Analyse
Notre étude qualitative communautaire démontre que les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ qui ont suivi des « thérapies de conversion » ont des expériences et des besoins uniques, ce qui requiert de l’aide et des ressources taillées sur mesure. Malgré une certaine connaissance du projet de loi C‑4, les personnes interviewées souhaitent que plus d’efforts soient déployés pour mieux faire connaître le projet de loi, les « thérapies de conversion » et les SOGIECE. Leurs expériences confirment que les « thérapies de conversion », au Canada comme à l’étranger, ont lieu dans une multitude de contextes, particulièrement en contextes familiaux, religieux, confessionnels et médicaux. L’intersection de la race, de l’expérience migratoire, du genre, de la sexualité et de la religion ou de la foi fait en sorte que les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ rencontrent des difficultés particulières, y compris des obstacles systémiques, et ils ne peuvent souvent compter que sur eux-mêmes pour obtenir de l’aide. Nous devons reconnaître le courage et la force des personnes participantes qui ont accepté de parler de leurs expériences.
Des études antérieures démontrent que les « thérapies de conversion » persistent au Canada, plus particulièrement en contextes religieux, confessionnels ou médicaux [7‑8]. Les résultats de notre étude sont semblables à ceux rapportés antérieurement. Ils démontrent toutefois l’importance d’accorder un sens plus large au terme pratiques de « thérapie de conversion » pour couvrir les SOGIECE qui se produisent dans plusieurs contextes, y compris dans la famille, et qui prennent des formes visibles et plus sournoises, ce qui a de graves conséquences sur les personnes 2ELGBTQQIA+. De plus, il serait bénéfique de revoir le terme « thérapie de conversion », puisque le mot « thérapie » est souvent associé à un cadre clinique, ce qui peut empêcher les personnes 2ELGBTQQIA+ ayant vécu des formes plus subtiles des pratiques de conversion à y voir une « thérapie de conversion ».
Tel que nous l’avons mentionné précédemment, les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ ont été marginalisées des études antérieures sur les « thérapies de conversion », et ce, malgré le nombre disproportionné de « thérapies de conversion » qu’elles ont suivies [7; 13]. Cette étude visait à combler ces lacunes en mettant de l’avant les témoignages des PANDC, des personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ survivantes. Nos résultats illustrent bien que ces personnes qui subissent de l’oppression intersectionnelle pourraient être plus vulnérables aux « thérapies de conversion » et avoir plus de difficultés à obtenir du soutien en raison des iniquités systémiques.
Les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ peuvent subir de la stigmatisation anti‑2ELGBTQQIA+ de la part de la société dominante et de leurs communautés ethnoraciales, ainsi que du racisme et de la xénophobie de la part de la société dominante et des communautés 2ELGBTQQIA+. Pour aborder les « thérapies de conversion », on doit lutter contre la stigmatisation, le racisme et la xénophobie envers les personnes 2ELGBTQQIA+. Nos constatations témoignent également de l’importance de soutenir les interventions intersectionnelles, en d’autres mots, celles qui ne tiennent pas seulement compte de la stigmatisation des personnes 2ELGBTQQIA+, mais également du racisme et de la xénophobie.
Conformément aux résultats d'études antérieures [7; 9; 10‑12], notre étude démontre les conséquences dévastatrices de la « thérapie de conversion » pour la santé mentale et physique des personnes 2ELGBTQQIA+, leur sentiment d’identité, leurs relations interpersonnelles et les possibilités qui s’offrent à elles. De plus, la perte de liens précieux avec leur groupe ethnoracial et leur communauté religieuse peut s’avérer encore plus dévastatrice pour les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+, qui auraient besoin de leur soutien pour faire face au racisme et à la xénophobie qu’elles subissent au Canada. Les conséquences du traumatisme lié à la « thérapie de conversion » sont nombreuses, d’où l’importance soulignée en ces pages d’adopter des approches tenant compte des traumatismes pour travailler avec les personnes survivantes.
Comme le démontre également notre étude, certaines personnes survivantes 2ELGBTQQIA+ doivent quitter leur pays d’origine pour trouver un milieu de vie plus sécuritaire. Toutefois, de nombreuses personnes 2ELGBTQQIA+ immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées doivent surmonter d’importants obstacles au Canada, comme l’obtention de leur statut d’immigration, l’orientation dans les dédales des services de santé et des services sociaux, le racisme et la xénophobie. Les systèmes d’immigration doivent mieux connaître et soutenir les préjudices subis par les survivants 2ELGBTQQIA+ de la « thérapie de conversion », et adopter dans leurs pratiques des approches tenant compte des traumatismes. Étant donné que plusieurs personnes survivantes ne divulguent pas leur expérience de « thérapie de conversion » ou même leur identité 2ELGBTQQIA+ au personnel de l’immigration, aux organismes d’aide à l’établissement ou aux services de soutien aux étudiants internationaux, ces derniers doivent avoir la formation et les connaissances nécessaires pour utiliser une approche tenant compte des traumatismes.
Un apport important de notre étude est le lien entre le logement et la « thérapie de conversion ». Lorsque des PANDC, des personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ vivent dans une maison familiale où ont lieu des « thérapies de conversion » et/ou des SOGIECE, et qu’elles ne peuvent déménager dans un logement sécuritaire, les conséquences sur les personnes survivantes sont exacerbées. Pour les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées, et particulièrement pour les personnes qui viennent étudier au Canada, ces situations sont particulièrement néfastes. Il est impératif d’investir dans des services d’aide au logement pour les personnes 2ELGBTQQIA+ qui sont dotés de critères d’admissibilité inclusifs pour les communautés 2ELGBTQQIA+ qui rencontrent des obstacles systémiques supplémentaires, comme les personnes immigrantes, les réfugiés, les personnes avec un permis d’études ou de travailleur étranger temporaire, et les personnes sans statut d’immigration.
Des études antérieures révèlent qu’il n’est pas rare que des personnes 2ELGBTQQIA+ ayant fui leur pays d’origine contractent le VIH au Canada, puis qu’elles aient du mal à obtenir des soins de santé liés au VIH en raison de leur isolement, de leur manque d’accès à l’information et aux ressources et de l’oppression systémique qu’elles subissent, comme le racisme et la xénophobie [20; 21; 23]. Bien que nos questions d’entretien n’étaient pas élaborées autour du thème du VIH/sida, certaines personnes ont dévoilé leur expérience en lien avec le VIH/sida et ont souligné la nécessité persistante d’améliorer l’éducation communautaire en matière de VIH et de prendre en charge les immigrants, les réfugiés et les nouveaux arrivants 2SLGBTQIA+.
Les constatations confirment les grandes lacunes dans le soutien aux personnes survivantes 2ELGBTQQIA+ relevées dans la littérature [7; 9; 11; 13], et soulignent les obstacles supplémentaires qu’affrontent les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+. Les gouvernements doivent investir dans des services de santé mentale accessibles, gratuits, culturellement adaptés, tenant compte des traumatismes et conçus spécialement pour les personnes survivantes de « thérapies de conversion ». Ces services doivent être offerts en ligne et en personne, offrir des possibilités d’accès anonyme, être conçus et élaborés en consultation avec des personnes survivantes, et être disponibles en dehors des grands centres urbains.
En plus des services de santé mentale, il est impératif d’offrir plus de soutien communautaire aux PANDC, aux personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ (p. ex., par l’entremise d’organismes communautaires 2ELGBTQQIA+ ou ethnoraciaux), y compris du soutien culturellement et linguistiquement adapté, du soutien par les pairs et du soutien ciblant différents types d’individus, comme les personnes neuroatypiques, celles qui ne peuvent pas « s’afficher », celles qui vivent en milieu rural, etc. L’une des personnes interviewées propose notamment la création d’un service de clavardage, de messagerie ou de téléphonie anonyme et sécuritaire mis en place expressément pour venir en aide aux personnes survivantes de « thérapies de conversion ».
Nous sommes conscients que des groupes existants d’entraide par les pairs destinés aux personnes survivantes de « thérapies de conversion », comme C.T. Survivors Connect (www.ctsurvivorsconnect.ca) et le Conversion Therapy Dropout Network (www.conversiontherapydropout.org), offrent du soutien direct. Plusieurs personnes interviewées indiquent que le soutien par les pairs est un modèle potentiel culturellement adapté pour les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ survivantes, et soulignent des exemples d’initiatives du genre. Toutefois, pour mieux les soutenir, ces modèles de soutien par les pairs doivent être perfectionnés et élargis.
En ce qui a trait à la mise en œuvre du projet de loi C‑4, les constatations de notre étude indiquent que certaines personnes interviewées souhaitent que les instigateurs des « thérapies de conversion » soient tenus responsables. Ce n’est toutefois pas le point de vue de toutes les personnes rencontrées. Pour les participants à cette étude, comme pour de nombreux autres survivants, la « thérapie de conversion » est souvent pratiquée par les proches des personnes 2SLGBTQIA+, tels que les membres de la famille.
Les personnes interviewées notent également que le système de justice pénale et les services de police canadiens ont porté et portent toujours préjudice aux communautés de PANDC, de personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+. Conséquemment, chercher à obtenir justice par l’entremise de ces systèmes pourrait ne pas s’avérer utile ou efficace pour ces communautés, à moins qu’on s’attaque adéquatement à l’oppression systémique.
Au lieu d'une approche punitive, le recours à des approches éducatives ou réparatrices pourrait être plus efficace, compte tenu de l’identité des personnes qui peuvent être responsables de la perpétuation de la « thérapie" de conversion ». Par exemple, de vastes campagnes visant à mieux connaître et accepter les identités 2ELGBTQQIA+ et à mieux comprendre les conséquences néfastes des « thérapies de conversion » pourraient s’avérer utiles.
L’implication d’organismes communautaires qui ont pour mission de servir les personnes ethnoracisées, immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées serait un autre bon moyen de mener des campagnes d’information et de sensibilisation adaptées à la culture. Dans le même ordre d'idées, il est nécessaire de continuer d’informer la population afin de combler les lacunes en matière de connaissances ou de compréhension à l’endroit du projet de loi C‑4.
Il est encore plus important de s’attaquer aux « thérapies de conversion » devant la résurgence des mouvements anti‑2ELGBTQQIA+ (ainsi qu’aux lois et aux politiques anti‑2ELGBTQQIA+ en découlant), qui ont des conséquences dévastatrices sur les personnes 2ELGBTQQIA+ [25; 26]. Il est impératif et de plus en plus pressant que les décideurs, les leaders communautaires et les organismes communautaires priorisent le soutien aux communautés 2ELGBTQQIA+. Ce soutien doit comprendre la prévention et l’interdiction des « thérapies de conversion » et des SOGIECE, la garantie d’espaces sécuritaires aux personnes 2ELGBTQQIA+, y compris dans les écoles, l’amélioration des services pour réduire les obstacles, l’accès à l’éducation sur la sexualité et le genre, les recours en cas de haine en ligne ou en personne, et plus encore.
Même si notre étude a permis de faire la lumière sur les PANDC, les personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ survivantes qui sont souvent négligées dans ce domaine de recherche, elle n’est pas sans limites. Premièrement, les personnes devaient pouvoir s’exprimer en anglais, en français ou en espagnol pour participer à l’étude, ce qui excluait d’emblée les personnes 2ELGBTQQIA+ qui ne maîtrisaient pas ces langues. Deuxièmement, la plupart des personnes participantes avaient déjà bien entamé leur parcours de guérison; certaines ont même explicitement indiqué qu’elles n’auraient pas pu partager leur histoire quelques années plus tôt.
Comme le mentionne l’une des personnes interviewées, un bon nombre de personnes 2ELGBTQQIA+ n’ont même pas la possibilité de parler de leur expérience vécue de la « thérapie de conversion ». Notre étude n’incluait que16 personnes, dont une qui s’est retirée en cours de route. En raison de ces contraintes, les résultats de notre étude sont difficilement généralisables. Toutefois, elle fournit d’importantes observations sur les expériences des PANDC, des personnes immigrantes, nouvellement arrivées et réfugiées 2ELGBTQQIA+ ayant survécu à des « thérapies de conversion », ce qui constitue une avancée pour l’amélioration du soutien qui leur est offert.
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