4. Constatations
4.1 Rapports Gladue
C’est principalement par l’intermédiaire de rapports ou de lettres de type Gladue que sont appliqués les principes énoncés dans l’arrêt Gladue. Le premier rapport Gladue connu a été préparé en 2001 par l’organisme Aboriginal Legal Services de Toronto, en Ontario (Rudin, 2019). Ces rapports, lorsqu’ils sont bien préparés, recensent les facteurs systémiques et historiques pertinents dans la vie du contrevenant autochtone qui peuvent être pris en considération par le tribunal qui doit prononcer la peine (Rudin, 2008). En moyenne, il faut prévoir entre six et huit semaines pour la préparation d’un rapport Gladue, tandis que les lettres de type Gladue, plus courtes, prennent généralement de quatre à cinq semaines (Aboriginal Legal Services 2022). Tout ce temps est nécessaire parce que la personne qui prépare le rapport Gladue doit effectuer des recherches historiques poussées et réaliser des entrevues approfondies avec le contrevenant autochtone, sa famille et les membres de sa collectivité (Aboriginal Legal Services, 2022).
4.1.1 Rédaction de rapports Gladue : programmes, organisations et formation, par province et territoire
Chaque province et territoire a mis en place une méthode, un processus ou des programmes qui lui sont propres concernant les rapports Gladue. Voici un résumé, par province et territoire, des programmes actuellement en vigueur et qui ont été recensés durant l’analyse contextuelle de la présente étudeNote de bas de page 43.
Alberta
Le ministère de la Justice administre un programme de rédaction de rapports Gladue dont les auteurs sont des rédacteurs contractuels qui se trouvent dans les collectivités de divers districts judiciaires de la province. Une demande doit être formulée par l’avocat de la défense ou le poursuivant (ou le tribunal) à l’étape de la détermination de la peine une fois que l’accusé a été déclaré coupable ou a enregistré un plaidoyer de culpabilité. L’avocat de la défense doit remplir un formulaire de demande de rapport Gladue en ligne une fois que le tribunal a ordonné la préparation d’un tel rapport aux fins de la détermination de la peineNote de bas de page 44. L’orientation destinée aux rédacteurs de rapports Gladue est fournie à l’interne, par le programme. Tous les nouveaux rédacteurs et leurs ressources reçoivent une orientation obligatoire de trois heures, suivie d’un mentorat direct qui permet de s’assurer que la qualité des rapports rédigés respecte les normes et les attentes.
Colombie-Britannique
Au 1er avril 2021, le programme de rapports Gladue de la Colombie-Britannique était administré et géré par le British Columbia First Nations Justice Council (BCFNJC), organisme financé par le gouvernement provincial et le gouvernement du Canada. La transition du programme, auparavant confié à l’Aide juridique de la Colombie-Britannique, vers le BCFNJC s’inscrit dans la Stratégie de justice applicable aux Premières Nations de la Colombie-BritanniqueNote de bas de page 45. Il s’agit d’un modèle hybride où les besoins sont comblés par du personnel à temps plein sur place et une liste d’entrepreneurs indépendants. Les avocats de la défense et les procureurs de la Couronne peuvent s’adresser au service de rédaction du BCFNJC pour obtenir des lettres de type Gladue en prévision des discussions de règlement, des enquêtes sur le cautionnement ou de l’examen de la mise en liberté sous caution et dans le cas de peines inférieures à 90 jours; ils peuvent demander des rapports Gladue aux fins de la détermination de la peine ou encore dans le cadre d’audiences relatives à la désignation de délinquant dangereux ou de délinquant à longue durée, et d’audiences visant à déterminer si l’accusé n’est pas criminellement responsable.
Le service de rédaction du BCFNJC a conçu une formation à l’intention du personnel sur place qui rédige les rapports Gladue et de ceux qui offrent du soutien en matière de rapports Gladue. Les rédacteurs indépendants ne reçoivent pas cette formation, mais un mentorat est offert au cas par cas. Depuis 2017, il y a deux programmes de formation indépendants pour la rédaction de rapports Gladue en Colombie-Britannique : l’organisme Indigenous Perspectives Society, en collaboration avec la Royal Roads UniversityNote de bas de page 46, offre ainsi une formation sur la préparation de rapports Gladue dirigée par une professeure de l’Université Carleton, Jane Dickson. Il s’agit d’un cours en ligne de 10 semaines, et les participants deviennent ensuite rédacteurs certifiés de rapports Gladue. Le Vancouver Community College a mis au point par ailleurs un programme de certificat en rédaction de rapports Gladue d’une durée de deux à trois ans, de même qu’un programme d’un an qui mène à un certificat en rédaction de rapports Gladue. Dans les deux cas, les cours sont donnés sous forme d’ateliers en ligne et en personne. Cependant, tout rédacteur salarié sur place ou indépendant de rapports Gladue doit suivre la formation dispensée par le service de rédaction de rapports Gladue du BCFNJC.
Manitoba
Étant donné l’absence de programme de rédaction de rapports Gladue financé par l’État au Manitoba, les agents de probation de la province doivent préparer des RPS qui mettent en lumière les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue lorsque le tribunal l’ordonneNote de bas de page 47. Le ministère de la Justice du Manitoba dispense aux agents de probation un cours de quatre jours qui est consacré à la rédaction de RP qui comprennent les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue.
Nouveau-Brunswick
Même si le Nouveau-Brunswick n’a pas créé de programme de rédaction financé par l’État, le gouvernement provincial a adopté en 2019 une politique sur l’adaptation des RPS aux contrevenants adultes autochtones afin de guider les agents de probation sur la façon d’intégrer à leurs RPS l’information mentionnée dans l’arrêt Gladue (Barkaskas et al, 2019). Les agents de probation ont reçu une formation sur la nouvelle politique dès sa mise en œuvre (Barkaskas et al, 2019). Le ministère de la Justice du Canada a aussi financé directement des organisations autochtones afin qu’elles établissent un cadre pour la création d’un programme de rapports de type Gladue. De plus, à la date de la rédaction du présent rapport, le ministère de la Justice du Canada collaborait avec le gouvernement du Nouveau-Brunswick en vue de soutenir à long terme un programme de rédaction de rapports Gladue dirigé par la collectivité.
Terre-Neuve-et-Labrador
En 2019, le ministère de la Justice et de la Sécurité publique (MJSP) de Terre-Neuve-et-Labrador a organisé des sommets sur la justice afin de discuter des moyens qui permettraient d’améliorer le système de justice pénale dans la provinceNote de bas de page 48. Les participants aux sommets ont souligné le nombre insuffisant de rédacteurs de rapports Gladue et la nécessité de créer des services de rédaction de ces rapports dans la province. En août 2023, le réseau des femmes autochtones de Terre-Neuve-et-Labrador (Newfoundland Aboriginal Women’s Network) a confirmé que la province comptait 23 rédacteurs dûment formés. En outre, la Première Nation Miawpukek Mi’kamawey Mawi’omi a soutenu la formation de cinq rédacteurs de rapports Gladue. En 2021, le MJSP a coordonné, en collaboration avec l’organisme Indigenous Perspective Society et la Royal Roads University de Victoria (Colombie-Britannique), des activités de formation conçues à l’intention des agents des services de probation pour adultes qui portaient sur les principes de l’arrêt Gladue. Cette formation visait à améliorer la préparation de RPS où sont appliqués ces principes. Un agent des services de probation pour adultes prépare le rapport lorsque le tribunal a ordonné la rédaction d’un RPS tenant compte des principes énoncés dans l’arrêt Gladue, que le contrevenant s’identifie comme autochtone et a consenti à ce que cette information soit transmise. Il n’y a pas de programme de rédaction de rapports Gladue financés par l’État dans la province.
Territoires du Nord-Ouest
Dans les Territoires du Nord-Ouest, les agents de probation incluent les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue dans leurs RPSNote de bas de page 49; toutefois, l’organisme Aboriginal Legal Services de Toronto a travaillé avec le gouvernement des Territoires du Nord-Ouest pour mettre au point un programme spécialisé de rédaction de rapport GladueNote de bas de page 50. Le gouvernement territorial consulte en ce moment les intervenants au sujet des recommandations qui sont formulées dans le rapport.
Nouvelle-Écosse
Le réseau de soutien juridique Mi’kmaw (Mi’kmaw Legal Support Network ou MLSN) supervise la préparation de rapports Gladue dans la province; les coûts relatifs à ces rapports sont imputés au budget des services aux tribunaux (Barkaskas et al, 2019). Le MLSN confie à des rédacteurs contractuels la rédaction des rapports Gladue (Barkaskas et al, 2019). La politique relative au traitement équitable des peuples autochtones dans le cadre des poursuites pénales en Nouvelle-Écosse confère aux contrevenants autochtones le droit de faire préparer un rapport Gladue avant la détermination de leur peine si la Couronne en fait la demandeNote de bas de page 51.
Nunavut
En 2020, un juge du Nunavut a rejeté une demande de rapport Gladue financé par l’État dans le cas d’un contrevenant inukNote de bas de page 52. Il a souligné qu’il n’existe aucun programme subventionné par le gouvernement au Nunavut et que l’information au sujet des contrevenants inuits et de leurs collectivités est habituellement recueillie au moyen des observations de la défense et des RPS, de même qu’auprès des contrevenants eux-mêmes et des assistants parajudiciaires autochtones. Le juge a précisé également qu’un rédacteur de rapport Gladue venant des provinces du sud n’est pas nécessairement apte à transposer son expérience auprès des Premières Nations et des Métis aux collectivités inuites, et que ce déphasage risquait de prolonger le processus de justice à l’endroit des contrevenants inuitsNote de bas de page 53.
Ontario
En Ontario, des réserves comptent des rédacteurs de rapports Gladue et 12 organisations autochtones offrent ces services grâce à environ 40 rédacteurs. Ces services sont financés par l’intermédiaire d’ententes de paiements de transfert conclues avec le ministère du Procureur Général de la province, l’Aide juridique Ontario et le ministère de la Justice du Canada. Tous les fournisseurs de services de rédaction de rapports Gladue en Ontario se trouvent soit sur les réserves, soit dans les organisations autochtones, comme Aboriginal Legal Services, Tungasuvvingat Inuit, Nishnawbe Aski Legal Services Corporation, Grand Council Treaty #3, l’Ontario Native Women’s Association, et le Thunder Bay Indigenous Friendship CentreNote de bas de page 54. Les rapports et les lettres de type Gladue peuvent être demandés par la Couronne, la défense, le tribunal ou le contrevenant autochtone, lorsque ce dernier a été déclaré coupable ou a plaidé coupable à l’infraction qui lui était reprochée et que le ministère public réclame un emprisonnement de plus de 90 ou 120 jours (selon le tribunal). Le contrevenant autochtone doit consentir à ce qu’un rapport Gladue soit préparé dans son cas, peu importe qui en fait la demande. Certains fournisseurs de services en Ontario vont préparer une lettre de type GladueNote de bas de page 55 si la peine demandée par la Couronne est inférieure à 90 jours (Aboriginal Legal Services, 2022; Aide juridique Ontario, 2022) ou s’il s’agit d’une enquête sur le cautionnementNote de bas de page 56. L’analyse contextuelle a recensé également un programme de formation sur la rédaction de rapports Gladue offert par la faculté de droit et d’études juridiques de l’université Carleton, sous la forme d’une formationNote de bas de page 57 de cinq jours sous la direction de Jane Dickson. Les étudiants y apprennent comment préparer des rapports Gladue et doivent rédiger un rapport fictif. Le ministère du Procureur général finance aussi des préposés à l’assistance postpénale Gladue dans la plupart des endroits où se trouve un rédacteur de rapports Gladue.
Île-du-Prince-Édouard
Le Programme de justice autochtoneNote de bas de page 58 de la Mi’kmaq Confederacy of Prince Edward Island (MCPEI) coordonne la production de rapports Gladue pour les tribunaux. La MCPEI possède une liste de rédacteurs spécialement formés pour préparer des rapports Gladue sur ordonnance ou demande du tribunal (Barkaskas et al, 2019).
Québec
Depuis 2015, le Québec possède un programme structuré de rédaction de rapports Gladue; ces rapports sont ordonnés par le tribunal à la demande du juge, de l’avocat de la Couronne, de la défense ou d’un comité de justice (Barkaskas et al, 2019). Ils peuvent être demandés pour des infractions comportant une peine d’incarcération. Le greffier du tribunal saisi de la demande fait parvenir un formulaire au Centre administratif et judiciaire (CAJ) du ministère de la Justice. Le CAJ envoie la demande aux organisations responsables de la rédaction de rapports Gladue, soit par exemple le Mohawk Council of AkwesasneNote de bas de page 59, le Centre de justice des Premiers Peuples de MontréalNote de bas de page 60 (financé par le ministère de la Justice du Canada), le Conseil de la Nation AtikamekwNote de bas de page 61, les Services parajudiciaires autochtones du QuébecNote de bas de page 62 et la Société Makivvik du NunavikNote de bas de page 63 qui sont financés par le ministère de la Justice du Québec. En outre, le département de la Justice et des Services correctionnels du gouvernement de la Nation crieNote de bas de page 64 offre des services de rédaction de rapports Gladue et une formation de quatre jours sur la rédaction de ces rapports.
Saskatchewan
En Saskatchewan, la défense ou le contrevenant ne sont pas tenus de demander un rapport Gladue pour que l’information précisée dans l’arrêt Gladue soit présentée au tribunal : les services correctionnels communautaires intègrent cette information dans tous les RPS visant des contrevenants autochtones. Si le tribunal estime que les renseignements contenus dans le RPS sont insuffisants, il demandera un rapport complémentaire ou un rapport Gladue distinct rédigé par un tiers indépendant. Le nombre de rapports indépendants ordonnés chaque année est minime. Les tribunaux de la province, dont la Cour d’appel, ont approuvé cette mesure dans de nombreuses décisions. En 2021, les services correctionnels communautaires de la Saskatchewan ont révisé les RPS relatifs aux contrevenants mineurs et adultes pour vérifier si les facteurs Gladue étaient traités de manière cohérente et approfondie dans ces documents. L’information relative à la cote d’évaluation des risques ne figure plus dans le corps des PR mais elle est plutôt versée en annexe. Tous les agents de probation et les intervenants communautaires auprès des jeunes reçoivent une formation bonifiée et continue sur l’application des principes Gladue dans les RPS.
Yukon
Les rapports Gladue au Yukon relevaient de la Société des services d’aide juridique du Yukon avant 2019, année où le JPS a lancé un projet pilote de rédaction de rapports Gladue financé par le gouvernement du territoire. Dans le cadre de ce projet pilote, la rédaction des rapports Gladue et la formation connexe sont prises en charge par un Comité de gestion des rapports Gladue, composé de représentants des Premières Nations et du gouvernement du Yukon, de la Société d’aide juridique du Yukon et du Service des poursuites pénales du Canada. Une fois leur formation terminée, les nouveaux rédacteurs deviennent admissibles au programme de mentorat afin d’être inscrits sur la liste des rédacteurs de rapports Gladue du CPNY. Ce sont les avocats de la défense, plutôt que les tribunaux, qui font généralement la demande de rapports Gladue auprès du ministère de la Justice du CPNY.
4.1.2 Vue générale de la rédaction de rapports Gladue et de la formation connexe au Canada
Un examen des renseignements accessibles au public a permis de découvrir qu’il y avait des organisations responsables de la rédaction de rapports Gladue dans neuf provinces et territoires, des programmes de formation sur la rédaction de ces rapports dans six provinces et territoires, ainsi qu’un programme de formation virtuelleNote de bas de page 65. Cet examen donne une vue générale des divers moyens par lesquels les programmes de rédaction de rapports Gladue et la formation connexe sont offerts dans tout le Canada.
L’approche utilisée pour donner accès aux services de rédaction de ces rapports varie d’une province ou d’un territoire à l’autre; dans certains cas, comme en Colombie-Britannique et au Yukon, le système est centralisé. Ailleurs, en Ontario par exemple, l’approche est décentralisée puisque les services de rédaction de rapports Gladue sont fournis par un grand nombre d’organisations différentes. Le mode de financement des services de rédaction varie entre les provinces et territoires; cependant, la plupart des fournisseurs sont financés par le gouvernement fédéral ou les autorités provinciales et territoriales.
On sait que 82 % des organisations qui offrent des services de rédaction de rapports Gladue sont dirigées par des Autochtones, mais il n’a pas été possible de déterminer si les rédacteurs eux-mêmes s’identifient comme appartenant aux peuples autochtones. Or l’identité des auteurs de ces rapports est importante. En effet, certaines participantes citées dans le rapport intitulé Réclamer notre pouvoir et notre place : le Rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et les filles autochtones disparues et assassinées(2019) ont exprimé leur réticence à raconter leur passé de façon transparente avec des rédacteurs qui ne sont pas autochtones et ne comprennent peut-être pas la réalité de nombreuses femmes autochtonesNote de bas de page 66. Étant donné que les rapports Gladue présentent des renseignements détaillés, les rédacteurs doivent avoir établi des liens avec les collectivités et organisations autochtones ou être en mesure de le faire (Barkaskas et al, 2019). Le vécu en tant que personne autochtone, une expertise concernant des collectivités autochtones particulières, la formation et une expérience de travail auprès des peuples ou des collectivités autochtones qui vivent certains enjeux en matière de justice pénale sont des aspects importants (Barkaskas et al, 2019). En outre, les rédacteurs doivent connaître autant l’expérience et les histoires vécues par les peuples autochtones que le colonialisme canadien (Barkaskas et al, 2019).
Pour ce qui est de la formation sur la rédaction de rapports Gladue, cinq des huit programmes sont affiliés à des établissements postsecondaires non autochtonesNote de bas de page 67. La durée des programmes et des cours de formation postsecondaire varie de dix semaines à trois ans, et les coûts atteignent entre 1 800 $ et 5 616 $; la formation peut être suivie en personne, en ligne ou en mode hybride (une combinaison des deux formats). Les programmes postsecondaires décernent des certificats aux participants une fois qu’ils ont terminé leur formation. Les programmes d’études universitaires en droit sensibilisent aussi les étudiants aux rapports Gladue et leur offrent une formation appropriée en matière de compétences culturelles.
4.2 Jurisprudence mentionnant l’arrêt Gladue
4.2.1 Vue générale des décisions et arrêts
La majeure partie des 530 décisions et arrêts examinés aux fins de la présente étude concernaient des hommes dans une proportion de 86 % et des femmes dans 13 % des cas; il y avait aussi une personne accusée bispirituelle. Dans 516 affaires, les contrevenants étaient d’âge adulte (97 %), et 14 contrevenants étaient des mineurs (3 %)Note de bas de page 68. La plupart des accusés (73 %) se retrouvaient devant le tribunal pour des infractions violentes ou gravesNote de bas de page 69, dont une forme d’agression sexuelle ou des contacts sexuels dans 34 % des cas. Les autres étaient inculpés d’infractions liées aux biens ou aux stupéfiants ou encore d’infractions non violentes (27 %). Il est important de souligner que les affaires examinées sont celles qui ont été portées devant les tribunaux et où les crimes reprochés étaient donc plus graves. Les dossiers comportant des infractions moins graves sont plus susceptibles d’être déjudiciarisés avant l’inculpation ou dirigés vers d’autres modes de résolution des différends adaptés aux peuples autochtones, entre autres le Programme de justice autochtone. Les affaires examinées étaient principalement des audiences sur la détermination de la peine (68 %), des appels (19 %), des demandes fondées sur la Charte (5 %), des enquêtes sur le cautionnement (3 %), d’autres demandes comme des requêtes (4 %) et des cas où la rédaction d’un rapport Gladue a été ordonnée (1 %). Dans 314 de ces affaires (59 %), l’identité de la victime était connue. Plus de la moitié (56 %) des victimes étaient de sexe féminin, près du tiers (32 %) étaient des hommes, une était une personne transgenre, et 11 % des cas comptaient plusieurs victimes. Dans l’ensemble des affaires examinées, 22 % (118) précisaient l’âge de la victime : il s’agissait d’un adulte dans une proportion de 84 % et d’une personne mineure dans 16 % des cas.
Quand ils appliquent les principes de détermination de la peine dans leur recherche d’une peine appropriée, les tribunaux doivent soupeser à la fois les besoins des victimes et ceux des accusés. Il en va de même pour les principes énoncés dans l’arrêt Gladue, c’est-à-dire que le juge doit prendre en considération la probabilité que les mêmes facteurs Gladue entrent en jeu autant pour la victime que pour le contrevenantNote de bas de page 70. Les questions soulevées dans le rapport final de l’Enquête nationale sur les femmes et filles autochtones disparues et assassinéesNote de bas de page 71 ont été mentionnées également par certains juges dans leur analyse des facteurs de l’arrêt Gladue applicables au contrevenantNote de bas de page 72. Cet aspect était particulièrement important dans les cas impliquant de la violence, de la violence sexuelle ou de la violence perpétrée par un partenaire intime contre des femmes et des filles autochtones. Les modifications apportées en 2019 au Code criminel ont ajouté des dispositions sur la détermination de la peine et la mise en liberté sous cautionNote de bas de page 73 qui devront aussi être prises en considération lorsqu’il y a eu violence de la part d’un partenaire intime. Toutefois, il n’est pas clair à ce moment quelle en sera l’incidence sur l’application des principes de l’arrêt Gladue lorsque les juges doivent tenir compte à la fois des besoins du contrevenant et de ceux de la victime.
4.2.2 Recours accru aux principes de l’arrêt Gladue et aux rapports Gladue
Depuis les premiers examens de l’arrêt Gladue en 2000, les tribunaux ont davantage recours aux rapports Gladue et à la prise de compte des principes Gladue. Un examen des 530 affaires des six années illustrées à la figure 2 a permis de constater que c’est après 2010 que se produit la progression la plus marquée du nombre de mentions de l’arrêt Gladue par les tribunaux. Il peut s’agir d’une conséquence des éclaircissements apportés à l’alinéa 718.2e) par l’arrêt Ipeelee, rendu en 2012. Le recours aux rapports Gladue s’est aussi intensifié : 40 % des affaires examinées mentionnaient ces rapports entre 2018 et 2021, alors qu’il n’y en avait eu juste une en 2010 (voir la figure 2). Même si la plupart des rapports Gladue ont été demandés pour guider la détermination de la peine, les tribunaux n’ont cessé d’élargir leur application des principes de l’arrêt Gladue pour tenir compte de ces principes dans les appels, le contrôle judiciaire de décisions administratives, l’audition de demandes relatives aux PMONote de bas de page 74 et d’autres types de demandes ou de requêtes adressées aux tribunauxNote de bas de page 75.
Figure 2 : Nombre total de cas examinés et de rapports Gladue mentionnés entre 2000 et 2021
Figure 2 : Nombre total de cas examinés et de rapports Gladue mentionnés entre 2000 et 2021 – Version texte
Un graphique à colonnes des années au cours de la période d’étude (2000, 2010, 2018, 2019, 2020, 2021) représentant une comparaison entre le nombre total de cas examinés par année d’étude et le nombre total de rapports Gladue mentionnés au cours de chaque année d’étude. Il y a deux colonnes pour chaque année. La colonne verte représente le nombre total de cas examinés et la colonne bleue représente le nombre total de rapports Gladue mentionnés.
La première année est l’année 2000. La première colonne est verte et indique 9 cas et la deuxième colonne est bleue et indique 0 rapport Gladue.
La deuxième année est l’année 2010. La première colonne est verte et indique 24 cas et la deuxième colonne est bleue et indique 1 rapport Gladue.
La troisième année est l’année 2018. La première colonne est verte et indique 85 cas et la deuxième colonne est bleue et indique 18 rapports Gladue.
La quatrième année est l’année 2019. La première colonne est verte et indique 149 cas et la deuxième colonne est bleue et indique 67 rapports Gladue.
La cinquième année est l’année 2020. La première colonne est verte et indique 154 cas et la deuxième colonne est bleue et indique 76 rapports Gladue.
La sixième année est l’année 2021. La première colonne est verte et indique 109 cas et la deuxième colonne est bleue et indique 39 rapports Gladue.
Les tribunaux se sont reportés aux principes de l’arrêt Gladue lors de l’examen des atteintes aux droits garantis par la Charte et ont souligné que ces principes doivent être appliqués indépendamment de la gravité de l’infraction. Les rapports Gladue ont aussi été utilisés dans la plupart des contestations des PMO fondées sur la Charte. Toutefois, le recours à ces rapports n’était pas uniforme quand le tribunal effectuait le contrôle judiciaire d’une enquête sur le cautionnement ou d’une demande de désignation de délinquant dangereux ou de délinquant à longue durée, même si ces instances ont de lourdes conséquences sur les contrevenants, car elles peuvent influer sur la durée de la peine infligée et/ou de la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle.
Certaines des demandes fondées sur la Charte visaient à contesterNote de bas de page 76 les dispositions du Code criminel sur les PMO en matière d’armes à feu. Entre 2007 et 2017, la proportion des contrevenants autochtones admis dans un établissement de détention fédéral pour une infraction liée aux armes à feu passible d’une PMO a grimpé de 18 à 40 % (ministère de la Justice du Canada, 2017b). Les contestations fondées sur la Charte visant les PMO en matière d’armes à feu ont été relevées avec succès dans la plupart des provinces et territoires : les tribunaux ont déclaré que ces peines obligatoires étaient inapplicables et ont ensuite modifié ou réduit les sanctions imposées. En outre, les contestations fondées sur la Charte visant les PMO infligées en cas d’infractions liées aux stupéfiants ont aussi été couronnées de succès, les tribunaux les jugeant inapplicables, ce qui a eu des effets similaires sur les peinesNote de bas de page 77. À la fin de l’année 2022, le projet de loi C-5, Loi modifiant le Code criminel et la Loi réglementant certaines drogues et autres substances, a reçu la sanction royale; il a abrogé 11 PMO en matière d’armes à feu et d’autres PMO visant des infractions liées aux stupéfiants. Le législateur a affirmé expressément dans le projet de loi C-5 que l’abrogation des PMO en matière d’armes à feu avait notamment pour but de remédier à la surreprésentation des peuples autochtones dans les établissements correctionnels. Ceci est conforme aux constatations faites au cours de la présente étude pour la période visée, à savoir que les tribunaux ont déclaré certaines PMO inapplicablesNote de bas de page 78.
Figure 3 : Utilisation accrue des rapports et des principes Gladue mentionnés dans les décisions judiciaires, par type de décision, entre 2000 et 2020
Figure 3 : Utilisation accrue des rapports et des principes Gladue mentionnés dans les décisions judiciaires, par type de décision, entre 2000 et 2020 – Version texte
Un graphique à colonnes du nombre de rapports et de principes Gladue qui ont été mentionnés dans les cas par type de décision entre 2000 et 2020. Il y a deux colonnes pour chaque type de décision pour les deux années (2000 et 2020). La colonne verte représente l’année 2000 et la colonne bleue représente l’année 2020.
Le premier type de décision est celui de la détermination de la peine. La première colonne est verte pour l’année 2000 et indique 5 cas et la deuxième colonne est bleue pour l’année 2020 et indique 96 cas.
Le deuxième type de décision est celui des applications de la Charte. La première colonne est verte pour l’année 2000 et indique 1 cas et la deuxième colonne est bleue pour l’année 2020 et indique 3 cas.
Le troisième type de décision est celui de l’appel. La première colonne est verte pour l’année 2000 et indique 2 cas et la deuxième colonne est bleue pour l’année 2020 et indique 40 cas.
Le quatrième type de décision est celui de la mise en liberté sous caution. La première colonne est verte pour l’année 2000 et indique 0 cas et la deuxième colonne est bleue pour l’année 2020 et indique 8 cas.
Le cinquième type de décision est celui de l’arrêt Gladue. La première colonne est verte pour l’année 2000 et indique 1 cas et la deuxième colonne est bleue pour l’année 2020 et indique 2 cas.
Le sixième type de décision est celui d’autres applications. La première colonne est verte pour l’année 2000 et indique 0 cas et la deuxième colonne est bleue pour l’année 2020 et indique 5 cas.
Malgré une baisse du nombre d’affaires instruites durant les deux dernières années de la période visée par l’étude, en raison de la fermeture des tribunaux et des délais occasionnés par la pandémie de COVID-19Note de bas de page 79, les tribunaux ont élargi leur utilisation des rapports Gladue et l’application des principes connexes dans leur processus décisionnel entre 2000 et 2020 (voir la figure 3). La hausse la plus marquée s’est produite dans le cadre de la détermination de la peine à la suite de demandes fondées sur la Charte, d’appels relatifs à des enquêtes sur le cautionnement et d’autres types de décisions. Globalement, toutefois, c’est en matière de détermination de la peine, puis dans les appels, qu’on constate l’augmentation la plus notable du nombre de mentions des principes et des rapports Gladue.
4.2.3 Augmentation de l’utilisation des déclarations des victimes et des déclarations des répercussions sur la collectivité
Dans la recherche d’un équilibre entre les besoins des victimes et ceux des contrevenants, il est important de comprendre la relation entre l’accusé et sa victime ainsi que leurs liens avec la collectivité. Les déclarations de la victime (DV) et les déclarations des répercussions sur la collectivité (DRC) représentent des éléments dont peuvent tenir compte les tribunaux lorsqu’ils veulent rendre la décision appropriée dans le cas d’un contrevenant. Dans l’ensemble, 29 % (155 affaires) des décisions et arrêts rendus pendant la période d’étude comportaient une DV (94 %) et/ou une DRC (6 %). Durant la période visée par l’examen, l’utilisation des DV, des DRC et des témoignages s’est accélérée dès 2010Note de bas de page 80 (voir la figure 4). Divers facteurs peuvent expliquer cette progression, dont une plus grande sensibilisation à l’importance des DV et des DRC au cours des années écoulées, de même que la promulgation de la Canadian Charter des droits des victimes en 2015Note de bas de page 81. En outre, il y a eu une baisse du nombre de ces déclarations à partir de 2020 qui peut être attribuable aux fermetures des tribunaux et aux restrictions imposées durant la pandémie de COVID-19Note de bas de page 82.
Figure 4 : Nombre de déclarations relatives aux répercussions sur les victimes et les collectivités comprises dans les cas examinés entre 2020 et 2021
Figure 4 : Nombre de déclarations relatives aux répercussions sur les victimes et les collectivités comprises dans les cas examinés entre 2020 et 2021 – Version texte
Un graphique linéaire avec une ligne horizontale. L’axe des x présente les années 2000 à 2021 par tranches de 3 ans (2000, 2003, 2006, 2009, 2012, 2015, 2018, 2021). L’axe des y présente des nombres de 0 à 50 qui augmentent par tranches de 5.
À partir de l’année 2000, il y a une ligne verte avec des points à différentes années avec un nombre au-dessus du point indiquant le nombre de déclarations des victimes et des communautés. Cette ligne passe de 2 en 2000 à 8 en 2010. Elle passe encore à 32 en 2018 et à 48 en 2019. Puis, la ligne baisse à 34 en 2020 et baisse encore à 31 en 2021.
4.2.4 Disponibilité des rapports Gladue
La plupart des décisions et arrêts examinés (60 %) ne comportaient pas de rapport Gladue. Dans ces affaires, s’il y avait mention d’un rapport Gladue, c’était pour souligner qu’aucun rapport n’avait été ou ne serait présenté au tribunal. Diverses raisons ont été invoquées pour ne pas inclure un rapport Gladue, par exemple un manque de ressources ou de services pour préparer un rapport Gladue ou le fait que le tribunal a décidé qu’un tel rapport n’était pas nécessaire.
Capacité de préparer des rapports Gladue
Même si un tribunal demandait un rapport Gladue, il est possible qu’aucun rédacteur dûment formé ne soit disponible dans la région au moment de la demande. Peu importe l’organisation ou la personne qui prépare le rapport Gladue (p. ex., une organisation communautaire, un rédacteur indépendant ou un fournisseur financé par l’État), la capacité ou la possibilité de préparer un tel rapport dépendait de la disponibilité des ressources à cette fin. Si c’était le contrevenant autochtone qui demandait un rapport Gladue, et non pas le tribunal, il devait payer lui-même pour la rédaction et la présentation du rapport. En règle générale, l’information relative à la disponibilité des rapports Gladue ou à la capacité de les préparer était transmise au tribunal une fois qu’une demande pour un tel rapport avait été présentée ou qu’une ordonnance à cet égard avait été prononcée. Cette information était ensuite consignée dans le dossier et permettait d’expliquer pourquoi aucun rapport n’avait été préparé.
Nécessité des rapports
Les tribunaux ont avancé diverses raisons pour justifier les demandes de rapports Gladue, et la façon dont les juges ont utilisé ces rapports pour rendre leurs décisions. Dans certaines provinces et certains territoires, les juges ont invoqué des décisions datant du début des années 2000, où les tribunaux avaient estimé que les rapports Gladue n’étaient pas essentiels lors de la détermination de la peine et devaient donc être ordonnés seulement dans des circonstances exceptionnellesNote de bas de page 83. Qui plus est, des décisions limitant la nécessité de disposer d’un rapport Gladue ont mené certains tribunaux récemment à rejeter les demandes présentées par des contrevenants autochtones afin d’obtenir un tel rapport (0,009 % ou 5 affaires).
Autres moyens d’information
Dans certains cas, même quand ils ont jugé que les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue étaient pertinents, les tribunaux ont considéré qu’un rapport Gladue serait inutile parce que l’information pouvait être obtenue par d’autres moyens. Les RPS comportant des sections où sont décrits les facteurs de l’arrêt Gladue ou encore des observations orales ou écrites présentées par les avocats de la défense ou les contrevenants autochtones ont servi de solutions de rechange à un rapport Gladue. Ces autres moyens d’information, qui ont été fournis dans la plupart des cas, contenaient peu de renseignements sur les origines autochtones des contrevenants. Les tribunaux ont formulé des commentaires notables sur l’étendue de l’information trouvée dans ces autres moyens : selon eux, les renseignements présentés étaient rares ou considérablement inadéquats. Lorsqu’aucun rapport Gladue n’était attendu et que les autres moyens d’information étaient jugés inadéquats, les tribunaux ont ordonné que les RPS soient étoffés par l’ajout d’informations avant de rendre leurs décisions. En outre, même quand les tribunaux étaient au fait des lacunes dans les RPS, bon nombre n’ont pas ordonné la rédaction de rapports Gladue aux frais de l’État, car ils estimaient qu’une telle ordonnance devait être délivrée [traduction] « avec parcimonie et prudence, en raison de circonstances précises et exceptionnellesNote de bas de page 84 ».
Rapports présentenciels
Selon l’article 721 du Code criminelNote de bas de page 85, le RPS est demandé par le contrevenant ou ordonné par le tribunal. Ce rapport n’est pas obligatoire, mais il est habituellement préparé dans les cas plus graves, et il l’est presque toujours si une peine d’emprisonnement est envisagée (Maurutto 2020). Dans 45 % des décisions et arrêts examinés (241 affaires), un RPS faisait partie des documents présentés ou mentionnés dans le dossier de l’instance. Comme pour le rapport Gladue, le juge a le pouvoir discrétionnaire de refuser l’ordonnance d’un RPS s’il estime qu’il possède suffisamment de renseignements sur les origines du contrevenant ou qu’un RP n’est pas nécessaire. Le contrevenant peut aussi renoncer à son droit de demander un RPS ou une ordonnance en vue d’obtenir un RPS.
Refus de demander un rapport Gladue ou renonciation à obtenir un tel rapport
Bon nombre des décisions et des arrêts examinés ont décrit en détail les traumatismes et les facteurs historiques vécus par le contrevenant autochtone, certains tribunaux allant même jusqu’à citer des sections complètes du rapport Gladue ou du RPS. Puisqu’il est nécessaire que le contrevenant consente à la préparation d’un rapport Gladue, certains accusés semblent s’être montrés réticents à fournir des informations de base, soulignant qu’il était traumatisant pour eux de revivre leur passé, surtout dans le cadre d’une audience judiciaire publique. Dans certains cas, les tribunaux ont bel et bien mentionné que l’ajout de ces renseignements au dossier pouvait provoquer de nouveaux traumatismes chez le contrevenant, tandis que d’autres ont jugé que ce n’était pas dans l’intérêt du contrevenant de limiter la description de ces traumatismes. Il faut souligner que, d’après notre examen, certains contrevenants ou leurs avocats (0,013 % de l’échantillon ou 7 affaires) ont refusé de demander un rapport Gladue, même après que cette possibilité leur a été proposée par le tribunal, ou ont renoncé à en obtenir un parce que le processus de rédaction risquait de retarder la détermination de la peine et de prolonger la durée de l’incarcération (détention provisoire).
Manque d’uniformité dans les rapports
Les tribunaux ont signalé par ailleurs un problème d’uniformité et l’absence de normes nationales en ce qui a trait aux rapports Gladue entre les tribunaux ou d’un territoire ou d’une province à l’autre. Certains hésitaient à utiliser les rapports Gladue à cause de différences dans la formation des rédacteurs et du fait que les contrevenants étaient considérés comme des « clients », de sorte que les auteurs des rapports étaient placés dans un rôle de sympathisant et non d’un tiers objectifNote de bas de page 86. Plus particulièrement, au moment de décider si l’information contenue dans un RPS suffisait pour rendre un rapport Gladue superflu, il est arrivé qu’un tribunal estime, devant l’absence de normes nationales régissant les rapports Gladue, que rien ne permettait de conclure que le RPS était inadéquatNote de bas de page 87.
4.2.5 Application des principes de l’arrêt Gladue
Peu importe qu’un rapport Gladue soit utilisé ou pas, les tribunaux appliquaient à divers degrés les principes de l’arrêt Gladue dans les affaires examinées. Au minimum, les tribunaux ont tenu compte de ces principes en prenant connaissance d’officeNote de bas de page 88 des traumatismes intergénérationnels et d’autres facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue vécus par le contrevenantNote de bas de page 89.
Dans l’arrêt Ipeelee, la CSC a estimé que les tribunaux pouvaient prendre connaissance d’office des facteurs systémiques et historiques ayant une incidence préjudiciable sur les peuples autochtones du Canada. Toutefois, l’examen des décisions et des arrêts dans la présente étude montre que la connaissance d’office, en pratique, a pu avoir limité l’analyse du tribunal quant à la manière dont ces facteurs s’appliquaient à l’affaire dont il était saisi. En effet, lorsque le juge avait pris connaissance d’office de ces facteurs de façon générale, aucune analyse des facteurs Gladue présents dans la situation de l’accusé n’a été consignée. Les tribunaux n’ont guère fourni plus qu’une note au dossier concernant l’origine autochtone du contrevenant et le fait que, conformément à l’alinéa 718.2e), ils prendraient connaissance d’office des facteurs historiques ayant pu avoir une incidence préjudiciable sur le contrevenantNote de bas de page 90.
Par conséquent, il n’y a pas eu d’examen individualisé des facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue propres au contrevenant autochtone devant le tribunal. Même quand un rapport Gladue était présenté, l’analyse de son contenu à la lumière des principes de l’arrêt Gladue était limitée : soit que le tribunal ne s’attardait pas suffisamment à la situation particulière du contrevenant en ne tenant pas compte de la manière dont ces facteurs avaient influé sur le contrevenant et ses antécédents criminels, soit qu’il n’analysait pas la possibilité que ces facteurs justifient d’infliger au contrevenant une peine autre que l’incarcérationNote de bas de page 91.
Dans certains cas, les tribunaux ont simplement déclaré que les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue avaient un effet atténuantNote de bas de page 92 ou réduisaient la culpabilité morale de l’accusé d’une quelconque façon, mais sans plusNote de bas de page 93. Par ailleurs, il est arrivé que d’autres facteurs (p. ex., la santé mentale, un plaidoyer de culpabilité) soient pris en considération même dans les cas où les facteurs Gladue s’appliquaient probablementNote de bas de page 94. Le tribunal a simplement pris connaissance d’office des facteurs, mais sans analyser ni évaluer l’incidence que pourraient avoir les principes ou les facteurs Gladue sur la recherche raisonnée de la décision la plus appropriée face au contrevenant, compte tenu de l’intérêt public et de l’intérêt de l’administration de la justice.
De nombreux juges se sont reportés au paragraphe 79Note de bas de page 95 de l’arrêt Gladue pour limiter ou empêcher le recours aux principes de l’arrêt GladueNote de bas de page 96 dans leur décision sur la détermination de la peine dans le cas d’infractions graves et dans d’autres instances, notamment la demande de désignation de délinquant dangereux. Par conséquent, des contrevenants autochtones se sont vu infliger les mêmes peines que des non-Autochtones. C’est ce qui s’est produit même quand un rapport Gladue ou d’autres documents (évaluation psychiatrique, document d’évaluation ou d’information) présentés au tribunal faisaient état de facteurs mentionnés dans l’arrêt Gladue (alcoolisme, traumatismes antérieurs, violences physiques ou sexuelles) qui étaient pertinents au regard des gestes posés par le contrevenant autochtone.
Dans certaines décisions moins récentes, il est arrivé même que des juges infirment la décision d’une juridiction inférieure qui aurait, selon eux, accordé une importance démesurée aux facteurs de l’arrêt Gladue applicables à la situation du contrevenant et pas assez aux principes de dissuasion et de dénonciationNote de bas de page 97. Il est important de souligner, cependant, que ces décisions sont une des raisons pour lesquelles la CSC a apporté des précisions dans l’arrêt R c Ipeelee en 2012. Au cours de la dernière décennie, il y a eu une évolution dans la sphère judiciaire : certains tribunaux sont parvenus à la conclusion qu’il était erroné d’invoquer ce paragraphe puisqu’il n’était pas conforme aux objectifs et à l’intention de l’arrêt Gladue. Cet argument a joué un rôle, par exemple, dans un arrêt où la Cour d’appel de l’Ontario a décidé, en 2019, d’annuler une peine pour infliger une sanction d’une durée plus appropriéeNote de bas de page 98.
Dans les décisions et arrêts examinés, 23 % des tribunaux avaient réduit ou modifié les peines après avoir appliqué les principes de l’arrêt Gladue et, dans 39 % de ces affaires, un rapport Gladue a été présenté. Dans certains cas, lorsque le tribunal a expressément pris connaissance d’office des facteurs de l’arrêt Gladue applicables au contrevenant (0,05 % de l’échantillon ou 21 affaires) ou que ces facteurs sont consignés, les peines ont été quelque peu réduites. Quand une peine d’emprisonnement moins sévère a été prononcée, la durée totale de la peine à purger a été raccourcie (7,5 mois au lieu de 15 mois, ou 9,5 années au lieu de 10), il y a eu sursis à l’exécution du reste de la peine (c’est-à-dire que la peine a été limitée au temps déjà purgé)Note de bas de page 99, la période d’inadmissibilité à la libération conditionnelle ou de probation a été réduite, ou les conditions de mise en liberté sous caution ont été modifiéesNote de bas de page 100. Diverses modifications ont été apportées aux peines infligées : octroi du sursis conformément à l’article 742 du Code criminel (s’il y avait lieu) au lieu de l’incarcération, possibilité de purger la peine d’emprisonnement de façon discontinue au sein de la collectivité du contrevenant, ou suspension de la peine.
Dans les cas où une décision de mise en liberté sous caution a été prise, certains tribunaux ont permis que la mise en liberté sous caution soit accordée, en se fondant sur les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue applicables à la situation du contrevenant. Les tribunaux ont tenu compte de ce qui suit dans leurs décisions lorsqu’ils ont procédé à une analyse approfondie au regard de l’arrêt Gladue : les programmes disponiblesNote de bas de page 101, la proximité d’établissements de garde dans la collectivité du contrevenant, et la possibilité que ce dernier puisse accéder à des ressources pour sa réinsertion sociale et sa réadaptation. Les tribunaux étaient aussi enclins à envoyer le contrevenant purger sa peine dans des pavillons de guérison ou des centres de traitementNote de bas de page 102, si ces installations existaient.
Ces analyses ont comporté une discussion détaillée de l’incidence des facteurs Gladue sur le contrevenant autochtone ainsi que des mesures que pourrait ordonner le tribunal et qui serviraient au mieux les intérêts de tous : le public, l’administration de la justice et le contrevenant. Dans nombre de ces cas, les juges ont mentionné la disponibilité (ou l’absence) de ressources destinées au contrevenant autochtone qui offraient des programmes adaptés aux Autochtones, notamment les thérapies propres aux cultures autochtones, les cérémonies ou les programmes de garde (p. ex., dans des centres de traitement ou des huttes de sudation)Note de bas de page 103.
De plus, certains tribunaux étaient conscients des enjeux de proximité par rapport à la collectivité du contrevenant autochtone lorsque venait le moment de choisir l’endroit où ce dernier pourrait purger sa peine d’emprisonnement. Il n’était pas toujours possible pour le contrevenant autochtone d’être incarcéré proche de sa collectivité, en raison de la distance à laquelle étaient situés les centres de détention ou de l’absence de ressources et de programmes dans les centres qui se trouvaient près de chez luiNote de bas de page 104.
4.2.6 Différences entre les dossiers d’adultes et les dossiers d’adolescents
Les rapports Gladue ont été utilisés dans 36 % des décisions touchant des adolescents (14 affaires) rendues pendant la période d’étude, contre 38 % d’adultes (516 affaires). La moitié des décisions relatives aux personnes mineures concernaient la détermination de la peine, d’autres étaient des appels visant la peine infligée, une enquête sur le cautionnement, et une audience au sujet d’une demande de rapport Gladue. Toutefois, malgré le petit nombre d’affaires, les principes et facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue ont été examinés ou appliqués à l’égard des contrevenants adolescents plus uniformément que lorsque les accusés étaient des adultes, probablement parce que la Loi sur le système de justice pénale pour les adolescents oblige le juge à envisager toutes les sanctions possibles autres que la mise sous garde, particulièrement en ce qui a trait aux jeunes AutochtonesNote de bas de page 105. Dans les faits, même si aucun rapport Gladue n’était présenté dans le dossier d’un accusé mineur d’origine autochtone, les facteurs historiques touchant ce dernier et d’autres éléments ont pu avoir été transmis au tribunal dans des documents ou des déclarations des intervenants, de l’avocat de la défense, des policiers ou d’autres parties prenantes (Clark, 2016). Lorsque la Couronne demandait qu’une peine pour adulte soit infligée, le tribunal a pris en considération les principes et les facteurs énoncés dans l’arrêt Gladue qui s’appliquaient à la situation du jeune contrevenant. Il était encore possible, malgré tout, que le jeune Autochtone se voit infliger une peine pour adulte selon les circonstances atténuantes du dossierNote de bas de page 106.
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