Les coûts des litiges fondés sur la Charte
Réflexions finales sur la réduction des coûts des litiges constitutionnels
Je ne crois pas qu’il soit naturel ou inévitable que les contestations de la constitutionnalité s’élèvent toujours à plusieurs millions de dollars. Il ne fait aucun doute que certaines revendications sont étroitement liées à des données complexes en matière de sciences sociales et de sciences naturelles, et ces données font souvent l’objet de débats universitaires et scientifiques. On pourrait donc s’attendre à ce que les coûts engagés pour collecter, présenter et analyser les données soient élevés; toutefois, même pour les dossiers complexes, il est toujours possible de réduire les coûts.
Premièrement, comme mentionné précédemment, la revendication devrait être présentée, dans la mesure du possible, comme une demande de jugement déclaratoire et non comme une procédure au civil. Cette dernière constitue un processus chronovore, imprévisible et présumé plus onéreux qu’un processus dans lequel la majorité du travail se fait en dehors de la cour, dans un environnement plus informel. Franchement, je ne suis pas un avocat de droit civil et je ne peux témoigner de l’efficacité des mécanismes de procédure pour accélérer les procès civils, mais je peux dire que j’ai été capable d’utiliser le processus de demande de manière efficiente afin de mener de nombreuses contestations pour une fraction du coût qu’engendrerait une longue bataille judiciaire.
La question des honoraires des avocats a davantage d’importance que le choix de la procédure, et il faut signaler que l’affaire Bedford, ainsi que d’autres contestations que j’ai présentées n’étaient pas des entreprises onéreuses, car les honoraires des avocats n’ont pas été demandés. Néanmoins, même lorsque l’avocat ne peut pas ou ne souhaite pas mener l’affaire à titre gracieux, il existe une manière simple de réduire considérablement les coûts. Je crois que les avocats, en général, sont heureux de s’occuper des litiges d’intérêt public au taux réduit de l’aide juridique. L’augmentation du coût des litiges constitutionnels n’est pas un produit du taux de rémunération (qui est faible) mais des heures de préparation requises pour mener à bien la contestation. Il est pratiquement impossible de prévoir le temps nécessaire pour préparer et présenter la revendication, et l’application du plafonnement des heures est souvent injuste pour ceux qui consacrent d’innombrables heures au dossier.
J’ai pu observer le réel avantage de disposer d’une équipe d’étudiants bénévoles, ou rémunérés à bas taux, pour effectuer les nombreux travaux préparatoires. Certaines facultés de droit ont mis en place un programme Financement des causes types (dans lequel les étudiants se portent volontaires pour aider les avocats dans les litiges d’intérêt public) et les étudiants bénévoles au Canada se chargent de mettre en relation des étudiants et des avocats nécessitant une aide à la recherche. Par conséquent, je crois que l’une des seules manières de contrôler les coûts potentiellement élevés des honoraires des avocats dans le cadre d’un nouveau programme de financement consiste à développer un processus et un programme dans lesquels les facultés de droit jouent un rôle et fournissent un service bénévole d’aide à la recherche.
Enfin, les réflexions devront se porter principalement sur la question du contrôle des coûts associés à la présentation d’importants éléments de preuve de faits législatifs par de nombreux témoins experts. J’ai mentionné précédemment que, dans mes affaires, les experts étaient prêts à travailler à titre gracieux, car ils n’avaient pas à rédiger leur propre affidavit, mais simplement à en examiner l’ébauche élaborée par les étudiants assistants de recherche. Au-delà de la facilitation du travail, les experts étaient souvent prêts à aider gratuitement, car ils croyaient en la « cause » et étaient heureux de s’engager dans ce qu’ils percevaient comme un rôle « activiste ». En dépit de la réduction des coûts, le recrutement d’experts qui seraient alors considérés comme des activistes pose un problème pour maintenir la crédibilité et l’objectivité de l’expert. Non seulement il est nécessaire de soupeser les avantages de la collecte gratuite d’éléments de preuve par rapport à l’évaluation potentiellement négative de la crédibilité, mais des choix difficiles doivent également être faits quant au type d’expert auquel faire appel. La meilleure preuve émane toujours du chercheur à l’origine de l’étude sur laquelle se fonder, mais, souvent l’expert en question n’est pas disponible et, s’il l’est, d’autres experts ont souvent effectué des études similaires dans un effort pour reproduire les résultats. Par conséquent, il peut s’avérer plus efficace de ne pas faire appel à tous les chercheurs à l’origine de l’étude, mais plutôt de contacter un expert capable de fournir un examen de la documentation, ainsi qu’une évaluation méthodologique des études disponibles.
Si l’on veut avoir le moindre espoir de contrôler les coûts associés aux éléments de preuve de faits législatifs, il est important de rester pragmatique et prudent en ce qui concerne le type d’expert à recruter et le nombre d’experts requis afin d’être en mesure de prouver les faits législatifs sur lesquels se fonder. Par conséquent, les programmes de financement devraient exercer un certain niveau de supervision sur les choix qui sont pris et les stratégies qui sont adoptées quant à la présentation des éléments de preuve de faits législatifs. Même s’il existe des raisons de principe pour lesquelles les programmes de financement ne doivent pas systématiquement exercer un contrôle sur les choix pris par l’avocat, ni les diriger, il est important de s’assurer que des choix judicieux sont faits en matière de collecte et de présentation des éléments de preuve de faits législatifs, car c’est principalement cette tâche qui est à l’origine de la croyance, et de la réalité, que le coût des litiges fondés sur la Charte est devenu prohibitif.
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