Expériences, attentes et perceptions des victimes à l'égard de la justice réparatrice : Analyse documentaire critique
3. Victimes ayant participé à des programmes de justice réparatrice (suite)
3.1 Déjudiciarisation (suite)
3.1.2 Concertation des familles
Nouvelle-Zélande
En 1989, la Nouvelle-Zélande a adopté une loi incitant la police à intervenir aussi discrètement que possible auprès des jeunes délinquants. La concertation de la famille du jeune délinquant constitue un volet important de cette loi. Cette concertation vise à réparer les dommages causés par le jeune délinquant, à faire participer les proches du jeune délinquant à la détermination du suivi à donner et à faciliter la situation tant pour le jeune qui a commis l’infraction que pour sa ou ses victimes. Les concertations familiales font appel à la participation du jeune délinquant, des membres de sa famille et de tout autre invité de la famille, de la ou des victimes ou de leurs représentants, d’une personne de soutien pour la ou les victimes, d’un représentant de la police ainsi que du médiateur ou de la personne chargée d’orchestrer ce processus. La concertation est organisée dans tous les cas d’actes criminels moyennement graves et graves, à l’exception des meurtres et des homicides involontaires. Cette mesure constitue une solution de rechange aux procédures judiciaires ainsi qu’un mécanisme de formulation de recommandations au juge avant que celui-ci ne prononce la sentence.
Morris, Maxwell et Robertson (1993) ont mené 117 entrevues avec des victimes et sept entrevues avec des représentants des victimes. Chaque victime a été invitée à répondre à des questions ouvertes et les réponses obtenues ont été codées d’une façon indépendante. Malheureusement, les chercheurs n’ont fourni aucun élément d’information concernant les types de victimisation faisant partie de l’échantillonnage ni les caractéristiques socio-démographiques des victimes. Ils n’ont pas non plus fourni d’éléments d’information concernant le moment où se sont déroulées les entrevues. De plus, la méthodologie de l’étude ne permettait pas aux chercheurs de tirer des inférences causales. Malgré tout, les données qualitatives nous donnent un aperçu des attentes et des expériences des victimes.
Attentes
Selon les chercheurs, les victimes ou leurs représentants ont assisté à moins de 50 p. 100 des séances de concertation. Du nombre des victimes qui ont choisi de ne pas assister à ces séances, la plupart ont affirmé que la raison de leur absence n’était pas un manque d’intérêt : 37 p. 100 ont répondu ne pas y avoir été invitées, 29 p. 100 que le moment de la séance ne pouvait s’inscrire dans leur horaire et 18 p. 100, qu’elles n’avaient pas été invitées suffisamment à l’avance pour se libérer. On ne sait pas vraiment pourquoi certaines victimes n’ont pas été invitées à la séance et comment cela peut servir l’atteinte de l’objectif visé par le programme. Les chercheurs ont rapporté que « certaines » victimes ne souhaitaient pas assister à la séance pour de multiples raisons, dont les suivantes :
- elles étaient trop occupées;
- elles n’étaient pas intéressées à rencontrer le délinquant ou les membres de sa famille ou craignaient telle rencontre;
- elles ne se sentaient pas en mesure de faire face à la situation.
Quant aux victimes qui ont assisté à la séance, elles ont invoqué diverses raisons qui ont été regroupées sous les quatre grands thèmes suivants :
- pour leurs propres intérêts (pour recevoir une indemnisation ou pour confronter le délinquant);
- pour aider le délinquant ou pour lui assurer du soutien;
- par sens du devoir;
- par curiosité.
Au nombre des facteurs qui ont amené les victimes à coopérer, citons les suivants :
- le moment choisi : les victimes sont plus susceptibles d’assister aux séances si elles se tiennent après 18 heures;
- le lieu de la séance : les victimes hésitent à assister aux séances qui se tiennent dans le lieu de résidence du délinquant.
Les chercheurs ont également précisé que dans un cas, le porte-parole des victimes a communiqué avec toutes les victimes pour les encourager à assister à la séance, leur faisant valoir qu’elles avaient de bien meilleures chances d’obtenir un remboursement avec la séance de concertation qu’avec le système traditionnel de justice pénale. Ainsi, les victimes pouvaient avoir de grandes attentes en ce qui concerne l’obtention d’un dédommagement.
Expériences
La plupart des victimes ont affirmé s’être senties mieux après la séance de concertation. En général, les victimes ayant affirmé s’être senties mieux après la séance ont également invoqué le fait qu’elles avaient pu participer au processus plutôt que d’en être exclues. Elles avaient l’impression que cette rencontre avec le délinquant leur avait permis d’exprimer des sentiments négatifs à l’égard de ce dernier et de l’infraction.
Environ le quart des victimes ont affirmé s’être encore plus mal senties après la séance. Elles ont fait état de sentiments de peur, de dépression, de détresse et de colère encore vifs. Certaines se sont senties incapables d’exprimer leurs sentiments profonds ou ont éprouvé à nouveau les sentiments qui les avaient envahies au moment de l’infraction. D’autres victimes ont déploré l’insuffisance du soutien qui leur a été assuré au cours de la séance par rapport au soutien dont semblait bénéficier le délinquant. Certaines victimes sont ressorties avec l’impression qu’elles avaient perdu leur temps et étaient choquées par le peu de remords que démontrait le délinquant ou par le peu d’importance accordé au dédommagement de la victime. En général, ce sont les victimes les plus touchées par l’acte criminel qui ont eu le plus de mal à assister aux séances. Les auteurs arrivent donc à la conclusion qu’il s’agit d’une erreur que de présumer que les victimes et leurs agresseurs peuvent simplement se rencontrer sans préparation préalable et sans que les médiateurs aient reçu une formation adéquate.
À la question de savoir s’il y aurait eu lieu de changer le déroulement de ces séances, 70 p. 100 des victimes ont répondu par la négative. Du nombre des personnes qui estimaient que des changements devraient être apportés, 10 p. 100 souhaitaient qu’un meilleur soutien soit offert aux victimes, 10 p. 100 souhaitaient d’être mieux informées sur ce qu’elles sont en droit de s’attendre de la séance, sur la durée probable de celle-ci, etc. et 4 p. 100 voulaient obtenir un plus long préavis de la tenue de la séance. Les 6 p. 100 restantes étaient ambivalentes quant à savoir si des changements étaient vraiment souhaitables.
Les victimes se sont dites moins satisfaites des résultats de la séance que la police, les jeunes délinquants et les membres de leur famille. Dans l’ensemble, 35 p. 100 des victimes n’étaient absolument pas satisfaites des résultats. Petit détail intéressant, les victimes qui ont assisté à la séance se sont dites dans une plus large mesure insatisfaites des résultats obtenus (43 p. 100) que celles qui n’y ont pas assisté (23 p. 100). La plupart des victimes qui ont exprimé de l’insatisfaction auraient souhaité qu’une peine plus sévère soit imposée au délinquant ou qu’un dédommagement plus généreux leur soit accordé, alors qu’un plus petit nombre de victimes estimaient qu’il y aurait lieu de s’intéresser davantage au bien-être du jeune délinquant.
Malheureusement, les chercheurs n’ont pas fait une distinction entre la peine et la réparation, faisant en sorte qu’on ne peut vraiment déterminer si la préférence des victimes allait au châtiment ou au dédommagement.
Les chercheurs ont attribué le taux élevé de satisfaction à l’égard des résultats des séances de concertation des victimes qui n’ont pas assisté à la séance au fait que les infractions dont elles avaient fait l’objet étaient généralement moins graves. Ils se sont aussi intéressés à la relation entre la réparation et la satisfaction de la victime pour arriver à la conclusion que ces deux aspects n’étaient pas interdépendants.
Pour les chercheurs, le taux élevé d’insatisfaction des victimes ayant participé aux séances de concertation est surprenant, d’autant plus que le processus prévoit que les victimes doivent accepter l’entente pour que celle-ci puisse être entérinée. Ils estiment que cette insatisfaction pourrait être attribuable au fait que les victimes ne sont pas assez bien informées quant au rôle qu’elles étaient appelées à jouer au cours de la séance et ce à quoi elles peuvent s’attendre. Il est aussi possible que les victimes n’étaient pas conscientes qu’elles pouvaient s’opposer au règlement proposé.
Les chercheurs sont arrivés à la conclusion que les victimes n’étaient pas adéquatement informées. Les organisateurs de la séance doivent également mieux préparer psychologiquement les victimes à rencontrer le délinquant. Les victimes ont besoin de temps pour réfléchir aux conséquences possibles d’une rencontre avec le délinquant et des membres de son cercle familial.
Canada
En mars 1999, la Gendarmerie royale du Canada (GRC) a publié une évaluation de son projet de justice réparatrice effectuée par J. Chatterjee. D’une façon plus particulière, l’étude s’est intéressée au niveau de satisfaction des participants à l’égard des programmes de réunions communautaires. Ces forums sont un dérivé des séances de concertation des familles organisées dans différents pays dont la Nouvelle-Zélande et l’Australie. Depuis 1996, la GRC offre une formation en justice réparatrice à ses membres afin de les préparer à diriger des programmes de réunions communautaires dans leurs collectivités respectives. Selon Chatterjee, en octobre 1998, 1 700 membres de la GRC des quatre coins du pays avaient suivi cette formation et acquis les compétences requises pour diriger ces forums. Les données ont été tirées de questionnaires écrits (19 victimes) et d’entrevues téléphoniques (44 victimes).
Malheureusement, l’auteur n’a fourni dans son rapport aucune information concernant le taux de réponse.
Dans certains cas, par exemple, les questionnaires ont été distribués par les médiateurs et les chercheurs n’avaient aucune idée du nombre de questionnaires ainsi distribués ni ne savaient si les médiateurs avaient distribué les questionnaires à un échantillonnage sélectif de victimes. L’auteur a toutefois mentionné que, malgré les efforts répétés des chercheurs, seulement un petit nombre de victimes avaient répondu au questionnaire. L’auteur avertit également les lecteurs de son rapport qu’il est possible que les conclusions ne soient pas tout à fait objectives (Chatterjee, 1999, p. 11).
Faute d’information concernant le taux de réponse de l’échantillonnage, les résultats ne peuvent être considérés comme totalement représentatifs et doivent être interprétés avec une certaine réserve.
Par ailleurs, Chatterjee (1999) n’a fourni aucun élément d’information concernant le délai écoulé entre le moment de la participation des répondants au projet et celui où ils ont répondu au questionnaire. Si les impressions des victimes ont changé avec le temps, les données s’en trouvent alors affectées.
Expériences
Les victimes ont été invitées à indiquer leur niveau de satisfaction à l’égard de l’équité de la procédure sur une échelle de 1 à 5, le chiffre 5 correspondant à un très haut niveau de satisfaction et le chiffre 1, à aucune satisfaction. Il importe de noter que tous les répondants qui ont répondu par le chiffre 2 et plus ont été considérés comme satisfaits.
Les victimes ont été invitées à indiquer leur niveau de satisfaction générale à l’égard du programme. Selon Chatterjee (2001), 45 p. 100 des victimes ont donné la cote 5 (très satisfaits), 40 p. 100 ont donné la cote 4 et 11 p. 100, la cote 3.
L’auteur rapporte que 68 p. 100 des victimes se sont dites très satisfaites de l’équité de la procédure (cote 5), 32 p. 100 assez satisfaites (cote 4) et 7 p. 100 moyennement satisfaites (cote 3) (Chatterjee, 2001 ) [3]. Le taux moyen de satisfaction des victimes à l’égard de l’équité de la procédure était de 4,8 (Chatterjee, 1999).
On a également demandé aux victimes d’indiquer leur niveau de satisfaction à l’égard de l’équité de l’entente intervenue. Selon Chatterjee (2001), 59 p. 100 des victimes se sont dites très satisfaites de l’entente (cote 5), 35 p. 100 assez satisfaites (cote 4), 3 p. 100 moyennement satisfaites (cote 3) et 3 p. 100, légèrement satisfaites (cote 2). Le taux moyen de satisfaction était de 4,6. Alors que la plupart des victimes se sont dites satisfaites de l’entente intervenue, Chatterjee note qu’une « minorité » de victimes considéraient avoir été un peu poussées à accepter l’entente (1999, p. 44).
L’auteur arrive donc à la conclusion que les répondants étaient très satisfaits du programme. Toutefois, en raison de l’absence de données concernant le taux de réponse et à défaut de savoir si les elles sont vraiment représentatives de la population, il convient d’extrapoler les conclusions avec prudence en ce qui concerne les victimes en général. Dans l’état actuel des choses, la seule conclusion que l’on puisse tirer de l’information disponible est que les victimes ayant participé à l’étude étaient en général satisfaites de l’équité de la procédure et de l’entente.
Australie
Strang (2000) a évalué les expériences australiennes du programme utilisant la honte comme instrument de réinsertion (reintegrative shaming) qui prennent la forme de conférences organisées par la police. Lorsqu’un agent de police arrive à la conclusion qu’il vaut mieux renvoyer le cas à un tribunal ou à une conférence de déjudiciarisation, le cas est alors inscrit au programme. Les types de crimes couverts par le programme sont les infractions contre les biens et les crimes avec violence. Ce n’est que lorsque le cas a été inscrit au programme que son traitement est déterminé au moyen d’une formule mathématique. Ainsi, le renvoi du cas à une conférence ou au tribunal se fait d’une façon aléatoire. Les conclusions de l’étude de Strang se fondent sur des entrevues menées auprès de 169 victimes - 85 victimes renvoyées à une conférence et 84 au tribunal.Toutefois, les cas n’ont pas tous été traités comme prévu : à la fin, seulement 67 des 85 cas renvoyés à la conférence ont été traités de la façon prévue et 77 des 84 cas renvoyés aux tribunaux ont été traités par les tribunaux [4]. Les entrevues ont eu lieu après le traitement des cas par la conférence ou le tribunal, selon le cas.
Même si la plupart des évaluations des programmes de justice réparatrice font état de taux élevés de satisfaction des victimes, elles n’ont généralement pas utilisé de groupe témoin, faisant en sorte que nous ne pouvons savoir si les victimes qui ont participé à un programme de justice réparatrice sont plus ou moins satisfaites que celles dont le cas a été traité par les tribunaux (voir Umbreit, 1994). L’étude de Strang (2000) se révèle particulièrement intéressante parce qu’elle utilise un groupe témoin et d’autres groupes constitués d’une façon aléatoire, ce qui nous permet d’attribuer au traitement les différences observées entre les différents groupes. Malheureusement, la comparaison entre les victimes dont les cas ont été traités au moyen d’une conférence et celles dont les cas ont été traités par les tribunaux a été plus difficile du fait qu’un grand nombre de victimes dont les cas ont été soumis aux tribunaux n’ont pas été tenues informées du cheminement de leur dossier ni du suivi donné.
Attentes
Même si l’auteur a passé sous silence les attentes des victimes, elle a mentionné que les victimes devaient être informées des attentes réalistes qu’elles peuvent entretenir à l’égard du processus de justice réparatrice et ce, pour éviter de trop les décevoir. Elle conclut qu’il est extrêmement important de bien préparer les victimes quant au rôle qu’elles seront appelées à jouer dans le cadre de la conférence et aux attentes qu’elles peuvent avoir.
Expériences
La plupart des victimes se disent satisfaites du traitement que le système judiciaire leur a réservé. Pour les victimes ayant participé aux conférences, le taux de satisfaction était de 63 p. 100 alors qu’il n’était que de 54 p. 100 pour les autres victimes. La différence observée entre ces deux groupes n’est pas statistiquement significatif. Cependant, Strang (2000) a répété son analyse en n’utilisant cette fois que des victimes dont les cas ont été traités de la façon prévue. Pour ce plus petit échantillonnage, Strang est arrivée à la conclusion que 72 p. 100 des victimes dont le cas a été traité dans le cadre d’une conférence et 50 p. 100 des victimes dont le cas a été traité par les tribunaux étaient satisfaites. Pour ce dernier échantillonnage, la différence entre les groupes était statistiquement significative (p < ,01). La question importante qui se pose est de savoir s’il y a lieu ou non d’utiliser le groupe plus réduit de victimes ayant participé à une conférence plutôt que les groupes plus grands (constitués au hasard).
Strang soutient que le plus petit groupe donne un portrait plus exact de la situation. En effet, il est important de bien comprendre ce qu’ont vécu les victimes si l’on veut arriver à comprendre et à interpréter les conclusions. Dans le présent contexte, il semble que les victimes invitées à participer aux conférences, mais qui pour une raison ou pour une autre n’y ont pas assisté, sont plus critiques concernant la façon dont leur cas a été traité. La participation aux programmes de justice réparatrice est habituellement volontaire, mais il existera toujours des cas où les victimes et (ou) le délinquant choisissent de ne pas participer, rendant nécessaire un traitement différent. Les réactions de ces victimes représentent un facteur important dont il faut tenir compte. Toutefois, Strang n’a pas fourni de plus amples données concernant ce groupe. Il n’est donc pas évident si leurs attitudes sont ou non beaucoup moins positives.
Outre le degré de satisfaction, Strang (2000) s’est intéressée aux préférences des victimes à l’égard de la procédure suivie. À la question de savoir si elles étaient satisfaites de la façon dont a été traité leur cas (qu’il ait été soumis à la décision d’un tribunal ou qu’il ait fait l’objet d’une conférence) par rapport à l’autre façon possible [5], un nombre beaucoup plus grand de victimes ayant participé à une conférence se sont dites satisfaites de la façon dont leur cas a été traité (68 p. 100 versus 49 p. 100 des victimes dont le cas a été renvoyé au tribunal.). Il convient toutefois de préciser que ces statistiques se fondent sur des groupes constitués au hasard par opposition à des groupes expérimentaux. En ce qui concerne les victimes dont le cas n’a pas été traité de la façon initialement prévue, l’étude ne précise pas sur quel traitement se fonde leur appréciation.
Détail intéressant, Strang a remarqué que la différence au niveau des préférences du processus entre le groupe de victimes ayant participé à une conférence et celui des victimes dont le cas a été soumis à la décision d’un tribunal était essentiellement attribuable aux victimes d’une infraction contre les biens. Soixante-dix pour cent de ces victimes dont le cas a fait l’objet d’une conférence se sont dites satisfaites du traitement réservé à leur cas par opposition à 42 p. 100 des victimes dont le cas a été soumis à la décision d’un tribunal. Les victimes d’un crime avec violence se sont dites dans une proportion égale (66 p. 100 pour les deux groupes) satisfaites du traitement dont leur cas a fait l’objet. Il semble donc que dans le cas des infractions contre les biens, les victimes ont dans une plus large mesure préféré la conférence au tribunal, ce qui ne sous-tend pas que toutes les victimes d’une infraction contre les biens ont préféré cette avenue. En effet, Strang rapporte que certaines victimes qui sont plus exposées aux vols, et plus précisément les commerçants et les gérants de magasin, apprécient de ne pas être appelées à participer davantage au processus judiciaire. Ces victimes ne sont pas intéressées à perdre du temps pour assister à une conférence dont le but est d’aider l’auteur de l’infraction.
Strang (2000) mentionne également que les victimes ayant participé à une conférence étaient plus susceptibles d’être tenues informées de l’évolution de leur dossier et de recevoir un dédommagement que les victimes dont le cas a été renvoyé aux tribunaux. Il est bien connu que les victimes dont le cas a été judiciarisé se plaignent généralement de ne pas être tenues informées du cheminement de leur dossier et de ne pas obtenir de dédommagement (Wemmers, 1996; Shapland et coll., 1985). La présente étude ne précise pas la mesure dans laquelle la communication de renseignements et le dédommagement des victimes ont influencé les évaluations données par les victimes du traitement qui leur a été réservé. Il est fort possible que ce soit l’absence d’information et de dédommagement et non pas la conférence en tant que tel qui explique les différences du degré de satisfaction des victimes quant au traitement dont leur cas a fait l’objet.
Un autre indice de satisfaction des victimes à l’égard des conférences est la volonté qu’elles ont exprimée de répéter l’expérience si l’occasion se présentait à nouveau. Toutefois, cette question n’ayant été posée qu’au groupe de victimes ayant participé à une conférence, elle ne permet pas de dresser une comparaison entre les différents groupes. Pourtant, la plupart (74 p. 100) des victimes ayant participé à une conférence ont répondu qu’elles accepteraient « fort probablement » sinon « certainement » de participer à nouveau à une conférence si l’auteur de l’infraction était une jeune personne.
Par ailleurs, d’autres victimes se sont clairement dites insatisfaites de l’ensemble du processus. Strang (2000) rapporte qu’une victime s’est plainte d’avoir été un peu poussée par la police à participer à la conférence. Une autre victime n’a pas apprécié de se trouver en présence du délinquant, tandis qu’une autre s’est sentie isolée et vulnérable. Strang reconnaît que le risque de victimisation secondaire attribuable à la présence de la victime à la conférence peut dans certains cas être plus grand. Elle arrive à la conclusion que l’attention plus grande accordée au délinquant peut laisser à la victime l’impression que ses besoins ne sont pas vraiment pris en compte dans tout ce processus. L’auteur fait valoir qu’une formation adéquate des animateurs et une bonne organisation de la conférence pourraient prévenir certains de ces problèmes.
Enfin, en ce qui concerne le niveau de satisfaction des victimes à l’égard des résultats du processus, Strang (2000) mentionne que le nombre de victimes dont le cas a été renvoyé devant un tribunal qui ont été informées des résultats du processus était trop limité pour permettre une comparaison entre les différents groupes. Les données n’étaient disponibles que pour le groupe de victimes ayant participé à une conférence. Comparant les victimes d’une infraction contre les biens et les victimes d’un crime avec violence, Strang a relevé une différence marquée entre les groupes. En effet, 81 p. 100 des victimes d’une infraction contre les biens et 56 p. 100 des victimes d’un crime avec violence dont les cas ont été traités dans le cadre d’une conférence se sont dites satisfaites des résultats et ce, immédiatement après la conférence. Malheureusement, l’auteur passe sous silence les raisons qui pourraient expliquer la différence observée.
Strang (2000) a toutefois fourni de l’information concernant l’évolution avec le temps du niveau de satisfaction des victimes à l’égard des résultats du processus. Il est intéressant de noter que 17 p. 100 des victimes d’une infraction contre les biens qui s’étaient dites à l’issue de la conférence satisfaites des résultats obtenus exprimaient une opinion contraire six semaines après la conférence. Selon le chercheur, cette situation était dans presque tous les cas attribuable au défaut du délinquant de respecter les engagements qu’il avait pris. Quant aux victimes d’un crime avec violence, toutes les victimes qui, à l’issue de la conférence, s’étaient dites satisfaites des résultats obtenus l’étaient encore six semaines après celle-ci. L’auteur est arrivée à la conclusion qu’il était extrêmement important d’exercer un suivi des ententes intervenues à la conférence pour assurer la satisfaction des victimes. Les autorités doivent surveiller rigoureusement le respect des ententes par les délinquants et informer les victimes que les ententes ont été respectées afin qu’elles puissent arriver à tourner la page sur l’infraction ou sur le crime et sur la conférence.
On a souvent fait valoir que la justice réparatrice peut avoir un effet réparateur sur les victimes et sur les délinquants (voir Roach, 1999; Umbreit, 1994). Strang (2000) a mentionné que les différences les plus marquées entre les groupes se situaient au niveau des émotions et s’est intéressée d’une façon plus particulière aux sentiments de vengeance. D’une façon plus précise, elle a posé la question suivante aux victimes : vous en prendriez-vous à l’auteur de l’acte criminel que vous avez subi si vous aviez la chance de le faire? Les victimes d’un crime avec violence étaient plus portées à répondre par l’affirmative que les victimes d’une infraction contre les biens. Pour les deux groupes de victimes, à savoir les victimes ayant participé à une conférence et les victimes dont le cas a été soumis à un tribunal, environ 7 p. 100 des victimes d’une infraction contre les biens ont répondu par l’affirmative. Par ailleurs, parmi les victimes d’un crime avec violence, 54 p. 100 de celles dont le cas a été renvoyé à un tribunal ont affirmé qu’elles s’en prendraient à leur agresseur si l’occasion leur était donnée de le faire par rapport à seulement 7 p. 100 des victimes ayant participé à une conférence. Cette donnée indique que les victimes ayant participé à une conférence réussissent mieux que celles dont le cas a été renvoyé à un tribunal à composer avec l’acte criminel dont elles ont fait l’objet.
- [3] En raison d'un problème d'impression, il était impossible de lire les pourcentages dans le rapport. Ces statistiques ont été fournies en juillet 2001 par Chatterjee par le truchement d'une communication personnelle.
- [4] Des 17 autres cas ayant fait l'objet d'une conférence, 11 ont été renvoyés aux tribunaux, trois délinquants ont reçu un simple avertissement et trois sont restés sans traitement. Les huit délinquants renvoyés aux tribunaux n'ont reçu qu'un avertissement.
- [5] Avant de répondre à cette question, les victimes du groupe dont les cas ont été soumis aux tribunaux ont obtenu une brève description du processus de conférence.
- Date de modification :