Une approche des objectifs et des principes de détermination de la peine basée sur les valeurs et sur les preuves
Les valeurs canadiennes en matière de détermination de la peine : un sujet peu controversé
Jusqu’en 1996, le Code criminel donnait vraiment peu d’indications sur la détermination de la peine aux juges. Toutes les infractions sont associées à une sentence maximale, mais peu d’infractions sont associées à une sentence minimale. À une seule exceptionNote de bas de page 3, le pouvoir de déterminer la sentence était, du moins en théorie, aux mains des juges de première instance et d’appel.
À peu d’exceptions près (dont l’une au moins était notableNote de bas de page 4), lorsque la nouvelle Partie XXIII du Code criminel (projet de loi C-41, 1re sess., 35e lég.) a été présentée au Parlement, le 13 juin 1994, elle ne fut pas perçue comme une nouveauté. De fait, le lendemain, « le [soi-disant] quotidien national du Canada
», le Globe and Mail, décrivait le nouveau projet de loi sur la détermination de la peine sur sa première page avec le titre suivant. « Ottawa wants crackdown on violent offenders. » (L’Ottawa veut des mesures de répression contre les délinquants violents.)
Bien que le projet de loi fasse la première page (en bas), l’article principal au centre portait le titre : « Violence not up, Statscan finds » (Statistique Canada révèle que la violence n’est pas en hausse) et traitait d’un récent rapport sur les résultats de la deuxième enquête du Canada sur les actes de violence. Sous cet article consacré au rapport de Statistique Canada figurait une photographie de la princesse Ann et de son mari. Et en dessous, l’article consacré au projet de la loi sur la détermination de la peine.
Affirmant que les dispositions relatives à la détermination de la peine qui ont été déposées au Parlement représentaient « une légère amélioration dans le bon sens, mais restaient insuffisantes dans certains domaines clés
», le porte-parole du Parti réformiste interrogé par le Globe and Mail expliquait que « les dispositions devaient être scrupuleusement étudiées pour déterminer si elles étaient une façade ou une réforme sérieuse.
»
Plus tard, l’opposition critiquerait la section du gouvernement qui répertoriait les groupes inclus dans le sous-alinéa « crimes motivés par la haine » (718.1a)(i)). Leur préoccupation était simple : ils n’aimaient pas le fait que cibler une victime en raison de son « orientation sexuelle » puisse constituer un facteur aggravant lors de la détermination de la peine. Si l’on examine les débats de la Chambre des communes, l’impression qui se dégage est que le projet de loi lui-même ne portait pas à controverse, étant donné le temps passé par l’opposition à critiquer le ministre pour sa décision de suggérer, dans le texte législatif, qu’un crime puisse être plus grave si la victime est ciblée en raison de son orientation sexuelle.
Comme l’a bien plus tard souligné Allan Rock (le ministre de la Justice de l’époque) dans un entretien :
Il est ironique de constater que, lorsque nous avons déposé [le projet de loi sur la détermination de la peine], 75 pages de texte législatif… la seule chose qui ait préoccupé la Chambre des communes et le public pendant six mois avant son vote était l’apparition de deux mots… « orientation sexuelle » dans la disposition sur les crimes motivés par la haine. Ces derniers n’ont pas pris le temps de discuter de la politique des condamnations avec sursis, n’ont pas même discuté des dispositions [relatives aux Autochtones] qui reconnaissaient des circonstances particulières pour les sanctions des autochtones, ce qui, à mes yeux était osé à l’époque. Je pensais qu’on allait me tomber dessus pour cela. Ils se sont concentrés sur ces deux mots. … C’était fou.Note de bas de page 5
Rétrospectivement, ce n’était peut-être pas si fou. Certains aspects de ce projet de loi prêteraient certainement à controverse par la suite. Le ministre en a mentionné deux : l’expression liée aux autochtones dans l’alinéa 718.2e) et les condamnations avec sursis introduites dans le cadre de ce projet de loi. Mais le cadre de ce projet de loi, les principes et les objectifs de la détermination de la peine n’ont, en général, pas fait l’objet de controverses.
En aparté, l’alinéa 718.2e) énonçant que « toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité doivent être examinées, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones
» en elle-même reflète les valeurs canadiennes. En votant le projet de loi contenant ce sous-alinéa, le Parlement reconnaissait de fait le besoin de s’attaquer à la surreprésentation des Autochtones dans les prisons canadiennes.Note de bas de page 6
Il est intéressant, mais guère surprenant, que l’opposition du Parti réformiste en 1994 ne se soit pas attaquée au gouvernement sur les aspects fondamentaux du projet de loi sur la détermination de la peine. Je dis cela pour une raison très simple : la plupart des valeurs implicites dans ce projet de loin reflètent les valeurs des Canadiens.
Douze ans plus tôt, le ministre libéral de la Justice, Jean Chrétien, avait publié son énoncé de politique du gouvernement sur les affaires criminelles : un livret intitulé Le droit pénal dans la société canadienne. La publication du livret n’a presque pas fait l’objet de publicités, bien qu’il soit décrit dans sa préface comme le premier énoncé du Canada en matière de droit pénal. De fait, il ne fut pas mentionné dans le « quotidien national du Canada » pendant huit jours, jusqu’à ce qu’un chroniqueur du Globe and Mail le décrive comme « une analyse de notions très vagues sur le crime et la société, et un ensemble de principes qui font consensus.
»Note de bas de page 7 Quatre jours plus tard, le même quotidien publiait un éditorial reprochant légèrement au gouvernement un manque de précision dans le développement de sa politique. En outre, le rapport semble avoir été ignoré par le Globe and Mail et tous les autres quotidiens canadiens.Note de bas de page 8 La raison pour laquelle cet énoncé de politique a été perçu comme « consensuel » est probablement la suivante : un consensus se dégageait quant au fait que le droit pénal devait être appliqué avec retenueNote de bas de page 9 et que le recours intensif aux incarcérations n’était pas dans l’intérêt du public. Il semble peu probable que l’énoncé sur la proportionnalitéNote de bas de page 10 ou la modération dans le recours à l’incarcérationNote de bas de page 11 aient été terriblement polémiques.
La plupart des principes de base de la détermination de la peine énoncés dans un projet de loi de détermination de la peine de 1984 (qui est mort au Feuilleton lors de l’élection de 1984) et dans l’énoncé de la politique gouvernementale sur la détermination de la peine (Détermination de la peine, publié en février 1984) ne font probablement toujours pas controverse.Note de bas de page 12 Le livret Détermination de la peine semble avoir été ignoré.
Chacun de ces documents de politiques (et peut-être la plupart de deux autres documents importants sur la détermination de la peine publiés plus tard dans les années 1980) peut être vu comme reflétant un consensus canadien et contribuant à développer ou à consolider un consensus sur la détermination de la peine. De fait, le sous-ministre adjoint responsable du développement de « Le droit pénal dans la société canadienne » a vu le projet comme un moyen de consolider un consensus qui servirait ultérieurement pour le développement de futures politiques. Ou, comme l’a expliqué Jean Chrétien dans un communiqué de presse daté du 25 août 1982 : « [j]’espère […] que le présent énoncé servira de fondement à un droit pénal respecté, efficace et conforme aux intérêts et aux valeurs de tous les Canadiens.
»
Ce jour-là, M. Chrétien a écrit à tous les autres ministres (et son sous-ministre a écrit à tous les sous-ministres) leur rappelant que le Cabinet s’était engagé à examiner l’ensemble des lois fédérales qui établissent des infractions criminelles dans le but de les harmoniser avec la nouvelle politique.
Cependant, ce document ne prend pas fermement position sur une question importante, à savoir si la criminalité peut être contrôlée avec des peines sévères. Publié en 1982, il contient des déclarations quelque peu contradictoires sur la détermination de la peine qui ne semblaient pas être controversées.
« Le droit pénal doit prévoir des sanctions reliées à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du contrevenant; ces sanctions doivent également refléter la nécessité de protéger le public contre la récidive et de dissuader d’autres personnes de commettre ces mêmes infractions.
» (page 6)
« En imposant une sentence, on doit choisir la mesure la moins restrictive qui soit adéquate et suffisante vu les circonstances.
» (page 6)
Aucune précision n’est donnée sur la façon de résoudre les éventuelles incohérences entre une peine proportionnelle et la dissuasion, ou entre la « mesure la moins restrictive » et la dissuasion. Le document ne détaille pas non plus ce qui constitue une mesure « suffisante vu les circonstances ». Néanmoins, le consensus était clair : le gouvernement du Canada avait créé une politique de modération dans le recours au droit pénal et à l’incarcération.
Deux autres rapports ont également été publiés dans les années 1980 : le rapport de la Commission canadienne sur la détermination de la peineNote de bas de page 13 et le rapport du Comité de la Chambre des communesNote de bas de page 14, qui ont étudié la détermination de la peine et la mise en liberté sous condition pendant environ neuf mois en 1987-1988. Leurs auteurs suggèrent eux aussi de limiter le recours à l’emprisonnement.
Le plus important est peut-être le fait que la Commission canadienne sur la détermination de la peine a placé les objectifs utilitaristes de la détermination de la peine – la dissuasion et l’empêchement notamment – en tant qu’objectifs subordonnés au principe selon lequel les peines devraient être (en grande partie) proportionnées à la gravité du préjudice infligé à la victime ou à la société ainsi qu’à la responsabilité du contrevenant pour ce préjudice.Note de bas de page 15
En 1988, le comité de la Chambre des communes a lui aussi exprimé son scepticisme à l’égard de l’incarcération en formulant la recommandation suivante :
La réadaptation du délinquant ne peut justifier à elle seule l’imposition d’une peine d’emprisonnement ni sa durée (page 275).
En 1990, lorsque le gouvernement conservateur a publié un ensemble de trois documents d’orientation (et, au début de 1992, un projet de loi sur la détermination de la peine), le consensus sur des questions telles que la modération dans le recours à l’incarcération était bien établi. Le document d’orientation de 1990, intitulé Vers une réforme : la détermination de la peine, a été décrit par la ministre de la Justice de l’époque, Kim Campbell, comme « les idées du gouvernement fédéral au sujet de cette question très complexe [la détermination de la peine] Note de bas de page 16. Comme pour souligner l’accord sur certaines questions fondamentales, la ministre (conservatrice) est allée jusqu’à citer avec approbation certains passages de la « politique [de 1982] du gouvernement du Canada en ce qui concerne l’objet et les principes du droit pénal
» (Le Droit pénal dans la société canadienne) publiés par Jean Chrétien (libéral)Note de bas de page 17. Elle a affirmé « nous avons dû souscrire à certains principes fondamentaux bien précis (page 6)
». Parmi ces principes, elle a souligné ce qui suit :
La modération et l’équilibre sont essentiels :
Cette modération s’impose, comme nous l’avons déjà expliqué, parce que les sanctions de droit pénal ont un caractère fondamentalement punitif et coercitif; comme la société attribue une importance très grande aux idéaux de liberté et d’humanité, on préférera, lorsque cela est possible et approprié, employer d’autres méthodes non coercitives, dont le formalisme est moins prononcé et qui traduisent une conception positive. La modération s’impose pour une autre raison : quand le droit pénal est appliqué machinalement à une foule de problèmes sociaux d’importance très variable pour le public, c’est son autorité, sa crédibilité et sa légitimité qui risquent d’en souffrir. (p. 49)
Qu’avait-on établi? Clairement, la modération dans le recours à l’incarcération était importante, tout comme la proportionnalité des peines. L’importance des fins utilitaires de la détermination de la peine telles que la dissuasion et l’enfermement était, quant à elle, moins bien établie. Mais personne au pouvoir n’affirmait que les prisons permettaient de réduire la criminalité. Il y avait un accord général en matière de politiques de justice pénale, ce qui est illustré par la « ressemblance » des citations dans un « jeu-questionnaire » à l’annexe 1Note de bas de page 18.
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