5. Conclusion

Depuis l’arrêt Gladue rendu par la CSC en 1999, plusieurs décisions des tribunaux ont contribué à clarifier le droit de tous les contrevenants autochtones à demander que les facteurs de l’arrêt Gladue soient pris en considération dans leur dossier, même si des infractions graves sont en cause. Bien que les contrevenants autochtones puissent exiger l’application des principes énoncés dans l’arrêt Gladue, ils ne possèdent pas le droit absolu d’obtenir un rapport Gladue dans tous les territoires et toutes les provincesNote de bas de page 107, car les tribunaux peuvent utiliser d’autres moyens pour obtenir les renseignements nécessaires avant de rendre leurs décisionsNote de bas de page 108.

L’examen des 530 décisions et arrêts a permis de constater une intensification marquée de l’application des principes énoncés dans l’arrêt Gladue et de l’utilisation des rapports Gladue par les tribunaux entre 2000 et 2021. Bien que la plupart des affaires examinées aient porté sur la détermination de la peine (pour des infractions violentes, dans la plupart des cas), les rapports Gladue se sont multipliés à d’autres étapes, par exemple dans les enquêtes sur le cautionnement, les demandes de désignation de délinquant à longue durée ou de délinquant dangereux, ainsi que les contestations fondées sur la Charte.

S’il est vrai que les tribunaux appliquent et utilisent plus souvent les principes et les rapports Gladue, chaque province et territoire suit une approche qui lui est propre. Certains offrent la rédaction de rapports Gladue par l’entremise de diverses organisations autochtones (p. ex., l’Ontario et le Québec). D’autres ont mis en place un service centralisé de préparation de rapports Gladue fondé sur une liste de rédacteurs contractuels (p. ex., l’Alberta, la Colombie-Britannique, la Nouvelle-Écosse, l’Île-du-Prince-Édouard et le Yukon)Note de bas de page 109. Dans les provinces et les territoires où il n’y a pas de programme financé par l’État pour la rédaction des rapports Gladue (p. ex., le Manitoba, le Nouveau-Brunswick et les Territoires du Nord-Ouest), les agents de probation sont formés afin de pouvoir intégrer les facteurs de l’arrêt Gladue dans les RPS. Le manque d’uniformité entourant la rédaction des rapports Gladue et la formation connexe à l’échelle du Canada peut avoir une incidence sur l’accès à la justice des membres des peuples autochtones, thème qui pourrait faire l’objet de futurs travaux de recherche.

Plusieurs éléments déterminent si un rapport Gladue sera demandé ou non par un tribunal, soit : la disponibilité de ressources aptes à préparer le rapport; le fait que ce rapport n’est présumé nécessaire par les juges que dans des situations exceptionnelles; la perception que les RPS ou les observations orales ou écrites ont constitué une solution de rechange adéquate; les inquiétudes suscitées par le manque d’uniformité et l’absence de normes nationales en ce qui a trait aux rapports Gladue et à la formation connexe; le fait que le contrevenant renonce à obtenir un rapport Gladue ou qu’il refuse de présenter une demande à cet égard, parce qu’il ne veut pas retarder la détermination de sa peine ou est réticent à revivre des événements traumatisants en salle d’audience.

L’application des principes Gladue, soit parce que les tribunaux ont pris connaissance d’office des facteurs énoncés dans l’arrêt, soit parce qu’ils en ont tenu compte, a eu une incidence sur l’issue des affaires. Dans 23 % d’entre ellesNote de bas de page 110, la peine a été réduite ou modifiée (emprisonnement avec sursis, peine discontinue ou suspendue); il y a eu sursis à l’exécution du reste de la peine d’incarcération; la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle ou de probation a été raccourcie; les conditions de la mise en liberté sous caution ont été modifiées. Dans certains cas, le tribunal a aussi permis que le contrevenant soit libéré sous caution en s’appuyant sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue. Toutefois, lorsque le juge effectue une analyse en profondeur de type Gladue, l’existence de programmes, la proximité d’établissements de garde dans la collectivité du contrevenant, de même que la probabilité de réadaptation et les ressources en matière de réinsertion sociale ont été prises en considération dans le cadre du processus décisionnel et peuvent avoir influé sur la décision. Si les lacunes à ces égards étaient atténuées, l’application des principes Gladue pourrait contribuer à réduire encore davantage le recours à l’emprisonnement pour les contrevenants autochtones.

D’autres travaux de recherche pourraient examiner les répercussions qu’auraient, sur les décisions judiciaires futures, l’offre d’un soutien permanent accru à la mise en œuvre des principes énoncés dans l’arrêt Gladue et à la préparation des rapports GladueNote de bas de page 111, ainsi qu’une jurisprudence de plus en plus abondante. Qui plus est, il serait utile de savoir s’il y a des différences dans l’application de l’alinéa 718.2e) et des principes énoncés dans l’arrêt Gladue selon la langue officielle utilisée dans l’instance ou entre les tribunaux autochtones et non autochtones au Canada.