sont fournis hors du contexte du procès criminel. Comme le déclarait le professeur Black :

[TRADUCTION]
Si la participation de la victime nuit à la politique en matière pénale, ne serait-ce qu'en encombrant de figurants une scène déjà encombrée, elle ne sert pas réellement les intérêts des victimes non plus que ceux du groupe beaucoup plus étendu de victimes potentielles, à savoir nous tous. En vérité, nous châtions les criminels pour des raisons qui ne sont pas liées aux intérêts immédiats des victimes.

Si la victime a besoin de services, n'hésitons pas à les leur procurer; accordons-leur un dédommagement et une réadaptation. Mais il est beaucoup plus facile pour une législature de concocter de nouveaux « droits » que de financer de nouveaux services. De toute façon, peu de victimes sont en mesure d'exercer leurs droits, mais les politiciens réclament le mérite d'accorder ces droits. Les rituels des tribunaux comme l'allocution de la victime ne valent rien. Les pseudo-défenseurs des droits des victimes désignent ces droits avec fierté, mais on ne peut affirmer au sujet d'aucune compétence, comme on peut le faire au sujet de l'Angleterre : « les plans de soutien aux victimes sont sensibles, efficaces et bien élaborés; maintenant, l'État les cède facilement; et nombre de victimes d'actes criminels sont bien servies ». Les victimes d'actes criminels sont devenues les pions des campagnes en faveur de la loi et de l'ordre et ceci d'une façon ironique, puisque leurs intérêts sont mal desservis par d'autres aspects de l'ensemble de mesures expiatoires. (Black, 1994, p. 239-240)

Le dernier commentaire de cette citation traduit une autre préoccupation croissante dans la documentation des années 1990. Mettant de côté toute question de justification philosophique, nombre d'auteurs se sont inquiété du fait que le mouvement en faveur du droit des victimes avait été piraté par une plate-forme conservatrice prônant la loi et l'ordre (Mosteller, 1998; Henderson, 1998). Inconsciemment, les victimes d'actes criminels ont subi l'influence indue des prétentions conservatrices selon lesquelles une réaction de plus en plus punitive à l'endroit des contrevenants représente le seul mécanisme qui permette de diminuer la victimisation. Comme le soulignait le professeur Fattah :

[TRADUCTION]
Les victimes d'actes criminels ne sont pas les premiers groupes dont la cause a été exploitée par des gouvernements impopulaires qui tentaient d'obtenir une meilleure cote dans les sondages d'opinion, par des politiciens opportunistes qui tentaient d'obtenir des votes aux élections ou par des fonctionnaires incompétents qui tentaient de détourner l'attention de leur impuissance à contrer la criminalité et à réduire son incidence. Le fait d'afficher une préoccupation à l'égard des victimes d'actes criminels sert à camoufler l'inefficacité du système et son inaptitude à empêcher la victimisation. Le fait de demander que des mesures soient prises afin d'alléger les souffrances des victimes masque le manque de volonté de la société d'aborder de front le problème de la criminalité. À une époque de préoccupations croissantes à l'endroit de la criminalité, le fait d'afficher de la sympathie pour la victime et de consacrer une poignée de dollars aux programmes et services aux victimes amoindrit la pression sur les politiciens pour qu'ils s'attaquent aux injustices sociales, aux conflits ethniques, aux iniquités en matière de richesse et de pouvoir ainsi qu'aux frustrations découlant du fait d'en voir trop et d'en avoir trop peu. (Fattah, 1989b, p. 57)

Non seulement, la documentation récente suggérait-elle que les victimes sont devenues des pions politiques, mais une série de documents fort négatifs ont été publiés, qui représentaient la victime sous un angle plus sinistre. Après que le professeur Alan Dershowitz ait lancé l'expression « justification de la violence », il y a eu un mouvement de dénigrement des prétentions des victimes qui considérait leurs réclamations comme une revendication sans fin de droits qu'elles ne méritaient pas. Le professeur Best souligne :

[TRADUCTION]
L'attention croissante envers les victimes n'est pas passée inaperçue. Robert Hughes fait remarquer : « Tout comme nos ancêtres du XVe siècle étaient obsédés par la création de saints et comme nos ancêtres du XIXe siècle l'étaient par la production de héros. aussi le sommes-nous par la reconnaissance, la glorification et, au besoin la fabrication de victimes. Les critiques contemporains déplorent le fait que notre société favorise les pleurnicheurs, les plaintes, les excuses, le dépit, les tatillons, les officieux, « le prestige moral et les butins de guerres politiques liés à la qualité de victime et les droits de complainte dans le bazar de la victimisation »; et le fait qu'en étant une victime, on puisse se placer de façon fort efficace sur « la voie de la supériorité morale et obtenir des droits prioritaires de se plaindre ». (Best, 1999, p. 138; voir également Sykes, 1991)

Malgré les allégations critiques formulées ici, la vaste majorité des documents, en particulier américains, favorise l'appui aux initiatives actuelles en faveur des droits des victimes. Depuis les années 1960, pratiquement toutes les compétences ont continué d'examiner et de proposer des mesures de réforme afin de réduire les souffrances des victimes d'actes criminels. La courte histoire des développements majeurs aux États-Unis en ce qui concerne la réforme liée aux droits des victimes se reflète dans ce bref résumé :

[TRADUCTION]
En 1982, le US Presidential Task Force on Victims of Crime (groupe de travail présidentiel sur les victimes de crimes) a émis 69 recommandations à l'intention des gouvernements, des avocats, des spécialistes en santé mentale et de six autres groupes d'Américains. Ces recommandations comportaient une modification constitutionnelle afin d'accorder aux victimes, « dans le cadre de toute poursuite criminelle, le droit d'être présentes et d'être entendues à toutes les étapes importantes des procédures judiciaires ». Le groupe de travail a déposé son rapport après avoir tenu des audiences fort médiatisées avec des victimes, des défenseurs des droits des victimes, des chercheurs et la communauté judiciaire.

En 1983, l'administration américaine a mis en ouvre des lignes directrices à l'intention de tout le personnel d'enquête et juridique fédéral. Ces directives exigeaient que les victimes soient tenues informées à toutes les étapes de la poursuite et rendaient obligatoire une « consultation de la victime » pendant le processus judiciaire. Au niveau législatif du gouvernement fédéral américain, la Victim and Witness Protection Act (loi sur la protection des victimes et des témoins) de 1982 autorisait la prise en compte de déclarations écrites des victimes, l'examen obligatoire de la possibilité d'un dédommagement, des peines plus sévères pour les menaces à l'endroit detémoins, les responsabilités de l'État pour grossière négligence lors la libération de contrevenants, l'accès des victimes aux redevances des criminels et les directives juridiques personnelles afin d'aider les victimes et les témoins. En 1984, la Victims of Crime Act (loi sur les victimes d'actes criminels) autorisait le financement pour des dédommagements et des services afin de renforcer la législation antérieure. (Waller, 1985, p. 9)

À compter de ce moment au milieu des années 1980, la quantité de lois sur les droits des victimes s'est accrue de manière exponentielle avec la mise en ouvre d'une déclaration législative des droits des victimes, des modifications constitutionnelles étatiques enchâssant les droits constitutionnels des victimes et le vif débat contemporain sur la modification de la constitution américaine afin de reconnaître les droits fondamentaux des victimes.

Au Canada, l'histoire suit un modèle semblable sauf que « l'intérêt envers les victimes d'actes criminels au Canada est davantageissu des gouvernements, alors qu'aux États-Unis, il s'agissait d'un mouvement populaire » (Roach, 1999b, p. 281). Paul Rock a raconté comment a été soulevé le sujet des droits des victimes lors de la conférence fédérale-provinciale de 1979 des ministres responsables de la justice criminelle par les ministres provinciaux, ce qui a obligé le gouvernement fédéral à prendre part au débat. D'après monsieur Rock, la reconnaissance de la question des droits des victimes par le gouvernement fédéral constituait une première étape importante, mais que le mouvement en faveur des droits des victimes au Canada a surtout été la conséquence de 3 facteurs : une coalition lâche d'organismes féministes canadiens; les programmes canadiens d'aide aux victimes et le mouvement américain en faveur des droits des victimes (Rock, 1986).

Tout comme aux États-Unis, le développement le plus important a été la mise sur pied en 1983 d'un Groupe de travail fédéralprovincial qui a formulé de nombreuses recommandations concernant la victime. Le professeur Waller esquisse comme suit les recommandations :

[TRADUCTION]
Le Groupe de travail fédéral-provincial a émis 79 recommandations visant à améliorer la justice pour les victimes. Si elles étaient mises en ouvre, elles amélioreraient considérablement l'aide aux victimes sur le plan émotionnel et pratique. Toutefois, peu d'entre elles étaient liées au processus judiciaire. Celles qui l'étaient mettaient l'accent sur une façon plus efficace de récupérer les biens, sur les renseignements concernant la date et l'issue du procès et sur une notification concernant la mise en liberté. Certaines recommandations exigeaient que l'on examine la possibilité d'un dédommagement ainsi que la possibilité que la victime fasse des représentations. Le rapport présentenciel devait contenir une déclaration de la victime non définie. (Waller, 1985, p. 12; voir également Waller, 1990; Barfknecht, 1985)

La plupart des régions du monde ont proposé des mesures semblables en matière de réforme législative et d'aide aux victimes. Le caractère uniforme de l'approche reflète en partie le fait que nombre de pays sont signataires de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité et aux victimes d'abus de pouvoir de 1985 (voir partie III de ce rapport). Cette déclaration constitue un énoncé de principes généraux et contient peu de détails concrets sur leur mise en ouvre. La déclaration se situe à un haut degré de généralité et il est pratiquement impossible de critiquer les propositions de cette nature qui attribuent davantage de respect et de dignité aux victimes. Le fondement de ces principes a été adopté par les ministres fédéral/provinciaux/territoriaux responsables de la justice.

Énoncé Canadien de principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes d'actes criminels

En reconnaissance de la Déclaration des principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes de la criminalité adoptée par les Nations Unies, les ministres fédéral et provinciaux compétents en matière de justice pénale conviennent que la société canadienne devrait s'inspirer des principes énoncés ci-après afin de mieux assurer aux victimes d'actes criminels la justice, le traitement équitable et l'aide dont elles ont besoin.

  1. Les victimes devraient être traitées avec courtoisie, compassion et dans le respect de leur dignité et de leur intimité, et leur participation au travail de l'appareil de justice pénale devrait leur causer le moins d'inconvénients possible.
  2. Les victimes devraient avoir droit, par des moyens formels et informels, à la réparation prompte et équitable des torts qui leur on été causés.
  3. Les victimes devraient recevoir toute l'information voulue sur les recours à leur disposition et su les moyens de s'en prévaloir.
  4. Les victimes devraient recevoir toute l'information voulue sur leur participation aux procédures pénales et sur l'échéancier, le progrès et le résultat final de ces dernières.
  5. Au besoin, l'appareil pénal devrait s'enquérir des opinions et des préoccupations des victimes et leur fournir l'aide dont elles ont besoin tout au long des procédures.
  6. Lorsqu'il est porté atteinte aux intérêts personnels d'une victime d'actes criminels, ses opinions et préoccupations devraient être signalées au tribunal lorsque c'est indiqué et conforme au droit et à la procédure pénaux.
  7. Au besoin, des mesures devraient être prises pour assurer la sécurité des victimes d'actes criminels et de leurs familles et les mettre à l'abri de l'intimidation et des représailles.
  8. Le personnel de l'appareil de justice pénale devrait recevoir une formation poussée propre à le sensibiliser aux besoins et aux préoccupations des victimes d'actes criminels, et il y aurait lieu d'élaborer, au besoin, des lignes directrices en ce sens.
  9. Les victimes devraient être informées des services de santé, d'aide sociale ou autre services pertinents afin de pouvoir continuer de recevoir l'aide médicale, psychologique et sociale dont elles ont besoin dans le cadre des programmes et des services existants.
  10. Les victimes devraient signaler les crimes dont elles ont été la cible et coopérer avec les autorités chargées de l'application des lois.

La documentation des années 1970 et 1980 discutait du rôle et de la fonction adéquats de la victime et, malgré quelques objections philosophiques qui demeuraient, il est apparu un consensus selon lequel le fait d'accorder des droits aux victimes constituait une politique d'État raisonnable. Article après article imploraient les législatures d'élaborer de nouvelles perspectives qui répondraient auxbesoins des victimes. À la fin des années 1980, les législateurs du monde entier ont reconnu en principe les droits des victimes et, pour les années 1990, la question aurait dû devenir celle de l'examen de la mise en ouvre du principe. En passant en revue ce quis'est produit aux États-Unis, le professeur Tobolowsky écrivait :

[TRADUCTION]
Contrairement à la situation qui existait avant les travaux du Groupe de travail (avant 1982), il ne s'agit plus maintenant de déterminer si les victimes devraient avoir des droits de participation dans le processus judiciaire. L'adoption incroyablement rapide de dispositions constitutionnelles et législatives sur les droits des victimes au cours des dernières quinze années font en sorte que les victimes pourront participer au processus judiciaire. On doit donc main-tenant veiller à ce que les droits de participer des victimes soient appropriés et significatifs dans le contexte des divers intérêts des individus et de la société dans les poursuites criminelles. (Tobolowsky, 1999, p. 103)

Il reste à savoir si les années 1990 ont été témoins de la réalisation concrète de ces idéaux ou si la Déclaration de principes fondamentaux demeure une inspiration. En ce qui concerne l'expérience américaine, Robert Elias concluait que :

[TRADUCTION]
En ce qui concerne toutes les nouvelles initiatives, les victimes ont obtenu beaucoup moins que ce qui leur avait été promis. Des droits ont été rendus non exécutoires ou non exécutables, la participation a été sporadique ou mal avisée, les services ont été précaires et sous-financés, les besoins des victimes sont demeurés insatisfaits ou ont même été menacés et la victimisation s'est accrue, sinon au tribunal, certainement dans les rues. Compte tenu de l'immense attention accordée aux victimes au cours des dernières années, comment cela a-t-il pu se produire? (Elias, 1993, p. 45)

Le reste de ce rapport s'attachera à déterminer si les accusations d'Elias concernant les initiatives sur les droits des victimes sont bien fondées ou si les efforts en matière de réforme législative dans le monde ont dans les faits commencé à générer des résultats concrets.