Une opinion sur la réforme des principes et de l’objectif du prononcé des peines
Réinsertion
Les alinéas 718d) et e) visent les objectifs de réinsertion dans le cadre d’un prononcé de peine. Ces alinéas constituent des éléments essentiels des principes de prononcé de peine. Comme nous le savons déjà, les condamnations avec sursis ont été instaurées par le Parlement à l’occasion de la grande réforme sur la détermination de la peine en 1994, admettant que l’incarcération des délinquants n’était pas un moyen de réinsertion. Note de bas de la page 23 Les condamnations avec sursis visent essentiellement à diminuer le recours à l’emprisonnement, en fournissant aux tribunaux un autre dispositif de prononcé de la peine. Les condamnations avec sursis devraient être en mesure de préserver un certain type de dénonciation et d’effet dissuasif. Note de bas de la page 24 La condamnation avec sursis donne l’occasion d’intégrer davantage les concepts de justice réparatrice dans le processus de prononcé de la peine en encourageant ceux qui ont causé du tort à reconnaître les faits et à réparer ces torts. Note de bas de la page 25
De nombreuses infractions pour lesquelles des condamnations avec sursis ne sont pas disponibles en raison de la modification dans le Code des peines minimales et maximales obligatoires rendent difficiles l’application de la réinsertion et de la réparation. Il me semble que pour être capable de permettre aux juges d’exercer pleinement et librement leur pouvoir discrétionnaire, l’objectif du prononcé des peines minimales obligatoires doit être limité et revu. Les peines obligatoires empêchent inévitablement au juge d’exercer sa discrétion pour tenter d’aider le délinquant à se réinsérer.
Megan Stephens a interrogé plusieurs juges et a exploré et analysé leur point de vue sur les condamnations avec sursis. Elle a remarqué que la plupart des juges trouvaient les ordonnances de sursis novatrices et les décrivaient comme une solution intéressante pour remplacer l’incarcération. D’autres juges ont constaté qu’il y avait des préoccupations d’ordre pratique concernant les ressources utiles. Note de bas de la page 26 Un grand nombre de juges ont fait remarquer que la réforme sur le prononcé de la peine en 1994 avait énormément changé leur façon de prononcer des peines; toutefois, Mme Stephens s’est aperçue que près de la moitié des juges ressentait [traduction] « un manque de soutien politique dans l’application de la justice réparatrice du fait que les politiciens ne veulent pas être perçus comme étant “laxistes face au crime”
» Note de bas de la page 27 Cette recherche précieuse montre qu’il est important de préserver les principes de la justice réparatrice et pour le Parlement de ne pas permettre que le principe soit perçu comme du laxisme face au crime, mais plutôt comme une stratégie de réinsertion et de prévention du crime.
Les restrictions sur l’application des principes de justice réparatrice se sont accrues au cours des quatre dernières années. Le chercheur Jonathan Rudin avance qu’en gros, en raison des peines minimales obligatoires, le Parlement a enlevé leur pouvoir discrétionnaire aux juges et que ce pouvoir se retrouve désormais entre les mains des procureurs de la Couronne au moment où ils déterminent s’ils vont procéder par voie sommaire ou par mise en accusation. Note de bas de la page 28 M. Rudin affirme également, et je suis d’accord, que les peines minimales obligatoires ont sérieusement limité le processus permettant d’appliquer les arrêts Gladue et Ipeelee de manière significative. Note de bas de la page 29 De plus, les objectifs poursuivis par le prononcé de peines minimales obligatoires sont profondément ancrés dans les principes de dénonciation et de dissuasion. Note de bas de la page 30 Or, ceci est contraire aux principes de réinsertion.
Nous voyons ces objectifs se chevauchent dans l’alinéa 718.2e) qui se lit comme suit :
« l’examen, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones, de toutes les sanctions substitutives qui sont raisonnables dans les circonstances et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité ».
Cet alinéa a été modifié récemment avec l’application de la Charte canadienne des droits des victimes Note de bas de la page 31 qui, selon moi, ajoute un aspect quelque peu punitif au principe de réinsertion. L’aspect que je perçois comme punitif est l’énoncé « [...] et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité
». En effet, cet aspect requiert des juges qu’ils prennent en compte le tort causé à la victime ou à la collectivité. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’inclure la notion de tort causé dans cet alinéa, car le Parlement l’a déjà prévu à l’article 722 du Code, lequel oblige les juges à tenir compte de la déclaration de la victime, si celle-ci a été déposée. Les juges peuvent également tenir compte des circonstances établissant en vertu de la clause 718.2a)(iii.1) « que l’infraction a eu un effet important sur la victime en raison de son âge et de tout autre élément de sa situation personnelle, notamment sa santé et sa situation financière
». Le sous-alinéa 718.2a)(iii) introduit sans aucun doute le tort causé aux victimes et pourrait aussi englober la collectivité. Le fait d’ajouter la notion de tort causé à la victime et à la collectivité à l’article sur la réinsertion semble lourd, excessif et déplacé.
Les tribunaux ont reconnu la nécessité de s’attaquer à la surreprésentation des Autochtones par la réinsertion. Les tribunaux ont déjà essayé de remédier à la question de la surreprésentation et des effets de la colonisation. Monsieur le juge Cory a tenu les propos suivants :
« Ces constatations exigent qu’on reconnaisse l’ampleur et la gravité du problème, et qu’on s’y attaque. Les chiffres sont criants et reflètent ce qu’on peut à bon droit qualifier de crise dans le système canadien de justice pénale. La surreprésentation critique des Autochtones au sein de la population carcérale comme dans le système de justice pénale témoigne d’un problème social attristant et urgent. Il est raisonnable de présumer que le Parlement, en prévoyant spécifiquement à l’alinéa 718.2e) la possibilité de traiter différemment les délinquants autochtones dans la détermination de la peine, a voulu tenter d’apporter une certaine solution à ce problème social. On peut légitimement voir dans cette disposition une directive que le Parlement adresse à la magistrature, l’invitant à se pencher sur les causes du problème et à s’efforcer d’y remédier, dans la mesure où cela est possible dans le cadre du processus de détermination de la peine ». Note de bas de la page 32
J’ai crû comprendre que les tribunaux en Saskatchewan ont tenté de renouer avec l’application des principes évoqués dans l’arrêt Gladue au moment de déterminer la peine imposée aux délinquants autochtones. L’alinéa 718.2e) devrait se lire comme suit : « l’examen de toutes les sanctions substitutives applicables qui sont justifiées dans les circonstances, plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones ». L’énoncé « et qui tiennent compte du tort causé aux victimes ou à la collectivité » devrait être supprimé.
La réinsertion n’est pas toujours un objectif facile à atteindre dans le système de justice pénale. Il faudrait envisager d’inclure une disposition supplémentaire dans l’article sur la réinsertion relatif à la présence de troubles mentaux et de déficiences cognitives. La santé mentale pose problème depuis des siècles, mais il s’agit d’un phénomène relativement nouveau dans le système judiciaire, surtout en matière de détermination des peines. La santé mentale et la détermination des peines est un problème complexe. Saskatoon a récemment (2014) mis en place un tribunal dont seules les affaires de santé mentale sont inscrites au rôle. Elle en est encore au stade embryonnaire pour ce qui est de comprendre les résultats de la nouvelle stratégie en santé mentale. Note de bas de la page 33 Les personnes qui ont reçu un diagnostic de trouble mental ne seront pas forcément orientées vers ce tribunal; les critères dépendront de la volonté du délinquant et du type de diagnostic.
Les tribunaux canadiens n’ont pas tous pris ce type d’initiative, et les intervenants de première ligne (juges, procureurs et avocats de la défense) ne comprennent pas tous la santé mentale. Rédiger une disposition stipulant une reconnaissance de la santé mentale ou de s’enquérir en la matière pourrait être utile pour le processus de réinsertion de nombreux délinquants. La disposition pourrait au moins exiger du juge qu’il tienne compte de principes moins restrictifs, mais plus axés sur la réinsertion au moment de déterminer la peine des délinquants souffrant de santé mentale. Là encore, il s’agirait d’un message fort du Parlement selon lequel la santé mentale et les déficiences cognitives sont des problèmes graves qui exigent une réflexion mûrie avant de déterminer les peines adéquates à imposer aux délinquants.
Dans l’arrêt R v Machiskinic, Note de bas de la page 34 Trevor Machiskinic a été accusé de voies de fait graves. M. Machiskinic était un homme autochtone qui souffrait de problèmes de santé mentale; il a été notamment suggéré qu’il était atteint de l’ensemble des troubles causés par l’alcoolisation fœtale. M. Machiskinic a fait l’objet d’intimidations et de moqueries de la part de son cousin à propos de sa sexualité sur une longue période, ce qui s’est soldé par M. Machiskinic battant son cousin avec une batte de baseball. Il n’avait pas de casier judiciaire et, en dépit de ce fait et de sa déficience cognitive, il a été condamné à un an d’emprisonnement suivi d’une période de probation de douze mois. Cette affaire présentait deux problèmes qui ont suscité beaucoup de critiques. Premièrement, son avocat a soutenu que l’arrêt Gladue avait mal été appliqué. Deuxièmement, le fait que M. Machiskinic souffrait d’une déficience cognitive n’a pas été pris en compte dans la détermination de la peine. L’avocat de M. Machiskinic a tenté de faire appel de la décision; toutefois, l’autorisation de pourvoi a été rejetée. Le cas de M. Machiskinic est un exemple triste et inquiétant du manque de compréhension dont font preuve les tribunaux à l’égard des problèmes de santé mentale. À moins que le Parlement n’amène un changement en s’attaquant aux effets des troubles mentaux et des déficiences cognitives, il se peut que les tribunaux ne tiennent pas toujours compte de ces facteurs au moment déterminer la peine imposée aux délinquants. Note de bas de la page 35 Il serait par conséquent utile qu’une disposition traite des délinquants souffrant de troubles mentaux et de déficience cognitive et qu’elle prévoit toutes les solutions autres que l’incarcération. Bon nombre des délinquants atteints de déficience cognitive nécessitent un type différent des soins spécialisés, pas l’emprisonnement.
Un dernier point sur l’alinéa 718.2e) : il traite uniquement des délinquants autochtones. Les dernières réformes visaient surtout la surreprésentation des délinquants autochtones. Je n’ai pas de données précises sur l’ensemble des groupes minoritaires incarcérés, mais je pense que c’est un point sur lequel le Parlement devrait se pencher. En réalité, Julian Roberts et Andrew von Hirsh se sont intéressés à cette même question peu de temps après la dernière réforme en 1996 et ils ont constaté les éléments suivants :
[traduction] « Les Canadiens autochtones ne sont pas la seule minorité visible surreprésentée dans le milieu carcéral. « En réalité, les données de la province de l’Ontario montrent que la disproportion de noirs dans les prisons de la province est supérieure à celle associée aux Autochtones [...] Il semble évident que les détenus noirs dans la province de l’Ontario font l’objet d’un traitement négatif qui n’est pas appliqué à d’autres catégories de détenus ». Note de bas de la page 36
D’après ce commentaire qui remonte à il y a près de dix ans, je pense que la distinction raciale figurant dans la disposition soit modifiée de sorte à conserver la partie de l’alinéa « plus particulièrement en ce qui concerne les délinquants autochtones », mais de l’étendre à tous les groupes ethniques surreprésentés, comme mentionné ci-dessus.
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