Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 12

Accès à la justice pour les victimes d’actes criminels

Par Susan McDonald

L’ancienne juge en chef Beverley McLachlin a dit un jour que l’accès à la justice est le plus grand défi auquel est confronté actuellement le système de justice canadienNote de bas de la page 88. Le présent article examinera la notion d’accès à la justice pour les victimes d’actes criminels, même si, pour ce faire, il soulèvera plus de questions qu’il ne donnera de réponses.

Qu’est-ce que l’accès à la justice?

Qu’entend-on par « accès à la justice »? Qui est en mesure de définir ce terme? Et a-t-il la même signification pour chacun? L’accès à la justice est-il différent pour le requérant en cas de divorce que pour la victime d’une agression? Dans le présent article, pour tenter de répondre à ces questions, nous passons en revue les études canadiennes portant sur l’accès à la justice et les liens avec les dimensions internationales, comme les Objectifs de développement durable (ODD) du Programme à l’horizon 2030 des Nations Unies, afin de mieux comprendre ce qu’est l’accès des victimes à la justice et la façon dont il est mesuré.

L’accès à la justice est traditionnellement considéré comme l’accès aux services d’avocats (p. ex. l’aide juridique) et aux processus judiciaires (Macdonald 2005, p. 20Note de bas de la page 89). Cependant, au cours des dernières années, cette notion a pris un sens beaucoup plus large, un sens qui dépasse les structures officielles et les besoins du système de justice pour intégrer une perspective axée sur les citoyens ou les gensNote de bas de la page 90. De nombreux avocats se sont faits les champions de la question. En effet, l’Association du Barreau canadien et le Comité d’action sur l’accès à la justice en matière civile et familiale ont tous deux publié d’importants rapports à ce sujet en 2013.

L’honorable Thomas Cromwell, ancien juge de la Cour suprême du Canada, définit l’accès à la justice comme les connaissances, les ressources et les services qui permettent d’avoir recours au système de justice dans le domaine du droit de la famille, du droit pénal et du droit civil (Cromwell, 2012, p. 39). De son côté, le professeur Trevor Farrow de l’école de droit Osgoode Hall et son équipe de recherche ont demandé à 99 Canadiens de la région du Grand Toronto de définir le terme « justice ». Les réponses ont ensuite été regroupées par thèmes, dont les suivants :

Comme Farrow le fait également remarquer, [traduction] « il est important d’avoir de bons juges, avocats et éducateurs, des lois et des règles efficaces et des salles d’audience fonctionnelles. Toutefois, ceux-ci ne sont pas une fin en soi, mais plutôt des étapes sur la voie qui mène à la justice et qui permet d’accéder à cette dernière. » (2014, p. 983)

L’accès à la justice au ministère de la Justice du Canada

Au ministère de la Justice, l’accès à la justice est considéré comme une valeur fondamentale du système de justice canadien. Le ministre de la Justice a notamment pour mandat d’assurer « un système de justice équitable, adapté et accessible pour tous les CanadiensNote de bas de la page 91 ». Établie par un groupe de travail interne il y a plusieurs années, la définition que donne le ministère de la Justice à la notion d’accès à la justice est la suivante :

Offrir aux Canadiens les moyens d’obtenir l’information et l’assistance dont ils ont besoin pour les aider à prévenir les problèmes juridiques et régler de tels problèmes de façon efficace, abordable et équitable, soit au moyen de mécanismes informels de règlement, si possible, ou à travers le système de justice formel, au besoinNote de bas de la page 92.

Cette définition fait ressortir les principes suivants :

  1. Le système de justice s’étend au-delà des tribunaux judiciaires et administratifs et comprend aussi un vaste système informel (p. ex. les sources d’information, les stratégies d’auto-assistance et les autres modes de règlement des différends). Élargir l’accès à la justice en faisant appel à des systèmes formels ou informels est essentiel pour obtenir des résultats équitablesNote de bas de la page 93 et justesNote de bas de la page 94. Le gouvernement et le système de justice dans son ensemble font donc des économies de coûts grâce à une meilleure répartition des ressources.
  2. Il est nécessaire d’amener les Canadiens à mieux connaître et comprendre le système juridique, et à mieux s’y retrouver, au moyen de diverses mesures (p. ex. donner à tous les Canadiens une formation juridique de base) qui permettent aux gens de mieux gérer leurs problèmes juridiques, soit ceux qui sont susceptibles d’être tranchés par un tribunal (voir McCoubrey, 2015).
  3. D’autres conditions viennent souvent compliquer l’accès à la justice des victimes, notamment pour dénoncer un acte criminel, demander de l’aide et prendre part aux procédures judiciaires. Ces conditions sont notamment :
    • les facteurs socioéconomiques, comme la pauvreté;
    • les facteurs géographiques;
    • les facteurs culturels;
    • les facteurs liés à la santé;
    • les décisions stratégiques prises dans d’autres domaines de responsabilitéNote de bas de la page 95.

Ces principes montrent que la définition de l’accès à la justice peut être plus large : elle peut aussi inclure des mécanismes de règlement à l’extérieur du système de justice officiel, et de l’information qui va au-delà des questions strictement juridiques. Bien que l’accès à la justice puisse prendre un sens différent selon le contexte, la définition devrait permettre aux victimes de dénoncer les actes criminels, de demander de l’aide et de participer pleinement aux procédures pénales.

Recherches et écrits sur l’accès à la justice pour les victimes

Au cours des dernières années, le ministère de la Justice a amassé des articles de recherche examinés par des pairs sur les victimes et l’accès à la justice. Il a trouvé une abondante documentation au Canada et à l’étranger sur l’accès à la justice en général (voir McDonald, 2017), mais peu portant sur les victimes. Seuls quelques articles sont passés en revue ici. La terminologie propre à l’accès à la justice n’est normalement pas utilisée dans les travaux de recherche et de rédaction, d’où les résultats limités.

Les juristes Mary Jane Mossman et Patricia Hughes ont rédigé un important rapport pour le ministère de la Justice intitulé Repenser l’accès à la justice pénale au Canada : un examen critique des besoins, des réponses et des initiatives de justice réparatrice (Mossman et Hughes, 2001). Ce rapport, même s’il n’est pas récent, passe en revue certains ouvrages, qui démontrent notamment l’évolution de la notion d’accès à la justice, laquelle est passée d’une question d’équité et d’égalité à une question d’équilibre budgétaire et de réduction des déficits. Les auteures examinent également les dimensions publique et privée de la justice, en mettant en garde contre la privatisation de la justice pénale et en appelant à la participation continue de la collectivité. Selon elles, le fait d’accorder plus d’importance à la victime qu’à l’intérêt public, ce qui incite à imposer des peines plus sévères, favorise le programme politique axé sur la loi et l’ordre qui peut être si populaire auprès des citoyens.

En fin de compte, les auteures concluent qu’il est impossible de réconcilier les rôles peut-être contradictoires du procureur de la Couronne et de la collectivité, ou les perspectives divergentes du délinquant et de la victime. Il est tout aussi important de se demander comment la justice réparatrice peut permettre d’atteindre les objectifs de l’égalité réelle et de répondre aux besoins des victimes, des Autochtones accusés et des autres délinquants. En ce qui concerne les besoins des Autochtones dans un contexte de justice pénale, la question de la surreprésentation des Autochtones, tant à titre d’accusés que de victimes, demeure aussi pertinente aujourd’hui qu’au moment de la publication du rapport, il y a 18 ans.

Mossman et Hughes (2001) avancent l’idée que la justice réparatrice est aussi un mécanisme permettant aux victimes d’actes criminels d’avoir accès à la justice. Dans son article paru dans le dixième numéro du Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels (Wemmers, 2017), la professeure Jo-Anne Wemmers examine le recours à la justice réparatrice dans les cas de violence sexuelle et l’importance pour les victimes de pouvoir choisir la procédure que leur convient parmi celles que leur offrent les systèmes de justice civile, pénale ou administrative.

Au cours des dix dernières années, le Canada a également procédé à certaines réformes législatives, dont l’adoption de la Charte canadienne des droits des victimes (CCDV). La CCDV enchâsse dans la loi certains éléments de l’accès à la justice, notamment le droit de participation et le droit à l’information. Dans ce numéro du Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels (no 12), la professeure Marie Manikis (2019) discute de la déclaration de la victime et de la déclaration au nom d’une collectivité, qui illustrent le droit des victimes de participer à leur cause. Les victimes et leur droit à l’information sur leur cas, sur le système de justice pénale et sur la justice réparatrice font l’objet d’un autre article dans le numéro 10 (voir McDonald, 2017).

L’agression sexuelle et la réponse du système de justice pénale au Canada et dans d’autres pays ont été soumises à un examen minutieux au cours des dernières années. Par exemple, un article de fond de Robyn Doolittle paru dans le Globe and Mail en février 2017 soulignait les problèmes causés par l’utilisation du terme « non fondé » pour classer les cas et les différentes pratiques d’enquête des services de police partout au pays (Doolittle, 2017). Dans un autre article paru à l’époque dans le Toronto Star, l’auteur écrit (del Gobbo, 2017) :

[traduction] Nous devons revoir à fond la façon dont le droit traite la violence sexuelle. Pour ce faire, nous devrions commencer par demander aux victimes survivantes ce que la « justice » signifie pour elles.

Pour certaines victimes survivantes, la justice consiste à signaler leur agression à la police, puis à prendre part à un procès criminel qui les protège.

Mais pour d’autres, la justice consiste à réparer le tort causé par les actes du délinquant au moyen de la guérison et de la réinsertion sociale. Elle consiste à tenir le délinquant responsable de ses actes au moyen de mesures volontaires qui mobilisent la collectivité et préviennent tout autre acte criminel. Elle consiste à envisager la violence sexuelle comme le résultat de forces systémiques complexes qui ont une incidence différente sur différents groupes. Elle consiste à collaborer avec les délinquants pour promouvoir l’égalité des genres dans notre société.

En guise de réponse à ces préoccupations, le Groupe de travail du Comité de coordination des hauts fonctionnaires (CCHF) sur l’accès à la justice pour les adultes victimes d’agression sexuelle a été établi. Il s’agit d’un groupe spécial composé de représentants des services aux victimes fédéraux, provinciaux et territoriaux, de procureurs de la Couronne et de policiers. Ce groupe de travail a publié le rapport intitulé Signalements, enquêtes et poursuites concernant les agressions sexuelles commises à l’égard des adultes – Difficultés et pratiques prometteuses quant à l’amélioration de l’accès à la justice pour les victimes à l’automne 2018. Dans la préface, il définit l’accès à la justice comme suit :

L’accès à la justice est un principe qui découle du respect de la primauté du droit et, à ce titre, il s’agit d’une valeur fondamentale du système de justice pénale canadien. Pour les adultes qui sont victimes d’agression sexuelle en particulier, l’accès à la justice signifie ce qui suit : les victimes se sentent à l’aise de signaler à la police le crime qu’elles ont subi; les enquêtes policières sont menées avec minutie, de manière objective et opportune; des accusations sont portées si elles répondent aux critères juridiques applicables; et les poursuites sont menées d’une manière équitable, en offrant un soutien aux victimes. Bien qu’une victime d’agression sexuelle puisse être confrontée à de nombreux problèmes au lendemain d’une agression sexuelle, le présent rapport n’est axé que sur les obstacles du système de justice pénale auxquels une victime peut être confrontée à la suite d’une agression sexuelle et qui l’empêchent d’avoir accès à la justice. (2018, préface, non souligné dans l’original)

Le rapport met l’accent sur les pratiques des administrations qui encouragent les victimes d’actes criminels à faire un signalement à la police, soutiennent la victime et améliorent l’efficience et l’efficacité des enquêtes et des poursuites dans les cas d’agressions sexuelles.

Le groupe a retenu les services des expertes autochtones Patricia Barkaskas et Sarah Hunt pour rédiger un document sur les perspectives autochtones. Le document, intitulé Accès à la justice pour les adultes autochtones victimes d’agression sexuelle, souligne que la violence systémique a été, et continue d’être, un obstacle majeur à la justice pour les peuples et les communautés autochtones. Les auteures notent ce qui suit :

Dans le contexte du colonialisme canadien, il faut bien comprendre que le processus consistant à redéfinir la justice pour les survivants autochtones est toujours délimité par les facteurs structurels qui continuent de priver ces derniers de l’autodétermination sur les plans individuels et collectifs. (2017, p. 7)

Barkaskas et Hunt (2017) soutiennent que, même si de nombreux professionnels de la justice pénale reconnaissent les problèmes systémiques actuels lorsqu’il s’agit de réagir à la violence sexuelle envers les peuples autochtones, ils continuent de préconiser un modèle mixte dans lequel les collectivités autochtones doivent collaborer avec le système de justice pénale traditionnel. D’autres sont sceptiques à l’égard des systèmes de justice canadiens et croient qu’ils ne peuvent obtenir justice qu’à l’extérieur du système judiciaire, particulièrement lorsque la violence sexuelle se produit dans les familles autochtones. Comme les auteures le font observer dans le résumé et dans le rapport principal :

De nombreux efforts visant à définir l’accès à la justice pour les survivants autochtones essayent de composer avec l’impossibilité d’obtenir une justice véritable pour ceux dont les vies ont toujours partie liée avec les idéologies et les systèmes coloniaux. L’accès à la justice est plutôt défini dans l’optique d’éviter la perpétuation des traumatismes en privilégiant activement les connaissances, les perspectives et les voix autochtones. (2017, p. 7-8)

Un autre rapport canadien sur l’accès à la justice a été publié par l’ancien Institut canadien de recherche sur le droit et la famille en 2017. Intitulé Access to Justice in Indigenous Communities: An Intercultural Strategy to Improve Access to Justice (Wright, 2017), ce rapport porte principalement sur les relations entre les collectivités autochtones de l’Alberta, la police et d’autres intervenants du système de justice pénale. Dans le cadre d’une série de groupes de discussion avec des intervenants clés, l’auteure du rapport a constaté que les questions juridiques les plus souvent soulevées étaient la protection de l’enfance et les problèmes criminels, y compris les accusations impliquant des substances et les problèmes de circulation. Le rapport porte donc en priorité sur quatre domaines clés : 1) répondre aux besoins des jeunes dans le système judiciaire; 2) officialiser les partenariats entre organismes; 3) améliorer les connaissances de tous en matière de droits juridiques, et 4) rendre le système judiciaire accessible. (Wright 2017, p. 12).

Un article de Clarke et ses collaborateurs (2016) présente les résultats d’évaluation d’un projet pilote d’accès à la justice pour les victimes et survivants de mauvais traitements envers les aînés (Access to Justice for Victims/Survivors of Elder Abuse) mené au Royaume-Uni. Ce projet pilote a été lancé en 2010 dans le cadre de la stratégie intégrée sur six ans du gouvernement gallois pour lutter contre la violence familiale. Il a été élaboré pour répondre aux besoins des personnes âgées vivant dans un cadre familial et leur faciliter l’accès à la justice pénale et civile. Bien que les mauvais traitements infligés aux personnes âgées impliquent très souvent un comportement criminel, l’ouverture d’une enquête criminelle et, en définitive, les poursuites sont rares. Comme le font remarquer les auteurs :

[traduction] L’accès à la justice n’est pas seulement un droit de la personne; dans certains cas, il peut être le seul moyen efficace de protéger la personne. Le recours à la justice pénale ou civile et la prestation de soutien social ne sont pas des interventions incompatibles ou mutuellement exclusives, mais peuvent se compléter pourvu que soit atteint un juste équilibre qui tient compte des souhaits de la personne. Il est essentiel que les fournisseurs de services adoptent une approche centrée sur la personne lorsqu’ils discutent des options offertes en matière de justice pénale et civile et d’aide sociale. (Clarke et coll. 2016, p. 209)

Une étude menée en 2010 par le ministère de la Justice, en collaboration avec la Section contre la violence à l’égard des aînés du Service de police d’Ottawa, a donné des résultats semblables. Elle révèle que 17 % des dossiers de mauvais traitements envers les aînés examinés (77 sur 453 dossiers) ont donné lieu à des accusations (Ha 2013, p. 32). Les agents interrogés dans le cadre de l’étude ont fait remarquer que ces chiffres ne disaient rien des difficultés posées par chaque dossier, ce qui rend d’autant plus difficile la tâche de déterminer la bonne intervention à mener.

Il est intéressant de noter que, bien qu’elle soit très semblable à l’étude Clarke, l’étude de 2010 du ministère de la Justice ne parle pas d’« accès à la justice ». Elle laisse entendre qu’il existe beaucoup de recherches et d’écrits sur l’accès à la justice des victimes d’actes criminels, tant dans les revues à comité de lecture que dans les rapports du gouvernement et de la société civile, mais elle n’utilise pas le langage de l’accès à la justice. En l’absence d’un tel langage, l’article n’apparaîtra dans aucune recherche.

Mesurer l’accès à la justice pour les victimes

Lorsque l’accès à la justice pour les victimes est clairement défini, quels sont les résultats attendus? Ces résultats sont-ils obtenus? Comment l’accès à la justice pour les victimes est-il mesuré? Il existe de nombreuses façons de mesurer l’accès à la justice. Au milieu des années 2000, des chercheurs de l’Institute for Interdisciplinary Studies of Civil Law and Conflict Resolution (TISCO) de l’Université de Tilburg ont élaboré un cadre pour s’assurer que les chercheurs abordent l’accès à la justice du point de vue de la personne aux prises avec le problème (Gramitkov et coll., 2008). Les chercheurs du TISCO ont mis au point un outil permettant de mesurer le coût, la qualité de la procédure et la qualité du résultat. Chacune de ces dimensions comporte des indicateurs qui lui sont propres, mesurés sur une échelle de cinq points. La mesure uniforme des indicateurs assure l’uniformité du processus de notation, et rend possible l’élaboration d’échelles et d’indices qui permettent de présenter les mesures du coût et de la qualité.

Une étude de Laxminarayan (2010) illustre comment les avocats peuvent utiliser ce cadre et cet outil de mesure pour améliorer ou mesurer l’expérience des victimes qui passent par le système de justice : d’abord, en exposant les coûts de la justice; puis, en interrogeant les victimes sur des aspects importants de leur procédure ou procès en particulier, par exemple pour savoir si leur droit de présenter une déclaration leur a été expliqué; et, enfin, en précisant les caractéristiques requises pour obtenir un résultat satisfaisant. Les avocats peuvent utiliser cette approche, peu importe la voie empruntée par la victime, notamment une procédure civile ou une procédure de justice réparatrice.

Le ministère de la Justice a élaboré un indice d’accès à la justice (l’Indice) fondé sur ce cadre (Gramitkov et coll., 2008) pour les organismes administratifs fédéraux (McDonald, 2017). L’Indice a pour objet d’être un outil d’autoévaluation dont les tribunaux et autres organismes administratifs peuvent se servir pour déterminer la mesure dans laquelle ils assurent l’accès à la justice pour leurs mandants. Dernièrement, l’Indice a été adapté pour mesurer les résultats de sept des programmes de financement du ministère de la Justice qui visent notamment « l’amélioration de l’accès à la justice et du bien-être » comme résultat à long terme. L’un de ces programmes de financement, le Fonds d’aide aux victimes, offre des exemples de projets qui améliorent l’accès à la justice pour les victimes d’actes criminels et les membres de leur famille. Parmi ces projets, mentionnons le modèle des centres d’appui aux enfants pour les enfants victimes de violence et les unités de liaison pour l’information à l’intention des familles, qui fournissent aux familles autochtones des renseignements sur leurs proches disparus ou assassinés d’une manière culturellement appropriéeNote de bas de la page 96. Le ministère de la Justice a élaboré et appuyé ces initiatives, tout en comprenant de mieux en mieux que l’accès à la justice va au-delà de l’accès à la représentation juridique.

Dimensions internationales

L’accès à la justice comporte également des dimensions internationales très claires. Chose importante, le Canada appuie le Programme des Nations Unies à l’horizon 2030 et les 17 objectifs de développement durable (ODD)Note de bas de la page 97. Le cadre des ODD comprend un objectif visant à assurer l’accès à la justice pour tous (ODD 16.3)Note de bas de la page 98. Voilà une évolution très prometteuse pour toute personne qui travaille dans le domaine de la justice, car l’accès à la justice n’a jamais été inclus dans les objectifs de développement auparavant, et tous les pays se sont engagés à atteindre ces objectifs d’ici 2030.

En février 2019, l’Innovation Working Group of the Task Force on JusticeNote de bas de la page 99 a publié un rapport sur la façon d’atteindre l’ODD 16.3. Le groupe conclut que la lacune en matière d’accès à la justice dans le monde est important et que les systèmes judiciaires ne répondent pas aux besoins des gens. Parmi les recommandations visant à résoudre ces difficultés, mentionnons celle de recadrer la justice de manière à ce qu’elle réponde aux besoins des gens et tienne compte de l’équité de leurs relations, en mettant l’accent sur les résultats.

Au gouvernement du Canada, le ministère de la Justice est chargé de rendre compte des progrès réalisés envers l’atteinte de l’ODD 16. Les dimensions internationales offrent l’occasion de participer à un vaste débat mondial sur l’accès à la justice pour les victimes d’actes criminels. Ce débat mondial prévoit des enquêtes sur les « besoins juridiques » ou les « problèmes juridiques ».

Recherche actuelle : l’Enquête nationale sur les problèmes d’ordre juridique

Partout dans le monde, des pays mènent des enquêtes sur les besoins juridiques ou les problèmes juridiques de leurs citoyens, enquêtes fondées sur des témoignages spontanés qui mesurent l’accès à la justice. Au Canada, l’Enquête nationale sur les problèmes d’ordre juridique a d’abord été parrainée par le ministère de la Justice, qui a mené trois cycles distincts en 2004, en 2006 et en 2008. En 2014, le Forum canadien sur la justice civile a élaboré un quatrième cycle, en ajoutant une section sur les problèmes liés à la justice pénale, mais seulement pour l’accusé. La plupart des recherches sur les victimes d’actes criminels relèvent de la justice pénale, mais les résultats des cycles précédents montrent que les problèmes de droit civil sont beaucoup plus fréquents que les problèmes de droit pénal. (Currie, 2016)

Le ministère de la Justice s’est associé à Statistique Canada pour mener l’Enquête nationale sur les problèmes d’ordre juridique, avec l’appui du ministère des Femmes et de l’Égalité des genres. L’Enquête est conçue pour déterminer la fréquence à laquelle les Canadiens à revenu moyen ou faible font face à des problèmes de droit civil et l’aide dont ils ont besoin pour régler ces problèmes. L’étude mesure non seulement la prévalence des problèmes d’ordre juridique, mais aussi la façon dont les Canadiens tentent de les résoudre, ainsi que leurs effets sur la santé, le bien-être et les finances des Canadiens.

Le ministère de la Justice a collaboré avec d’autres ministères et organismes fédéraux pour déterminer les priorités stratégiques sur lesquelles l’enquête pourrait porter et le contenu final à mettre à l’essai. En particulier, le Ministère a ajouté des questions à l’intention des répondants sur le fait d’être victime ou témoin d’un acte criminel, ainsi qu’une question sur la relation entre l’agresseur et la victime pour cerner les cas de violence familiale. Les synergies entre le système de justice pénale et l’accès à ce système de justice, et entre les systèmes de justice civile et familiale, sont dignes d’intérêt. Par exemple, on peut se demander si la violence conjugale déclenche d’autres problèmes juridiques ou si les problèmes juridiques déclenchent la violence conjugale. La réponse probable est les deux, mais dorénavant, des données seront disponibles pour illustrer cette affirmation et pour aider le système de justice à mieux répondre aux besoins de ces victimes.

Si les responsables parviennent à trouver des partenaires financiers, l’Enquête nationale sur les problèmes d’ordre juridique sera menée au printemps 2020, et les données ainsi recueillies seront communiquées l’année suivante. L’enquête offre une excellente occasion de combler d’importantes lacunes dans les données sur les intersections entre justice familiale, civile et pénale, tant à l’échelle nationale qu’internationale.

Conclusion

D’après ce bref examen, il est clair que la notion d’accès à la justice ne se limite pas à l’accès aux tribunaux et aux services d’un avocat, mais qu’elle a évolué au cours des dernières années pour se concentrer davantage sur les citoyens et inclure des solutions allant au-delà du système judiciaire traditionnel. Il est également clair que l’accès à la justice pour les victimes d’actes criminels prend un sens différent selon chaque personne : pouvoir signaler un crime à la police, pouvoir participer à un processus de justice pénale, pouvoir accéder à l’information. Il peut aussi s’agir de pouvoir prendre part à un processus de justice réparatrice pour remédier au tort causé par le délinquant, ou de présenter une déclaration de la victime à une audience de libération conditionnelle.

Cet examen montre également que la recherche, surtout au Canada, n’entre pas toujours dans la catégorie des « études sur l’accès à la justice ». Voilà qui souligne encore davantage l’importance d’adopter le libellé des ODD, qui a été accepté par les 193 pays de l’Assemblée générale des Nations unies. L’ODD 16 nous fournit un langage commun pour cerner les problèmes et résoudre les difficultés. Par exemple, le problème qui se pose pour les victimes d’actes criminels dans les collectivités nordiques et éloignées du Canada est-il le manque de services ou le manque d’accès à la justice? Enfin, l’examen confirme que l’accès à la justice découle de la primauté du droit et fait partie du mandat du ministère de la Justice, qui est d’assurer « un système de justice équitable, adapté et accessible pour tous les Canadiens ». Il reste encore beaucoup de recherches à faire pour comprendre ce que signifie l’accès à la justice pour les victimes d’actes criminels. Ce court article n’est qu’un aperçu de la littérature sur le sujet et laisse encore plus de questions à explorer.

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Susan McDonald LLB, PhD, est chercheuse principale à la Division de la recherche et de la statistique au ministère de la Justice du Canada. Elle est responsable de la recherche relative aux victimes d’actes criminels pour le compte du Ministère et possède une expérience considérable en recherche sur un vaste éventail de questions liées aux victimes.