Le rôle de la victime au sein du processus judiciaire : une analyse bibliographique 1989 à 1999

5. Point de vue des intervenants en sciences sociales, médiation et satisfaction des victimes

5. Point de vue des intervenants en sciences sociales, médiation et satisfaction des victimes

5.1 Introduction

L'évaluation des droits de participer esquissée au chapitre antérieur remet en question les postulats de base que posent la plupart des gens en qui a trait aux besoins et aux objectifs des victimes. Contrairement aux attentes, on a découvert que les victimes n'adoptent pas une approche vindicative à l'égard de la plupart des contrevenants et que la participation au processus de détermination de la peine n'améliore pas de façon significative la satisfaction de la victime. En outre, malgré les efforts des fonctionnaires, il semble que les programmes d'aide aux victimes ne répondent pas aux besoins des victimes. En conséquence, il se peut que les décideurs du système judiciaire aient conçu ces programmes sur des postulats erronés concernant les besoins psychologiques et financiers des victimes ou que les programmes existants aient simplement été mis en ouvre de manière inefficace. Cette partie du rapport examinera les points de vue des spécialistes en sciences sociales ainsi que des fournisseurs de services sociaux afin de déterminer si l'on comprend mieux la souffrance des victimes que ne le font de manière conventionnelle les représentants de la justice pénale.

Si l'on met de côté le rôle de la victime et les mesures adoptées afin d'accroître sa satisfaction, il est évident que l'insatisfaction du public à l'égard de la justice pénale est profonde et passionnée. Si les membres du public ont, de façon générale, une piètre opinion du processus pénal, il est peut-être impossible, en ce qui concerne la participation de la victime, que des réformes modestes modifient de manière importante un point de vue négatif assez bien établi. Reconnaissant que le processus criminel est l'objet de craintes et de manque de respect, il y a eu, au cours des années 1990, des développements majeurs lorsqu'on a créé des solutions de rechange aux tribunaux criminels en se fondant sur les principes de justice réparatrice. La médiation représente la première solution de rechange aux tribunaux criminels offerte aux contrevenants et aux victimes, et cette partie du rapport évaluera également si les programmes de médiation ont pu réussir ce que le système pénal traditionnel n'a pu réussir, c'est-à-dire accroître la satisfaction de la victime.

5.2 Débat

5.2.1 Points de vue des psychologues et rôledes travailleurs de la santé

Il est bien connu qu'un système judiciaire impersonnel peut susciter pour la victime une détresse psychologique et une victimisation secondaire. Nombre d'articles de revues de droit adoptent ce fait comme une prémisse de travail et les commentateurs citent souvent Kilpatrick et Otto (1987) à l'appui de cette affirmation. Toutefois, en passant en revue l'article fécond de Kilpatrick et Otto, il apparaît clairement que l'affirmation concernant la détresse psychologique constitue une présomption dont les assises empiriques sont inadéquates.

Les études disponibles confirment en effet certaines des présomptions concernant la victimisation secondaire, mais les conclusions établissent également certaines nuances concernant le point de vue selon lequel les victimes éprouvent de hauts niveaux de détresse au sein du processus pénal. En 1979, une étude hollandaise révélait que les victimes éprouvaient régulièrement des sentiments de culpabilité lors de la victimisation et que les victimes de violence éprouvaient le plus haut degré de culpabilité. Plus important encore, il n'existait aucune relation claire entre les sentiments de culpabilité et le besoin d'exercer des représailles et ceci peut expliquer pourquoi les études sur les déclarations de la victime n'ont pas mis en lumière des sentiments de vengeance puisque les victimes culpabilisées ne se tournent pas nécessairement vers la vengeance lorsqu'elles luttent contre leur culpabilité. Malgré ce fait, 70 % des victimes de cette étude croyaient que les sentences étaient trop indulgentes (Smaile et Spickenheuer, 1979).

En 1994, une étude portant sur 500 causes en Ohio indiquait que la détresse de la victime repose en grande partie sur le type d'infractions, la perception de la victime concernant la sévérité de la sentence et les caractéristiques démographiques de la victime. L'auteur soulignait que « le facteur le plus important de détresse actuelle de la victime était le niveau de détresse suivant la victimisation. Les victimes qui recevaient un dédommagement éprouvaient moins de détresse que celles qui n'en avaient pas reçu. Les victimes célibataires et les victimes de couleur éprouvaient de plus hauts niveaux de détresse que les victimes mariées et les victimes blanches ». Au-delà du fait que le dédommagement puisse réduire le stress de la victime, on a découvert que la perception d'une sentence indulgente pouvait contribuer à aggraver la détresse de la victime (Erez et coll., 1994, p. 47).

Qu'est-ce qui constitue la détresse d'une victime? Une étude portant sur 500 victimes au Kentucky confirmait que la dépression, la somatisation, l'hostilité, l'anxiété et la peur du crime étaient toutes associées à la victimisation. Les symptômes étaient persistants et avaient tendance à durer pendant 15 mois après le crime. Même après 15 mois, les victimes affichaient une forte prévalence du syndrome du stress post-traumatique (SSPT) :

[TRADUCTION]… Après trois mois dans le cadre de cette étude, les victimes affichaient une symptomologie profonde dans divers domaines, notamment la dépression, l'anxiété, la somatisation, l'hostilité et la peur. Toutes les victimes affichaient un profil de symptômes semblables, mais les victimes de crimes violents étaient de toute évidence les plus gravement touchées. Même si les symptômes qu'éprouvaient les victimes diminuaient au cours des six premiers mois, ils finissaient par plafonner. Après neuf mois, il y avait peu d'indices à l'effet que la situation des victimes de crimes continuait à s'améliorer. Après 15 mois, au moment où se termine notre étude, les victimes de crimes violents présentaient toujours davantage de symptômes que les victimes de crimes contre la propriété qui, quant à elles, affichaient davantage de symptômes que les non victimes (Norris et Kaniasty, 1997, p. 276; voir également Norris, Kaniasty et Thompson, 1997).

Dans le cadre d'une étude réalisée en 1997 auprès de victimes en Caroline du Sud, on a découvert que plus de 90 % de l'ensemble des victimes croyaient que le système judiciaire devrait assumer la fourniture d'une large gamme de services, notamment du counseling psychologique, des renseignements sur la situation de l'affaire, la protection de la personne, l'aide judiciaire, des renseignements sur le renvoi aux services sociaux ainsi que l'aide afin de traiter avec la police ou le tribunal. L'accès signalé à de tels services étaient inférieur aux attentes des victimes, la plus faible proportion des victimes ayant eu accès à du counseling psychologique, et la plus forte proportion ayant eu accès à de l'aide pour traiter avec la police ou le tribunal. En outre, 50 % des personnes qui représentaient l'échantillon correspondaient aux critères de diagnostic concernant le SSPT pendant leur durée de vie, mais malgré la prévalence élevée de SSPT dans l'ensemble de l'échantillon, la plupart des participants ont fait mention d'un accès adéquat aux services aux victimes, notamment au service de santé mentale (Freedy, Resnick, Kilpatrick, Dansky et Tidwell, 1997).

Une étude hollandaise réalisée en 1998 confirmait certaines des conclusions de l'étude de Norris et Kaniasty. La principale conclusion était qu'il n'y avait pas de différence concernant la peur du crime « entre les non victimes et les victimes de crimes contre la propriété ou les victimes de crimes violents, ni avant, ni après l'incident » (Denkers et Winkel, 1998, p. 151). Toutefois, les victimes de crimes ont mentionné qu'elles étaient moins satisfaites de la vie, qu'elles avaient un affect moins positif et qu'elles percevaient le monde comme étant moins bienveillant et qu'elles se trouvaient moins dignes d'estime que les non victimes. Les victimes se percevaient comme étant davantage vulnérables que les non victimes. Malgré ce fait, les victimes n'avaient pas nécessairement plus peur du crime, des gens ou des situations, non plus qu'elles percevaient, davantage que les non victimes, que la criminalité avait des répercussions plus négatives. En dernier lieu, l'étude montrait une relation entre le bien-être et la victimisation; avant aussi bien qu'après le crime, les victimes semblent moins « aptes au bonheur » que les non victimes (Denkers et Winkel, 1998).

Il semble que les études empiriques n'aient pas complètement confirmé certaines des hypothèses concernant la victimisation secondaire (même si ces hypothèses ont été clairement appuyées par des évaluations qualitatives fondées sur des entrevues informelles), et la documentation psychologique pertinente parle surtout de niveaux de détresse relatifs à la perpétration du crime et non au processus pénal. Qui plus est, il n'est pas étonnant de conclure que les victimes éprouvent de la détresse par suite d'une victimisation et, dans ce contexte, les études ne peuvent vraiment apporter une contribution importante quant à l'élaboration de politiques publiques. En ce qui concerne la victimisation secondaire suscitéepar l'État, les études en viennent à des conclusions générales qui correspondent au sens commun, mais ne contribuent pas à faire mieux comprendre le processus de victimisation secondaire.

Par exemple, Norris et Thompson ont réalisé une étude sur la désaffection de la victime auprès de 200 Américains victimes de crimes et ils ont conclu que « ces résultats indiquent que les représentants de la justice pénale (plus précisément la police) peuvent soit augmenter ou diminuer l'état de désaffection de la victime » (1993, p. 527). Quoi qu'il en soit, un récent examen de la documentation psychologique est instructif et sert à s'assurer que les hypothèses émises concernant le bien-être psychologique de la victime comportent certaines assises dans l'expérience clinique. La documentation pertinente a été examinée comme suit :

[TRADUCTION] La victimisation par suite d'un acte criminel peut laisser des cicatrices psychologiques qui durent aussi longtemps ou plus longtemps que n'importe quelle blessure physique ou dommage financier (Fischer, 1984; Frank, 1988; Henderson, 1992). Ce type de victimisation peut susciter des troubles anxieux, de la dépression, une surconsommation de drogues et d'alcool, de la peur, des flashbacks, une diminution de l'estime de soi, une dysfonction sexuelle, des problèmes d'ordre somatique, des idées de suicide, de la méfiance et un sentiment d'isolement social (Fischer, 1984; Keane, 1989; Lurigio et Resick, 1990). Dans certains cas, les victimes peuvent souffrir du syndrome de stress post-traumatique (American Psychiatric Association, 1994).

Bien que la majeure partie des recherches sur la répercussion du crime aient mis l'accent sur le viol, les victimes d'autres crimes peuvent, de façon qualitative, subir des conséquences semblables (Resick, 1987). Les autres facteurs étant égaux, comme les niveaux de violence et la perception qu'a la victime du danger, le viol peut nuire davantage à la santé de la victime que les autres crimes violents (Kilpatrick, 1989; Kilpatrick et coll., 1985), mais cette question n'est pas réglée (Resick, 1987; Riggs, Kilpatrick et Resnick, 1992). On a signalé d'importantes blessures psychologiques chez les victimes de nombreux autres crimes, y compris l'agression (Lurigio et Resick, 1990; Riggs et coll., 1992; Shepher, 1990; Steinmetz, 1984; Wirtz et Harrell, 1987), la tentative de viol (Becker, Skinner, Abel, Howell et Bruce, 1982), la fraude bancaire (Ganzini, McFarland et Cutler, 1990), le cambriolage (Brown et Harris, 1989), la violence contre des enfants (Caviola et Schiff, 1988), l'enlèvement (Terr, 1983) et le vol qualifié (Kilpatrick et coll., 1985). En outre, les familles des victimes d'actes criminels en général (Riggs et Kilpatrick, 1990) et de viol (Mio, 1991; Orzek, 1983) et d'homicide (Amick-McMullen, Kilpatrick et Resnick, 1991; NcCune, 1989) en particulier développent souvent des symptômes d'ordre psychologique par suite d'un crime. En dernier lieu, les résidents des collectivités peuvent souffrir par suite de vandalisme public, un crime sans victime particulière (Reiss, 1986).

Les conséquences de la victimisation ne sont pas nécessairement intuitivement évidentes. Bien sûr, les victimes d'actes criminels ont davantage de problèmes de santé mentale que les autres personnes (Ganzini, McFarland, et Cutler, 1990; Kilpatrick et al., 1985; Riggs et al., 1992; Santiago, McCall-Perez, Gorcey et Beigel, 1985), mais la gravité du crime ne prédit pas nécessairement la gravité des symptômes. Par exemple, Becker et ses collaborateurs (1982) ont révélé que les réactions à court terme et à long terme des victimes de tentatives de viol et de viol ne différaient pas de manière importante concernant l'agression; Ganzini et ses collaborateurs (1990) ont découvert d'importants niveaux de dépression chez les victimes de fraudes bancaires, un acte criminel relativement tranquille. Qui plus est, même s'il est évident que le soutien de la famille et des amis peut aider les victimes à récupérer (Janoff-Bulman et Frieze, 1983), ces personnes ne comprennent pas toujours l'ampleur du traumatisme psychologique et peuvent penser que la victime aurait dû récupérer plus tôt qu'il n'est raisonnable de croire (Mio, 1991; Riggs et Kilpatrick, 1990; Sales, Baum et Shore, 1984). En outre, ce ne sont pas toutes les victimes qui réagiront de la même façon à des victimisation semblables (Lurigio et Resick, 1990; Shapland, 1986). (Weibe et al., 1996, p. 416-417)

[Remarque de l'auteur : les références dans le texte de cette citation ne se retrouvent pas nécessairement dans la liste bibliographique choisie pour cette partie du rapport.]

Après avoir produit cette étude, l'auteur du rapport poursuit en examinant si, oui ou non, l'affirmation de certains commentateurs (p. ex. : Erez, 1999) selon laquelle la participation de la victime au processus criminel pourrait avoir un effet thérapeutique est fondée dans les faits. Il semble que la justice en tant que thérapie n'ait pas résisté aux preuves, mais il demeure un certain espoir que le contrôle procédural de la victime sur les procédures puisse l'aider à guérir :

[TRADUCTION] Même si les législatures ont promulgué une pléthore de lois visant à faciliter l'expérience de la victime au sein du système du tribunal, la recherche n'appuie toujours pas la thèse selon laquelle la qualité de cette expérience contribue de manière significative à l'éventuelle guérison psychologique de la victime (voir p. ex. Cluss, Boughton, Frank, Stewart et West, 1983; Lurigio et Resick, 1990). Le fait de tirer profit au maximum des procédures en matière de justice, toutefois, ne fait sans doute pas de mal. Il est difficile de discerner comment des dispositions qui visent un traitement respectueux des victimes au tribunal pourrait nuire à la guérison et de telles dispositions pourraient susciter un avantage important (Resick, 1987). Qui plus est, comme il a été démontré que le sentiment de contrôle de la victime est important pour sa guérison (Kelly, 1990) et que les personnes qui croient avoir leur mot à dire dans les procédures du tribunal sont généralement davantage satisfaites de ces procédures que les personnes qui ne voient pas les choses ainsi, il est possible que les notions de « mot à dire » et de « contrôle » représentent le même processus psychologique sous-jacent. Si c'est le cas, la participation de la victime au processus du tribunal peut être thérapeutique, notamment au moment de la négociation de plaidoyer et aux autres étapes généralement fermées au public (Wiebe et coll., 1996, p. 425).

Dans le cadre de deux études commandées par le ministère du Solliciteur général du Canada, on concluait que les victimes de viol et les victimes d'abus sexuels contre les enfants éprouvaient des effets psychologiques dommageables des années après la victimisation. Les victimes qui avaient bénéficié d'un soutien de la part de leur famille et amis se sont mieux ajustés au fil du temps; toutefois, les symptômes de détresse psychologique étaient évidents chez les enfants victimes d'exploitation sexuelle dix ans après les événements (Solliciteur général du Canada, 1990-1991). En abordant les répercussions psychologiques découlant d'infractions autres que sexuelles (Solliciteur général du Canada, 1992), le rapport n'est pas concluant et l'auteur présente un point de vue critique sur la valeur des études psychologiques existantes :

[TRADUCTION] Une partie du problème découle du fait que les chercheurs qui ouvrent dans le domaine de la victimologie travaillent à partir de perspectives académiques différentes. Par exemple, les psychologues sociaux qui étudient les réactions au stress, aux dénouements négatifs et à la victimisation ont surtout mis l'accent sur les présomptions, les attributions et les perceptions qui influent sur les réactions psychologiques et comportementales à la détresse, à l'échec personnel et/ou à la perte de contrôle ou qui subissent l'influence de ces éléments. D'autres psychologues, d'habitude ceux ayant une formation clinique, ont concentré leurs efforts sur le traumatisme affectif qui peut accompagner des événements négatifs qui surviennent dans la vie de manière imprévisible et soudaine. Nombre d'entre eux s'intéressent également au soutien social que reçoivent les victimes d'actes criminels, à la qualité du service que dispensent les organismes d'aide aux victimes ainsi qu'à l'efficacité des stratégies de traitement. Malheureusement, la théorie et les résultats de recherche des chercheurs et des praticiens qui ouvrent dans ces divers domaines de la psychologie ont rarement puisé dans la multitude de données sur la victimisation qu'ont accumulées les criminologues, non plus qu'ils ont effectué une fusion avec cet ensemble de données. (Solliciteur général du Canada, 1992, p. 2-3)

À la lumière du fait que la plupart des compétences ont créé des programmes de services aux victimes, il existe un ensemble croissant de documents examinant le rôle et la fonction des travailleurs sociaux et d'autres professionnels des soins de santé qui s'occupent des besoins des victimes. On a rédigé des guides pour former ces bénévoles et professionnels dans le but de contrer les constantes critiques concernant la formation chez les fournisseurs de services (p. ex. pour la formation en matière en Colombie-Britannique; voir Quong, 1991). Des livres et des articles ont été écrits afin d'étudier le rôle du travailleur social qui fournit des services aux victimes (Roberts, 1990; Roberts, 1997). Toutefois, les documents critiquaient la contribution qu'apportaient les travailleurs sociaux et les agents de probation. En Angleterre, on a souligné que les services de probation étaient mal équipés pour répondre aux besoins des victimes. Aucune étude n'a été réalisée dans le but de cerner le point de vue des victimes concernant la fourniture de services de la part des représentants de la probation et l'examen restreint des opinions des victimes indique qu'elles sont inquiètes de recevoir des services de personnes dont la principale responsabilité est de superviser les contrevenants (Williams, 1996; Nettleton, Walklate et Williams, 1997). En Hollande, une étude indiquait que les professionnels de l'aide aux victimes avaient tendance à afficher une attitude hautaine vis-à-vis des victimes (c.-à-d. une perception erronée à l'égard des victimes à l'effet qu'elles sont « dans une situation pire » que les autres) et suggérait dans ce contexte que cela pouvait miner gravement la valeur thérapeutique du service. Les auteurs concluaient que l'on devait avoir recours à une formation globale afin de compenser la partialité des professionnels de l'aide aux victimes et que le redéploiement de travailleurs bénévoles pourrait aider à s'assurer que les victimes et ces travailleurs aient une relation de « solidarité sociale » (Winkel et Renssen, 1998).

5.2.2 Médiation et justice réparatrice

Malgré les critiques concernant l'implication des travailleurs sociaux et des agents de probation en matière d'aide aux victimes, il existe une documentation croissante qui encourage la participation des travailleurs sociaux. Cette documentation traite de la participation des travailleurs sociaux aux processus de médiation et d'aucuns plaident que les travailleurs sociaux, qui possèdent une expérience en interventions de crise, conviennent parfaitement lorsqu'il s'agit de faciliter les face-à-face entre le contrevenant et la victime (Roberts, 1997). On considère la médiation comme un nouveau domaine de la pratique en matière de services sociaux (Umbreit, 1993; Umbreit, 1999). Par contre, on a examiné un programme de médiation entre la victime et le contrevenant au sein du système italien de justice pour la Jeunesse et constaté que, malgré les avantages découlant des services de médiation pour les jeunes contrevenants, les travailleurs sociaux n'avaient pas reçu une formation adéquate en ce qui concerne les techniques de médiation (Baldry, 1998).

La justice réparatrice (telle que définie à la partie 2.0 de ce rapport) tente de guérir les blessures qui découlent de la victimisation et d'inculquer au contrevenant un sentiment de responsabilité. L'un des premiers programmes contemporains de médiation au monde entre la victime et le contrevenant a été créé à Kitchener (Ontario) en 1974 et depuis lors, il y a eu une explosion de programmes de justice réparatrice partout dans le monde. Il existe maintenant26 programmes au Canada et 300 aux États-Unis et « ce domaine a en fait connu une croissance plus rapide en Europe ces dernières années avec 17 programmes en Autriche, 31 en Belgique, 5 au Danemark, 19 en Angleterre, 130 en Finlande, 73 en France, 293en Allemagne, 4 en Italie, 44 en Norvège, 2 en Écosse et 10 en Suède » (Umbreit, 1999, p. 216) (il convient de souligner qu'il peut exister au Canada beaucoup plus de programmes de médiation que ceux énumérés par le professeur Umbreit). La documentation sur ce sujet est vaste et la portée de ce rapport est trop restreinte pour définir de façon exhaustive les programmes existants et leur efficacité; toutefois, nous présenterons un bref survol.

Il serait avantageux pour l'élaboration des politiques gouvernementales de procéder à un examen à grande échelle des programmes de médiation dans le monde entier puisqu'il existe des raisons de croire que la médiation et les autres mesures en matière de justice réparatrice continueront de croître dans l'avenir. La croissance continue des programmes de médiation au Canada se confirme de deux façons : 1) les principes réparateurs de la détermination de la peine ont été intégrés au Code criminel dans le cadre de l'objectif fondamental de la détermination de la peine (art. 718) et l'on a également intégré des mesures de rechange au Code (art. 717); 2) contrairement aux études sur la participation de la victime à la détermination de la peine (dont les résultats sont peu concluants), l'orientation générale des évaluations des programmes de médiation indiquent qu'ils sont efficaces et qu'ils suscitent la satisfaction de la victime et du contrevenant. Des preuves anecdotiques suggèrent que la médiation peut ne pas bien fonctionner pour certaines infractions et certains contrevenants (par exemple, les scénarios de violence familiale); toutefois, la documentation d'examen n'aborde pas directement cette question.

Il existe une vaste documentation qui définit la nature des programmes de médiation dans le monde (Messmer et Otto, 1992; Wright et Galaway, 1989; Kaiser, Kury et Albrecht, 1991; Wright, 1996; Fisher, 1993; Hughes et Schneider, 1989). Aux fins de ce rapport, on passera en revue une poignée d'études nordaméricaines réalisées au cours des années 1990 afin de démontrer le consensus général qui a été atteint concernant le caractère souhaitable de cette solution de rechange au châtiment criminel.

L'échantillonnage des études nord-américaines confirme la conclusion de 1989 selon laquelle aux États-Unis « les programmes de médiation semblaient assez répandus et fonctionnaient bien » (Hughes et Schneider, 1989, p. 2231). En 1993, le professeur Mark Umbreit (qui est responsable de la réalisation de la plupart des études d'évaluation) concluait que « les victimes de violence ont souvent été parmi les personnes qui prônaient l'extension du processus de médiation aux affaires plus sérieuses. Toutefois, ceci ne comprend pas la violence familiale. Le processus de médiation s'est révélé efficace en aidant les victimes de crimes violents à retrouver un sentiment de puissance et de contrôle sur leur vie, de même que l'aptitude à « laisser aller » l'expérience de victimisation » (Umbreit, 1993, p. 73).

En 1994, une évaluation de quatre programmes de victimes-contrevenants aux États-Unis révélait que la majorité des contrevenants choisissait de volontairement participer au processus et que la victime qui acceptait la médiation était généralement plus satisfaite du processus criminel que celle qui ne l'avait pas choisi (81 % des victimes étaient satisfaites après la médiation par rapport à 58 % des victimes qui n'avaient pas participé à la médiation). En outre, on a découvert que la médiation suscitait un taux plus élevé de réussite concernant l'obtention d'un dédommagement. Toutefois, les auteurs concluaient que malgré la croissance de la médiation, elle n'a toujours qu'une faible incidence dans la plupart des compétences en raison de sa sous-utilisation (Umbreit et Coates, 1993).

Une étude sur la médiation entre victimes et contrevenants à Minneapolis en 1990 et 1991, révélait que le processus de médiation avait d'importantes répercussions sur les victimes, qui ressentaient moins de colère à propos du crime et craignaient moins d'être à nouveau victimisées par le même contrevenant. Toutefois, cette augmentation de la satisfaction de la victime devient confuse au fil du temps qui contribue de toute évidence à une réduction graduelle de la peur et de l'anxiété. Le programme de médiation a effectivement donné lieu à un taux de succès plus élevé concernant l'obtention d'un dédommagement, mais la satisfaction d'un contrevenant ne s'en trouvait pas augmentée, comme c'était le cas pour la victime (Umbreit, 1994a).

Dans un rapport de 1994, la recherche qualitative sur l'opinion des représentants de la justice pénale canadienne démontrait un appui solide de ce concept. On exprimait une préoccupation concernant le financement insuffisant ainsi que les renvois trop peu nombreux; cependant, les professionnels reconnaissaient que la médiation exerce une fonction importante dans l'administration de la justice pénale : « même à Winnipeg, qui représente le programme de médiation victime-contrevenant le plus vaste en Amérique du Nord et en Europe, on s'inquiétait du fait que l'on pourrait traiter de manière plus efficace au moyen de la médiation des affaires beau-coup plus nombreuses inscrites devant le tribunal criminel » (Umbreit, 1994b, p. 6).

Une étude récente portant sur les plus vastes projets deréconciliation entre la victime et le contrevenant aux États-Unis démontrait la forte volonté des victimes et des contrevenants de se rencontrer pour la médiation. En ce qui concerne les crimes violents, seulement 58 % des victimes et 69 % des contrevenants souhaitaient être confrontés l'un à l'autre; toutefois, les chiffres augmentent considérablement lorsqu'il s'agit de crimes contre la propriété et de crimes mineurs (79 % des victimes et 77 % de contrevenants). Dans les affaires au sujet desquelles la médiation a porté fruits, 96,8 % de tous les accords de médiation ont été respectés et réglés avec succès. Il y a eu davantage d'échecs concernant les accords de médiation pour des délits contre la propriété, « ainsi, bien qu'il soit plus difficile de réunir les parties à une séance de médiation dans les affaires de crimes contre la personne, une fois qu'elles se sont rencontrées, les accords étaient au moins aussi durables, ou même encore plus durables que dans les affaires de crimes contre la propriété » (Niemeyer et Shichor, 1996, p. 33).

Une étude réalisée en 1997 sur les rencontres/confrontations entre victimes et contrevenants à Winnipeg et Minneapolis révélait qu'aux deux endroits, les victimes faisaient état de niveaux de satisfaction modérément élevés à l'égard du système judiciaire et de la médiation entre la victime et le contrevenant. Elle signalait également qu'elles étaient moins en colère concernant le crime, qu'elles avaient moins peur d'être à nouveau victimisées et que leur opinion sur le contrevenant était plus positive. Dans le cadre de la médiation entre la victime et le contrevenant au niveau juvénile, les victimes affirmaient qu'elles avaient eu bien davantage le sentiment de participer au système judiciaire, par rapport aux victimes qui avaient participé à la médiation entre la victime et le contrevenant au niveau adulte. On a émis l'hypothèse que la satisfaction plus grande de la victime au niveau juvénile pouvait simplement découler du fait que la réforme des droits des victimes concernait d'abord les victimes et les contrevenants adultes et qu'en raison de la rareté des services disponibles au tribunal juvénile, la disponibilité de la médiation prend une plus grande importance. L'auteur concluait :

[TRADUCTION] Cette étude apporte un soutien empirique à la nouvelle théorie de la pratique de la justice réparatrice dont la médiation entre la victime et le contrevenant constitue l'expression la plus établie et la plus évidente. La justice réparatrice met l'accent sur le fait que le crime est d'abord un délit contre les gens plutôt que contre une abstraction juridique appelée «l'État ». On comprend l'expression « tenir les contrevenants responsables » comme signifiant le fait d'assumer directement la responsabilité de redresser les torts subis par la personne victimisée plutôt que desimplement faire perdurer un châtiment par l'État de plus en plus coûteux sans responsabilités directes à l'égard de la victime. (Umbreit et Bradshaw, 1997, p. 38).

En dernier lieu, une étude sur la médiation réalisée dans quatre villes canadiennes (Calgary, Langley, Ottawa et Winnipeg) a mené aux conclusions suivantes :

L'auteur concluait que :

[TRADUCTION] Ces conclusions laissent entendre que la qualité de justice dont ont fait l'expérience plusieurs victimes et contrevenants pourraient être considérablement augmentées en élargissant le recours à la médiation dans le cadre des différends criminels. De même, le détournement de plaintes appropriées au niveau criminel vers la médiation après que des accusations aient été déposées, mais avant un procès pourrait réduire de façon importante les pressions auxquelles sont confrontées pratiquement tous les tribunaux concernant le nombre de causes qui leur sont soumises, libérant ainsi des ressources qui pourraient être utilisées à d'autres fins. En dernier lieu, le recours à la médiation après une déclaration de culpabilité devant un tribunal pénal peut renforcer le processus consistant à tenir le contrevenant condamné directement responsable envers la victime en élaborant, à la satisfaction des deux parties, un plan de dédommagements. (Umbreit, 1999, p. 226)

Il est impossible de rendre justice à la vaste documentation disponible sur la médiation et le processus pénal. Contentons-nous de dire que l'échantillon d'étude mentionné ici reflète l'optimisme général exprimé sur la valeur de la médiation entre victimes et contrevenants. Ce rapport touche surtout la participation de la victime au processus et, en conséquence, la médiation et les solutions de rechange au tribunal pénal se situent hors de la portée de ce rapport. Toutefois, il est essentiel de passer en revue ce mouvement en faveur de la justice réparatrice car il se peut que dans certains cas, la satisfaction de la victime ne puisse être haussée qu'à l'extérieur des tribunaux criminels. Les études portant sur les programmes de médiation mettent constamment en lumière le niveau élevé de satisfaction de la victime en ce qui concerne certaines affaires; toutefois, l'évidence empirique liée à la participation accrue de la victime au processus pénal ne donne pas lieu à la même conclusion. Les études démontrent effectivement que la participation de la victime n'a pas mis les tribunaux sans dessus dessous, non plus qu'elle a eu une incidence importante sur la sentence. Cependant, lorsque les études abordent la satisfaction de la victime, les résultats sont peu concluants et peu encourageants. Ces études ont été passées en revue tout au long du document; toutefois, afin de mettre en opposition les perspectives encourageantes en matière de médiation et de satisfaction de la victime et l'acceptation plutôt timide de la participation de la victime en tant que voie devant mener au bonheur, on énonçait un long résumé des professeurs Erez et Kelly pour illustrer cette timide acceptation :

[TRADUCTION] Les possibilités de participation de la victime augmentent-elles la satisfaction de la victime à l'égard du système judiciaire? Les résultats de recherche sont divisés et, au mieux, suggèrent une incidence modeste. Une étude révélait que le fait de remplir une déclaration de la victime augmentait la satisfaction à l'égard du résultat (Erez et Tontodonato, 1992). Une autre étude révélait que la participation des victimes augmentait généralement leur satisfaction (Kelly, 1994). Parfois, le seul fait de remplir une déclaration de la victime accroît les attentes des victimes concernant l'influence qu'elle pourrait avoir sur les résultats. Quand ceci ne se produit pas, la satisfaction des victimes peut, en fait, s'en trouver diminuée. (Erez et coll., 1994).

Une autre étude qui soumettait de façon aléatoire les affaires des victimes à divers traitements révélait que la déclaration de la victime n'influait pas sur le sentiment de participation ou de satisfaction concernant le processus judiciaire ou son résultat (Davis et Smith, 1994). Ces résultats correspondent à ceux d'une étude quasi expérimentale réalisée antérieurement par Davis (1985). Cette étude n'a pas non plus trouvé d'effet de déclaration de la victime sur la satisfaction à l'égard de la justice. De même, les études portant sur le programme de déclaration de la victime au Canada (ministère de la Justice, Canada, 1990) ainsi qu'en Australie (Erez et coll., 1994) révélait que les victimes qui fournissent des renseignements pour la déclaration de la victime ne sont pas nécessairement plus satisfaites du résultat ou du système judiciaire.

Par contre, une étude comparative portant sur des victimes au sein des systèmes judiciaires continentaux (qui accordent aux victimes le statut de partie et leur permettent de participer de manière importante aux procédures) suggère que les victimes qui ont pris part à titre de procureur auxiliaire ou agit comme procureur privé étaient davantage satisfaites que les victimes qui n'avaient pas participé (Erez et Bienkowska, 1993). Ces différences peuvent laisser entendre que plus une compétence permet aux victimes d'actes criminels de participer, plus les niveaux de satisfaction de la victime seront élevés. (Kelly et Erez, 1997, p. 239)

L'ensemble de la preuve concernant la satisfaction des victimes à l'égard d'une participation accrue au processus judiciaire n'est pas convaincant. En outre, aucune preuve ne démontre que la participation de la victime puisse accroître la détresse de la victime (sauf en ce qui concerne le fait que la participation par l'entremise de la déclaration de la victime peut donner lieu à un nombre accru d'ordonnances de dédommagement et que le dédommagement contribue à diminuer la détresse de la victime (Kelly et Erez, 1997)). L'absence de preuves peut suggérer l'une de trois possibilités :

  1. la participation de la victime n'entraîne pas la satisfaction de la victime;
  2. la participation de la victime n'a pas entraîné une satisfaction accrue parce que les droits de participer sont en ce moment sous-utilisés et qu'ils sont purement symboliques; ou
  3. les études actuelles sont inconcluantes et déficientes et on doit donc réaliser de meilleures études.

Quelle que soit l'explication la plus plausible, il existe une proposition bien établie sur la situation de la preuve actuelle : les victimes ne ressentent pas une plus grande satisfaction lorsqu'elles participent au processus criminel actuel, mais elles éprouvent un certain soulagement de leur détresse ainsi qu'une satisfaction accrue lorsque leurs affaires sont résolues à l'extérieur des tribunaux criminels dans certains cas. Au minimum, cette proposition devrait amener les vrais défenseurs des droits des victimes à prendre en compte et à étudier davantage les solutions de rechange aux tribunaux criminels contradictoires.