Prestation de services d’aide juridique dans les collectivités rurales et éloignées partout au Canada : enjeux et perspectives dans le contexte de la COVID‑19
Partie C : Entrevues avec les répondants
Cette partie du rapport présente les résultats des 17 entrevues semi-structurées. Les entrevues comprenaient des questions sur les clients des services juridiques, les services fournis et les incidences de la pandémie de COVID-19. Il s’agit de descriptions qualitatives fondées sur l’expérience des personnes interrogées.
Utilisateurs des services juridiques
Caractéristiques
Cette section présente les descriptions faites par les principaux répondants des caractéristiques démographiques des clients types de l’aide juridique dans les régions rurales et éloignées. Les Autochtones sont identifiés comme une clientèle ou un groupe principal dans pratiquement toutes les administrations, à l’exception de deux administrations de l’Est où les populations autochtones sont peu nombreuses. Les Autochtones constituent le groupe de clientèle dominant (plus des trois quarts) dans les trois territoires nordiques et un groupe de clientèle important dans les régions nordiques et plus rurales de la plupart des provinces. Les personnes interrogées ont indiqué que ces clients autochtones sont généralement de jeunes hommes âgés de 20 à 35 ans qui ont besoin d’une représentation pénale.
Les personnes âgées sont souvent caractérisées comme ayant des besoins d’aide juridique proportionnellement plus élevés dans les régions rurales ou éloignées que dans les régions urbaines. Cela est considéré en partie comme le résultat de la tendance des jeunes à se déplacer vers les régions urbaines pour trouver un emploi ou à partir temporairement pour travailler dans des camps. En outre, dans les régions rurales du nord, les jeunes membres de la famille sont souvent temporairement absents lorsqu’ils travaillent dans les camps. Cela signifie que les personnes âgées ne peuvent pas compter sur les membres plus jeunes de leur famille pour les aider à remplir des formulaires, à accéder à des formulaires, à utiliser la technologie ou pour le transport lorsqu’elles ne sont plus en mesure de conduire.
Les personnes interrogées ont également noté que les femmes constituent une clientèle importante, principalement dans le domaine du droit de la famille, et souvent dans le contexte de relations abusives et/ou de difficultés économiques importantes. Dans plusieurs administrations, les femmes ayant des problèmes liés au droit de la famille constituent la deuxième catégorie la plus fréquente de demandeurs. Dans deux administrations, elles constituent le groupe de clientèle le plus important. L’une de ces administrations a signalé une forte proportion de femmes dans des affaires liées à la drogue.
Les immigrants n’ont pas été notés comme un groupe de clients important dans les régions rurales, sauf dans trois administrations, dont deux avaient des sous-administrations où la production de fruits agricoles est importante. De même, les personnes 2ELGBTQ+ n’ont pas été identifiées par les répondants comme un groupe de clients important; cependant, cet identifiant ne fait partie d’aucun processus de demande, de sorte que les volumes de cas peuvent être sous-estimés.
Besoins juridiques
Les deux catégories les plus importantes de besoins juridiques identifiés par les personnes interrogées (qu’elles soient ou non officiellement couvertes par l’aide juridique) sont les affaires pénales et les affaires relevant du droit de la famille, chacune étant identifiée par environ la moitié des répondants. Les infractions pénales les plus fréquemment mentionnées sont les agressions, les vols, les introductions par effraction, la possession de biens volés et le vol à l’étalageNote de bas de page34. Les affaires relevant du droit de la famille comprennent souvent des questions de violence domestique, certains répondants ayant noté une possible augmentation de la violence familiale en raison des restrictions de santé publique liées à la COVID-19. La pension alimentaire pour enfants est également un problème mentionné dans de nombreuses affaires familiales.
Les questions de logement ont été mises en avant par environ un quart des répondants, avec plusieurs facteurs en cause :
- Un « tsunami d’expulsions » alors que les restrictions liées à la COVID-19 à l’égard des expulsions ont été levées.
- La hausse de la valeur des logements et l’augmentation des loyers qui en découle.
- Le sans-abrisme qui résulte, dans certains cas, du fait que les locataires n’ont pas l’argent nécessaire pour payer les loyers plus élevés.
- La ruée vers l’achat de maisons dans les régions rurales pour échapper à la COVID-19.
- Le déménagement de personnes dans les régions rurales parce qu’ils peuvent y payer les loyers. Cela a eu pour effet secondaire d’augmenter les problèmes de propriétaires et de locataires dans les régions rurales.
Les questions de logement peuvent, dans de nombreux cas, être considérées comme relevant du droit des pauvres. D’autres questions liées au droit des pauvres comprennent l’aide au revenu, l’indemnisation des travailleurs et l’assurance-emploi, qui supposent toutes la nécessité d’accéder aux services gouvernementaux. Collectivement, ces types d’affaires ont été mentionnés par environ un quart des répondants. Les répondants ont estimé que ces problèmes sont souvent exacerbés par le manque de services gouvernementaux dans les régions rurales, le manque de transports publics et le manque de mobilité en général des personnes à faible revenu. Une administration organise des [traduction] « cliniques d’identification » pour aider les personnes à obtenir des cartes d’identité. Les fournisseurs de services constatent parfois que les sans-abri perdent leur carte en raison de leur situation transitoire. Une autre administration a signalé un nombre important d’affaires liées aux successions, ce qui reflète en partie le vieillissement de la population dans les régions rurales.
Langue
La mesure dans laquelle les deux langues officielles et diverses langues autochtones sont parlées varie considérablement d’une région à l’autre du pays. Étant donné que leur fréquence d’utilisation est étroitement liée aux pratiques de prestation de services dans ces langues, les deux aspects sont traités dans cette section. Sur la côte ouest, il est rare que les locuteurs autochtones aient besoin d’une traduction, car la plupart des individus maîtrisent suffisamment l’anglais. Certaines brochures d’aide juridique sont traduites dans les langues autochtones. Les travailleurs agricoles migrants peuvent occasionnellement avoir besoin d’une aide à la traduction.
En Alberta, il existe un petit fonds pour l’embauche d’interprètes et de traducteurs au tribunal, principalement utilisé pour les affaires occasionnelles impliquant des travailleurs immigrés. Dans d’autres situations où le cri est nécessaire (p. ex., lors des discussions initiales), les gens de la collectivité sont souvent en mesure d’aider. Les besoins linguistiques ne sont pas considérés comme un problème majeur dans les régions rurales et éloignées de la Saskatchewan, surtout par rapport aux régions urbaines. Dans certains cas, des personnes ne parlant aucune des deux langues officielles s’installeront dans des collectivités rurales et travailleront dans des bars ou des petits commerces de détail, mais leurs besoins en matière de services de traduction sont considérés comme minimes. Il existe une clinique juridique francophone en partenariat avec des avocats francophones dans la province, mais il n’y a pas de demande importante pour ce service. Au Manitoba, CanTalk est utilisé pour accéder aux traducteurs, surtout dans le nord de la province. Les avocats peuvent accepter des cas nécessitant le français, mais il est moins probable qu’ils le fassent s’il s’agit d’un procès, alors la Société d’aide juridique du Manitoba fournit un interprète au besoin. Peu de juges peuvent faire des procès en français, mais au niveau de la Cour d’appel, la cour est mieux en mesure de faire face à de telles exigences linguistiques.
Les répondants de l’Ontario estiment qu’il est rare d’avoir des besoins en matière de traduction. Souvent, les membres de la famille peuvent traduire si, par exemple, l’affaire concerne un locuteur ojibwé. Des traducteurs ont également été utilisés pour les immigrants mennonites mexicains qui parlent le bas-allemand. Il y a eu des besoins très isolés pour la traduction en espagnol, en arabe ou en ourdou, accessible par l’intermédiaire du siège social. Lorsqu’un locuteur français est requis, un traducteur peut généralement être sollicité à partir d’une autre clinique. Dans les régions du nord du Québec, tous les services sont disponibles en français et en anglais. Bien qu’il n’y ait actuellement aucun avocat parlant l’innuktitut, les procès sont menés en utilisant des traducteurs lorsque cela est nécessaire. Le Nouveau-Brunswick est une province bilingue, les affaires peuvent donc être traitées dans les deux langues officielles. Dans la seule collectivité autochtone d’Epsipoqtoq, il n’y a actuellement aucun travailleur autochtone auprès des tribunaux ou navigateur autochtone. De même, en Nouvelle‑Écosse, il existe des situations de besoin en langues autochtones, pour lesquelles un interprète peut généralement être fourni lors du procès. En Nouvelle-Écosse, il y a un accès adéquat à des avocats qui parlent français (soit dans les collectivités néo-écossaises, soit à Moncton, qui est considérée comme accessible même si elle se trouve au Nouveau-Brunswick) et les juges de la Nouvelle-Écosse sont souvent bilingues. À l’Île-du-Prince-Édouard, la plupart des francophones sont bilingues.
Il y a un besoin important d’interprètes dans les régions éloignées du Labrador, en particulier dans les collectivités de la côte nord où l’anglais n’est pas la langue maternelle de nombreuses personnes qui parlent l’innuktitut ou l’innu-aimun (un dialecte de la langue crie). Dans les tribunaux de la famille, les parties doivent souvent amener leur propre interprète. Ces besoins existent également dans des collectivités un peu plus grandes comme Happy Valley-Goose Bay (sud du Labrador) ou Wabush (ouest du Labrador).
Le Nord présente un tableau varié en termes de besoins linguistiques. Au Yukon, la langue ne semble pas être un problème aussi important pour les autochtones que dans d’autres administrations, que ce soit dans les tribunaux ou dans l’accès aux autres services de justice. La question peut se poser davantage pour les francophones vivant dans des régions éloignées, mais le besoin ne se fait pas sentir fréquemment. Dans les Territoires du Nord-Ouest, malgré l’existence de nombreuses langues autochtones, l’informateur clé de cette administration a estimé que moins d’un dixième des plaideurs se heurtent à une barrière linguistique. Actuellement, un avocat parle couramment le tlicho (un dialecte parlé près de Yellowknife), et les travailleurs auprès des tribunaux sont souvent disponibles pour répondre aux besoins linguistiques.
Au Nunavut, 89 % des résidents parlent l’innuktitut ou l’innuinaqtun, et 87 % l’anglais. Le répondant de cette étude a estimé que trois fois par circuit, il pourrait y avoir une séance utilisant la traduction simultanée, et qu’occasionnellement, jusqu’à la moitié des séances l’exigentNote de bas de page35. Le répondant a noté que la connaissance de la terminologie juridique parmi les traducteurs communautaires est très faible, de sorte que, bien qu’ils puissent être utiles pour répondre aux besoins généraux de traduction, ils ne sont pas qualifiés pour s’occuper de la traduction dans les procédures judiciaires formelles. Chaque jour, au Nunavut, il y a une procédure de traduction simultanée. S’il s’agit d’une procédure judiciaire, il y aura généralement un traducteur juridique. S’il s’agit simplement d’une réunion privée, un travailleur auprès des tribunaux peut être utilisé à la place. Il arrive qu’un membre de la collectivité se charge de cette tâche et signale les cas où un concept n’est pas compris par un client.
Accès/Technologie
Les répondants ont souligné plusieurs caractéristiques clés des clients qui ont le plus de difficultés avec l’accès aux services juridiques et/ou avec la technologie.
L’observation la plus importante concernant les difficultés techniques rencontrées par les consommateurs de services n’est pas liée aux capacités intrinsèques des utilisateurs, mais à leur lieu de résidence par rapport à la disponibilité d’Internet et du Wi-Fi. Tous les répondants ont souligné que de vastes régions du nord des provinces ou des territoires n’ont aucun accès à Internet. Dans certaines régions du Québec et du Manitoba, des plans sont en cours pour accroître la connectivité, mais leur réalisation pourrait prendre plusieurs années. Il y a aussi un certain espoir que le satellite StarLink puisse fournir efficacement l’Internet haut débit sur des zones beaucoup plus larges que la technologie cellulaire traditionnelle.
Les clients des services juridiques ont souvent de multiples problèmes qui rendent problématique l’utilisation efficace – ou toute utilisation – de la technologie. Le premier est qu’ils n’ont tout simplement pas les moyens d’acheter des appareils technologiques. Comme l’a fait remarquer un répondant, « pour les personnes qui disposent de la technologie, c’est fantastique, mais pour celles qui n’en ont pas, c’est un obstacle ». Un répondant dans une province de l’Est a estimé que jusqu’à 45 % des clients n’ont pas de téléphone portable ou d’ordinateur. Toutefois, cette tendance peut varier d’une province à l’autre; comme nous l’avons déjà mentionné, une étude menée en Colombie-Britannique a révélé que jusqu’à 90 % des clients autochtones de l’aide juridique en matière familiale ont des téléphones intelligentsNote de bas de page36.
Le répondant de la Saskatchewan a noté qu’avant la pandémie, de nombreux clients n’avaient même pas d’adresse électronique, mais que cette situation est devenue moins fréquente. De plus, la personne interrogée a noté qu’avant la pandémie [traduction] « […] tout le monde pensait que le service en personne était le meilleur ». Cependant, au cours des premiers jours et des premières semaines de la pandémie, l’utilisation du téléphone a considérablement augmenté (bien que Zoom ait été jugé trop complexe par beaucoup), et l’utilisation accrue du téléphone par rapport aux communications en personne a été maintenue.
Les personnes âgées vivent dans les régions rurales et éloignées dans des proportions légèrement plus élevées par rapport à la population globale que dans les régions urbaines. Selon les principaux répondants, les personnes âgées n’ont souvent pas les compétences technologiques nécessaires pour utiliser efficacement les téléphones ou les ordinateurs afin de surmonter l’inconvénient de la distance.
Un problème supplémentaire noté par plusieurs répondants est le manque d’espace et le manque d’intimité qui en résulte pour une utilisation efficace de la technologie. L’un d’eux a déclaré que le gouvernement provincial de leur administration avait l’intention d’étendre un système de kiosques dans les tribunaux dans lesquels les individus peuvent utiliser leurs appareils, mais il a estimé qu’il serait submergé par le nombre d’utilisateurs, compromettant encore une fois la vie privée.
L’envoi et l’examen des documents restent un problème pour de nombreux clients et fournisseurs de services. Un répondant a déclaré qu’il oriente souvent les clients des zones rurales ou éloignées vers les bibliothèques pour faire numériser des documents. Lorsque les services publics ont été fermés à certains moments pendant la pandémie, même cette solution n’était pas possible, car les bibliothèques étaient souvent fermées. Le fournisseur de services a ensuite dû expliquer aux utilisateurs des régions rurales et éloignées comment photographier et envoyer chaque page d’un document séparément, car la plupart des utilisateurs ne disposaient pas d’une imprimante permettant de numériser l’ensemble du document.
Prestation des services
Défis à relever
Le transport est un problème essentiel pour de nombreux utilisateurs qui n’ont pas de véhicule, et même pour ceux qui en ont un. En effet, la distance à parcourir est souvent très importante et de nombreux sites dans le nord ne sont accessibles que par avion. Le manque de transports publics et privés a été identifié dans presque toutes les administrations comme un obstacle majeur à la résolution des problèmes, souvent après l’affaire juridique elle-même. Même dans certaines régions qui seraient décrites comme rurales (p. ex., dans certaines parties de la Nouvelle-Écosse), un trajet de deux heures en voiture jusqu’à un point de service n’est pas inhabituel, et pour les personnes qui n’ont pas de véhicule, la nécessité de faire de l’auto-stop pourrait ajouter considérablement au temps d’accès. Dans les régions plus éloignées (p. ex., au Labrador), une visite pour rencontrer un avocat (ou pour une audience) nécessite également de payer un hôtel. Dans certaines régions, l’accès physique n’est possible que par avion.
Les partenariats avec d’autres organismes – tant pour le transport que pour la résolution de problèmes – sont essentiels pour fournir les services nécessaires dans les régions rurales et éloignées. Avant la pandémie en Colombie-Britannique, les personnes ayant une affaire juridique liée à des problèmes de santé (p. ex., un traitement en établissement) pouvaient parfois utiliser un service de transport coordonné. Toujours en Colombie-Britannique, un programme appelé Community Partners a placé des travailleurs dans des organismes sociaux desservant des régions éloignées, ce qui a facilité des renvois plus efficaces de problèmes juridiques à l’aide juridique ou a aidé les personnes à résoudre leurs problèmes par elles-mêmes ou avec l’aide d’autres organismesNote de bas de page37. L’Ontario a également fait un usage efficace des partenariats avec d’autres organismes communautaires pour aborder les questions communes aux domaines juridique et social. Ces partenariats comprennent des cliniques juridiques, des centres de santé et de santé mentale, Centraide, Choices for Change and Addiction, des centres communautaires et des centres d’amitié autochtones ou des bureaux de bande. Comme l’a souligné un répondant, [traduction] « avec ce type de partenariats, nous pouvons développer des renvois profonds et sophistiqués pour les clients ». Dans le nord du Québec, les cliniques de santé autochtones sont l’endroit le plus fréquent où les avocats et les travailleurs auprès des tribunaux qui se déplacent par avion rencontrent leurs clients ou d’autres personnes ayant des besoins juridiques. La communication pour organiser les rencontres se fait souvent par le biais de messages sur les médias sociaux.
En Saskatchewan, la Société John Howard et la Société Elizabeth Fry ont été mentionnées comme des ressources importantes pour les clients en prison. La personne interrogée a noté que le problème juridique d’un client peut être « une goutte d’eau dans l’océan » par rapport à des besoins tels que le logement dans les régions éloignées. Les partenariats avec des organismes répondant à ces besoins sont essentiels (p. ex., l’organisme Scattered Site à La RongeNote de bas de page38 dans le nord de la province).
Les informateurs des trois territoires ont déclaré que les travailleurs autochtones auprès des tribunaux sont la principale source d’aide pour les personnes ayant des problèmes juridiques qui sont portés devant les tribunaux. Les travailleurs en santé mentale – lorsqu’ils existent – peuvent aussi aider indirectement à résoudre les problèmes juridiques qui ont une incidence sur la santé mentale.
Au Nunavut, en plus des travailleurs sociaux auprès des tribunaux qui ont été décrits par le répondant comme « le visage de l’aide juridique » dans ce territoire, de nombreuses collectivités ont également un comité de justice (pour la déjudiciarisation des personnes ayant commis une infraction criminelle), et quelques-unes ont des services spécialisés (p. ex. un service de lutte contre la violence conjugale à Rankin Inlet et un programme « On the Land » à Clyde River)Note de bas de page39. La communication pour organiser les réunions se fait souvent par la radio publique (mais le but de la réunion – c’est-à-dire discuter d’une question juridique – n’est jamais mentionné dans les annonces sur ce média).
Toutes les administrations ont un ou plusieurs types de services de VIJNote de bas de page40qui aident les personnes à comprendre les questions et les problèmes juridiques ou à se préparer aux audiences. À l’exception de certaines séances d’information sur la communication (p. ex., dans les bibliothèques), ces services ne sont pas « fournis » aux individus de personne à personne. Ils ne sont donc pas limités par des problèmes de diffusion, mais par la capacité des gens à utiliser la technologie et à entreprendre des recherches. Comme il est indiqué dans la section 2.2, ceci est souvent problématique pour de nombreuses clientèles éloignées/rurales. Des services de conseils de durée limitée existent dans certaines administrations. Par exemple, le Nouveau-Brunswick dispose d’un service de conseils familiaux par téléphoneNote de bas de page41 qui offre deux heures de conseils juridiques par un avocat sur des questions de droit de la famille.
Un répondant a fait remarquer que le financement d’initiatives spéciales visant à régler des questions juridiques – p. ex., un programme de justice réparatrice – n’est souvent accordé que pour un an, mais ces types de projets nécessitent habituellement plusieurs années pour s’établir. Un financement à plus long terme serait donc plus efficace pour créer un programme durable.
Financement et organisation de la prestation des services
Cette section explore les thèmes connexes de l’organisation et du financement de la prestation de l’aide juridique dans les régions rurales et éloignées des provinces et territoires.
Dans la plupart des cas, le financement de l’aide juridique dans les régions rurales et éloignées n’est pas différencié du financement général destiné à soutenir la prestation de services dans l’ensemble de l’administration, y compris les circuits aériens vers les collectivités du Nord. Selon l’administration, cela signifie que le financement provient soit d’une fondation juridique provinciale (financée par les comptes en fiducie des avocats) et/ou des gouvernements provinciaux/territoriaux, et/ou du gouvernement fédéral. Un répondant a déclaré qu’il y a actuellement plus de financement fédéral en raison de l’aide du gouvernement fédéral à l’échelle nationale par le biais du fonds d’aide relative à la COVID-19 aux organismes et aux individus. En même temps, les frais liés à la prestation dans cette administration ont diminué parce qu’il y a eu moins de réunions en personne.
Au Manitoba, des fonds provinciaux importants ont récemment été consacrés à l’installation d’ensembles de logiciels vidéo dans divers organismes sociaux et collectivités des Premières Nations afin que les avocats puissent utiliser plus facilement la vidéoconférence. Dans certaines régions, les avocats ont également pu accéder aux logiciels vidéo utilisés pour les audiences de la Commission d’examen des questions liées à la santé mentale. Des ensembles de logiciels vidéo devraient également être installés dans les détachements de la GRC. Dans les affaires pénales, cela peut être utile pour les victimes, mais certains accusés peuvent se sentir vulnérables dans ce cadre. Dans une administration de l’Est, des ensembles de logiciels vidéo ont été installés dans des refuges pour femmes victimes de violence familiale.
Les défis suivants, relevés par les répondants, sont étroitement liés.
Le manque d’avocats pour desservir les collectivités éloignées
De nombreuses collectivités sont trop petites pour offrir une base géographique permettant aux avocats de gagner leur vie. Même lorsque la population régionale est importante, elle est souvent trop dispersée pour attirer les avocats. Par exemple, une administration des Prairies compte une population de 500 000 habitants dans sa région du centre, mais seulement 12 avocats pour la desservir. Ce problème est exacerbé par le « grisonnement » du barreau (mentionné par la moitié des répondants à l’étude) et dans certains cas la retraite anticipée en raison de la pandémie de COVID-19.
Le manque d’avocats est prononcé dans les affaires de droit de la famille, qui nécessitent souvent un avocat pour chaque partie. Un répondant d’une petite administration a fait remarquer que les avocats sont souvent retirés des affaires familiales pour s’occuper d’affaires criminelles, ce qui réduit encore la disponibilité globale des avocats. Les affaires de droit de la famille sont également considérées comme moins rémunératrices. Un facteur contribuant à la perte d’avocats au Nunavut est le manque aigu de logements dans le territoire. Même si les requérants figurent sur la liste des demandeurs de logement pendant plusieurs années, il se peut qu’ils n’obtiennent pas gain de cause et qu’ils doivent donc se contenter d’un logement de qualité inférieure.
Plusieurs approches ont été utilisées pour remédier au manque d’avocats. La première – et la plus courante – consiste à envoyer des avocats dans les collectivités par avion, selon un circuit régulier couvrant une ou plusieurs collectivités éloignées. Cette approche est une solution nécessaire, mais coûteuse et peut s’avérer problématique en raison des conditions météorologiques et, plus récemment, de la réduction des vols en raison de la COVID-19. L’hébergement peut être un problème même dans les situations d’arrivée par avion au Yukon, car il y a une concurrence avec les travailleurs de la construction qui ont également besoin d’un logement. Les frais de transport aérien au Nunavik sont moins préoccupants à l’échelle provinciale parce qu’ils sont couverts par la Convention de la baie James et du Nord québécois.
Plusieurs autres approches comprennent :
- Inciter les avocats à exercer dans les petites collectivités en leur versant une prime de rétention en sus de leur salaire de base (dans une administration, cette prime s’élève à 1 000 dollars supplémentaires par mois).
- Utiliser le financement de base présumé de la province pour une clinique régionale qui dessert une vaste région. Pour accéder aux personnes vivant dans des collectivités plus éloignées, la clinique peut s’arranger pour avoir des points de service sur une zone dispersée plus large. Avec un financement de base, la clinique est moins contrainte par des considérations de coût par client.
- Recruter des avocats de l’aide juridique d’une « manière réfléchie » qui garantit qu’ils s’adapteront à un milieu rural ou éloigné. Dans certaines administrations, des efforts ont été déployés pour recruter des candidats à la faculté de droit qui viennent d’un milieu rural et qui s’attendent à exercer dans leur collectivité d’origine.
Le manque de juges résidents
Un juge résident est celui qui réside dans la région où il siège en tant que juge. Cette question est étroitement liée au manque d’avocats, car le manque d’un juge résident rend moins attrayante (et moins rémunératrice) l’installation d’un avocat dans une collectivité. Avec un juge résident, il est plus facile de planifier les litiges en temps opportun. Comme l’a dit un répondant à propos d’une collectivité isolée,
[traduction]
Il n’y a personne pour faire avancer la machine judiciaire. Vous ne pouvez pas simplement vous présenter pour faire approuver une requête. S’il s’agit d’un juge itinérant, interrompra juste pour arriver à l’heure à l’avion de retour. Il est très difficile pour les avocats de faire avancer les choses et cela envoie le message que leur travail n’est pas un élément important du système.
Les répondants n’ont pas discuté de recommandations pour résoudre ce problème.
La communication avec les clients
Un répondant a déclaré que, par le passé, les avocats étaient réticents à communiquer avec leurs clients à moins de se rencontrer en personne. Cela représentait une charge de transport importante pour les clients qui vivaient à distance et une perte de temps pour les avocats s’ils devaient se déplacer pour voir le client. Depuis la pandémie, il y a eu plus de flexibilité, combinée à l’utilisation de technologies efficaces. Par exemple, une répondante a déclaré qu’elle testait un mécanisme de boîte de dépôtNote de bas de page42 privée qui lui permettait de se connecter virtuellement avec ses clients en cliquant sur un bouton, et d’enregistrer les résultats de la réunion. Cependant, plusieurs répondants ont souligné que de nombreux clients n’ont pas de téléphone portable ou d’accès au Wi-Fi, de sorte que des partenariats avec des organismes communautaires accessibles (p. ex., qui peuvent recevoir des télécopies de formulaires au nom des clients) sont souvent nécessaires. Un répondant d’une administration du Nord a dit que les gens dans la brousse n’ont souvent pas de téléphone et que l’avocat doit chercher physiquement le client afin de se préparer pour le tribunal.
Technologie
L’utilisation de la technologie dans le domaine juridique varie considérablement en fonction de l’utilisateur, de l’objectif (transmission de documents ou dépôt de demandes) et de la période (avant la COVID-19, pendant la COVID-19 et après la COVID-19). La fracture la plus fondamentale concerne les différents niveaux de capacités technologiques des clients. De nombreux répondants ont suggéré que cette capacité est une question de revenu, car de nombreux clients pauvres dans les régions rurales/éloignées ne peuvent pas s’offrir un accès Wi-Fi, un ordinateur ou un téléphone intelligent. Dans la mesure où leur lieu d’habitation est éloigné (beaucoup de réserves autochtones et de régions nordiques) ou même simplement rural, il se peut qu’ils n’aient pas accès au Wi-Fi. Il y a donc un danger que la dépendance accrue des fournisseurs de services et du système juridique à l’égard de la technologie crée une [traduction] « fracture numérique » qui prive de leurs droits les clients les plus nécessiteux et les plus défavorisés – les clients mêmes que l’aide juridique est censée servir.
Dans plusieurs administrations, les fournisseurs de services ont créé des espaces privés (p. ex., dans des bibliothèques, des centres juridiques pour les parents, des centres d’amitié, des cliniques juridiques ou d’autres organismes de services) dans lesquels les personnes peuvent être aidées à accéder à Internet ou à établir une vidéoconférence afin de se connecter à un avocat, de signer électroniquement des documents ou de communiquer avec des fonctionnaires du tribunal ou lors de brèves audiences. Un répondant a fait remarquer que, bien que les bibliothèques soient souvent d’excellents partenaires pour faciliter la copie et la transmission de documents, dans les petites collectivités, elles peuvent manquer d’intimité pour les réunions entre les clients et les avocats qui se sont rendus dans la collectivité. Comme solution de rechange, les organisations caritatives telles que l’Armée du Salut peuvent disposer d’espaces de réunion plus petits, mais plus privés. Cependant, pour certains clients, il peut y avoir une stigmatisation liée à la rencontre à l’Armée du Salut.
Dans certaines administrations du nord où la largeur de bande est un problème majeur, les bureaux du Programme d’assistance parajudiciaire aux Autochtones sont le centre de communication et disposent généralement de téléphones, de télécopieurs, de courriels et de webcams. La pandémie a facilité la transition entre l’obligation de comparution en personne et l’autorisation de la téléconférence ou de la vidéoconférence pour les comparutions de courte durée (p. ex., une audience sur la libération sous caution ou une mise en accusation) et pour de nombreuses consultations avec des avocats. Bien qu’il existe des pressions pour revenir aux modes de comparution antérieurs à la pandémie, la plupart des personnes interrogées dans le cadre de cette étude estiment que cette transition est susceptible de devenir permanente, car les comparutions ou les conférences à distance de courte durée ont permis de réduire considérablement les coûts dans de nombreux cas, notamment en ce qui concerne les comparutions devant les tribunaux itinérants.
Bien que les répondants soient au courant des projets visant à accroître la portée d’Internet, en particulier dans la moitié ouest du Canada, dans toutes les administrations, il y avait un manque de clarté quant à l’étendue et au temps prévu pour l’achèvement de ces projets.
Surveillance et évaluation
Il a été demandé aux répondants si des recherches suffisantes étaient entreprises et/ou si des systèmes de données adéquats étaient disponibles pour une surveillance et une évaluation efficaces de la prestation de services dans les régions rurales et éloignées. Dans l’ensemble, leurs réponses indiquent que, bien que certains éléments de la prestation de services fassent l’objet d’un suivi dans la plupart des administrations, l’objectif est généralement de tenir les dossiers à jour, plutôt que de les évaluer. En outre, ces données ne distinguent généralement pas la prestation de services aux utilisateurs des régions éloignées ou rurales de celle des utilisateurs des centres urbains.
Les exceptions sont l’évaluation de Community Partners en Colombie-BritanniqueNote de bas de page43, et l’étude de Flora Stevenson de l’Alberta Law Foundation sur les services juridiques à distance pour les Albertains à faible revenuNote de bas de page44. Dans toutes les autres administrations du Sud, la réponse a été qu’il n’y avait pas d’accent sur les questions rurales/éloignées en particulier et qu’en général, toutes les données sur les caractéristiques des cas ou des clients ont été « exploitées » et analysées de façon très limitée. Au Yukon, un nouveau système de données et une nouvelle structure de rapport sont en cours de création et devraient fournir trois années de données plus tard en 2022, ce qui permettra à la Société d’aide juridique du Yukon d’évaluer l’évolution de la gravité/complexité des affaires juridiques. On ne sait pas si les données permettront de distinguer la prestation en milieu rural ou éloigné, mais les endroits autres que Whitehorse et Dawson City correspondront probablement à cette définition. De même, dans les Territoires du Nord-Ouest, une nouvelle base de données a été lancée en 2021, mais des problèmes de dotation en personnel pourraient limiter la capacité à entreprendre des analyses plus fines pendant plusieurs années. Les collectivités et l’ensemble du territoire du Nunavut sont éloignés, mais à l’heure actuelle, la capacité de production de rapports est très limitée.
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