Examen du lien entre la criminalité et la situation socio-économique à Ottawa et à Saskatoon : Analyse géographique à petite échelle

8. Constatations de l'étude no 3 : une comparaison des quartiers d'Ottawa et de Saskatoon

8. Constatations de l'étude no 3 : une comparaison des quartiers d'Ottawa et de Saskatoon

8.1 Analyse des composantes principales

Comme nous l'avons expliqué au chapitre 4, nous avons ré-agrégé les données sur les aires de diffusion d'Ottawa (étude no 1) de manière à ce qu'elles concordent avec les limites des quartiers de la ville. Une fois encore, nous avons transformé les variables employées dans l'analyse en scores Z (Zi = (xi– x) / sdx ) de manière à rendre les différents indicateurs (criminalité, recensement et urbanisme) compatibles du point de vue statistique. Nous avons soumis l'ensemble des données sur les quartiers d'Ottawa à une analyse des composantes principales (ACP) afin d'examiner le degré de corrélation entre les variables et d'évaluer le lien entre les actes criminels et les caractéristiques socio-économiques/des quartiers (tableaux 8.1 et 8.2). Comme nous pouvons le voir dans le tableau 8.1, l'ACP a produit une solution à six composantes expliquant 86 % de la variance totale de l'ensemble de données. De même, l'ACP de Saskatoon (tableau 7.2) avait produit une solution à six composantes expliquant 84 % de la variance totale. Ces variances élevées indiquent une inter-corrélation significative dans les deux ensembles de données.

Le tableau 8.3 montre les poids des deux premières composantes pour chaque ville. Nous voyons clairement qu'à Ottawa, les caractéristiques liées aux crimes et aux quartiers se répartissent sur deux axes distincts. La composante 1 est lourdement chargée sur les variables liées à la mobilité et au faible revenu tandis que les poids de la composante 2 indiquent que les cinq variables liées à la criminalité sont étroitement corrélées les unes avec les autres et n'ont un lien significatif qu'avec l'une des 26 variables socio-économiques, soit les jeunes ne fréquentant pas l'école. Toutefois, le tableau 8.3 révèle un lien solide à Saskatoon entre les actes criminels et les caractéristiques des quartiers. La composante 1 est fortement et positivement liée aux crimes de violence et aux crimes majeurs contre les biens et à plusieurs aspects socio-économiques, plus particulièrement les résidents autochtones, les familles monoparentales et les familles à faible revenu. La composante 2 met en lumière le lien entre les crimes mineurs contre les biens et les infractions relatives aux stupéfiants dans les quartiers où l'on trouve des tours d’habitation et des taux faibles de participation à la population active.

8.2 Analyse de régression multiple

Nous avons soumis les ensembles de données d'Ottawa et de Saskatoon à une série d'analyses de régression multiple séquentielles afin d'examiner la force et l'intensité de la relation entre la criminalité (la variable dépendante) et les conditions socio-économiques (les variables indépendantes). En ce qui concerne les quartiers d'Ottawa (n=50), le tableau 8.4 donne un résumé des résultats en montrant les coefficients de détermination multiple (R2) et les variables indépendantes significatives pour chaque modèle de régression. Il révèle plusieurs différences entre les deux villes quant au rapport entre la criminalité et les conditions socio-économiques. À Ottawa, au niveau des quartiers, on relève un lien statistique modérément significatif entre les deux dimensions, les variables liées à la criminalité ayant des R2 variant d'un minimum de 0,269 pour les infractions relatives aux stupéfiants à un maximum de 0,638 pour les crimes majeurs contre les biens. Plusieurs variables indépendantes ont des coefficients bêta significatifs. Plus particulièrement, les variables « jeunes ne fréquentant pas l'école » et « personnes seules » semblent les meilleurs indicateurs des taux de criminalité généraux de même que de certaines catégories d'infractions. Le tableau montre que la variable « jeunes ne fréquentant pas l'école » est une variable indépendante significative pour chacune des six variables liées à la criminalité et qu'elle est le seul indicateur significatif des crimes de violence. De plus, la variable « revenu moyen des ménages » est un indicateur significatif de la criminalité, à l'égard de toutes les infractions confondues, des crimes majeurs contre les biens et des désordres publics/autres infractions.

Par comparaison, le tableau 8.5 montre qu'à Saskatoon, la corrélation est plus forte entre la criminalité et les conditions socio-économiques, puisque les cinq analyses de régression ont donné des R2 relativement élevés (variant du minimum de 0,618 pour les crimes mineurs contre les biens à un maximum de 0,726 pour les crimes de violence). Nous avons constaté que la variable mesurant les transferts gouvernementaux, qui prend en compte le niveau d'aide sociale que les résidents reçoivent, est l'indicateur le plus important de la criminalité globale dans les quartiers de la ville. Comme à Ottawa, les modèles de régression de Saskatoon révèlent que la variable « jeunes ne fréquentant pas l'école » est un indicateur significatif de la criminalité globale de même que des crimes mineurs contre les biens et des infractions relatives aux stupéfiants. Toutefois, comme nous l'avons vu dans l'étude no 2, la constatation probablement la plus troublante qui ressort de l'analyse des données de Saskatoon est la forte corrélation entre les crimes de violence et les Autochtones. Le coefficient R2 élevé (0,726) et le coefficient bêta élevé du modèle donnent à penser que les Autochtones sont plus susceptibles d'être victimisés dans les quartiers où les taux de crimes de violence sont élevés.

8.3 Configurations géographiques de la criminalité dans les quartiers d'Ottawa et de Saskatoon

Nous avons utilisé ArcGIS pour produire une série de cartes illustrant la distribution spatiale de la criminalité et des caractéristiques des quartiers à Ottawa. Comme nous le voyons dans les figures 8.1 et 8.2, les secteurs à haut taux de criminalité (SHTC) sont concentrés dans le noyau central construit et les banlieues, aucun SHTC n'étant visible dans les secteurs périphériques et ruraux de la ville. (Les SHTC sont définis comme les quartiers dont les taux de criminalité correspondent aux catégories « haut » et « plus haut » dans les cartes.) Cependant, il apparaît également qu'à l'intérieur même du noyau urbain, les SHTC sont plutôt dispersés. Les quatre collectivités ayant les taux de criminalité « les plus hauts » (plus de 100 infractions pour 1 000 habitants) sont les quartiers centraux de Centre-ville, Basse-ville et Overbrook de même que Clementine, situé juste à l'ouest d'Alta Vista. Plusieurs quartiers ayant des taux de criminalité « hauts » sont situés dans le cœur de la ville ou immédiatement autour, dont Vanier, Riverview/Hawthorne, Carleton Heights, Ottawa Ouest et Dalhousie. La figure 8.1 révèle également une bande de quartiers de banlieue dans la portion ouest de la ville où les taux de criminalité sont « hauts », dont Glencairn, Nepean-Ouest, Nepean-Nord, Bells Corners et Pinecrest/Queensway. La figure 8.2 montre que les SHTC de violence dans la ville ont une configuration géographique similaire. Les trois quartiers ayant les taux « les plus hauts » de crimes de violence constitués dans le cœur de la ville, soit Vanier, Basse-ville et Centre-ville. Les SHTC d'Ottawa présentent certaines caractéristiques socio-économiques. Le tableau 8.6 montre qu'elles ont des densités de population nettement plus grandes, de plus grandes proportions de minorités visibles, de personnes seules, de locataires, de résidents vivant dans des tours d’habitation et des immeubles d’habitation de faible hauteur et de personnes à faible revenu.

Comme nous l'avons vu dans l'étude no 2 de Saskatoon, les SHTC sont groupés dans le cœur de la ville. Ils y sont particulièrement visibles sur la rive ouest de la rivière South Saskatchewan et ils correspondent également aux quartiers défavorisés au plan socio-économique. Une caractéristique géographique distinctive de Saskatoon est une grappe très circonscrite de SHTC de violence, tous situés dans l'ouest de la ville, dont la plupart ont des proportions élevées de résidents autochtones, dont Pleasant Hill, Riversdale, le Confederation Suburban Centre et Meadowgreen. Toutefois, comme nous l'avons souligné dans l'étude de Saskatoon, trois quartiers de la ville seulement comptent plus de 30 % d'Autochtones et aucun n’en compte plus de 50 %. Ce fait semble indiquer que la ségrégation ethnique n'est pas une caractéristique importante de Saskatoon et que les problèmes de criminalité et de victimisation touchent une grande portion de la population de la ville. Plusieurs caractéristiques liées aux quartiers de SHTC ressemblent à celles relevées à Ottawa, dont des proportions élevées de personnes seules, de locataires et de résidents à faible revenu. Une différence importante tient toutefois à la présence d'habitations plus vieilles et de moindre qualité dans les SHTC de Saskatoon, en particulier au cœur de la ville.

8.4 Discussion

La présente étude fournit une comparaison succincte des caractéristiques liées à la criminalité et aux quartiers à Ottawa et à Saskatoon. Elle révèle que Saskatoon a un taux de criminalité considérablement plus élevé qu'Ottawa et que dans l'ensemble, le désavantage socio-économique y est plus répandu. Dans la première analyse portant sur Ottawa (étude no 1), nous avons employé des données au niveau des aires de diffusion et constaté un lien faible entre la criminalité et la situation socio-économique dans la ville. Quand nous avons analysé de nouveau les données à l'échelle des quartiers d'Ottawa, nous avons constaté que le changement géographique a un effet sur la « force » statistique de cette relation. Plusieurs indicateurs ont un effet significatif sur les taux de criminalité dans les quartiers de la ville, dont la proportion plus grande de personnes seules et de jeunes ne fréquentant pas l'école de même que le revenu moyen des ménages plus bas. L'analyse géographique montre une configuration relativement dispersée des SHTC dans le noyau urbain d'Ottawa, y compris une présence notable dans plusieurs des quartiers de la banlieue ouest de la ville.

Par comparaison, il semble y avoir un lien plus solide et plus direct à Saskatoon entre la criminalité et les quartiers défavorisés du point de vue socio-économique, en particulier dans les quartiers comptant une plus grande proportion de familles à faible revenu et de résidents autochtones. En moyenne, les quartiers de Saskatoon affichent des taux de criminalité beaucoup plus élevés. En outre, les SHTC (en particulier pour les crimes de violence) sont surtout situés dans le cœur de la ville, très peu d'entre eux étant situés dans des quartiers de banlieue.

Tableau 8.1 - Puissance explicative des composantes principales, Quartiers d'Ottawa
Composante Valeur propre % de la variance totale % cumulatif
1 13,3 42,9 42,9
2 4,7 15,1 58,1
3 3,8 12,2 70,3
4 2,0 6,5 76,8
5 1,7 5,4 82,3
6 1,1 3,6 85,8