Recueil de recherches sur les victimes d’actes criminels, no 14

La justice réparatrice et la violence fondée sur le sexe : repenser le dialogue en Colombie-Britannique

Par les organismes Ending Violence Association of BC et Just Outcomes

Introduction

Au Canada comme à l’étranger, les conversations sur l’association entre la justice réparatriceNote de bas de page 16 (JR) et la violence fondée sur le sexeNote de bas de page 17 (VFS) battent leur plein. De plus, les recherches disponibles illustrent la complexité d’appliquer les principes de la JR aux cas de VFS. Certaines personnes œuvrant dans le domaine de la VFS sont prudentes ou sceptiques quant aux approches actuelles pour l’application de la JR dans des cas de VFS.

Tout en tenant compte des expériences et des besoins uniques des victimes et personnes survivantes de la VFS, la question de la pertinence d’utiliser les approches de la JR dans les cas de VFS et celle de savoir comment elles doivent l’être a fait surface à la fin des années 1990. Plusieurs préoccupations ont alors été soulevées, notamment l’insuffisance des mesures de protection et de soutien aux victimes et aux personnes survivantes, la faiblesse des mécanismes de responsabilisation des délinquants, le manque de formation sur la VFS parmi les professionnels du milieu de la JR, le fait que les initiatives en JR soient fortement centrées sur les délinquants, la pression exercée sur les victimes et les personnes survivantes pour participer aux programmes de JR, les déséquilibres de pouvoir dans les processus de JR et, finalement, l’augmentation du risque due aux motivations des délinquants à s’engager dans les programmes de JRNote de bas de page 18.

La pratique de la JR a donné des résultats encourageants pour les victimes et les personnes survivantes de la criminalité en dehors du contexte de la VFS (Sherman et collab., 2007). Cependant, ce type d’approche n’a pas toujours tenu ses promesses pour les victimes et personnes survivantes d’actes criminels en général, et il ne s’est pas imposé comme une discipline fiable et crédible au sein du mouvement visant à mettre fin à la VFS en Colombie-Britannique (C.-B.) (Choi et collab., 2012.) Compte tenu des critiques antérieures formulées par les spécialistes féministes et les leaders du secteur de la VFS, un moratoire a été imposé en C.-B. sur l’utilisation de la JR dans les cas de VFS, et ce, dans la plupart des contextes. Au même moment, la lutte contre la VFS au sein des communautés autochtones de la C.-B. s’est poursuivie grâce à des approches basées sur des connaissances traditionnelles et évolutives, loin du discours dominant et eurocentrique des milieux de la JR et de la VFS. Bien qu’il y ait peu d’initiatives non autochtones appliquant des approches de la JR aux cas de VFS au Canada, les professionnels du domaine s’appliquent à enrichir leurs compétences et les connaissances requises pour mieux répondre aux besoins des victimes et personnes survivantes. Pourtant, la relation entre les personnes travaillant dans le domaine de la VFS et celles œuvrant pour la JR (du moins, celles qui sont enracinées dans la culture dominante et eurocentrique) continue d’évoluer en C.-B.

Le gouvernement de la C.-B.étudie actuellement la possibilité d’utiliser davantage les approches de la JR pour lutter contre la criminalité, et les juristes en JR de la province développent activement leur capacité à satisfaire de façon sécuritaire les besoins des victimes et des personnes survivantes en plus d’orienter leurs réponses de façon plus générale. Ce regain d’intérêt pour la JR soulève inévitablement d’anciennes et de nouvelles questions sur l’utilisation de ces pratiques dans les cas de VFS, y compris ceux qui impliquent la violence entre partenaires intimes et la violence sexuelle. Cela met également en lumière la nécessité d’obtenir une meilleure compréhension de la part des personnes travaillant dans les domaines de la JR et de la VFS, ainsi que d’établir des partenariats collaboratifs entre eux.

L’une des prémisses du travail décrit dans ce rapport sommaire est que tout effort visant à considérer les approches de la JR dans les cas de VFS doit simultanément honorer et exploiter l’expérience et l’expertise des spécialistes de la JR et de la VFS en C.-B., en plus de respecter les connaissances et la sagesse des traditions autochtones dans les communautés de la province où les démarches réparatrices et relationnelles sont utilisées pour réparer les préjudices.

Le mouvement #MoiAussi a mis en évidence la nécessité de responsabiliser davantage les auteurs de violences sexuelles, et de pouvoir offrir plus de choix aux victimes et aux personnes survivantes (voir, par exemple, Hazelwood, 2016). Certaines spécialistes féministes ont d’ailleurs commencé à envisager l’harmonisation potentielle des valeurs de la JR et de certains principes féministes pour satisfaire aux besoins des victimes et des personnes survivantes (Goodmark, 2018; Randall, 2013). Dans ce contexte social, le ministère de la Justice (MJ) du Canada a demandé aux organismes Ending Violence Association of BC (EVA BC) et Just Outcomes Canada (JO) d’entreprendre un projet sur la JR et la VFS en C.-B. JO, qui œuvre dans le domaine de la JR, est une organisation qui possède une expérience considérable. Quant à elle, EVA BC est une association provinciale cadre qui soutient et coordonne le travail de plus de 300 programmes et initiatives communautaires de lutte contre la violence dans l’ensemble de la province. Ensemble, le MJ, JO et EVA BC ont travaillé comme partenaires tout au long du projet (ci-après « partenaires du projet »).

Les objectifs du projet étaient les suivants : favoriser le dialogue; examiner les risques et les avantages potentiels des approches de la JR dans la lutte contre la VFS; accroître la sensibilisation à l’égard des dynamiques de la VFS; identifier les lacunes dans la recherche et cibler les meilleures pratiques pour l’utilisation de la JR dans les cas de VFS. Ce projet a nécessité l’élaboration d’un document de travail, la tenue d’un dialogue auprès des dirigeants et des experts clés et la création d’un rapport de synthèse.

Ce dernier document décrit la méthodologie et les thèmes clés de la portion « dialogue » du projet, ainsi qu’un certain nombre d’apprentissages et d’observations visant à nourrir les initiatives futures de ce type et les conversations qui se poursuivent, au service des victimes et des personnes survivantes.

Méthodologie du processus

Il était important pour JO et EVA BC de collaborer tout au long du projet, et l’idée de partenariats solides est donc devenue la pierre angulaire du dialogue. Les partenaires du projet étaient motivés par le désir d’avoir un dialogue ouvert et honnête sur l’utilisation des approches de la JR dans les cas de VFS, de poser des questions difficiles et d’explorer les options de justice pour les victimes et les personnes survivantes de VFS, dont les besoins ne sont pas satisfaits par le système de justice pénale classique. Un groupe composé de spécialistes en matière de JR et de VFS, de leaders au sein des Autochtones et des immigrants des quatre coins de la province, ainsi que de deux experts de l’extérieur de la C.-B., s’est penché, dans le cadre d’un dialogue dirigé, sur l’utilisation des différentes approches de la JR dans les cas de VFS, tout en considérant les enjeux et les obstacles antérieurs et actuels.

Participants

Les partenaires du projet ont choisi pour participants des personnes issues des milieux de la VFS et de la JR, connues pour leur influence et leur ouverture à des perspectives diverses sur les risques et les avantages potentiels de la pratique de la JR dans les cas de VFS. La diversité géographique a également été un facteur dans la sélection de certains participants. Le dialogue visait à tisser des liens et à établir des relations. Le nombre de participants était donc limité à 25 personnes, parmi lesquelles se trouvaient des spécialistes en matière de JR et de VFS, des leaders autochtones, des représentants d’organismes offrant des services aux autochtones et aux immigrants, ainsi que des représentants des gouvernements provincial et fédéralNote de bas de page 19.

Formule

Alors que le plan initial prévoyait l’organisation d’une rencontre d’un jour en personne pour mai 2020, la pandémie de COVID-19 a forcé le choix d’une formule virtuelle. L’équipe de mise en œuvre du projet (JO et EVA BC) a créé un calendrier qui a permis d’étendre le dialogue sur quatre séances hebdomadaires d’une durée de 2 h 30, par vidéoconférence, en octobre 2020. L’équipe a engagé une modératrice dotée d’une expertise dans la gestion des conversations en ligne, et a poursuivi le développement du concept et du processus en collaboration avec cette dernière. Ces réunions régulières de planification ont eu lieu avant le début du dialogue, mais également sur une base hebdomadaire entre les séances du dialogue. Les séances en question ont été conçues pour être dynamiques et interactives, grâce à l’utilisation d’une panoplie de méthodes, comme les discussions en petits ou grands groupes, le partage en paires, et une série de présentations de 30 minutes. Un aîné de la nation Stó:lō a généreusement offert une prière d’ouverture au début de chaque séance, en plus de participer au dialogue. Quatre présentateurs ont aussi été invités à s’exprimer sur les risques et les avantages de l’utilisation des approches de la JR dans les cas de VFS. Parmi eux se trouvaient un juriste et formateur spécialisé en JR de l’Alberta, une spécialiste féministe de l’Ontario et les représentants de deux programmes de justice autochtone des nations Nisga’a et Heiltsuk.

Outre l’accent mis sur l’établissement de relations et la sensibilisation, le projet a été guidé par les questions de recherche suivantes, qui ont permis de structurer les sessions du dialogue :

  1. Quels sont les risques et les avantages potentiels des approches réparatrices dans la lutte contre la VFS?
  2. Quelles sont les lacunes de la recherche dans ce domaine?
  3. Y a-t-il une plus grande ouverture vis-à-vis de l’utilisation des approches de la JR à différentes étapes du système de justice pénale (c.-à-d. avant ou après l’inculpation, avant ou après la détermination de la peine, après la révocation)?
  4. Quelles sont les approches prometteuses qui pourraient être utilisées pour faire avancer la discussion sur l’utilisation de la JR dans les crimes liés au sexe et aux rapports de pouvoir?

Un document de travail a été distribué à tous les participants avant le début du dialogue, décrivant la recherche sur l’utilisation des approches de JR dans les cas de VFS ainsi que le contexte historique en C.-B. Les participants ont également été invités à remplir des sondages avant et après le dialogue.

Suivant le dialogue, EVA BC et JO ont poursuivi leur travail à travers une série de réunions qui leur ont permis de discuter des séances et d’explorer les occasions et les préoccupations existantes concernant la poursuite des conversations sur l’utilisation de la JR dans les cas de VFS. Ces réunions ont permis d’approfondir la compréhension de part et d’autre, tout en renforçant la relation entre JO et EVA BC. Elles auront également permis d’identifier certaines valeurs communes pour la poursuite du dialogue en C.-B., lesquelles seront abordées dans la conclusion de ce rapport.

Thèmes du dialogue

Les thèmes du dialogue exposés ci-dessous sont issus des présentations d’experts en la matière et des périodes de questions-réponses, des discussions en petits et grands groupes, des commentaires exprimés dans les clavardages et les tableaux blancs virtuels, ainsi que des réponses aux sondages menés avant et après le dialogue.

Ressources et services de soutien communautaires

Il est apparu très clairement, au cours du dialogue, que des ressources et des services de soutien communautaires plus nombreux et de meilleure qualité pour les victimes et les personnes survivantes, ainsi que du soutien communautaire pour les délinquants, sont essentiels pour assurer le succès des approches en JR. Les dirigeants autochtones ont exprimé le besoin d’avoir un meilleur accès aux espaces de ressourcement dans les communautés où la violence est répandue, afin de traiter les traumatismes intergénérationnels, les problèmes de santé mentale et de toxicomanie, et la pauvreté. Ils ont également souligné l’importance du bien-être des juristes spécialisés en JR, en particulier ceux qui travaillent avec des personnes et des communautés composant avec des traumatismes multiples ou cumulatifs, ou qui ont eux-mêmes vécu des traumatismes. Les participants ont tous convenu que le système actuel de soutien aux victimes et aux personnes survivantes manque de ressources au point que la plupart des communautés n’ont pas de programmes communautaires de soutien aux victimes ou que, lorsque ces programmes existent, ils sont tellement sous-financés que plusieurs ne comptent qu’un seul employé.

Le besoin d’options en matière de justice à l’intérieur et à l’extérieur du système juridique et pénal

Peu de victimes et de personnes survivantes de la VFS choisissent de signaler leur expérience à la police (Conroy et collab., 2019; Cotter et Savage, 2019). Cette réalité, reconnue depuis longtemps par les spécialistes de la lutte contre la VFS comme un problème d’accès à la justice, a été soulevée au cours du dialogue et a été identifiée comme étant un paramètre important pour les conversations sur la JR et la VFS. Alors que les méthodologies de la JR sont souvent appliquées en conjonction avec les processus criminels (par exemple, l’utilisation des processus de réparation pour orienter les condamnations, ou à un stade post-sentenciel dans le système), elles peuvent également être employées au niveau communautaire, en dehors du système formel, et représentent donc une voie vers l’autonomisation de la communauté dans la gestion de la violence. Les responsables de la lutte contre la VFS ont également été, à juste titre, à l’avant-plan des efforts visant à garantir que les incidents impliquant la violence sexuelle et la violence entre partenaires intimes soient compris et traités comme des infractions criminelles. Une discussion a eu lieu sur la manière dont les formes alternatives de justice, sous l’égide de la JR ou autrement, pourraient potentiellement fournir une justice plus significative aux victimes et aux personnes survivantes, qui peuvent ou non souhaiter l’intervention de la police et des tribunaux dans la réparation des préjudices résultant de la VFS. Parvenir à répondre à certaines des préoccupations qui ont été soulignées antérieurement concernant la pratique de la JR dans les cas de VFS contribuerait également à l’établissement d’une justice plus significative.

Principaux obstacles et préoccupations concernant l’utilisation de la JR dans les cas de VFS

Des spécialistes du féminisme et de la lutte contre la VFS ont exprimé un certain nombre de préoccupations antérieures et actuelles concernant l’utilisation des approches de la JR dans les cas de VFS, dont plusieurs sont évoquées dans l’introduction de cet article et dans l’article complémentaire de ce numéro du Recueil, intitulé « La justice réparatrice et la violence fondée sur le sexe : un survol de la littérature »(Evans, 2021). L’un des présentateurs ayant participé au dialogue qui est intervenant en JR a confirmé bon nombre de ces préoccupations, notamment le besoin de sécurité pour les victimes et les personnes survivantes; le manque général de formation des juristes de la JR en ce qui concerne les dynamiques de la VFS; la possibilité de minimiser la violence et ses impacts grâce aux juristes et aux processus de JR; le risque que la JR soit utilisée comme stratégie de déjudiciarisation au détriment de la justice; la pression exercée sur les victimes et personnes survivantes pour participer aux processus de JR; le fait que les initiatives de JR soient plus souvent axées sur les délinquants que sur les victimes; et les interactions limitées entre les programmes de JR et ceux touchant la VFS. Les participants au dialogue ont discuté de ces préoccupations, soulignant le besoin d’exclure les cas où la violence est toujours présente, afin de protéger les victimes et les personnes survivantes; de s’assurer que les communautés disposent des ressources nécessaires pour traiter les traumatismes et les autres enjeux sociaux; d’évaluer et d’améliorer le potentiel des programmes de JR et la formation en matière de VFS pour les juristes en JR; et, enfin, de financer la collaboration intersectorielle.

Contrôle pour répondre aux préoccupations des victimes et des personnes survivantes en matière de sécurité

Les participants ont insisté sur les préoccupations relatives à la sécurité des victimes et des personnes survivantes et à la pression exercée par les membres de la famille et de la communauté pour participer aux processus de JR. Ils ont souligné l’importance de contrôler adéquatement les cas de VFS et les délinquants, afin de s’assurer que les approches utilisées en matière de JR n’augmentent pas les risques pour les victimes et les personnes survivantes et qu’elles ne soient pas initiées dans les cas où la violence est toujours présente, ou lorsqu’il y a des préoccupations réelles pour la sécurité des victimes et des personnes survivantes. Il y a également eu un consensus sur le fait que chaque cas de VFS doit être examiné individuellement, compte tenu des dynamiques uniques de la violence sexuelle et de la violence entre partenaires intimes, ainsi que des personnes et des communautés concernées, avant de pouvoir déterminer si les approches de JR sont appropriées.

Évaluation et renforcement du potentiel des programmes de JR et de la formation en matière de VFS

Les participants ont souligné qu’il était important de réfléchir au sujet des programmes de JR et d’évaluer le potentiel de ces programmes pour ce qui est de traiter la VFS, en plus d’accroître l’expertise en la matière avant de les appliquer à des cas de VFS. Les participants spécialistes de la JR et de la VFS se sont entendus pour dire que les juristes de la JR doivent avoir de la formation sur les dynamiques spécifiques de la VFS, ainsi que sur l’identification des risques et la gestion de la sécurité, afin d’éviter que les torts du système de justice pénale traditionnel soient reproduits. Les leaders de la JR conçoivent que, tout comme dans le système de justice pénale classique, les juristes de la JR se sont concentrés sur des incidents violents isolés, plutôt que sur des modèles de comportement pouvant être présents dans de nombreux cas de VFS. Ils ont également souligné que, compte tenu du moratoire sur la pratique de la JR dans les cas de VFS en C.-B., de nombreux juristes de la JR n’ont pas souvent eu l’occasion de développer leurs connaissances et leurs compétences dans le domaine de la VFS, et qu’il serait donc nécessaire d’offrir une formation dans ce domaine si les programmes de JR doivent s’appliquer aux cas de VFS. Une expertise et des formations spécialisées destinées aux juristes de la JR devraient être développées de manière collaborative, grâce à des partenariats avec les travailleurs et les organismes spécialisés en matière de VFS.

Financement pour soutenir la collaboration intersectorielle

Les participants ont identifié un certain nombre de facteurs importants qui auraient une incidence sur une utilisation efficace de la JR en réponse à la VFS. Cela inclut, notamment, un financement et des ressources considérables, essentiels pour 1) améliorer le soutien aux victimes et personnes survivantes de la VFS, et 2) élargir les options disponibles pour répondre aux divers besoins des victimes et des personnes survivantes, y compris les approches de la JR. Les participants ont également déterminé plusieurs facteurs clés, dont la nécessité d’établir des relations, de coordonner les différents secteurs et de s’assurer que le financement soit suffisant pour bien soutenir les victimes et personnes survivantes, que ce soit dans le cadre de services communautaires de lutte contre la VFS ou des processus de JR. Les participants impliqués dans les programmes de JR ont reconnu l’importance de renforcer les processus, entre autres grâce à des partenariats véritables avec les organismes du secteur de la VFS. Ceci a pour but d’assurer que les juristes de la JR comprennent mieux les complexités et la dynamique de la VFS et puissent mieux atténuer les risques et répondre aux préoccupations soulevées.

Possibilités d’utiliser la JR dans les cas de VFS

Malgré les préoccupations et les risques, les participants au dialogue ont formulé plusieurs avantages possibles de l’utilisation de la JR dans les cas de VFS, notamment une approche flexible permettant de répondre aux divers besoins des victimes et des personnes survivantes, une responsabilisation importante grâce à une approche non punitive; l’évitement des répercussions négatives du système de justice pénale traditionnel; et l’aide à la guérison et à la transformation pour les victimes et les personnes survivantes, les délinquants, les familles et les communautés.

La juriste féministe qui a fait une présentation dans le cadre du dialogue a parlé de façon théorique de l’occasion que constitue la JR en tant que forme relationnelle de justice axée sur la réparation des préjudices, et qui engage de manière significative les victimes et les personnes survivantes ainsi que les communautés. Cependant, elle a également rappelé que les gouvernements ne doivent pas adopter les approches de la JR comme des mesures d’économie, en soulignant que ces approches demandent du temps et nécessitent des connaissances et des compétences spécialisées, un contrôle minutieux des cas, une évaluation des capacités, ainsi qu’un engagement et une préparation importants de la communauté. Elle a néanmoins noté que la JR offre la possibilité de faciliter la reconnexion après un traumatisme, faisant écho au point de vue de certains participants et présentateurs autochtones ayant déclaré que les approches de la JR pouvaient être source d’autonomisation pour les victimes et les personnes survivantes de la VFS, en particulier en présence de traumatismes multiples et intergénérationnels.

Contribuer au rétablissement des victimes et des personnes survivantes

Certains participants ont parlé de la façon dont, en tant qu’approche relationnelle de la justice, les approches de la JR peuvent contribuer au rétablissement et au bien-être des victimes et des personnes survivantes à la suite de traumatismes. Par exemple, un participant autochtone a parlé de la possibilité pour la victime de retrouver sa voix et de reprendre le contrôle (« reprendre son pouvoir »), tout en étant soutenue et légitimée par les membres de la famille et de la communauté. Il a aussi parlé d’avoir potentiellement accès à des renseignements et de recevoir des réponses à nos questions afin de pouvoir faire des choix éclairés concernant les besoins des victimes et des personnes survivantes en matière de sécurité et de justice. Un juriste de la JR ayant fait une présentation lors du dialogue a également évoqué les besoins des victimes en matière de justice et l’évolution vers les meilleures pratiques dans l’utilisation des approches de JR pour les cas de VFS. Cependant, les participants immigrés ont soulevé des préoccupations quant à l’utilisation des approches de JR dans les communautés immigrées, où la famille et la communauté ne sont pas forcément une source de soutien, ou dans les cas où les dirigeants de la communauté n’ont pas une bonne compréhension de la VFS et que les victimes et les personnes survivantes sont confrontées à des obstacles en raison du manque de services culturellement appropriés ou centrés sur les victimes et les personnes survivantes.

Élargir les options de justice pour les victimes et les personnes survivantes au-delà du système de justice pénale

Des questions ont été soulevées quant à la relation entre la JR et le système de justice pénale traditionnel, et quant à savoir si les processus de JR devraient avoir lieu à l’intérieur ou à l’extérieur du système, ou parallèlement à celui-ci. La plupart des participants au dialogue qui ont rempli l’évaluation ont indiqué qu’ils étaient ouverts à l’utilisation des approches de la JR à n’importe quelle étape du système de justice pénale. Par exemple, un participant a fait remarquer que « ce serait une erreur d’être normatif », étant donné la nature unique de chaque cas, et le fait que ces décisions devraient être déterminées en fonction des besoins des victimes et des personnes survivantes. Un autre participant a suggéré que les approches de la JR ne devraient être mises en place que « lorsque toutes les parties sont prêtes à participer ». Néanmoins, certains participants ont soulevé des préoccupations quant à la motivation des délinquants à s’engager dans des approches de JR à certaines étapes du système de justice pénale, comme avant l’inculpation pour éviter les accusations, ou avant la détermination de la peine pour éviter une peine qui pourrait être plus adaptée au crime. La juriste féministe qui a fait une présentation lors du dialogue a souligné que la JR ne devrait pas remplacer le système de justice pénale traditionnel, mais plutôt élargir les options disponibles pour les victimes et les personnes survivantes et engager la communauté à assumer la responsabilité des conditions sociales et structurelles qui contribuent à la violence et au préjudice.

Engager les communautés dans la prévention et la lutte contre la VFS

Les leaders autochtones qui ont fait des présentations dans le cadre du dialogue ont donné des exemples de programmes de JR et de processus relationnels utilisés dans les communautés autochtones de la C.-B.pour prévenir et traiter les conflits et les préjudices, y compris dans les cas de VFS. Ces programmes sont ancrés dans les valeurs autochtones et mettent l’accent sur le rôle de la communauté dans la promotion de la sécurité. Les participants œuvrant pour la JR et ceux travaillant dans le milieu de la VFS ont tous déclaré avoir été inspirés par ces programmes. Ensemble, ils ont examiné le rôle important que joue la communauté dans la promotion de la guérison de toutes les parties concernées, ainsi que le besoin de mettre en place davantage de programmes pour les personnes qui causent des préjudices. De même, ils se sont penchés sur la nécessité de renforcer les liens entre les programmes et les organismes au service des victimes et des délinquants, ainsi qu’avec d’autres organismes communautaires.

Lacunes en matière de recherche et de connaissances

Les participants au dialogue ont identifié un certain nombre de lacunes au niveau de la recherche et des connaissances relatives à l’utilisation des approches de la JR dans les cas de VFS. Certaines de ces lacunes portaient sur des questions fondamentales, comme l’absence d’une définition commune de la JR et le manque de compréhension des théories dans le domaine de la VFS. D’autres portaient aussi sur la façon dont le milieu de la JR (dans son contexte occidental) pourra intégrer une analyse structurelle de la violence et une optique décolonialiste. Les participants ont également identifié des lacunes dans la recherche et les connaissances en lien avec les expériences des personnes autochtones et racialisées en ce qui concerne le racisme dans le système de justice pénale traditionnel, et se sont demandé si la JR serait en mesure de répondre à ces préoccupations. lls ont également exprimé le besoin d’approfondir la recherche et le dialogue sur l’utilisation de la JR pour lutter contre la VFS dans diverses communautés culturelles, notamment les communautés d’immigrants et de réfugiés.

Plusieurs participants ont mis en lumière les lacunes de la recherche sur l’évaluation des approches de la JR dans les cas de VFS, ce qui inclut l’évaluation des projets pilotes et des programmes visant à mesurer les résultats et à mieux comprendre les répercussions à court et à long terme sur les victimes et les personnes survivantes (dont leur expérience et leur satisfaction), ainsi que sur les personnes ayant causé des préjudices (y compris les taux de récidive, notamment en comparaison avec d’autres types d’interventions auprès des délinquants). Dans sa présentation, le spécialiste de la JR a examiné ce qu’une optique axée sur la JR pourrait offrir dans les cas de VFS. Il a poursuivi en parlant des recherches et des pratiques exemplaires de plusieurs programmes utilisés à l’étranger et qui répondent à la VFS. Cependant, les participants ont exprimé leurs préoccupations quant au manque de recherches évaluant les approches de la JR appliquées aux cas de VFS, surtout au Canada. Il sera important de bien comprendre les questions et les dynamiques propres aux victimes et aux personnes survivantes de la violence entre partenaires intimes et de la violence sexuelle, afin d’envisager adéquatement l’utilisation de la JR dans les cas de VFS, avant d’aller plus loin.

Les participants ont souligné la nécessité de partager les pratiques exemplaires et les meilleures ressources fondées non seulement sur la recherche, mais aussi sur l’expérience. Par exemple, certains participants ont noté le besoin de mettre en place des pratiques exemplaires pour former le personnel du système de justice pénale sur les points suivants : l’utilisation de la JR dans les cas de VFS; l’identification efficace des cas de VFS où il est préférable de ne pas utiliser la JR; le filtrage des cas de VFS pour lesquels la JR peut être considérée comme une option; le maintien de la confidentialité et de la vie privée; et la prestation d’un soutien et de ressources appropriés.

Les participants ont également remarqué des différences importantes entre les approches de la JR au sein des communautés autochtones et en dehors de ces communautés. Ils ont en outre souligné l’importance de la recherche et du dialogue menés par les Autochtones au sujet des approches de la justice autochtone et de la JR dans les cas de VFS, lesquelles qui sont enracinées dans les enseignements et les pratiques culturelles autochtones traditionnelles.

Principaux enseignements du dialogue

Tout au long du dialogue, plusieurs participants ont exprimé un sentiment d’espoir, d’enthousiasme, d’ouverture, d’intérêt, de confiance, de valeurs communes et de possibilité. Un certain nombre de participants ont déclaré qu’ils se sentaient engagés et reconnaissants de l’espace qui leur a été alloué et qui leur a permis d’avoir des conversations ouvertes, d’apprendre à partir des expériences et de l’expertise d’autres spécialistes, d’établir des relations de confiance et d’identifier des objectifs communs. Certains participants ont également indiqué qu’ils auraient été en mesure de mieux s’engager dans le dialogue si un objectif ou un résultat escompté clair avait été établi, ou s’ils avaient eu plus de renseignements contextuels. L’enthousiasme démontré pour l’établissement de relations entre les milieux de la JR et de la VFS et les groupes autochtones qui ont participé au dialogue, ainsi que les discussions portant sur leurs besoins et leurs intérêts ayant eu lieu avant la première séance peuvent avoir favorisé le déroulement et les résultats du dialogue.

Certains des spécialistes en matière de VFS ayant participé au dialogue ont indiqué avoir acquis des connaissances utiles sur les deux programmes autochtones. Cependant, ils ont estimé que des conversations plus nombreuses et un engagement plus profond leur auraient permis de se sentir plus à l’aise et plus confiants dans l’utilisation de la JR comme moyen de lutte contre la VFS.

Il est clair qu’avec davantage de temps alloué et une formule présentielle, les séances de dialogue auraient pu permettre d’explorer davantage les complexités et les nuances d’une utilisation potentielle des approches de la JR dans la lutte contre la VFS. Bien que des relations et des liens aient été établis au cours du processus de dialogue, les questions plus difficiles sur l’utilisation de la JR dans les cas de VFS n’ont pas été sondées aussi profondément qu’elles auraient pu l’être avec des collègues de confiance. Cet apprentissage souligne la nécessité de poursuivre le dialogue entre les acteurs de la JR, de la VFS et les leaders autochtones et immigrants de la C.-B., concernant l’utilisation de la JR dans les cas de VFS, de manière à ce que tout problème puisse être abordé et résolu dans un contexte favorable et relationnel.

Des possibilités pour aller de l’avant

De nombreux participants se sont fortement engagés dans ce dialogue. La grande majorité des personnes qui ont répondu au sondage post-dialogue ont indiqué qu’elles seraient intéressées à participer à des conversations à long terme sur l’utilisation des approches de la JR dans les cas de VFS en C.-B. Reconnaissant qu’il ne s’agissait que d’une première étape dans la reprise du dialogue sur l’utilisation des approches de la JR en réponse à la VFS dans la province, les participants ont été invités à indiquer qui d’autre devrait, selon eux, prendre part aux conversations futures. Les suggestions émises comprenaient : les victimes et les personnes survivantes (en particulier ceux ayant participé à des processus de JR), les organismes au service des délinquants, les intervenants du système de justice pénale (p. ex. les agents de police, les procureurs de la Couronne, les avocats de la défense, les juges, les agents correctionnels), les travailleurs de la protection de l’enfance, les fournisseurs de soins de santé (p. ex. en santé mentale, en toxicomanie), les fournisseurs de logement, les leaders des communautés multiculturelles et les organismes gouvernementaux responsables du financement des programmes de justice.

Plusieurs questions demeurées sans réponse et soulevées au cours du dialogue pourraient servir de tremplin à de futures initiatives de discussion entre les spécialistes de la JR et de la VFS en C.-B. :

Conclusion

Les partenaires du projet ont réuni des spécialistes en matière de JR et de VFS, des leaders au sein des Autochtones et des immigrants de toute la C.-B., ainsi que deux experts en la matière venus de l’extérieur de la province, pour engager un dialogue, faire part des méthodes prometteuses et discuter des risques, des préoccupations et des avantages potentiels de l’utilisation de la JR dans les cas de VFS. Deux leaders autochtones ont donné des exemples de la manière dont une approche relationnelle peut permettre de lutter efficacement contre la VFS, dans les communautés autochtones où les victimes et les personnes survivantes et les délinquants bénéficient d’un soutien. Cependant, de nombreuses questions ont été soulevées et demeurent sans réponse quant au potentiel, aux connaissances et à l’expertise des juristes de la JR non autochtone en matière de VFS. Si le dialogue a permis de nouer des relations, le format en ligne a empêché les participants d’avoir des conversations plus profondes et plus nuancées pour répondre aux préoccupations soulevées par les féministes et les spécialistes de la VFS dans les années 1990. Pour certains participants, ces préoccupations demeurent.

La relation entre les organismes hôtes leur a permis de poursuivre et d’approfondir la discussion lors de conversations ultérieures. Il y a eu un fort consensus concernant le fait que si les approches de la JR sont envisagées pour les cas de VFS, ces dernières doivent rigoureusement maintenir leurs valeurs essentielles, soit d’être centrées sur les victimes et les personnes survivantes, de tenir compte des traumatismes et de s’appuyer sur l’expertise des spécialistes de la VFS. Au cours de ces conversations, il a également été suggéré que, si les approches de la JR sont utilisées dans les cas de VFS, elles pourraient être mises en œuvre dans le cadre de programmes de soutien aux victimes et aux personnes survivantes. Les juristes de la JR doivent travailler en partenariat avec les intervenants du domaine de la VFS, et les initiatives de réparation dans les cas de VFS devraient idéalement être intégrées aux programmes de lutte contre la VFS. Toutefois, le soutien et les services communautaires destinés aux victimes et aux personnes survivantes de la VFS doivent également être améliorés et financés de manière adéquate, afin d’explorer et d’élargir les options permettant de répondre à leurs besoins en matière de justice. Par-dessus tout, les conversations sur l’utilisation des approches de la JR dans les cas de VFS en C.-B. doivent être fondées sur confiance inébranlable et sur des relations solides.

Références