Une opinion sur la réforme des principes et de l’objectif du prononcé des peines

718.1 – Proportionnalité

La proportionnalité est un principe efficace en ce sens qu’il permet à un juge d’examiner que « la peine est proportionnelle à la gravité de l’infraction et au degré de responsabilité du délinquant ». En théorie, il s’agit d’un excellent principe en théorie; toutefois, en pratique, il pose quelques problèmes. Une des difficultés a été admise en 1995 lorsque le projet de loi C-41 était en cours de présentation. Les chercheurs Julian Roberts et Andrew von Hirsch avançaient les éléments suivants sur la question au moment où la proportionnalité était en cours de rédaction :

[traduction] « Le défi que rencontrent les rédacteurs d’un énoncé sur l’objectif et le principe de détermination des peines consiste à concilier des visées différentes et souvent incompatibles. La tâche n’est pas impossible, sans forcément non plus favoriser un seul objectif de détermination des peines au détriment de tous les autres. » Note de bas de la page 37

Bien que cet énoncé soit vrai, il nous faudrait retourner en arrière et interroger directement aux juges sur la difficulté qu’ils éprouvent à essayer d’appliquer cette théorie compliquée au moment de déterminer la peine imposée à un délinquant.

Une des craintes constatée par Roberts et von Hirsh il y a 20 ans était que ce principe serait contourné par des visées utilitaristes, Note de bas de la page 38 et ils laissaient entendre que pour éviter ce phénomène, il était possible de promouvoir un des dix objectifs de détermination des peines (bien qu’il y en ait plus aujourd’hui) dans le principe de proportionnalité. La crainte était que les visées utilitaristes l’emporteraient sur la proportionnalité. Note de bas de la page 39 Jusqu’ici nous voyons déjà beaucoup d’objectifs qui relèveraient de la théorie utilitariste comme l’empêchement (isolement), la dissuasion et la dénonciation. Dans une certaine mesure, la justice réparatrice pourrait aussi cadrer avec le modèle utilitariste (par exemple, l’utilisation ou l’objectif d’une ordonnance de sursis). Dans l’ensemble, Roberts et von Hirsh soulève un point valide en ce sens que le principe de proportionnalité était quelque peu contradictoire et complexe lorsqu’il s’agissait de l’appliquer à l’objectif fondamental en vertu de l’article 718. La façon dont ils suggèrent de formuler la disposition de proportionnalité était la suivante : [traduction] « la sévérité de la sanction doit être proportionnelle à la gravité de l’infraction, laquelle est définie par la nocivité de la conduite et le degré de culpabilité de la personne concernée ». Je conviens qu’il s’agit d’une formulation plus descriptive de l’énoncé, qui permettra peut-être aux juges d’appliquer le principe, davantage que sa formulation actuelle.

Un des autres problèmes majeurs dans l’application du principe de proportionnalité survient souvent lorsque des peines minimales obligatoires sont en vigueur. Les actes criminels sont passibles de peines minimales obligatoires empêchent les juges d’appliquer le principe de proportionnalité (et comme il est expliqué plus haut d’autres principes et objectifs de la détermination des peines). Par exemple, dans un cas simple concret, où une personne est mère monoparentale qui a désespérément besoin d’argent et se propose de conduire des individus qui ont justement braqué un magasin avec une fausse arme à feu est automatiquement passible d’une peine d’emprisonnement. Une ordonnance de sursis n’est pas disponible pour la mère monoparentale, étant donné que sa culpabilité morale était très faible et qu’elle avait peu de renseignements sur le crime en lui-même. Même si elle était condamnée en tant que partie à l’infraction, elle ferait toujours l’objet d’une peine d’emprisonnement, car il est assez clair que les infractions de vol qualifié faisant intervenir une arme sont passibles d’une peine minimale obligatoire et sont passibles de prison.

Une étude sur les perceptions du public laisse entendre qu’il existe un soutien pour une détermination individualisée des peines dans le cadre de régimes de détermination des peines minimales obligatoires. Note de bas de la page 40 Comme il est mentionné dans l’exemple ci-dessus, les peines minimales obligatoires sont susceptibles de créer des injustices au moment d’appliquer la gravité, le degré et la culpabilité morale et lorsque les juges sont contraints d’imposer des peines obligatoires. Afin de parvenir pleinement à une proportionnalité et à permettre aux juges d’appliquer ce principe, il devrait exister une sorte d’autorisation judiciaire discrétionnaire dans le processus de détermination des peines permettant aux juges d’imposer des peines inférieures aux peines minimales obligatoires. Comme l’article de M. Roberts le mentionne, l’Afrique du Sud permet un pouvoir judiciaire discrétionnaire en vertu de circonstances exceptionnelles. Note de bas de la page 41 Une autre formulation proposée pour cette autorisation se lisait comme suit : [traduction] « [...] le tribunal imposera une peine carcérale appropriée d’une durée de X sauf dans les cas où le tribunal est d’avis qu’il existe des circonstances particulières a) relatives aux infractions ou au délinquant; b) qui rendrait cette peine injuste quelles que soient les circonstances ». Note de bas de la page 42 Je proposerais qu’afin de préserver le principe de manière concrète, certaines autorisations soient délivrées afin de donner aux juges un pouvoir discrétionnaire et d’être en mesure d’appliquer le principe en rendant justice en toute équité en tenant compte de l’ensemble des circonstances.

Bien plus de 50 infractions sont désormais passibles de peines minimales obligatoires. Le problème des peines minimales obligatoires tient au fait que le principe de proportionnalité s’applique de manière limitée même pour les procureurs et les avocats de la défense. Elles privent de la possibilité d’une transaction pénale. Je reconnais qu’il n’est pas du ressort de l’avocat d’appliquer le principe comme le juge; toutefois, en envisageant une proposition de transaction, la proportionnalité permet aux procureurs d’examiner l’ensemble des circonstances et le degré de responsabilité du délinquant pour proposer une transaction. Les peines minimales obligatoires restreignent la capacité de l’avocat de faire une transaction pénale, ce qui enlise le système judiciaire.

Les peines minimales obligatoires remettent également en question la confiance qu’accorde vraiment le Parlement aux intervenants judiciaires de première ligne. Les peines maximales énumérées dans chaque infraction donnent clairement aux juges, aux procureurs et aux avocats de la défense les peines que le Parlement juge ou considère appropriées pour des infractions de nature grave. Le régime législatif offre déjà des lignes directrices quant aux éléments que les juges doivent considérer comme des circonstances aggravantes ou atténuantes. De plus, les tribunaux fournissent une fourchette de peines même lorsque les crimes sont de nature grave, appliquant concrètement le principe de proportionnalité. Par exemple, en Saskatchewan, la fourchette pour des invasions de domicile se situe entre quatre et sept ans selon les circonstances. Note de bas de la page 43 Dans la plupart des agressions sexuelles, le bas de la fourchette en Saskatchewan est de trois ans. Note de bas de la page 44 Pour les conducteurs ivres récidivistes faisant l’objet de plus de quatre infractions, le bas de la fourchette est de 18 mois. Note de bas de la page 45