Un examen qualitatif des problèmes d’ordre juridique graves touchant les personnes handicapées dans le centre du Canada

Résultats de la recherche et discussion

Dans cette section, les résultats sont présentés selon trois principaux thèmes tirés des questions de recherche : l’expérience d’un problème juridique grave, la façon dont le problème a été résolu (ou non résolu), et enfin, les effets de ce processus sur la personne et ses aides.

Restrictions

Les résultats doivent être compris dans le contexte des restrictions suivantes, imposées par la méthodologie et le contexte du projet.

En raison de certaines des questions contextuelles susmentionnées, il n’est pas possible de généraliser les similitudes ou les différences entre les deux provinces (p. ex., les participants avaient accès à des aides et à des ressources différentes selon leur lieu de résidence). Dans le même ordre d’idées, les participants n’ayant pas tous indiqué où ils ont vécu leurs problèmes juridiques, cette étude ne peut pas fournir de données permettant de cerner certains problèmes provinciaux ou régionaux (p. ex., urbains ou ruraux).

Par ailleurs, l’équipe de recherche a tenté de recueillir des données intersectionnelles dans la mesure du possible, p. ex., au moyen d’un bref questionnaire d’évaluation. Cependant, ce questionnaire étant de nature volontaire, les données ayant été recueillies par divers moyens et le processus étant anonyme, les renseignements intersectionnels recueillis n’étaient pas les mêmes pour tous les participants. Néanmoins, dans la mesure du possible, ce rapport aborde le rôle de l’intersectionnalité dans l’accès et l’expérience des participants au processus de justice.

Finalement, les renseignements ayant été recueillis à l’aide de plusieurs méthodes, cela a influencé la présentation des expériences des participants dans ce rapport. Par exemple, des participants ont choisi de répondre par un seul mot ou par une courte phrase et d’autres ont donné plus de détails. En raison de la nature délicate et continue de leurs problèmes juridiques, des participants ont préféré que le chercheur prenne des notes plutôt qu’il enregistre l’entretien, en rédige un compte rendu et le leur présente aux fins d’approbation. Dans d’autres cas, l’équipe de recherche a dû supprimer des détails pouvant permettre d’identifier d’autres parties ou soulevant des problèmes de confidentialité.

  1. Types de problèmes

Les participants ont décrit différents types de problèmes juridiques qu’ils ont rencontrés. Ces problèmes relèvent des domaines suivants :

À en juger par cette liste, les participants à la recherche ont rencontré un large éventail de problèmes juridiques graves. Bien des participants ont fait remarquer que de telles expériences étaient courantes pour les personnes handicapées. Ce que la population générale peut percevoir comme des problèmes juridiques graves peut malheureusement être une expérience courante pour les personnes handicapées et pour d’autres membres de groupes marginalisés. Voici des détails qu’ont fournis les participants pour aider à contextualiser leurs expériences de problèmes juridiques graves.

Problèmes liés à l’emploi

L’emploi est l’un des principaux domaines dans lesquels les participants ont connu de graves problèmes juridiques. Les participants ont formulé des exemples de problèmes juridiques et d’obstacles liés au handicap dans le domaine de l’emploi, notamment des obstacles dans le processus de candidature, le refus d’adapter le travail, les mauvais traitements et le harcèlement au travail, et les licenciements abusifs.

Selon un participant, il a été « licencié d’un emploi après avoir demandé des mesures d’adaptation pour son handicap ». Ce participant a indiqué avoir été licencié après avoir demandé des mesures d’adaptation, car les journées de travail de 16 heures qu’on lui demandait de faire l’épuisaient. Il n’était pas rémunéré et ne recevait pas d’heures supplémentaires pour ces heures supplémentaires nouvellement imposées. Au moment du licenciement, on lui a dit qu’il n’était pas renvoyé en raison de son handicap, mais plutôt parce qu’il avait « menti par omission » lors de son entretien d’embauche au sujet de sa capacité à accomplir les tâches requises.

Cet exemple confirme ce thème : les employeurs et les employeurs potentiels savaient qu’ils ne pouvaient pas licencier ou refuser d’embaucher une personne à cause de son handicap, si bien qu’ils trouvaient des façons de présenter leurs agissements comme nécessaires et sans rapport avec le handicap de la personne. Cet obstacle se reflète dans les recherches qui indiquent que les employeurs rationalisent l’exclusion des personnes handicapées pour excuser des pratiques discriminatoires. Le milieu de travail a été le théâtre de violations des droits pour de nombreux participants; ils ont relevé des cas de discrimination, de harcèlement verbal et physique, de demandes d’emploi et de sites Web inaccessibles, et de congédiements illégaux.

Il faut noter la persistance de ces types de violations des droits en milieu de travail et relativement à l’emploi. En dépit de cadres clairs fondés sur les droits qui protègent théoriquement les personnes handicapées contre ce type de traitement, la fréquence de ces violations témoigne de problèmes plus vastes et plus systémiques qui nécessitent d’autres interventions ne reposant pas sur des plaintes individuelles. L’emploi, en tant que moyen d’inclusion sociale pour les personnes handicapées, est souvent une priorité stratégique, mais l’expérience de l’emploi reste pleine d’obstacles graves et systémiques pour les personnes handicapées. Ces renseignements mettent en évidence un décalage flagrant entre les droits légaux, les politiques et l’expérience réelle de l’emploi pour les personnes handicapées; c’est-à-dire que, même s’il existe des lois provinciales et fédérales sur l’emploi et les droits de la personne, l’expérience que vivent les personnes handicapées ne comprend pas les protections offertes par le cadre juridique et stratégique.

Obstacles et discrimination dans l’accès aux soins de santé

Les participants ont décrit leurs expériences des obstacles et de la discrimination dans l’accès aux soins de santé, y compris la manière dont leurs identités intersectionnelles ont façonné ces expériences. Selon un participant, son expérience de l’accès aux soins de santé, du début à la fin, a illustré comment « le système ne fonctionne pas ». Un participant trans handicapé a raconté qu’il avait repoussé l’accès aux soins de santé car il savait d’expérience qu’il connaîtrait de la stigmatisation et de la violence institutionnelle. Pour lui, l’accès aux soins de santé est semé d’obstacles et de stigmatisation en général. Au cours de son séjour à l’hôpital, il a vécu plusieurs injustices qui, selon lui, résultent du fait que le personnel n’avait pas les connaissances nécessaires pour fournir des soins appropriés. En tant que personne visiblement trans et handicapée, le participant a indiqué qu’il ressentait une « atmosphère de honte » dans ses interactions avec le personnel hospitalier, comme si le personnel reportait ses propres sentiments de honte sur les patients vulnérables.

Un autre aspect des soins de santé qui est ressorti est lié au rôle des personnes aidantes en matière d’accessibilité. Dans un exemple, le partenaire d’un participant (qui s’est identifié comme personne trans et comme ayant un handicap) a fourni l’aide nécessaire à la communication et a agi comme un décideur de substitution pour le participant hospitalisé. Cependant, le personnel a fréquemment dit à la personne aidante qu’elle devait partir, malgré le rôle essentiel qu’elle jouait dans l’aide à la communication et dans la prise de décision.

La question des soins de santé pour les personnes handicapées est devenue encore plus pressante avec la pandémie de COVID-19. Plusieurs cas très médiatisés dans le pays, dont au moins un ayant causé le décès d’un patient, ont été liés au fait que le personnel médical refusait aux personnes handicapées l’accès au personnel aidant dans des situations médicales. De même, dans certains cas, des médecins ont fait des suppositions sur la qualité de vie des personnes handicapées et ont limité leurs options de soins en conséquence. Des inquiétudes ont été soulevées lors d’entretiens avec les parties visées au sujet des protocoles de triage pour la COVID-19 et du rationnement potentiel des soins de santé qui peut laisser les personnes handicapées sans accès aux soins dont elles ont besoin. Par exemple, dans un cas très médiatisé au début de la pandémie, une femme handicapée de 40 ans est décédée en Colombie-Britannique parce que son aidante n’a pas été autorisée à l’accompagner lors de son admission à l’hôpital, où le personnel hospitalier l’a ensuite désignée comme nécessitant des soins de fin de vie plutôt qu’un traitement pour la COVID-19. Ce type de capacitisme dans le monde médical n’est pas nouveau, mais la COVID-19 l’a fait entrer dans le débat public. Les exemples présentés ici illustrent à quel point la question de l’accès aux soins de santé est urgente pour les personnes handicapées, et comment une optique intersectionnelle peut mettre en lumière la façon dont les obstacles systémiques, tels que la discrimination fondée sur le capacitisme et le transantagonisme, façonnent l’accès aux soins de santé.

Études

Une autre question importante qui a émergé est celle des études et des droits des personnes handicapées dans les contextes éducatifs. Les participants ont fréquemment évoqué les études, en tant que contexte de graves problèmes juridiques qu’ils avaient rencontrés au cours des trois dernières années. Ils ont souligné les aspects formateurs de leurs études et ont déclaré que ce contexte avait influencé leur expérience des questions juridiques plus tard dans leur vie. Il s’agit d’un éclairage important, car nous devons comprendre comment les questions juridiques sont vécues au cours de la vie.

Les plus jeunes participants ont décrit les obstacles persistants qu’ils rencontrent pour accéder aux études. Les voici :

En ce qui concerne le manque de toilettes accessibles, ce participant a déclaré s’être fait dire de « ne pas prendre l’habitude d’utiliser les toilettes accessibles du personnel ». Pour compliquer la situation, il devait utiliser un ascenseur pour accéder à des toilettes accessibles qui fonctionnaient souvent mal et qu’il jugeait peu sûres. Il a ajouté que cet ascenseur était souvent en panne et qu’il fallait des semaines pour le réparer.

Cet exemple est important pour plusieurs raisons. Tout d’abord, lors des entretiens, les parties visées, dont beaucoup étaient handicapées, ont évoqué le thème des études et des violations des droits. De nombreuses personnes handicapées rencontrent très tôt des problèmes juridiques au sein du système d’éducation, ce qui peut avoir des répercussions sur la personne tout au long de sa vie.

La question des répercussions tout au long de la vie a été mise en relief dans d’autres entretiens. Par exemple, un participant trans et handicapé a souligné que le fait d’avoir vécu des obstacles et des violations systémiques tout au long de sa vie lui a permis de pleinement comprendre la « hiérarchie complète » du fonctionnement des systèmes institutionnels (médical, psychiatrique, protection de la jeunesse, forces de l’ordre, etc.) et la manière dont les interactions entre ces systèmes créent des obstacles et peuvent infliger des traumatismes. Ce participant a expliqué que les interrelations de ces systèmes et la façon dont ils créent les expériences d’oppression rendent difficile l’auto-représentation ou la défense des intérêts sur un seul enjeu. Cette complexité a été évoquée dans des échanges avec des parties visées, qui ont noté que les violations des droits commencent souvent tôt dans la vie des personnes handicapées et peuvent persister tout au long de la vie. Ce contexte permet en partie d’expliquer que les effets de la procédure judiciaire soient si traumatisants pour beaucoup de personnes, même plus tard dans leur vie.

À cet égard, de nombreuses parties visées, qui se sont identifiées comme handicapées, ont signalé les obstacles et les problèmes de droits communs suivants dans les établissements d’enseignement, y compris les collèges et les universités :

Conformément à l’objectif de comprendre l’expérience du handicap d’un angle plus intersectionnel, nous souhaitons souligner que lorsque les enfants et les jeunes handicapés rencontrent des problèmes juridiques, leur âge et le degré de contrôle qu’ont les adultes sur eux peuvent en fait exacerber les torts que causent ces expériences. Même si les expériences des enfants sont exclues de la portée de l’étude, les participants adultes ont indiqué que les types de violations des droits que de nombreuses personnes handicapées subissent tôt dans leur vie façonnent la manière dont elles se perçoivent et perçoivent leurs droits. En effet, l’éducation précoce a une influence déterminante sur les expériences vécues tout au long de la vie, y compris l’accès à l’enseignement supérieur et les résultats d’emploi.

Logement

Le logement est un autre domaine clé que plusieurs participants ont signalé comme un lieu où ils ont rencontré de graves problèmes juridiques. Un participant, qui vit dans un logement coopératif, a indiqué que ses besoins ont changé avec l’âge et qu’il a maintenant besoin d’un accompagnateur pour la nuit. Il a reçu une lettre de la coopérative l’informant que le prix de son logement allait augmenter en raison de cet « invité de nuit ». Le participant a trouvé le « jargon juridique et la confusion autour des aides » difficiles. Le fait de devoir s’orienter et affronter la situation lui a provoqué un stress considérable.

Les propos du participant sur les questions de logement soulignent non seulement les types de problèmes juridiques que rencontrent généralement les personnes handicapées, mais aussi le fait que le logement est lié à d’autres problèmes systémiques. Un participant trans et handicapé a indiqué que son partenaire et lui avaient été illégalement expulsés de leur logis. Après que le propriétaire a découvert leurs pronoms et leurs besoins d’accessibilité, ils ont reçu un avis d’expulsion. Ils estiment que « la transphobie et la discrimination fondée sur la capacité physique » ont façonné cette expérience, car au lieu de bénéficier de mesures d’adaptation, « nous avons été harcelés ». Cet exemple illustre comment les facteurs intersectionnels se manifestent dans l’expérience que vivent des personnes handicapées.

La fréquence à laquelle les problèmes de logement ont été notés témoigne d’un manque de logements accessibles et abordables en Ontario et au Québec, ainsi que de violations persistantes des droits de la personne en matière de logement.

Services (in)accessibles

Un autre domaine commun où les participants ont rencontré des problèmes juridiques est celui de l’accès aux services, y compris ceux fournis et réglementés par le gouvernement. Par exemple, un participant aveugle a déclaré que malgré les lois et les protections, il ne peut toujours pas vérifier de manière indépendante qu’il a bien voté. Il a également signifié sa frustration persistante quant à l’utilisation de la technologie et des formulaires qui restent inaccessibles lorsqu’il tente d’accéder aux renseignements gouvernementaux et aux services sous réglementation fédérale. Le gouvernement joue un rôle dans la garantie et dans la protection de l’accessibilité pour les Canadiens handicapés, mais les récits des participants montrent qu’il existe toujours de graves problèmes d’accès. Cette tension témoigne de la nécessité d’un vaste changement systémique.

  1. Stratégies de résolution et résultats

Où les participants ont-ils trouvé de l’aide?

Les participants ont trouvé les aides suivantes inestimables lorsqu’ils rencontraient des problèmes juridiques :

Dans un cas, une participante ayant subi des violences sexistes a noté qu’en tant que femme, elle devait être épaulée par des femmes professionnelles, notamment une policière, une enquêtrice et une avocate.

Obstacles à la recherche de résolution

Cette section présente la manière dont les participants ont travaillé pour résoudre les graves problèmes juridiques qu’ils ont rencontrés. Dans l’ensemble, les participants ont déclaré que ces problèmes juridiques étaient courants pour eux. Beaucoup ont noté qu’il est parfois plus facile « d’abandonner et de passer à autre chose » que de se battre. Cette observation est significative, car elle met en lumière l’une des façons dont le processus de justice diffère pour les personnes handicapées. En effet, la fréquence et la nature systémique des violations, le capacitisme inhérent, ainsi que l’épuisement et le traumatisme que vivent de nombreuses personnes handicapées influenceront ce qu’elles décident faire lorsqu’elles sont confrontées à des violations de droits ou à des problèmes juridiques. Il se peut que beaucoup plus d’expériences soient inconnues des chercheurs, car les personnes handicapées peuvent en avoir eu assez de la nature accusatoire du processus juridique et du travail que cela demande. Plusieurs répondants ont exprimé cette lassitude et se sont demandé si le fait de parler de ces expériences avec l’équipe de recherche ferait évoluer les choses.4

En outre, de nombreuses personnes handicapées se sont probablement habituées à ces expériences et les ont normalisées. Pour cette raison, même lorsque leurs droits sont violés, elles peuvent ne pas reconnaître ces problèmes comme juridiques en soi, mais plutôt les considérer comme des résultats attendus de la vie dans un monde hostile qui n’est pas adapté à leurs besoins.

Les répondants ont utilisé des moyens officiels et officieux, souvent ensemble et à différents moments au cours du processus juridique, pour tenter de résoudre leurs problèmes juridiques. La plupart des participants ont tenté de résoudre les problèmes de manière officieuse, mais ont souvent eu recours à des processus officiels par la suite. Plusieurs participants ont estimé que le processus juridique aurait pu être évité s’ils avaient été écoutés par des voies officieuses. Un thème important est apparu lorsque les participants, même ceux qui se considéraient comme bien informés en matière de droit, ont indiqué que le processus juridique est long et déroutant. Ils ont noté que le processus peut changer en cours de route en fonction de l’évolution des politiques et des lois.

La majorité des participants ont indiqué que leur compréhension des questions juridiques était au moins bonne, mais, lorsqu’ils réfléchissent à leurs expériences et aux effets de ces expériences, ils constatent une confusion et un manque de clarté. Cette contradiction témoigne de problèmes systémiques et d’un manque d’accessibilité pour les personnes handicapées, tant en général qu’en ce qui concerne le processus juridique.

Cette recherche soutient que non seulement la loi elle-même est en cause, mais aussi les politiques, les procédures, le financement et les aides qui façonnent l’expérience juridique. Voici quelques-uns des obstacles spécifiques et systémiques que les participants ont soulevés dans le processus de résolution :

De nombreux résultats de cette recherche rejoignent la littérature au sujet des obstacles. Parmi eux, notons ceux-ci:5

Voici quelques exemples des thèmes les plus courants lorsque les participants ont discuté de la manière de s’orienter dans le processus de résolution. Les parties visées ont aussi noté qu’il n’y a souvent pas de processus linéaire clair à suivre, ce qui peut compliquer davantage cette partie de l’expérience.

Manque d’aides intersectionnelles

Des participants ont noté que le processus tendait à devenir plus officiel à mesure qu’ils progressaient. Par exemple, lorsqu’un participant trans a voulu s’attaquer aux mauvais soins reçus et aux obstacles rencontrés en milieu hospitalier, il a demandé l’aide de groupes et de ressources communautaires, notamment un travailleur social trans, une clinique juridique, un parajuriste handicapé, un professionnel des droits de la personne, un médecin de soins primaires et un défenseur médical trans. Le participant a noté que plus le personnel participait au processus, plus ce processus devenait officiel, ce qui créait des tensions dans la recherche d’une résolution. Dans cet exemple, de nombreuses personnes ont conseillé au participant de choisir un seul motif de discrimination, soit le handicap, soit le sexe, et de continuer à contester son traitement de cette manière.

Cet exemple illustre le manque d’aide communautaire intersectionnelle et montre que l’aide communautaire est souvent comprise et fournie sur la base d’aspects isolés de l’identité d’une personne et par des services dissociés. L’expérience du milieu hospitalier du participant trans montre que la loi n’est peut-être pas apte à traiter des violations des droits de la personne fondées sur des aspects multiples (et potentiellement confondus) des droits protégés d’une personne. Il se peut qu’il n’y ait pas de voie juridique claire qui protège tous les aspects des violations des droits d’une personne.

Les participants qui se sentaient marginalisés en raison de certains aspects de leur identité (p. ex., les femmes et les membres de la communauté LGBTQQIP2SA) ont mentionné juger important de pouvoir recevoir une aide de la part de personnes qui comprenaient ces obstacles en raison de leur propre expérience vécue. Un participant a souligné qu’il est rare de trouver un avocat ou un autre fournisseur d’aide juridique qui s’identifie comme ayant un handicap. Il y a un manque de professionnels du droit représentant des identités diverses, et les services et les aides ont tendance à être fournis d’une manière qui n’est apte qu’à prendre en compte certains aspects de l’expérience vécue des personnes.

Manque de clarté quant aux répercussions des résultats monétaires sur les prestations d’invalidité

Plusieurs répondants de l’Ontario ont fait remarquer qu’en vertu des règles du Programme ontarien de soutien aux personnes handicapées (POSPH), une compensation financière pourrait potentiellement influer sur leur admissibilité aux prestations d’invalidité. Dans un certain nombre de cas, les règlements relatifs à l’aide aux personnes handicapées ont déterminé la manière dont les personnes ont procédé pour tenter de résoudre leurs problèmes juridiques (c’était même une préoccupation pour de nombreux participants en ce qui concerne les petits honoraires de recherche versés dans le cadre de la présente étude). Les participants ont exprimé leur confusion concernant les prestations d’invalidité et le montant d’argent qu’ils étaient autorisés à détenir ou à avoir, en dehors des montants affectés aux prestations. Cette confusion semblait souvent survenir lorsque les agents de traitement des cas fournissaient des renseignements contradictoires. Le manque de clarté de la politique et les renseignements variables fournis par les agents de traitement des cas ont entraîné une incertitude chez de nombreux participants quant à savoir quelles seraient les répercussions d’un résultat monétaire possible sur leur accès aux prestations futures.

Portée limitée des résolutions

Lorsque les règlements monétaires ont été évoqués lors des entretiens, les participants ont massivement déclaré que l’argent n’était pas un facteur de motivation; de plus, plusieurs participants ont indiqué que ce type de résolution ne répondait pas à leurs principales préoccupations. Par exemple, un participant a déclaré qu’il ne cherchait pas à obtenir une compensation financière, mais qu’il espérait plutôt que son expérience entraîne une sorte de changement systémique qui garantira que d’autres personnes ne vivront pas ce qu’il a vécu. Le même avis a été exprimé au cours des entretiens et du groupe de discussion, ainsi que dans les réponses au questionnaire.

De plus, deux répondants ont mentionné qu’ils craignaient que le processus juridique entraîne le licenciement du personnel de première ligne, et ils ont fait remarquer que ces travailleurs étaient sous payés et insuffisamment soutenus, et qu’ils étaient souvent racisés. En outre, ils craignaient que les résolutions juridiques soient fondées sur un modèle punitif qui n’aborderait pas les problèmes systémiques et qui exacerberait ces derniers en nuisant aux autres personnes marginalisées. Les punitions ou les cessations d’emploi individuelles ne guériraient pas les traumatismes portés par les participants à la suite de leurs expériences. Les réponses des participants montrent qu’il est important de réfléchir de manière critique à la façon dont la résolution peut être définie dans le cadre du processus de justice et à la façon dont cette définition pourrait ne pas tenir compte des types de problèmes systémiques et de traumatismes que de nombreuses personnes handicapées ont signalés.

Un processus long et traumatisant

Un autre fil conducteur qui a émergé dans le cadre de cette recherche concerne la mesure dans laquelle le processus juridique peut être hostile et contradictoire, ce qui peut traumatiser à nouveau les participants qui recherchent une résolution après avoir subi un premier traumatisme. Par exemple, un participant a tenté de résoudre certains incidents dont il avait été victime en accédant aux soins de santé. Une partie du processus de résolution consistait à participer à des réunions avec cinq à dix personnes représentant l’institution dans laquelle la personne avait subi une injustice. Au cours de l’une de ces réunions, un médecin a parlé de « psychose de l’unité de soins intensifs » la plupart du temps et a suggéré qu’il s’agissait précisément du problème, plutôt que la discrimination persistante à laquelle la personne avait été confrontée. Cela suggère que la discrimination fondée sur la capacité physique et d’autres formes de discrimination déterminent la manière dont les personnes sont traitées dans ces contextes et tout au long du processus juridique.

Dans un autre exemple, alors que le participant avait pris de nombreuses notes tout au long de l’incident qui a conduit à ses problèmes juridiques, le processus juridique exigeait un niveau de détail qu’il estimait impossible de fournir. Ce participant a décrit comment, à un moment donné, on lui a demandé d’identifier un membre du personnel qui n’avait pas donné son nom au moment de leur interaction. Lorsque le participant n’a pas pu identifier la personne avec certitude, ce détail a été utilisé pour discréditer toute son expérience et suggérer que sa plainte n’était pas crédible. Cette recherche montre qu’il s’agit d’une expérience courante chez les personnes handicapées, y compris dans le cadre du processus juridique, car leur crédibilité est souvent remise en doute en raison d’un capacitisme systémique, alors que les autres personnes et les professionnels non handicapés se voient souvent accorder automatiquement une crédibilité.

Dans un autre exemple, un participant a déclaré que, dans le cadre du processus de résolution, il n’y avait « aucune aide disponible... [et] les plus vulnérables souffrent ». Bon nombre de participants ont exprimé le même avis, ce qui témoigne à la fois du besoin d’un soutien accru pour les personnes handicapées et de la façon dont le processus de justice n’est pas adapté pour répondre aux besoins ou valoriser les expériences des groupes marginalisés.

Un autre participant qui a porté une affaire devant le Tribunal des droits de la personne a souligné que, même s’il espérait obtenir un règlement de 30 000 $, il a dû se contenter de 10 000 $. Les participants à la recherche ont exprimé à plusieurs reprises qu’ils se sentaient obligés de parvenir à un règlement dans les cas formels et ont déclaré que, souvent, cela ne permettait pas d’obtenir le résultat souhaité, mais « mettait simplement fin au processus ».

De nombreux participants ont également fait remarquer que le processus juridique n’offrait pas de résolution permettant d’obtenir le type de soutien dont ils avaient besoin pour faire face aux répercussions durables ou aux traumatismes liés à l’événement déclencheur. Dans un cas, un participant a finalement pu négocier une thérapie pour guérir le traumatisme associé à son expérience, mais celle-ci était extrêmement limitée (trois séances) et n’a pas apporté le niveau de soutien dont il avait besoin. Un autre participant, en réfléchissant au processus de résolution, a déclaré que « en tant que personne handicapée, je ne gagne jamais ».

Problèmes juridiques non résolus

Aucun des participants ayant connu des problèmes juridiques liés au logement n’est parvenu à une résolution. Dans un cas, les locataires ont été expulsés et recherchent encore une résolution. Dans un autre exemple, bien que le participant ait obtenu deux lettres de soutien de la communauté attestant qu’il ne peut pas se voir imposer un loyer plus élevé en raison de la présence d’une aide de nuit, il n’a pas encore reçu de réponse de sa coopérative. Le participant a exprimé sa frustration car, bien qu’il ait travaillé avec diligence pour essayer de résoudre le problème en temps voulu, il n’a toujours pas reçu de réponse. Il a décrit le stress que cette question non réglée a causé ainsi que sa frustration à l’égard du processus lui-même.

Mis à part le logement, la majorité des problèmes juridiques des participants n’étaient pas résolus ou avaient donné lieu à un règlement. Un participant a déclaré : « J’avais besoin de passer à autre chose. Vivre dans l’incertitude n’est pas une façon de vivre. » Un autre participant a indiqué que, bien qu’il y ait souvent une pression exercée pour obtenir un règlement pour un certain nombre de raisons, le désir d’obtenir quelque chose d’un processus aussi long et ardu est l’une des principales raisons pour lesquelles les gens choisissent finalement de le faire. Le processus juridique étant complexe et long, associé à la marginalisation et à la discrimination dont sont déjà victimes de nombreuses personnes handicapées, présente un risque sans garantir une résolution. La pression exercée pour obtenir un règlement peut sembler être la seule option, car la solution de rechange pourrait être l’absence totale de résolution.

Un autre participant a parlé de la pauvreté et du traumatisme que vivent de nombreuses personnes handicapées en raison de la longueur des procédures et des questions juridiques non résolues : « J’ai dû avoir recours à une banque alimentaire. J’ai travaillé avec un psychologue pour faire face au choc post traumatique, et mon réseau social a changé. »

Les expériences décrites dans les sections précédentes reflètent un grand nombre de problèmes liés au processus de résolution. Pour résumer, les problèmes sont les suivants :

  1. Répercussions sur les participants

Les participants ont mentionné que les difficultés qu’ils ont rencontrées dans le cadre du processus juridique leur ont fait payer un lourd tribut. Nous présentons ci-dessous ces répercussions par type - émotionnelles, financières et sociales - pour illustrer leur portée et leur variété.

Répercussions émotionnelles

Les répercussions émotionnelles ont été de loin les plus fréquemment mentionnées par les participants. Plus précisément, les participants ont mentionné :

Un participant a déclaré que le processus l’avait laissé avec « un sentiment d’impuissance, d’injustice, de démotivation et de perte d’espoir, ainsi qu’avec un problème d’estime de soi et de confiance - surtout un stress causé par le manque de sécurité ». Un autre participant a déclaré ceci : « les répercussions psychologiques sont très difficiles à endurer, et il était également impossible pour moi d’arriver sur le plan financier...le processus est très cher, et pour les personnes pauvres, c’est très difficile. »

Ces répercussions émotionnelles aident à illustrer pourquoi le processus juridique peut être si difficile pour les personnes handicapées. Elles peuvent également aider à mettre en lumière pourquoi de nombreux participants ont fait part de leur hésitation à aller jusqu’au bout du processus juridique. En effet, dans de nombreux cas, les participants ont déclaré que le processus de résolution leur avait causé un autre traumatisme; qu’il était une source de stress et d’isolement; et qu’il les avait laissés avec un sentiment de désespoir.

Il est probable que ce stress émotionnel soit plus qu’un simple malaise ou un manque de renseignements sur le processus juridique. En effet, un répondant a également indiqué que, tout au long de sa vie, il s’était engagé dans le processus juridique en tant que défenseur d’intérêts particuliers et en tant que membre de divers groupes de défense d’intérêts. Malgré ses expériences passées, il avait l’impression de toujours apprendre de nouvelles choses car il y a souvent des lois et des politiques nouvelles, ainsi que des changements dans les aides et le processus relatif aux plaintes. Étant donné que ce processus n’est jamais facile ou direct, le travail d’autoreprésentation dans le cadre de règles en constante évolution peut créer un énorme fardeau émotionnel sur les personnes qui choisissent de suivre cette voie.

Répercussions financières

Les répercussions financières constituent un autre thème clé qui a émergé. Il s’agissait notamment du coût important pour les personnes qui avaient les moyens d’entreprendre un processus juridique ou qui ont obtenu une aide financière pour le faire, ainsi que des obstacles pour les personnes qui n’avaient pas les moyens d’entreprendre un tel processus ou qui pensaient que ce dernier pourrait avoir une incidence sur la disponibilité des prestations. Les participants ont mentionné les éléments suivants :

L’un des thèmes qui a émergé était le fait que le coût du processus impose des limites. Même les personnes ayant les moyens financiers nécessaires qui ont obtenu un règlement favorable ont noté les obstacles au sein du système. En outre, pour les personnes qui n’avaient pas les moyens financiers nécessaires, les réductions dans le soutien communautaire, ainsi que la réglementation en matière de financement et l’accès aux mesures de soutien aux personnes handicapées, ont constitué des obstacles supplémentaires. Ces aspects financiers créent des défis particuliers pour de nombreuses personnes handicapées, et le système de justice n’a pas su reconnaître de tels défis à même ses processus. En effet, conformément aux exemples décrits plus haut, une résolution pécuniaire peut sembler être une conclusion juste dans certains cas. Or, ce n’est pas le cas lorsque la plainte est liée à une violation systémique des droits de l’homme; lorsque la personne a subi un traumatisme; ou lorsque des prestations d’invalidité empêchent la personne d’accéder à des indemnisations monétaires.

Répercussions sociales

Bien que les répercussions sociales n’aient pas été mentionnées aussi souvent que les autres types de répercussions, certains participants ont mentionné des domaines clés dans lesquels le processus juridique a eu des répercussions sociales sur eux. Mentionnons notamment :

En somme, il n’est pas surprenant que les répercussions aient été à la fois particulières et traumatisantes pour de nombreux répondants, compte tenu des types d’obstacles auxquels ils sont confrontés; de la nature systémique de ces obstacles; de la fréquence à laquelle des expériences troublantes surviennent en raison de leur état marginalisé; ainsi que des contraintes et des obstacles propres à leur handicap au sein du processus de résolution.


Notes de bas de page

3 Bhattacharjee, K. (2003). The Ontario Safe Schools Act: School discipline and discrimination. Commission ontarienne des droits de la personne.

4 Il existe un certain cynisme au sein de la communauté des personnes handicapées quant à la possibilité d’un engagement réel et significatif en faveur de leurs droits et d’un processus accessible. Dans plusieurs réponses à l’enquête, les participants ont dit ne pas croire que leurs réponses auraient de l’effet. Cela peut expliquer que certaines réponses soient plus brèves.

5 Office des personnes handicapées du Québec, cyberbulletins de l’office, volume 11, numéro 2, 2017