Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 14

La justice réparatrice et la violence fondée sur le sexe : un survol de la littérature

Résumé par Jane Evans

Dans cet article sont présentés des extraits, sélectionnés par le ministère de la Justice du Canada, d’un document de travail qui a été communiqué à l’avance aux participants des séances de dialogue organisées portant sur la justice réparatrice et la violence fondée sur le sexe. Les organismes Ending Violence Association of BC (EVA BC) et Just Outcomes ont organisé ces séances de dialogue en 2020.

Introduction

La justice réparatrice (JR)Note de bas de page 13, qui fait partie du système de justice pénale du Canada depuis plus de 40 ans, est fondée sur la reconnaissance du fait que les actes criminels portent atteinte aux personnes et aux relations. La JR peut être définie comme « l’approche de la justice qui vise à réparer les torts causés en donnant aux personnes lésées et à celles qui assument la responsabilité des torts infligés l’occasion de communiquer leurs besoins respectifs et d’y répondre à la suite de la perpétration d’un crime ». (Principes et lignes directrices relatifs à la pratique de la justice réparatrice en matière pénale, 2018.) La JR favorise une mobilisation et une responsabilisation significatives, et fournit une possibilité de guérison, de réparation et de réinsertion. Certains principes clésNote de bas de page 14 de la JR sont le respect, l’autonomisation, la sécurité et l’inclusion (Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice réparatrice, 2018b). Ces dernières années, la JR a suscité un intérêt croissant résultant de la reconnaissance accrue des limites du système de justice pénale classique à répondre aux besoins des victimes et survivants d’actes criminels (Bourgon et Coady, 2019).

De manière générale, les modèles de JR peuvent être utilisés à n’importe quel stade du processus de justice pénale, de la déjudiciarisation aux processus présentenciels et postsentenciels. Ces modèles supposent généralement l’intervention d’un facilitateur tiers ou d’un membre respecté de la communauté (tel qu’un aîné pour les programmes communautaires autochtones), lequel accompagne les parties dans un processus d’exploration, de préparation, de dialogue et de suivi. La JR exige que toutes les parties participent de façon volontaire et que les parties fautives acceptent leur responsabilité.

La violence fondée sur le sexe (VFS) est une violence commise à l’encontre d’une personne en raison de son identité de genre, son expression de genre ou encore de son genre perçu. Elle comprend plusieurs types de violence, comme la violence entre partenaires intimes et la violence sexuelleNote de bas de page 15 (Femmes et Égalité des genres Canada, 2018). Les victimes et les survivants de la VFS subissent des conséquences importantes à court et à long terme, et ont des besoins distincts dans leur quête de sécurité, de rétablissement et de justice.

La dynamique du pouvoir et les déséquilibres inhérents aux cas de VFS nécessitent des approches judiciaires centrées sur les victimes et les survivant(e)s, qui donnent priorité à leurs besoins et rétablissent le pouvoir des personnes qui ont été affectées. Après avoir subi de la VFS, les victimes et les survivant(e)s se sentent souvent déshumanisé(e)s et privé(e)s de tout pouvoir. Une approche centrée sur les victimes et les survivant(e)s garantit qu’il leur sera possible de décider de la suite des événements, notamment dans leur quête de justice.

Si le système de justice pénale classique offre une façon de lutter contre la VFS, ses capacités limitées à répondre aux besoins des victimes et survivant(e)s de la VFS et à tenir les contrevenants responsables incitent la plupart des victimes et les survivant(e)s à chercher ailleurs, c’est-à-dire hors du système, pour du soutien et la guérison (Boutilier et Wells, 2018; Prochuk, 2018). Le système de justice pénale traditionnel traite les victimes et les survivant(e)s de la VFS comme des témoins de leur propre victimisation, leur offre peu d’opportunités de participer de manière significative aux procédures, et peut les exposer à une potentielle nouvelle victimisation (par exemple, pendant le procès). Selon l’Enquête sociale générale de 2019, seuls 19 % des cas de violence entre partenaires intimes ont été signalés à la police par la victime ou une autre personne (Conroy, 2021) et seulement 6 % des cas d’agression sexuelle ont été signalés (Cotter, 2021). Les victimes et les survivant(e)s de la VFS [traduction] « ont souvent des interactions compliquées, prolongées et même nuisibles avec les systèmes juridiques » (Mogulescu, 2020, p. 233). Comme l’affirment Koss et Achilles (2008), [traduction] « le système judiciaire conventionnel est très doué pour faire très peu en réponse aux signalements d’agressions sexuelles » (2008, p. 10). La JR offre une autre voie vers la justice pour les victimes et les survivant(e)s de crimes, mais elle est utilisée avec beaucoup de prudence dans les cas de crimes fondés sur le sexe ou sur le pouvoir.

De nombreux théoriciens et praticiens suggèrent que, puisque la JR place les besoins des victimes et des survivant(e)s au centre de la quête de justice, elle représente une alternative ou un complément bénéfique aux processus traditionnels de justice pénale. Les bases de la JR se retrouvent dans certains aspects des traditions juridiques autochtones, des traditions religieuses et de la criminologie critique. Entre autres caractéristiques, la JR comporte : la participation directe et la contribution des accusés ou contrevenants ainsi que des victimes ou survivant(e)s; l’accent porté sur le préjudice subi et sur les perspectives de guérison; la demande directe à ceux qui ont causé le préjudice d’en assumer la responsabilité; l’attention portée au processus de réparation, plus large, requis au sein de la communauté; et l’identification de moyens pour prévenir tout préjudice futur.

Ceux qui travaillent dans le secteur de la VFS, comme les agents des services d’aide aux victimes et les défenseurs des droits des victimes, ont souvent réagi avec prudence, scepticisme ou même avec un rejet catégorique lorsqu’on leur a demandé d’envisager la JR pour les victimes et les survivant(e)s de la VFS (Goundry, 1998). Un moratoire a été imposé sur l’utilisation des processus de JR dans les cas de VFS dans la plupart des contextes en Colombie-Britannique (C.-B.) en raison des critiques formulées par des experts et des militants en matière de VFS et de féminisme (Cameron, 2006). Bien que de nombreux défenseurs œuvrant dans le secteur de la VFS restent prudents quant à l’utilisation de la JR dans les cas de crimes fondés sur le sexe ou le pouvoir, d’autres solutions à la VFS sont envisagées, lesquelles donnent priorité aux besoins des victimes et des survivant(e)s.

Cet article propose un survol de la littérature, tant historique que contemporaine, qui examine certains des préoccupations et avantages liés à l’utilisation de la JR dans les cas de VFS. Il est également question de mettre en lumière les changements observés dans la littérature au fil du temps, afin de favoriser un examen intersectoriel des processus de JR dans les cas de VFS, fondé sur les preuves et axé sur les victimes et les survivant(e)s. Enfin, l’objectif est également d’inspirer la discussion, tout en évitant de promouvoir un point de vue ou un résultat particulier.

La JR et les victimes et survivant(e)s d’actes criminels

En considérant le discours de la JR dans son ensemble, on comprend que les besoins des victimes et des survivant(e)s sont au cœur de la quête de justice. Par exemple, [traduction] « [l]e principal objectif [de la JR] consiste à réparer autant que possible le préjudice causé. Le soutien à la victime est donc la première et la plus importante mesure à prendre afin que la justice soit rendue par la réparation » (Walgrave, 2008, p. 628). Ce point de vue est repris par Ada Pecos Melton qui, en explorant les liens entre la justice autochtone et les principes de la JR, écrit : [traduction] « La victime est le point central, et l’objectif est de guérir et de renouveler le bien-être physique, émotionnel, mental et spirituel de celle-ci » (2005, p. 108 à 109). Umbreit et Armour, pour leur part, suggèrent que [traduction] « [l]es principes fondamentaux de la justice réparatrice reposent sur la compréhension qu’il s’agit d’un processus axé sur les victimes. Cela signifie que le mal subit par la victime a préséance, et qu’il sert à planifier l’essence de l’interaction entre les principaux acteurs » (2010, p. 7). Cette façon dont on met l’accent sur les besoins des victimes et des survivant(e)s correspond également aux approches centrées sur les victimes et les survivant(e)s, qui sont essentielles au travail accompli dans le secteur de la lutte contre la violence pour soutenir les victimes de crimes fondés sur le sexe ou le pouvoir et leur rendre leur autonomie.

Au Canada, la JR a acquis une reconnaissance accrue au niveau national, soutenue par des preuves internationales qui suggèrent des avantages prometteurs pour les participants. En 2018, les ministres fédéral, provinciaux et territoriaux responsables de la justice et de la sécurité publique (ministres FPT) ont exprimé leur soutien à l’utilisation accrue des processus de JR (pas spécifiquement dans les cas de VFS, toutefois) à toutes les étapes du système de justice pénale, afin de contribuer à la modernisation du système et à la promotion de communautés plus sûres (Groupe de travail fédéral-provincial-territorial sur la justice réparatrice, 2018a).

Cet engagement est renforcé par le soutien public de nombreux Canadiens qui ont espéré une utilisation accrue de la JR comme moyen de transformer le système de justice pénale (Ministère de la Justice du Canada, 2018a). Dans une enquête nationale du ministère de la Justice menée en 2017 auprès de Canadiens (n=2 027); 80 % des répondants étaient d’accord pour que les agents de la justice pénale soient tenus d’informer les victimes et survivant(e)s et les accusés de la disponibilité des processus de JR; 62 % des répondants ont dit croire que la JR offrirait aux victimes et survivant(e)s une expérience plus satisfaisante et plus significative que celle du système traditionnel de justice pénale; et 87 % des répondants ont indiqué que les victimes devraient pouvoir rencontrer le ou les contrevenants et leur parler des répercussions qu’elles subissent, si elles le souhaitent (Ministère de la Justice du Canada, 2018b).

Au niveau international, les discussions se poursuivent concernant la pertinence, mais aussi les risques liés à l’utilisation de la JR dans les cas de crimes graves, bien que l’on reconnaisse de plus en plus l’importance de donner aux victimes la possibilité de faire des choix éclairés sur la perspective de dialogue et de réparation. En outre, il est reconnu que la JR peut être combinée aux procédures de la justice pénale conventionnelle afin de combler certaines des lacunes laissées par celle-ci dans l’application des solutions proposées, et d’ainsi mieux répondre aux besoins des victimes (ONUDC, 2020).

Bien que le soutien à la JR ait augmenté, certaines pratiques de cette approche peuvent être davantage axées sur les contrevenants et ne pas répondre de façon adéquate aux besoins des victimes et des survivant(e)s en raison de plusieurs facteurs, dont : une préparation inadéquate des victimes aux processus de JR; le sentiment pour les victimes d’être utilisées par le programme de JR comme des instruments de réhabilitation pour les contrevenants; la pression ressentie par les victimes pour qu’elles participent, qu’elles pardonnent le contrevenant, qu’elles démontrent avec moins d’intensité leurs émotions ou qu’elles passent rapidement à travers le processus de JR; le sentiment pour les victimes que leur point de vue n’est pas pris au sérieux; le sentiment pour les victimes d’être à nouveau victimisées durant le processus de JR; les préoccupations concernant la compétence des praticiens; et le manque de suivi. Certaines études rapportent aussi que des victimes ont une opinion négative face à la sincérité, l’authenticité et la probabilité de récidive des contrevenants (Koss, 2014), alors que d’autres soulèvent des inquiétudes quant au fait que la JR basée sur la déjudiciarisation pourrait causer plus de dommages si elle ne répond pas adéquatement aux besoins des victimes (Marsh et Wager, 2015).

De même, la psychiatre et chercheuse en rétablissement des traumatismes Judith Lewis Herman (2005) a également observé que [traduction] « puisque le système [de la JR] a été, à la base, fortement orienté vers la défense, il a reproduit plusieurs des lacunes déjà observées dans le système traditionnel de justice en ce qui concerne les droits des victimes » (p. 578).

Premières publications sur la lutte contre la VFS par la JR

Historiquement, l’utilisation de la JR dans les cas de VFS a été contestée et controversée, tant parmi les experts de la JR que les observateurs provenant d’autres disciplines (Edwards et Sharpe, 2004). Cela inclut également les intervenants œuvrant dans le secteur de la VFS. Par exemple, dès le commencement du phénomène moderne de la JR, Howard Zehr a indiqué que [traduction] « la violence intrafamiliale est sans doute le domaine dans lequel l’application de la justice est le plus problématique, et la prudence y est de mise » (2002, p. 11).

De leur côté, Alan Edwards et Susan Sharpe (2004) ont entrepris une revue de la littérature concernant l’utilisation de la JR dans le contexte de la violence entre partenaires intimes et de la violence familiale, en documentant certains résultats prometteurs (Pennell et Burford 2002, p. 110 à 121), mais aussi l’échec de certains programmes de JR à assurer la sécurité des victimes et survivant(e)s et à tenir les agresseurs responsables de manière significative (p. ex., Coker, 1999; Griffiths et Hamilton, 1996; Stubbs, 2004). Edwards et Sharpe (2004, p. 22) ont conclu que si [traduction] « la justice réparatrice est théoriquement prometteuse en tant qu’intervention dans les cas de violence en milieu familial […] les preuves démontrent que les risques sont réels : les victimes de violence familiale (et leurs familles) ont été davantage lésées par des discussions inappropriées, lesquelles étaient censées les aider ».

Les spécialistes féministes et les travailleurs du secteur de la VFS se sont également montrés prudents et même, parfois, réticents à l’utilisation des processus de JR dans les cas de VFS. Par exemple, la British Columbia Association of Specialized Victim Assistance and Counselling Programs (BCASVACP, 2002, aujourd’hui connue sous le nom de BEnding Violence Association of BC, ou EVA BC) a mis en lumière un certain nombre de préoccupations pertinentes concernant la JR. Outre celles énumérées précédemment et qui concernent l’ensemble des victimes et survivant(e)s, ces préoccupations se rapportent également à la violence entre partenaires intimes et aux agressions sexuelles. Elles comprennent, entre autres : l’incapacité à exclure les cas où la violence est toujours présente; des mesures de protection inadéquates pour les victimes et les survivant(e)s; une responsabilisation insuffisante pour les agresseurs; la réhabilitation et la réintégration des contrevenants au détriment de la sécurité et du bien-être des victimes et des survivant(e)s; des séances de dialogue qui renforcent les déséquilibres de pouvoir destructeurs entre les victimes ou survivant(e)s et les contrevenants; et le sous-financement, ce qui se traduit par un personnel sous-formé ou une faible capacité des programmes.

En 2006, la juriste féministe Angela Cameron a soutenu que, bien que la JR offre aux victimes et survivant(e)s une option qui soit au-delà du système de justice pénale classique, cette option n’est pas encore bien établie et elle ne peut donc pas être utilisée en toute sécurité dans les cas de VFS (Cameron, 2006). Par conséquent, Cameron avait conclu à l’époque [traduction] « [qu’] il [devait] y avoir un moratoire sur les nouvelles formes occidentales de JR ou de justice autochtone pour les cas de violence entre partenaires intimes, jusqu’à ce que d’autres recherches aient été effectuées » (2006, p. 59) [en italique dans l’original], parce que l’utilisation de la JR dans les cas de violence entre partenaires intimes « sans preuve claire qu’elle est sûre et efficace, c’est parier sur la vie et la sécurité des femmes canadiennes » (p. 59). Depuis lors, un certain nombre d’études, au Canada comme à l’étranger, ont analysé l’utilisation de la JR dans les cas de VFS.

Littérature contemporaine sur la lutte contre la VFS par la JR

Au Canada, les discussions se poursuivent dans les secteurs de la JR et de la VFS, mais de nombreux défenseurs des victimes et survivant(e)s continuent de s’inquiéter pour la sécurité des victimes de VFS. Les critiques [traduction] « portent souvent sur la sécurité, la responsabilité et la relégation des violences faites aux femmes à la sphère privée » (Goodmark, 2018, p. 373). Ces préoccupations, ainsi que celles qui ont été exprimées dans le passé, existent toujours aujourd’hui; elles doivent être prises en compte et traitées.

Néanmoins, Goodmark affirme que s’il est important de tenir compte des [traduction] « mises en garde féministes sur la sécurité [celles-ci] ne sont pas une raison pour abandonner les pratiques réparatrices » (2018, p. 381). Des études ont également révélé que les victimes et survivant(e)s veulent « connaître quels sont leurs choix et [être en mesure] de pouvoir ainsi décider quelle solution judiciaire elles adopteront » (Wemmers, 2017, p. 15). La professeure de droit féministe Melanie Randall a trouvé une résonance significative entre les principes de la JR et les études féministes, notant par exemple que [traduction] « bien que le projet d’atteindre l’égalité des sexes n’ait jamais été au cœur de la justice réparatrice, l’orientation du processus vers l’égalité dans les relations sociales est certainement en accord avec cet objectif » (Randall, 2013, p. 466). Elle fait également valoir que les lacunes du système de justice pénale envers les femmes qui survivent à la violence rendent impératif l’examen d’approches telles que la JR comme options potentiellement viables pour les victimes et survivant(e)s. Randall suggère aussi que, si elles sont poursuivies dans une optique axée sur les victimes et survivant(e)s, incorporant à la fois les critiques et l’expertise des spécialistes de la VFS et des prestataires de services, les options comme la JR ont le [traduction] « potentiel de développer des solutions plus profondes, nuancées et efficaces que celles dont nous disposons à l’heure actuelle » (Randall, 2013, p. 498).

Une récente bibliographie annotée sur la JR et la violence sexuelle, conçue par le ministère de la Justice du Canada (Bourgon et Coady, 2019), fait état des résultats de plusieurs études, notamment de l’augmentation du taux de satisfaction des victimes et de leur sentiment de contrôle, ainsi que de la diminution du risque de nouvelle victimisation et d’apparition de symptômes de stress post-traumatique (Daly, 2006; Koss, 2014; McGlynn et al., 2012). Une étude menée par David Gustafson (2018) auprès de 25 victimes et survivant(e)s (dont environ la moitié avait subi des violences sexuelles) a révélé qu’à la suite de conversations supervisées entre les victimes et les contrevenants, on a observé des réductions substantielles de la symptomatologie du stress post-traumatique, notamment des comportements réduits de repli sur soi, de troubles physiologiques, de perturbations et de honte.

La recherche internationale suggère donc une réalité complexe pour la mise en œuvre de la JR dans les cas de VFS. Par exemple, une étude menée par Emily Gaarder (2015) a révélé que les discussions tenues dans le cadre des processus de JR avaient eu un succès mitigé pour ce qui est de répondre aux besoins des femmes victimes et survivantes, et de contribuer à mettre fin à la violence entre partenaires intimes. Cependant, elle en a conclu que [traduction] « les processus de réparation ont une certaine capacité à créer des changements positifs dans les cas de violence entre partenaires intimes, lorsqu’ils sont ancrés dans les expériences et les contributions du mouvement des femmes battues » (2015, p. 363). Plus récemment, des données d’analyses prometteuses ont été documentées à partir de certaines initiatives de JR centrées sur les victimes et les survivant(e)s aux États-Unis, dont un modèle thérapeutique postsentenciel initié par les survivant(e)s et utilisé dans les cas de violence entre partenaires intimes et d’autres cas de crimes graves (Miller, 2011; Ptacek, 2017).

Une enquête menée en 2018 en Nouvelle-Zélande auprès de victimes ayant participé à un processus de JR a révélé que [traduction] « les victimes de violence familiale étaient les plus susceptibles de déclarer se sentir mieux après leur dialogue (76 %), contre 70 % des victimes dans les cas dits standards et 67 % des victimes dans les cas de crimes sexuels ». Statistiquement, les victimes dans les affaires de violence familiale étaient également plus susceptibles de dire que le simple fait d’entreprendre le processus de dialogue a fait en sorte qu’elles se sentent beaucoup mieux (55 % d’entre eux, contre 38 % des victimes dans tout autre type d’affaire) » (UNUDC, 2020, p. 74).

Bien que certaines études aient démontré des résultats prometteurs, il est important de noter que la recherche empirique portant sur l’utilisation de la JR dans les cas de VFS demeure limitée (Gang et al., 2019; Singer, 2019), et [traduction] « [qu’]on en sait très peu sur les avantages et les inconvénients potentiels de la JR, spécifiquement dans les cas de crimes impliquant la violence fondée sur le sexe » (Miller et al., 2020, p. 65). Il convient également de noter la grande variabilité des pratiques et des programmes dans le domaine de la JR, ce qui rend encore plus difficile de savoir si la JR est un système qui fonctionne dans les cas de VFS et, le cas échéant, comment elle fonctionne.

Une récente revue de la littérature met en évidence un certain nombre de modèles de JR qui ont été utilisés aux États-Unis, en Nouvelle-Zélande et en Europe (Singer, 2019). L’auteur conclut que le recours à la JR dans les cas de VFS est un processus complexe. Une démarche prudente et une approche nuancée sont nécessaires pour assurer la sécurité des victimes. Les modèles ayant été mis sur pied avec succès l’ont été grâce à la coopération entre des spécialistes de la VFS, des praticiens de la JR et des prestataires du système de justice pénale (Singer, 2019).

Normes pour l’utilisation de la JR dans les cas de VFS

Les acteurs du secteur de la VFS se demandent depuis de nombreuses années si la JR peut être appropriée dans les cas de VFS, en raison des expériences et des besoins uniques des victimes et survivant(e)s de ces crimes. Un certain nombre de tentatives ont été lancées pour définir des normes minimales.

À la fin des années 1990, le BCASVACP (aujourd’hui EVA BC) a recommandé un certain nombre de normes spécifiques à la planification et à la conception des programmes, au financement, à l’orientation et à la sélection, au soutien aux victimes, à la formation, à la transparence, à la vie privée et à la confidentialité, au suivi et à la tenue des dossiers, ainsi qu’à l’évaluation.

En 2019, à la suite de leur examen de 34 programmes, Cissner et ses collègues ont défini trois principes directeurs pour l’utilisation de la JR dans le traitement des impacts de la violence entre partenaires intimes ou des agressions sexuelles. Ces principes sont les suivants : centrer les solutions sur les choix et la sécurité de la ou des victimes; engager la ou les personne(s) à l’origine du préjudice et les membres de la communauté dans un processus actif et participatif de responsabilisation; et reconnaître l’importance de la culture, notamment en étant [traduction] « conscient de la distinction entre honorer et s’approprier les pratiques autochtones » (2019, p. 50).

En mettant l’accent sur une approche centrée sur les victimes et survivant(e)s, Goodmark souligne l’importance que la JR soit organisée « autour des besoins de la personne qui a subi un préjudice, et à son rythme » (Goodmark, 2018, p. 381). Par ailleurs, des approches efficaces et sûres en matière de JR utilisées pour soulager les impacts de la VFS demandent une formation approfondie, à la fois sur les approches de la JR elles-mêmes, mais également sur la dynamique complexe de la VFS (voir Keenan, 2018; Goodmark, 2018). Ces processus nécessitent également que les facilitateurs soient très expérimentés et spécialisés. Certains outils et guides spécifiques ont également été développés pour faciliter un recours efficace à la JR dans les cas de violence sexuelle ou de violence familiale (voir Mercer et Sten Madsen, 2015).

Les Nations Unies ont encouragé les États membres à élaborer des lignes directrices pour l’utilisation des processus de JR dans le contexte de la violence faite aux femmes (ONUDC, 2014). Ainsi, plusieurs pays ont développé certaines normes en matière de JR pour les cas de violence familiale et de violence sexuelle (voir Ministère de la Justice de Nouvelle-Zélande, 2013 et 2018). Ces normes reconnaissent la nécessité de mettre en place des mesures de protection et des processus supplémentaires pour ces cas particuliers. Ainsi, pour :

[traduction]

… maximiser les chances de guérison pour toutes les parties et minimiser le risque que le processus lui-même ne cause des dommages par inadvertance, il convient de prendre en considération les besoins psychologiques de la victime ou du (de la) survivant(e) et de la personne ayant causé le préjudice, les composantes psychologiques du comportement préjudiciable, son impact sur la communauté environnante, comme la famille, et l’impact des croyances culturelles relatives à la violence sexuelle (ONUDC, 2020, p. 4).

Tout en restant généralement prudente, la littérature suggère que les principes d’autonomisation, de guérison, d’inclusion, des victimes et des survivant(e)s, de prévention ainsi que de responsabilisation des contrevenants sont ancrés dans le concept de JR. Miller et ses collègues (2020) soulignent que, malgré les arguments théoriques allant contre le recours à la JR dans les cas de VFS, il serait prudent de ne pas négliger les bénéfices potentiels pour les victimes et les survivant(e)s. De plus, puisque de nombreuses victimes et survivant(e)s de VFS au Canada choisissent de ne pas porter plainte à la police (voir Conroy, 2021; Cotter, 2021), la JR pourrait représenter une voie vers la guérison et la réparation des préjudices causés par ces crimes (Wemmers 2017; Zinsstag 2017).

Repenser le dialogue

La pratique d’approches de JR centrées sur les besoins des victimes et des survivant(e)s et sensibles aux impacts particuliers de la VFS a le potentiel de [traduction] « faire avancer les objectifs féministes et de rendre justice aux personnes qui ont été lésées » (Goodmark, 2018, p. 382). En repensant ce dialogue sur le recours à la JR dans les cas de VFS, les travailleurs qui œuvrent contre la violence et les spécialistes de la JR peuvent bénéficier de l’harmonisation d’objectifs clés, y compris l’engagement auprès de la communauté, l’utilisation d’une analyse féministe et intersectorielle, et le maintien des victimes et des survivant(e)s au cœur de l’initiative, par le soutien de leur autonomie et l’amplification de leurs voix (Goodmark, 2018, p. 372).

Le discours national fait évoluer le domaine de la JR vers une meilleure réactivité et une certaine rigueur, en ce qui concerne les droits et les besoins des victimes et des survivant(e)s. Ainsi, des appels ont également été récemment lancés au Canada pour le développement et l’évaluation de programmes qui répondent à la VFS en dehors du système de justice pénale, selon des approches basées sur les principes de la JR (voir Boutillier et Wells, 2018).

En C.-B., la montée des discussions et des analyses portant sur la JR comme solution à la suite d’un crime soulèvent des questions quant à son utilisation dans les cas de VFS. Il est important d’aborder ces questions de manière proactive, prudente et réfléchie, compte tenu des avantages, mais aussi des risques potentiels pour les victimes et les survivant(e)s.

C’est dans ce contexte qu’EVA BC et Just Outcomes ont travaillé avec le ministère de la Justice du Canada en 2020 pour entreprendre des dialogues supervisés en C.-B. avec des experts de la JR et de la VFS, ainsi que des leaders autochtones et immigrants, afin d’explorer l’utilisation de la JR dans les cas de VFS. Tout en reconnaissant les préoccupations et les obstacles historiques et contemporains, les objectifs du projet étaient les suivants : favoriser le dialogue; examiner les risques et les avantages potentiels des approches réparatrices pour traiter les impacts de la VFS; accroître la sensibilisation à la dynamique de la VFS; et identifier les lacunes de la recherche et les meilleures pratiques pour l’utilisation de la JR dans les cas de VFS.

Pour en savoir plus sur ces dialogues facilités, consultez le prochain article de ce numéro : « Justice réparatrice et violence fondée sur le sexe : repenser le dialogue en Colombie-Britannique », par Ending Violence Association of BC et Just Outcomes.

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