Plaidoyers de culpabilité par des Autochtones au Canada
Constatations
Les constatations sont présentées en quatre sections : 1) pourquoi les Autochtones plaident coupable; 2) incidences du plaidoyer de culpabilité sur les Autochtones; 3) mesures de soutien dans le système de justice; et 4) lacunes en matière de recherche et de données.
Cette recherche est axée sur les Autochtones, mais il est possible que d’autres groupes d’accusés ou de personnes marginalisés partagent une expérience similaire.
Pourquoi les Autochtones plaident coupable
Les participants ont relevé plusieurs facteurs rattachés aux plaidoyers de culpabilité des Autochtones, soit : 1) compréhension et expérience; 2) pour en finir; 3) caution et détention provisoire; 4) négociation de plaidoyer et représentation juridique; 5) culture et communauté; et 6) vulnérabilités sociales.
Les participants étaient généralement d’avis que des Autochtones plaident parfois coupable même lorsqu’ils sont innocents (ou [TRADUCTION] « en partie innocents »), qu’ils possèdent une défense valide, ou qu’ils ont des motifs d’invoquer la Charte. Bien que des juges et des avocats effectuent des enquêtes sur plaidoyer pour établir si l’accusé comprend les enjeux et qu’il ne plaide pas coupable simplement pour en finir, certains participants ont indiqué que des Autochtones plaident coupable en raison de désavantages dans le système de justice, des vulnérabilités sociales et d’un sens culturel de la responsabilité. Un participant a bien saisi cet état d’esprit :
[TRADUCTION]
« Il y a des condamnations injustifiées chaque jour dans les tribunaux, de gens qui plaident coupable pour des choses qu’ils n’ont pas faites, parce que leur caution est refusée ou que leur sens de la responsabilité diffère de ce qui constitue la responsabilité criminelle, donc des gens plaident coupable parce qu’ils se sentent responsables de quelque chose, même si en fait ils ne sont peut-être pas criminellement responsables. »
Compréhension et expérience
Les participants étaient généralement d’avis que la plupart des accusés ont une compréhension limitée du système de justice, en fonction de la fréquence des interactions de la personne avec le système. Une personne accusée pour une première fois peut [TRADUCTION] « se sentir perdue si elle n’a pas déjà été dans un tribunal ». Le jargon juridique compliqué employé en cour constitue une barrière linguistique pour de nombreux accusés (p. ex., article 334, garantie, assignation, enquête sur le cautionnement, confiscation de la caution). Même des gens qui travaillent dans le système peuvent avoir de la difficulté à comprendre une ordonnance du tribunal.
En général, les participants ont indiqué que les accusés autochtones ont davantage de difficulté à comprendre le système de justice. Comme l’expliquait un participant :
[TRADUCTION]
« Quand je vois ces gens qui arrivent au tribunal, n’importe qui pour la première fois, juste des gens ordinaires, ils ne comprennent pas le système. Ce n’est pas une particularité des Autochtones, c’est un système très difficile à comprendre. Si on ajoute le fait que ces personnes vivent dans un environnement plus protégé, celui d’une Première Nation, leur langue, leur vision du monde en comparaison de celle du système, lorsque les deux sont confrontés, il y a peu de compréhension de part et d’autre, du côté de la personne qui a peut-être commis quelque chose, et du côté du système de justice pour comprendre le contexte de cette personne. »
Des participants ont signalé des barrières linguistiques, en particulier dans le Nord et parmi les générations plus âgées. Certains concepts juridiques n’ont pas d’équivalents directs dans les langues autochtones, notamment le mot pour « coupable ». Des participants ont parlé de clients autochtones qui ne comprenaient pas les accusations criminelles dont ils faisaient l’objet, leurs droits reconnus par la loi, le rôle de leur avocat (notamment que l’avocat parle en leur nom), l’obligation de comparaître et de respecter les conditions, et les répercussions d’un casier judiciaire. Un participant a mentionné que de nombreux jeunes Autochtones ne réalisent pas qu’une accusation de conduite avec facultés affaiblies est plus grave qu’une contravention.
Un autre participant a souligné que les Autochtones comprennent le système, mais le comprennent différemment en fonction de leur expérience et de celle de leurs pairs et de leurs parents. Le participant a décrit un client au lourd casier judiciaire qui n’avait jamais eu d’enquête sur le cautionnement ou de procès et qui consentait toujours à son incarcération, il plaidait toujours coupable parce que c’est ce qu’on lui conseillait. Il [TRADUCTION] « comprenait le système comme il s’appliquait à son cas, mais il ne connaissait pas le système théorique, celui qui en théorie lui confère tous ces droits. »
Des participants décrivaient les accusés qui plaident coupable parce qu'ils ont déjà un casier judiciaire et le mal est fait. Un participant a souligné que [TRADUCTION] « La première fois leur crée vraiment des problèmes d’emploi. » Après des contacts répétés avec le système de justice et l’accusé peut moins espérer que le système l’acquitte, peu importe sa culpabilité. Des participants ont décrit d'autres cas où un accusé avec un casier judiciaire peut vouloir faire face aux accusations s’il risque une peine prolongée, ou encore il [TRADUCTION] « sait comment jouer avec le système et va en procès en présumant que le témoin ne se présentera pas et qu’il s’en tirera. »
Pour en finir
Des participants ont indiqué qu’il est courant que des accusés plaident coupable [TRADUCTION] « pour en finir. » Ils [TRADUCTION] « désirent simplement régler la question et ne pas avoir à revenir en cour ». Ces participants ont décrit des clients frustrés des délais et des renvois, qui plaident coupable sans avoir été représentés par un avocat ou avoir examiné la divulgation. [TRADUCTION] « Ils peuvent dire au juge, oui madame, oui monsieur, même s’ils ne comprennent pas ce qui se déroule en cour parce qu’ils sont effrayés et veulent seulement s’en aller, c’est plus simple de dire oui, oui, de hocher la tête, que de dire je ne comprends pas ce que vous me demandez. » Comme l’expliquait un participant :
[TRADUCTION]
« Parfois ils vont plaider coupable simplement pour en finir, parce qu’ils sont devant un tribunal qui les rend très mal à l’aise, très nerveux, qui les stresse énormément, et ils veulent simplement s’enfuir à toutes jambes, mais la façon la plus rapide d’en sortir est de plaider coupable et d’accepter tout ce qu’on vous dit. Pensez à votre propre réaction de combat ou de fuite lorsque vous avez été confronté à une situation très inconfortable. »
Des participants ont décrit que le poids historique des pensionnats et d’autres lois discriminatoires avaient conduit à une méfiance considérable à l’endroit du système de justice. Un participant soulignait que jusqu’aux années 1950, il était illégal pour un Autochtone de retenir les services d’un avocat et maintenant certains Autochtones croient qu’il est probable que leur avocat travaille pour le gouvernement ou la police. Un participant a décrit:
[TRADUCTION]
« En raison du traitement historique des Autochtones, l’impression est que cette situation ne peut que se perpétuer, les gens veulent simplement en finir. Les gens ont l’impression que ce n’est qu’un élément de l’apprentissage de la vie... la discrimination de la part des policiers, de la Couronne, des juges, des juges de paix, même des avocats. Ils ont l’impression que la partie est perdue d’avance, alors pourquoi se battre. »
Les Autochtones de communautés éloignées peuvent subir des pressions accrues pour plaider coupable, à cause des délais des tribunaux et des difficultés liées au transport. Comme l’expliquait un participant :
[TRADUCTION]
« Il faut parfois quatre ou cinq comparutions en cour avant de régler un cas. Beaucoup vivent à une heure (ou plus) d’où se trouve le tribunal, et le trajet en taxi leur coûte 40 dollars dans chaque direction, alors qu’ils reçoivent seulement 180 dollars aux deux semaines. L’accusé se demande, si je plaide coupable aujourd’hui, est-ce que j’ai des chances de ne pas avoir à revenir? Ou encore, quelle sera ma peine, la probation? Ils veulent tout simplement en finir, partir en probation et ne plus jamais revenir. »
Caution et détention provisoire
Selon des participants, le refus de caution constitue un facteur clé des plaidoyers de culpabilité des Autochtones. Comme l’expliquait un participant [TRADUCTION] « une fois la caution refusée, plaider coupable devient une décision rationnelle ». Un participant relevait que [TRADUCTION] « vous êtes présumé innocent jusqu’à preuve du contraire ». La détention provisoire a été décrite comme un passage dans les limbes, sans accès à des programmes et un mécanisme pour accélérer le temps et demi de l’incarcération, lorsque l’accusé voit sa peine réduite pour le temps déjà passé en incarcération (p. ex., 1,5 jour déduit de la peine pour chaque jour en détention provisoire). Cette réduction de peine vise à compenser les conditions difficiles de la détention provisoire (p. ex., surpopulation, aucun accès à des programmes de traitement ou de réhabilitation).
Des participants ont décrit les conditions de libération sous caution comme étant onéreuses, déraisonnables, irréalistes et vouant l’accusé à l’échec. Des exemples comprenaient l’interdiction de contact, de communiquer avec des membres de la famille ou de la communauté, ou de consommer de l’alcool. Un participant expliquait qu’il est [TRADUCTION] « très courant que l’abstinence ou la non-possession (pour un accusé avec un problème de toxicomanie) fasse partie des conditions, ce qui criminalise leur toxicomanie ».
Les participants ont décrit en quoi les délais judiciaires et les conditions de libération sous caution contribuent aux plaidoyers de culpabilité. Par exemple, un participant a déclaré ceci :
[TRADUCTION]
« Si une personne est accusée en janvier, il se peut que son audience ne soit fixée qu’en mars, puis que la cause soit reportée en mai. Si l’accusé n’a pas discuté avec un avocat et qu’il attend, en détention provisoire ou soumis à des conditions. Les conditions peuvent stipuler que la personne n’a pas le droit de boire, et elle se dit que si je ne plaide pas coupable maintenant, je n’aurai pas le droit de boire. »
Là encore, la pression en faveur d’un plaidoyer de culpabilité peut être nettement accrue dans les communautés nordiques, où le tribunal (p. ex., tribunal itinérant) ne siège que quelques fois par année, alors que l’accusé attend, soumis à des conditions de libération sous caution ou en prison pendant des mois. Un participant a décrit :
[TRADUCTION]
« Le refus ou les conditions de libération sous caution sont très onéreux, ou ils vivent dans une communauté tellement éloignée qu’ils doivent être transportés par avion, il n’y a pas de garantie parce qu’ils ne connaissent personne. Si vous n’êtes pas libéré sous caution, vous êtes plus susceptible de plaider coupable et peut-être de purger une courte peine, plutôt qu’attendre à l’étape de la caution. Un aspect particulier tient au fait qu’un accusé peut être retiré de la communauté et mis en détention provisoire, ce qui aboutira à des plaidoyers de culpabilité pour en finir, en particulier dans le Nord. »
Négociation de plaidoyer et représentation juridique
Des participants ont décrit des clients qui plaidaient coupable dans le cadre d’une négociation de plaidoyer, en échange d’une réduction de peine ou de l’admission à un programme de justice alternative. Comme l’expliquait un participant, en détention provisoire, un client est plus susceptible de plaider coupable pour obtenir une peine autre que l’incarcération. Dans ce cas, [TRADUCTION] « un plaidoyer de culpabilité n’est pas un facteur aggravant, mais plutôt une circonstance atténuante. Un plaidoyer de culpabilité leur permet d’échapper à la prison ».
Des participants ont souligné que les juges et les avocats agissent avec prudence et tentent d’éviter des plaidoyers de culpabilité inappropriés en effectuant les enquêtes nécessaires (vérification de plaidoyer), ne donnant suite qu’aux plaidoyers de culpabilité venant d’un accusé dûment informé.
Les participants avaient des avis partagés sur les avocats représentant les Autochtones. Selon les participants, certains avocats prennent le temps de comprendre leurs clients et de solliciter de l’information des travailleurs sociaux auprès des tribunaux, mais d’autres se contentent de traiter le cas en accéléré, d’obtenir un plaidoyer et de conclure une entente. Les participants ont soutenu que les avocats sont débordés de dossiers et que les clients sont dirigés vers le programme d’aide juridique [TRADUCTION] « comme du bétail ». Comme le soulignait un participant, [TRADUCTION] « avec toutes les coupures dans les services juridiques, on conseille de plus en plus aux clients d’enregistrer un plaidoyer de culpabilité plutôt que d’aller en procès, même si l’avocat et le client n’ont pas encore obtenu une divulgation complète ».
Participants relevaient que les communautés autochtones ne sont pas aussi bien représentées par des avocats parce que ces derniers sont incapables de rencontrer leurs clients dans la communauté ou en prison. Un participant soulevait des problèmes dans le processus de demande d’aide juridique, notamment de longs délais d’attente au téléphone et des obstacles pour les personnes n’ayant pas accès à un téléphone ou à un ordinateur.
Culture et communauté
Les participants ont décrit le sentiment d’aliénation que ressentent les Autochtones face au système de justice et le système de justice comme [TRADUCTION] « une autre chose qu’ils subissent. » Ils ont fait état d’une contradiction entre des concepts fondamentaux de la justice des sociétés autochtones et du système de justice pénale [TRADUCTION] « une collision entre deux mondes ». Comme l’expliquait un participant :
[TRADUCTION]
« Ce que la plupart de mes clients trouvent rebutant, la principale raison pour laquelle ils ne veulent pas aller devant les tribunaux, c’est la manière dont fonctionne le système de justice pénale, reposant sur des valeurs et des principes culturels et philosophiques occidentaux à propos de la façon de découvrir la vérité, et le processus contradictoire n’est pas propice à la participation des Autochtones. Par conséquent, lorsqu’ils arrivent en cour, ils décrochent; ils semblent tout comprendre, mais on réalise qu’ils n’ont aucune idée de ce qui se passe, ils ont le regard absent, ils sont stressés, ils n’écoutent pas. Je leur demande après ce qui s’est passé et ils n’en ont aucune idée, parce que ce n’est pas culturellement approprié. Et si les gens n’acceptent pas fondamentalement ces valeurs, ils n’acceptent pas le processus et ils n’y participent pas. Le simple principe que la façon de traiter quelqu’un qui a mal agi est de l’isoler de la communauté va totalement à l’encontre de l’objectif des cercles de sentence, qui est la réconciliation. »
Les participants ont décrit [TRADUCTION] « l’importance culturelle accordée au fait d’assumer sa responsabilité et d’admettre avoir mal agi », ainsi que la réconciliation, l’entente et la coopération. Selon les participants, des accusés autochtones manifesteront souvent du remords et reconnaîtront qu’ils ont mal agi pour tenter de se réconcilier avec sa famille, la victime et la communauté. Un participant expliquait que [TRADUCTION] « souvent dans une communauté autochtone, vous vous devez d’assumer la responsabilité de vos actes et par conséquent, plaider coupable est une façon d’y arriver, alors que plaider non coupable d’un acte que vous avez posé semble étrange ». Les participants ont fait état des différences culturelles dans les notions de responsabilité et de culpabilité. Dans les sociétés autochtones, il est entendu que chacun a une responsabilité quand des torts sont faits, [TRADUCTION] « les gens ont appris à assumer la responsabilité, si vous avez mal agi directement, ou si vous y participiez, vous êtes tous impliqués ». Un autre participant expliquait :
[TRADUCTION]
« Pour beaucoup d’accusés en cour à qui l’on demande de déposer un plaidoyer, la réflexion porte sur ce qui est bien et ce qui est mal, et non sur ce qui peut être prouvé et ce qui ne peut pas l’être. Quelqu’un peut avoir posé un acte, mais en cour, on ne pourrait pas le prouver. Ils vont néanmoins plaider coupable. »
Des participants ont mentionné des clientes autochtones qui plaidaient coupable même si elles pouvaient invoquer la légitime défense. Un participant décrit une cliente autochtone qui expliquait : [TRADUCTION] « Oui, c’était mutuellement violent, je lui ai fait ce qu’il m’avait fait. Je lui ai fait assumer sa responsabilité, alors c’est à mon tour d’assumer ma responsabilité ».
Les Autochtones peuvent ressentir des pressions de la part de la communauté pour plaider coupable afin d’atténuer l’impact d’une procédure criminelle sur celle‑ci. Comme l’expliquait un participant :
[TRADUCTION]
« Beaucoup vont plaider coupable parce qu’ils ne veulent pas impliquer les témoins. Par exemple, dix personnes reçoivent une assignation à témoigner, et maintenant elles devront te prendre une journée de congé, loin de leur famille et de leur communauté. Ça va déranger beaucoup de monde. »
Des participants ont mentionné une tendance parmi les accusés autochtones à parler candidement aux policiers et à faire des déclarations incriminantes, admissibles en preuve, qui aboutir à un plaidoyer de culpabilité :
[TRADUCTION]
« Des accusés ne comprennent pas qu’ils ne sont pas obligés de déclarer quoi que ce soit aux policiers, qu’il suffit de leur dire, je n’ai pas de commentaire, je veux retourner dans ma cellule. Même s’ils se font conseiller de ne pas parler, par un traducteur ou un travailleur social auprès des tribunaux, les Autochtones ont tendance à faire des déclarations inculpatoires. C’est une forme d’honnêteté poussée à l’extrême, les policiers ne peuvent pas ignorer ces déclarations et il devient difficile de contester leur admissibilité. Cela découle principalement d’une valeur sociale autochtone, de tenter de remédier à la situation.
Des accusés autochtones parleront avec les policiers et leur feront des confessions complètes et très détaillées. J’ai appris de façon anecdotique que c’est en lien avec les différentes cultures autochtones, qu’il ne faut pas mentir, et qu’il faut écouter une personne en position d’autorité et lui obéir. La grande majorité de mes dossiers comprend des déclarations de l’accusé, l’agent confirmant d’abord que l’accusé a eu la possibilité de parler à un avocat, et ce dernier répond oui, il m’a dit de ne rien déclarer, et l’agent réplique que c’est vraiment bien, c’est un bon conseil, mais je veux seulement bavarder un peu avec toi. Et tout à coup, on se trouve 20 pages plus tard avec une confession complète. Cela peut influencer l’intention de plaider coupable ou non, car dans une situation où le dossier de la Couronne est faible ou douteux, c’est souvent la confession qui fait la différence dans la capacité de la Couronne de poursuivre ou non. »
Vulnérabilités sociales
Les participants ont fait état de vulnérabilités chez les accusés autochtones. Des participants ont expliqué [TRADUCTION] « qu’une grande partie des crimes trouve son origine dans la pauvreté, les problèmes de santé mentale, la surpopulation et l’insécurité alimentaire » et [TRADUCTION] « les problèmes de santé mentale, principalement des troubles du spectre de l’alcoolisation fœtale (TSAF) ou des lésions cérébrales non diagnostiqués, qui s’accompagnent habituellement de problèmes de toxicomanie, et cette combinaison de facteurs les amène à se présenter en cour parce qu’ils n’ont pas été diagnostiqués et n’ont pas de soutien ». Les participants décrivaient les personnes atteintes de TSAF et de difficultés d’apprentissage comme étant particulièrement susceptibles d’en enfreindre les conditions. Sans système de soutien, ils se perdent dans le système, passent à travers les mailles du filet et aboutissent en prison. Certains participants relevaient que les accusés ayant des problèmes cognitifs ou de santé mentale étaient plus susceptibles d’obtenir une attention spéciale de la part des services juridiques.
Des participants ont décrit des clients autochtones itinérants et toxicomanes :
[TRADUCTION]
« Certains accusés avec des antécédents de longue date connaissent assez bien le système de justice et l’exploitent pour répondre à leurs besoins. (Le client n’avait pas respecté une condition de se tenir à l’écart d’un lieu.) Il s’est fait arrêter afin de pouvoir passer dix jours en détention, sortir de la rue, avec un lit et des repas, ce qui lui donne une période sans drogue. Il a déjà un casier, alors il se dit, une accusation de plus ne fera pas de différence. Ils se font incarcérer pour se désintoxiquer, et s’ils ont d’autres problèmes de santé, ils pourront aussi se faire soigner.
Parfois des clients plaident coupable pour avoir un endroit où aller (détention), avec trois repas par jour, un lit et un toit. Ou leur toxicomanie est tellement forte et difficile qu’ils veulent seulement plaider coupable pour pouvoir sortir de leur toxicomanie par sevrage brutal. »
Pour les Autochtones ayant des vulnérabilités sociales, en particulier dans les communautés éloignées, un participant a décrit :
[TRADUCTION]
« Le processus de justice pénale dans son ensemble n’est pas aussi pertinent, en particulier pour aborder le traumatisme intergénérationnel, la toxicomanie, la pauvreté. C’est un facteur secondaire pour beaucoup de communautés éloignées qui ont des problèmes d’eau potable, de suicide. Il faudrait vraiment réfléchir aux points d’intersection de la santé mentale, de la pauvreté, de l’accès aux services, qu’il s’agisse d’une prévalence accrue de certains de ces facteurs dans les communautés autochtones. »
Incidences du plaidoyer de culpabilité sur les Autochtones
Les participants ont décrit les impacts d’un plaidoyer de culpabilité et du contact avec le système de justice dans les domaines suivants : 1) emploi et logement; 2) famille et communauté; 3) incarcération; et 4) reprise de contact avec le système de justice.
Emploi et logement
Des participants ont décrit le casier judiciaire comme un élément qui crée des obstacles à l’éducation et à l’emploi. Par exemple, [TRADUCTION] « avoir un dossier entraîne réellement une perte de moyens de subsistance et une perte de possibilités pour l’avenir ». Des participants ont fait état d’effets marqués pour les Autochtones, dans des communautés éloignées aux débouchés d’emploi limités, ainsi que pour un jeune partant pour la ville pour faire des études ou occuper un emploi. Un participant expliquait :
[TRADUCTION]
« À cause des nombreux autres obstacles qu’affrontent les Autochtones pour obtenir un emploi et dans d’autres domaines, le casier judiciaire a un impact plus prononcé, car les Autochtones sont déjà plus enclins à être chômeurs et à vivre dans la pauvreté, et si l’on ajoute un casier judiciaire, c’est une autre prise contre eux, un frein de plus qui les empêche d’avancer. »
Des accusations au pénal peuvent entraîner des restrictions de voyage pour traverser la frontière afin de chasser ou de pêcher, ainsi que la perte du permis de conduire. Un plaidoyer de culpabilité peut affecter l’accès au logement et aux services sociaux. Des participants ont indiqué que les personnes sous garde n’ont pas droit à l’aide sociale, et qu’elles peuvent perdre leur logement subventionné ou leur place sur la liste d’attente pour un logement.
Famille et communauté
Des participants ont décrit comment la détention sous garde brise les liens avec la famille et la communauté. Par exemple, perdre la garde des enfants, perdre un père ou une mère, [TRADUCTION] « ça devient le mode de vie des enfants ». Certains Autochtones peux perdre ses liens avec les pratiques culturelles et ressentir un sentiment de honte et d’aliénation par rapport à la communauté.
Des participants ont décrit les effets de l’incarcération sur les familles et les communautés :
[TRADUCTION]
« On voit rarement des personnes condamnées à l’emprisonnement en ressortir plus positives, en quête d’une vie meilleure. C’est l’exception. Les communautés doivent apprendre comment aborder ces personnes et ce qu’elles ont appris sous garde, et parfois ce n’est pas très bon. Ainsi, le langage acquis en prison peut devenir le nouveau langage dans le foyer familial où grandissent les enfants.
Nos partenaires du Nord nous disent que lorsque l’avion emporte un membre de leur communauté, en particulier dans une petite communauté, c’est quelqu’un qui fait partie intégrante de la communauté, et quand elle est emmenée ailleurs, il n’y a personne pour chasser, pêcher et fournir des aliments pour la communauté, ou aller chercher de l’eau au puits. La perte de cette personne est préjudiciable pour la communauté dans son ensemble. »
Incarcération
Les participants ont décrit les effets psychosociaux de l’incarcération. Par exemple, un participant expliquait : [TRADUCTION] « J’imagine que le fait d’être à l’écart de ses êtres chers et d’un cercle d’aide et de soutien ébranle terriblement l’esprit ». Un participant a décrit un client à sa sortie de prison de cette manière :
[TRADUCTION]
« Il est devenu une personne totalement différente, plus institutionnalisée. Vous réalisez qu’il est arrivé quelque chose pendant qu’il était en dedans. Il n’a jamais voulu nous dire quoi, mais nous avons vu le changement dans son attitude, dans sa posture, dans ses traits de personnalité. Une période sous garde peut produire quelques bonnes choses, mais aussi de mauvaises choses, comme les contacts que vous faites, si vous vous faites battre, ou bien pire encore. »
Un autre participant expliquait
[TRADUCTION]
« La plupart des impacts d’un plaidoyer de culpabilité portent sur la durée de l’incarcération, l’attention accordée ou non par le tribunal aux facteurs Gladue et la capacité d’éviter d’être recruté par un gang, ce qui rendrait plus probable, en cas de nouvelle arrestation, d’affronter une inversion du fardeau de la preuve lors de l’audience sur la libération sous caution. Une déclaration ou un plaidoyer de culpabilité a beaucoup d’impacts négatifs en aval. »Note de bas de page 5
Selon des participants, l’impact de l’incarcération est plus marqué pour les Autochtones. Des participants ont décrit le manque de programmes culturels et de connexions communautaires, des insultes et violences racistes de la part d’autres détenus et de membres du personnel, avec les traumatismes qui en découlent et le potentiel de récidive à la libération.
Reprise de contact avec le système de justice
Des participants ont décrit un cercle vicieux de reprise de contact pour de nombreux Autochtones dans le système de justice, plus particulièrement l’administration du cycle d’infractions à la justice qui a des effets plus marqués sur les communautés autochtones. Comme l’expliquait un participant, [TRADUCTION] « Les clients ont peur, alors ils ne se présentent pas en cour. Ils ne comprennent pas les conséquences, puis les choses s’enchaînent, défaut de comparaître, défaut de se conformer. Ils ne réalisent pas que plus souvent ils plaident coupable pour en finir, plus leur casier judiciaire s’alourdit, et finalement ils deviennent des délinquants à contrôler. » Des participants attribuaient le nombre élevé d’infractions de violation des conditions dans les communautés autochtones à la toxicomanie et aux interventions policières excessives.
[TRADUCTION]
« Il n’est pas rare de rencontrer des délinquants avec de lourds antécédents de violation de conditions en lien avec la criminalisation de la toxicomanie. Cette situation augmente la probabilité que ce délinquant reçoive une peine d’emprisonnement en raison de ce bilan apparent d’incapacité de se conformer à des conditions dans la communauté. C’est caractéristique de très nombreux délinquants autochtones. »
« Un phénomène que nous voyons ici dans le Nord est le nombre d’accusations de violation. L’accusé peut avoir une infraction substantielle et cinq ou six accusations de violation, un casier judiciaire avec deux ou trois infractions substantielles parsemées de sept à quinze accusations de violation. Dans une petite communauté, les policiers connaissent tout le monde et leur statut. »
Le système de justice a été comparé à une porte tournante, avec un va-et-vient incessant de clientèle. Comme le soulignait un participant,
[TRADUCTION]
« Les gens ne sont pas tellement conscients des conditions de probation et de la façon dont elles donnent lieu à une cascade d’autres infractions, comme la violation des conditions, alors que ce n’est peut-être pas nécessaire et que des gens se trouvent bloqués dans le système ».
Mesures de soutien dans le système de justice
Des participants ont fait état des initiatives de soutien des Autochtones dans le système de justice pénale. Certains des grands principes ont été résumés comme suit :
[TRADUCTION]
« Les interventions des travailleurs sociaux auprès des tribunaux, les programmes de justice réparatrice et le soutien financé ont une valeur inestimable, en particulier pour les gens aux prises avec d’autres problèmes et traumatismes. Ils ont quelqu’un qui comprend leurs antécédents et leurs besoins, et qui peut les guider dans le processus, et ainsi ils ne se sentent pas limités à simplement déposer un plaidoyer, à ne pas respecter des conditions, ou à seulement rester en prison, parce qu’ils retrouvent un espoir, non seulement de régler leur présent problème de justice, mais aussi leurs problèmes dans la vie. »
Des participants ont décrit les avantages des interventions des travailleurs sociaux auprès des tribunaux, ainsi que des intervenants en justice communautaire et des travailleurs des services d’approche, notamment leur présence dans la communauté et la confiance qu’ils inspirent pour aider les clients à naviguer dans le processus judiciaire et à trouver un avocat, et pour informer le tribunal des antécédents de l’accusé et de la disponibilité de services communautaires. Un participant a donné l’exemple de travailleurs sociaux auprès des tribunaux qui travaillent avec les juges, les avocats, et les réseaux de TSAF afin de les sensibiliser au TSAF et de renforcer la capacité d’identifier des accusés possiblement atteints et de les faire évaluer, ainsi que pour formuler des conditions de libération sous caution plus justes. Certains préconisaient un nombre accru de travailleurs sociaux autochtones auprès des tribunaux et des critères plus exigeants en matière de langue et d’accréditation pour la qualité des services de traduction et d’interprétation.
Des participants ont mentionné les avantages des services d’aide juridique, des avocats de service (aide juridique immédiate), de la continuité du travail des avocats, des cliniques juridiques autochtones et de la pratique d’admissibilité présumée au Nunavut et dans les Territoires du Nord-Ouest (L’admissibilité présumée fait en sorte que toute personne est présumée admissible à des services d’aide juridique, sans avoir à présenter une demande officielle). Certains préconisaient plus de services d’aide juridique, notamment des rencontres en personne entre l’avocat et le client dans les communautés et en prison, plus de soutien aux demandeurs d’aide juridique, une formation en compétences culturelles pour les intervenants juridiques professionnels, et des exigences de politique s’appliquant aux avocats qui représentent des clients autochtones, soit que les avocats et les travailleurs sociaux auprès des tribunaux doivent collaborer, et que les avocats doivent posséder une compréhension manifeste de la jurisprudence et des ressources communautaires disponibles. Selon un participant, une solide représentation juridique se caractérise par la compréhension des antécédents de l’accusé, ses antécédents familiaux, les facteurs Gladue, et la disponibilité de services communautaires.
Des participants voudraient un meilleur accès public à l’éducation et l’information en matière juridique, en particulier en région éloignée. Les sujets mentionnés comprenant les accusations au pénal, notamment la conduite avec facultés affaiblies, les conséquences d’un non-respect de conditions, l’impact d’un plaidoyer de culpabilité et d’un casier judiciaire, et les avantages d’obtenir les services d’un avocat et de s’identifier comme Autochtone lorsque l’on demande l’aide juridique (p. ex., aiguillage vers un travailleur social auprès des tribunaux, facteurs Gladue).
Les participants ont fait état des avantages des tribunaux plus spécialisés, notamment un tribunal des Premières Nations, un tribunal Gladue, un tribunal pour l’instruction des causes de violence familiale, un tribunal de la santé mentale, un tribunal du mieux-être et le Downtown Community Court de Vancouver. Parmi les avantages relevés, on note la présence d’un avocat de garde à temps plein, des liens avec des services de soutien communautaires, la responsabilisation des délinquants à l’endroit des aînés et des fournisseurs de services, un plan de guérison et de mieux-être visant les causes profondes du contact avec le système de justice ainsi que l’accès aux services d’aide aux victimes et de planification de la sécurité dans les tribunaux pour l’instruction des causes de violence familiale.
Certains décrivaient les rapports Gladue comme une révélation pour les juges et les avocats de la poursuite, d’une aide précieuse pour aider le tribunal à déterminer une peine appropriée et cerner les services communautaires et les lacunes en la matière. Un participant soulignait qu’il s’agit de découvrir ce qui est disponible, et même lorsqu’il ne trouve rien, on apprend alors qu’il faudrait mettre en place des mesures de soutien. Des participants désiraient une politique ou un cadre global sur les rapports Gladue, plus de rapports Gladue à l’enquête sur le cautionnement et au prononcé de la peine, une formation accrue et une réduction du délai de rédaction des rapports.
Des participants discutaient une évolution globale de la culture du système de justice pénale. Comme l’expliquait un participant, [TRADUCTION] « l’anthropologie culturelle est la pièce manquante qu’il faut ajouter à l’éducation; nous avons peut-être des choses à apprendre des Autochtones sur la façon d’administrer un système de justice pénale efficace et adapté ». Des participants ont mentionné la valeur de la justice réparatrice, des cercles de sentence, de la déjudiciarisation, de la médiation, des aînés, des programmes de conciliation et d’aidant spirituel, et autres programmes juridiques communautaires adaptés aux cultures et aux traditions autochtones.
Des participants discutaient le politique générale comprenaient l’examen de ceux que l’on qualifie de criminel, car les conséquences peuvent marquer le reste de la vie, et non nécessairement dans l’intérêt de la justice ou de la communauté, la création de politiques spéciales sur les jeunes délinquants tenant compte du fait que le développement du cerveau se poursuit jusqu’au début de l’âge adulte, et l’application aux adultes du modèle d’équipe de cas et de services juridiques pour les jeunes.
Les participants ont indiqué que des moyens technologiques (p. ex. équipement de vidéoconférence dans les postes de police ou liaison vidéo pour les rencontres avocat-client) et que des services de transport vers le tribunal permettraient d’améliorer l’accès à la justice en évitant que l’accusé doive faire de l’autostop et s’exposer à des risques ou violer ses conditions. Des participants ont indiqué qu’il faudrait réformer le cautionnement (p. ex. conditions plus raisonnables, accès à des programmes), trouver davantage de solutions de remplacement à l’incarcération (p. ex. installations correctionnelles communautaires, maisons de transition) ainsi qu’accorder une plus grande importance à la réinsertion. Un participant a expliqué que la communauté souffre considérablement plus lorsqu’une personne est punie et isolée que lorsqu’on tente de la réadapter.
Certains participants ont fait part d’un besoin criant de services et soutiens sociaux pour s’attaquer aux problèmes de toxicomanie, de surpopulation, d’insécurité alimentaire, de traumatisme intergénérationnel, de violence et de l’impact du colonialisme et des pensionnats. Un participant expliquait que si des ressources étaient affectées pour satisfaire ces besoins, il aurait moins besoin d’avoir recours au système de justice pénale.
Lacunes en matière de recherche et de données
Certains participants ont fait état de lacunes de données sur la représentation autochtone dans le système de justice, notamment en matière d’inculpations par la police, de cautionnement, de plaidoyers de culpabilité, des faux plaidoyers de culpabilité et des condamnations injustifiées en raison d’un faux plaidoyer de culpabilité. Des participants faisaient part du besoin d’uniformiser les stratégies, définitions et unités de mesure pour le dénombrement parmi les compétences et les secteurs et entre eux. De futures recherches sur les plaidoyers de culpabilité pourraient faire appel à des entrevues avec des Autochtones qui ont été en contact avec le système de justice. D’autres domaines de recherche comprenaient les infractions en lien avec l’alcool et les drogues; l’évaluation des tribunaux spécialisés et des programmes de justice réparatrice; l’analyse des répercussions de l’incarcération; le calcul des coûts de détention d’une personne qui a omis de se présenter devant un tribunal comparativement aux coûts d’un service de transport permettant à un accusé de comparaître; de l’information sur les réserves et le contexte pour les avocats représentant des clients autochtones; les rapports Gladue; les peines dans le contexte des arrêts Gladue et Ipeelee; les recoupements entre les systèmes de protection de l’enfance, de santé mentale et de justice pénale; ainsi que le processus de pardon et de suspension du casier judiciaireNote de bas de page 6. Des participants ont souligné l’importance de mieux faire entendre les voix et les expériences des Autochtones, et d’employer une démarche tenant compte du traumatisme des impacts des pensionnats et du traumatisme intergénérationnel.
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