Les personnes atteintes de maladie mentale - Comment elles se sont retrouvées dans le système de justice pénale et comment nous pourrions les sortir de là

7. Que faire?

La surreprésentation des personnes atteintes de maladie mentale dans le système de justice pénale est attribuable à une multitude de facteurs. À mon avis, la solution doit aussi comporter de multiples facettes pour être efficace. Il est reconnu que, selon la Constitution, les soins de santé relèvent des provinces et des territoires, mais, étant donné que le problème de la surreprésentation des personnes atteintes de maladie mentale dans le système de justice pénale concerne largement la « transinstitutionnalisation », les solutions doivent aussi faire appel au système civil de santé mentale ordinaire.

7.1 Investir dans les soins de santé mentale provinciaux et territoriaux

Nous savons que la proportion de notre population qui est atteinte de maladie mentale restera stable au cours des prochaines années, peu importe les cultures et les administrations. Lorsqu’elles surviennent, les différences sont attribuables à la reconnaissance ou au signalement des troubles plutôt qu’à leur existence réelle. De même, la proportion de cette population qui posera des problèmes de gestion à la société restera constante au fil des années. Ce qui changera en raison des politiques ou d’une évolution non souhaitée est la manière dont, en tant que société, nous choisissons de répondre au problème. Le problème sera-t-il réglé si de nouveaux efforts sont déployés en matière de soins de santé ou laisserons-nous le problème continuer de se répandre dans ce système et dans le système de justice pénale? Il faudra trancher. Je suis d’avis que nous ne devrions pas continuer d’élargir le rôle de principaux fournisseurs de soins de santé mentale des tribunaux et du système de justice pénale.

Il en coûte beaucoup moins cher, est plus humain et est plus approprié de faire en sorte que les personnes atteintes de maladie mentale soient prises en charge à la première occasion par le système civil de santé mentale. La meilleure façon d’éviter que le nombre d’accusés atteints de troubles mentaux dans les tribunaux criminels augmente consiste à améliorer le système civil de santé mentale dans les provinces et les territoires. La principale solution au problème est donc un réinvestissement dans ce système. Ce sont les défaillances de ce système que nous constatons dans le système de justice pénale. Dans les affaires concernant des actes d’une extrême violence – les affaires qui font la manchette – commis par des personnes dont les troubles mentaux n’ont jamais fait l’objet d’un traitementFootnote 9, il est presque certain que ces personnes ont eu des contacts avec le système civil de santé mentale, mais qu’elles ont été autorisées à sortir de l’hôpital ou qu’elles se sont enfuies de l’hôpital. Il est alarmant de noter que, dans de nombreux cas, les rapports avec le système civil de santé mentale ont eu lieu quelques jours avant que l’infraction très grave soit commise.

La notion de « système civil de santé mentale » inclut l’obligation d’héberger les personnes atteintes de maladie mentale et de leur offrir le soutien dont elles ont besoin. Le sans-abrisme au sein de cette population est un énorme problème. L’aide apportée aux gouvernements provinciaux et aux administrations municipales afin qu’ils soient en mesure d’assurer ce soutien entraînera inévitablement un bon taux de rendement du capital investi, soit moins de personnes atteintes de maladie mentale entrant dans le système de justice pénale. Cet enjeu ne concerne pas seulement le système de santé, mais aussi les ministères responsables de la sécurité publique, de l’application de la loi et de la justice pénale.

Le gouvernement fédéral a de bonnes raisons sur le plan de la rentabilité d’investir dans les systèmes civils de santé mentale des provinces et des territoires. Comme il a été mentionné précédemment, il faut déterminer quels mécanismes conviennent le mieux pour surveiller cette population. Des sommes d’argent sont économisées, les pronostics s’améliorent et le risque de récidive est moins important si les provinces et les territoires peuvent gérer la maladie mentale avant qu’elle se transforme en quelque chose qui exige l’intervention du système de justice pénale. Les rues et les communautés seront ainsi plus sûres, conformément aux objectifs publiés par le gouvernement fédéral, et il en coûtera moins cher pour accroître la sécurité.

7.2  Élargir la portée des programmes de déjudiciarisation : renvoyer rapidement le nouveau patient nécessitant des soins de psychiatrie légale dans le système civil

Différentes administrations au CanadaFootnote 10 ont créé des « programmes de déjudiciarisation » dans le but de favoriser la déjudiciarisation ou le transfert des délinquants atteints de troubles mentaux du système de justice pénale aux services civils de santé mentale. Il peut y avoir déjudiciarisation lorsque l’infraction est de gravité mineure à moyenne et est le résultat direct d’un trouble mental. Certains autres critères doivent être remplis, notamment le fait que la sécurité du public n’est pas compromise, que le trouble mental se prête à un traitement et que l’établissement de santé mentale ou le médecin proposés s’engagent à accepter l’accusé.

La déjudiciarisation peut survenir à différents moments pendant les procédures, notamment avant la première comparution de l’accusé devant le tribunal, après cette comparution, après l’enquête sur le cautionnement ou après une évaluation de l’aptitude à subir un procès et une audience.

Pour leur part, les policiers ont toujours eu la possibilité de procéder à une « déjudiciarisation avant l’arrestation ». Tout policier dispose d’un vaste pouvoir discrétionnaire lui permettant de conduire une personne atteinte de maladie mentale qu’il voie agir d’une façon désordonnée ou inappropriée dans un établissement psychiatrique afin qu’elle fasse l’objet d’une évaluation sous le régime de la loi sur la santé mentale, au lieu de porter des accusations. Cette option n’a certes pas été utilisée dans tous les cas. Les efforts de policiers bien intentionnés ont souvent été contrecarrés par le fait qu’ils devaient attendre, peut-être pendant des heures, que la personne soit évaluée – les policiers ont l’obligation de demeurer sur place jusqu’à ce que la personne puisse être laissée aux soins de l’établissement psychiatrique. Certains policiers ont été encore plus démoralisés lorsqu’ils ont appris que le patient qu’ils avaient amené à l’hôpital avait été autorisé à en sortir peu de temps après, vraisemblablement parce que l’hôpital n’était pas en mesure d’établir le niveau de risque du patient afin de le détenir contre son gré.

Les programmes de déjudiciarisation visent clairement les objectifs appropriés, mais ils ne donneront aucun résultat en l’absence de fonds et de services pour les appuyer. La surveillance et les services conventionnels sont souvent insuffisants, mais il est souvent possible de les dynamiser avec l’aide d’équipes s’occupant de programmes de déjudiciarisation et de tribunaux de santé mentale. Les médecins cliniciens et les travailleurs en santé mentale pourraient facilement collaborer et prescrire le recours à des services communautaires intensifs pour les personnes atteintes de maladie mentale chronique, en particulier les schizophrènes, qui répondraient à leurs besoins médicaux, psychosociaux et en matière de santé mentale. Les programmes de ce genre offrent notamment des services médicaux et thérapeutiques, de l’aide en matière de gestion du budget et de rapports avec les services sociaux, des services de logement et des services de soutien connexes ainsi que des services de gestion des dossiers fermés qui peuvent comprendre une surveillance quotidienne et l’obligation, pour le patient, de se présenter aux autorités tous les jours. Le client peut choisir de participer à un tel programme d’abord et avant tout parce que cela lui permet d’échapper aux conséquences pénales de ses actes et à une plus grande privation de liberté, mais, plus important encore, il a la possibilité d’être de nouveau en contact avec un environnement où il pourra obtenir des soins et, en particulier, avec des personnes qui sont en mesure de gérer les nombreux aspects désagréables que les psychotiques chroniques considèrent comme des irritants, voire comme des menaces.

Les tribunaux de santé mentale et les programmes de déjudiciarisation ne font pas partie du « système » dans toutes les régions du Canada. Ils le devraient pourtant. Les personnes qui ont participé avec succès à un programme de déjudiciarisation récidivent moins souvent et de façon moins violente. Une méta-analyse canadienne récente a démontré que la récidive a été réduite de 17 % lorsque les tribunaux de santé mentale étaient intervenus au lieu des tribunaux traditionnels. Les personnes concernées changent moins souvent de logement et d’emploi et reçoivent des soins de santé plus régulièrement. De plus, elles ont moins de rapports avec la policeFootnote 11. Le gouvernement fédéral devrait participer en bonne et due forme à la promotion de ces programmes, car, comme il a été mentionné précédemment, il est très rentable de le faire. Il pourrait peut-être envisager de verser des subventions pour la création de tribunaux de santé mentale ou de programmes de déjudiciarisation. Moins de personnes atteintes de maladie mentale seront admises dans le système correctionnel si des poursuites sont évitées.

Entre temps, les dispositions du Code criminel relatives aux « mesures de rechange »Footnote 12 devraient être modifiées afin de faire expressément référence aux personnes atteintes de maladie mentale comme le fait l’alinéa 718.2e), qui mentionne les « délinquants autochtones »Footnote 13 (p. ex. « […] plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones atteints de maladie mentale »). Des modifications similaires devraient être apportées à l’article 718.2. Ces modifications (concernant les principes de détermination de la peine et les mesures de rechange) serviront à sensibiliser les juges et les avocats à l’importance d’envisager la prise de mesures alternatives à l’égard des personnes atteintes de maladie mentale, même s’il n’existe pas de programme officiel de « déjudiciarisation » dans l’administration concernée.

Lorsque les tribunaux rendent un verdict de culpabilité, ils doivent être conscients de l’inefficacité relative de la « dissuasion générale » et de la « dissuasion spécifique » et de la jurisprudence traitant de la détermination de la peine au regard des délinquants atteints de maladie mentaleFootnote 14. Il faut reconnaître que, en règle générale, le système de justice pénale aggrave la situation et le pronostic en raison de son approche traditionnelle à l’égard des comportements causés par une maladie mentale qui sont problématiques pour la société. Les principes des décisions judiciaires rendues en matière de soins devraient être adoptés en bonne et due forme par le gouvernement fédéral et être énoncés à l’article 718 du Code, de façon que des décisions constructives soient rendues par d’autres instances que les tribunaux spécialisés. La plupart des peines minimales obligatoires devraient être discrétionnaires lorsque l’accusé souffre d’un trouble mental.

7.3 Une loi fédérale sur la santé mentale

Comme chaque province ou territoire a sa propre loi de nature civile sur la santé mentale, les mesures prévues par la justice pénale à l’égard de l’application de ces lois varient d’une province ou d’un territoire à l’autre. Il y a certaines différences évidentes. Par exemple, il est possible en Ontario d’hospitaliser (interner dans un hôpital) une personne atteinte de maladie mentale sans toutefois la traiter si elle a la capacité requise pour consentir au traitement. En Colombie-Britannique, toutes les personnes assujetties à la compétence de la commission d’examen provinciale sont réputées consentir au traitement. Les lois provinciales et territoriales de nature civile sur la santé mentale recoupent inévitablement le Code criminel soit implicitement, soit, comme en Ontario, explicitement, car elles confèrent aux tribunaux criminels la compétence nécessaire pour ordonner une évaluation psychiatriqueFootnote 15. L’Ontario est ainsi la seule administration où un tribunal criminel de première instance peut ordonner une évaluation visant à l’aider à déterminer la peine qu’il convient d’infliger ou à décider s’il y a lieu de mettre l’accusé en liberté provisoire. La Loi sur la santé mentale complète l’article 672.11 du Code.

Il serait préférable, à tout le moins lorsque la loi en matière civile sur la santé mentale et le Code se recoupent, d’avoir une certaine uniformité au Canada, par exemple en adoptant une loi fédérale sur la santé mentale qui s’appliquerait dans le domaine des soins de santé, lequel relève de la province (selon la Constitution), uniquement dans la mesure nécessaire pour rendre le droit pénal uniforme à l’échelle du Canada. Il existe des exemples d’empiètement de ce genre par le système de justice pénale, notamment le fait que les tribunaux criminels peuvent ordonner à un accusé inapte à subir un procès de se soumettre à un traitement contre son gré.

Il serait utile, pour les raisons exposées ci-dessus, que l’hospitalisation soit fondée sur la maladie et sur l’absence de prise de conscience (et aussi sur le risque – ou, peut-être, plutôt que sur le risque), bien que cela ne puisse peut-être pas se faire facilement. La plupart des personnes reconnaîtraient qu’un système d’interventions fondé sur le risque est très intéressant en théorie. En effet, pourquoi porter atteinte à la liberté d’une personne si celle-ci n’est pas dangereuse? Or, la théorie fait en sorte que la question de savoir qui est dangereux et qui ne l’est pas relève de la compétence des professionnels de la santé mentale. Il est impossible d’établir le risque avec certitude. Selon certaines personnes, malgré l’existence d’une industrie qui se consacre à cette entreprise, les prédictions formulées à l’égard de personnes plutôt que de groupes ne reposent que sur la chance. Bien entendu, lorsqu’une personne qui ne représente en fait aucun risque est détenue à cause d’une évaluation erronée selon laquelle elle représente un risque dans les faits, l’erreur est très difficile à détecter. Le contraire est bien trop évident.

Il y a principalement trois raisons qui expliquent pourquoi les systèmes civils de santé mentale ne répondent pas adéquatement aux besoins d’un patient :

  1. le critère fondé sur le risque;
  2. l’incapacité de traiter contre leur gré les personnes qui sont hospitalisées, mais qui sont saines d’esprit; (ces deux raisons devraient être fusionnées)
  3. la sortie de l’hôpital est autorisée trop tôt. Les patients sont autorisés à quitter l’hôpital dès que les critères prévus par la loi sont remplis, mais avant que leur état soit suffisamment stabilisé ou qu’ils aient suffisamment pris conscience de ce qu’ils ont fait pour que le traitement et la stabilité soient assurés.

Il est largement reconnu que ces défaillances créent un filet civil qui est plutôt sujet aux fuites à cause desquelles un grand nombre de personnes atteintes de maladie mentale sont envoyées dans le système de justice pénale.

Des mesures visant à corriger le critère de compétence seraient lourdes de conséquences sur le plan politique et seraient problématiques sur le plan juridique. Par ailleurs, si nous voulons que le nombre de personnes atteintes de maladie mentale qui se retrouvent dans le système de justice pénale diminue, nous devons avoir des systèmes de santé provinciaux et territoriaux qui traitent adéquatement ces personnes. Comme il a été mentionné précédemment, la population doit être prise en charge par l’un ou l’autre système. Les provinces et les territoires peuvent avoir besoin de fonds pour améliorer leurs systèmes de santé mentale, à la fois en ce qui touche aux ressources et aux dispositions législatives. On ignore dans quelle mesure les modifications législatives peuvent être liées au financement.

7.4  Partie XX.1 du Code criminel

Lorsqu’une personne commet un crime parce que sa maladie mentale n’a pas été traitée, il est généralement préférable que, en plaidant la NRC, elle demande la mesure de réadaptation qu’elle veut obtenir. Les personnes qui agissent de la sorte obtiennent, du point de vue de la sécurité publique, des résultats beaucoup plus grands que celles qui continuent de faire l’objet de poursuites. Leur réinsertion dans la communauté est graduelle et surveillée; ces personnes obtiennent du soutien et le processus est marqué par la prudence. Il en est tout autrement lorsqu’une personne a purgé sa peine dans le système régulier des poursuites et que le mandat expire. En outre, le risque de récidive est alors beaucoup plus grand.

La question de savoir si une personne devrait se prévaloir d’un verdict de NRC relève nettement de la stratégie et dépend notamment de l’issue probable des poursuites. En d’autres termes, quelle voie – celle offerte par le système des commissions d’examen ou celle offerte par le système régulier des poursuites (prisons, services correctionnels, libération conditionnelle, etc.) – sera la plus optimale? Nous savons que les avocats détourneront leurs clients des verdicts de NRC lorsque les conséquences pourraient être dramatiques. Dans la mesure où cela se produit, nos rues et nos communautés deviennent moins sûres. Par suite de la proclamation du projet de loi C-14 (Loi sur la réforme de la non-responsabilité criminelle, qui est entrée en vigueur en juillet 2014), la possibilité de conséquences dramatiques découle du Code criminel, ce qui augmente la probabilité que les délinquants atteints de maladie mentale échappent à l’application des dispositions d’autrefois sur la réadaptation et se retrouvent dans les prisons et les établissements correctionnels plutôt que dans les hôpitauxFootnote 16. Différentes enquêtes, notamment celle sur Ashley Smith, ont démontré que la vie en prison des personnes atteintes de maladie mentale est particulièrement difficile, comme il a été mentionné plusieurs fois ci-dessus. En effet, l’état de ces personnes s’aggrave et leurs chances de réadaptation diminuent, alors que la probabilité qu’elles aient des difficultés dans l’avenir augmente. Il est ironique de penser que, par suite de l’adoption du projet de loi C-14, la « surreprésentation des personnes atteintes de maladie mentale dans le système de justice pénale » pourrait s’aggraver.

7.5 Permettre le changement en adoptant une loi fédérale efficace

La Commission de la santé mentale du Canada a merveilleusement bien travaillé, mais elle s’est bornée à énoncer des idéaux. Elle a financé des recherches très utiles et a rédigé des documents stratégiques. La commission actuelle est un projet financé qui prendra fin en 2017. À l’heure actuelle, son avenir est incertain en ce qui touche 1) à son existence, 2) à son mandat et 3) à son financement. En conséquence, il lui est difficile de prendre des engagements significatifs à long terme. Par définition, la réalisation d’un projet d’une durée déterminée cesse de se dérouler rondement lorsque sa date d’expiration approche.

Il est recommandé, comme le prévoit le projet de loi S-208(2e session, 41e législature, 62 Elizabeth II, 2013), que soit constituée une commission (la « Commission canadienne de la santé mentale et de la justice »), qui aurait le mandat non seulement de financer la recherche et de générer des stratégies, mais aussi de jouer un rôle dans la mise en œuvre des changements sur le terrain. La prochaine série d’efforts doit servir à mettre en œuvre les stratégies, notamment en donnant des conseils, en créant des liens avec d’autres organismes gouvernementaux et en élaborant des plans d’action fondés sur des données probantes qui pourraient être surveillés par la Commission ou mis en œuvre en collaboration avec elle. Toutes ces mesures visent à créer des systèmes qui réduisent le risque que des personnes atteintes de maladie mentale se retrouvent dans le système de justice pénale.