La recherche d'unité dans l'interprétation du droit privé fédéral : cadre juridique et fragments du discours judiciaire
Notes
- [1] Roderick A. Macdonald, « Legal Bilinguism », (1997) 42 R.D. McGill 119. Le texte biblique est tiré de la version publiée sur le site Internet du Vatican (https://www.vatican.va) : The American Bible, United States Conference of Catholic Bishops.
- [2] 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 5). Nous citerons généralement la version officielle en anglais. Il suffit de lire quelques discours de George-Étienne Cartier à l'époque pour se rendre compte que le projet confédéral n'était pas uniquement motivé par des intérêts commerciaux. Dans le contexte de la guerre civile américaine, la protection de la Couronne britannique s'avérait également importante. Voir cet extrait du discours prononcé par Cartier à l'assemblée législative le 7 février 1865 : « Nous, qui avons eu l'avantage de voir le républicanisme à l'œuvre, durant une période de quatre-vingts ans, d'en voir les défectuosités et les vices, nous avons pu nous convaincre que les institutions purement démocratiques ne peuvent point assurer la paix et la prospérité des nations, et qu'il nous fallait nous unir par une fédération faite pour perpétuer l'élément monarchique. » (Joseph Tassé, Discours de Sir Georges Cartier Baronnet accompagnés de notices, Montréal, Eusèbe Sénécal & Fils Imprimeurs-Éditeurs, 1893 (collection numérique de Bibliothèque et Archives nationales du Québec : http://www.banq.qc.ca). Le monarchisme comme principe unificateur a fait place, de toute évidence, à la souveraineté du peuple et à son corollaire, les droits de la personne. Voir à ce sujet : Peter H. RUSSELL, Constitutional Odyssey – Can Canadians Become a Sovereign People ?, 2e éd., Toronto, University of Toronto Press, 1993, p. 4.
- [3] Nous avons lu que l'expression « Dominion » a été préférée à « Royaume » étant donné le risque que celle-ci déplaise aux Américains. De nouveau, la référence biblique est claire à ce sujet. Samuel Leonard Tilley aurait proposé comme solution de rechange « Dominion » en se référant à une ligne du psaume 72 de la Bible : « Il y aura aussi un dominion qui ira de la mer à la mer et de la rivière aux extrémités de la terre. » Voir « La Conférence de Londres » dans La Confédération canadienne, Bibliothèque et Archives Canada (http://collectionscanada.ca).
- [4] Voir, par exemple, l'extrait suivant du discours de George-Étienne Cartier, précité, note 2, p. 416 : « On a prétendu qu'il serait impossible de faire fonctionner la confédération, à cause des différences de race et de religion. Ceux qui partagent cette opinion sont dans l'erreur. C'est justement à cause de cette variété de races et d'intérêts locaux que le système fédéral doit être établi et qu'il fonctionnera bien. » Voir également, dans le même discours, le passage cité par la Cour suprême du Canada dans le Renvoi sur la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 43, où Cartier affirme piteusement que l'unité des races est une «
utopie
». - [5] Signalons, de façon anecdotique, les débats ayant eu lieu en novembre 2006 à la Chambre des communes du Parlement afin de reconnaître que «
les Québécoises et les Québécois forment une nation »
. À cet égard, il nous semble pour le moins bizarre que le Bloc Québécois, dans une optique souverainiste, n'ait pas employé le terme « Québec » dans la motion qu'il a présentée et qui fut finalement battue. Par ailleurs, il nous semble particulièrement significatif que la résolution adoptée par la Chambre ait comporté la mention « au sein d'un Canada uni ». Voir Chambre des communes, Journaux, 1re session, 39e législature, 23 novembre 2006 et 27 novembre 2006 (https ://parl.gc.ca). - [6] Renvoi sur la sécession du Québec, précité, note 4. Voir au par. 43 : « Le fédéralisme était la structure politique qui permettait de concilier unité et diversité. » Le fédéralisme est considéré par la Cour suprême comme l'un des principes constitutionnels fondamentaux du Canada. À noter, l'unité et la diversité ont été analysées à travers les cinq concepts du fédéralisme qui prévaudraient au Canada : Edwin R. Black, Divided Loyalties – Canadian concepts of federalism, Montréal / London, McGill / Queen's University Press, 1975. Plus récemment, voir Eugénie BROUILLET, « The Federal Principle and the 2005 Balance of Powers in Canada », (2006) 34 S.C.L.R. (2d) 307.
- [7] Loi constitutionnelle de 1867, par. 92(13).
- [8] Id., art. 91. Nous reviendrons plus en détails, dans la Partie I, sur la question du partage des compétences.
- [9] Le principe de diversité et la recherche d'unité sont présents, par exemple, à l'art. 94 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cet article prévoit la possibilité que le Parlement adopte des mesures d'unification du droit privé dans les provinces autres que le Québec. Sur la tension entre efficacité et diversité dans l'interprétation du partage des compétences, voir Jean LECLAIR, « The Supreme Court of Canada's Understanding of Federalism : Efficiency at the Expense of Diversity », (2003) Queen's L.J. 411.
- [10] Ceux-ci la verront par exemple dans la « Politique sur le bijuridisme législatif » du ministère de la Justice du Canada (1995), où il est fait référence simultanément aux « quatre auditoires canadiens » de la législation fédérale, soit « les francophones civilistes, les francophones de common law, les anglophones civilistes et les anglophones de common law ». La Politique est publiée dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 4, annexe III.
- [11] Ils ont d'autant plus à faire, comme nous l'avons dit, qu'ils se trouvent dans un régime fédéral. La recherche d'unité n'est toutefois pas absente des régimes unitaires. Voir ces remarques à propos de la Cour de cassation comme « gardienne de l'unité du droit » : « La diversité des interprètes, de leur formation, de leur expérience, la multiplicité des règles et des principes pertinents, la complexité des couleurs que des faits infiniment changeants donnent à ce droit prétendument impassible, tout concourt à éloigner la circonférence qui n'est nulle part, de son centre qui est partout. » (Christian ATIAS, « L'image doctrinale de la Cour de cassation », Recueil Dalloz Sirey de doctrine de jurisprudence et de citation, 1993, Chronique XXIX, p. 133).
- [12] Henry L. MOLOT, « Clause 8 of Bill S-4 : Amending the Interpretation Act », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 6, p. 1.
- [13] La dépendance implicite a été mise en lumière dans l'article profondément savant des auteurs Jean-Maurice BRISSON et André MOREL, « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation », (1996) 75 R. du B. can. 297, p. 309. La « compénétration » des droits a été signalée par Jean LECLAIR, « L'interface entre le droit commun privé provincial et les compétences fédérales “attractives” », dans Ysolde GENDREAU (dir.), Un cocktail de droit d'auteurs, ALAI Canada / Éditions Thémis, 2007, p. 25 (à noter que pour les fins de la présente étude, nous avons consulté une version préliminaire de ce texte et ce, avec l'aimable autorisation de l'auteur). De façon plus générale, sur l'interdépendance et la complémentarité des compétences législatives, voir Gérald-A. BEAUDOIN, La Constitution du Canada, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 333, 334 ; André TREMBLAY, Droit constitutionnel – Principes, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2000, p. 328 et suiv.
- [14] J. LECLAIR, loc. cit., note 13.
- [15] Pour un article intéressant, quoiqu'ancien, à propos de la recherche d'uniformité au Canada et du rôle des tribunaux à cet égard, voir par exemple : John WILLIS, « Securing Uniformity of Law in a Federal System – Canada », (1943-1944) 5 U. of T.L.J. 367. À noter ce passage – d'une autre époque – où l'auteur fait référence à l'influence unificatrice de la common law anglaise sur les juges canadiens, en tant que « extra-legal factor » : « To the ordinary Canadian practitioner, the common law of England is just as much his law, perhaps more so, than the common law of his own province. » Ne peut-on penser que ce sentiment d'appartenance à une même tradition ait toujours aujourd'hui une certaine influence au niveau national ? Par ailleurs, en ce qui concerne le rôle créateur des juges et l'influence de la common law sur la jurisprudence québécoise, voici ce que l'on disait à propos plus particulièrement de l'exemple du droit international privé : « L'influence du droit étranger sur la jurisprudence québécoise, en particulier du droit anglais, est très souvent due à un phénomène de colonisation juridique. Mais on peut aussi parfois l'expliquer par éclectisme ou même l'opportunisme des juristes québécois. » (Adrian POPOVICI, « Dans quelle mesure la jurisprudence et la doctrine sont-elles source de droit au Québec ? », (1973) 8 R.J.T. 189, 194).
- [16] J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 13, p. 299. Les auteurs analysent cette relation en ce qui concerne le droit civil plus particulièrement. Comme ils l'affirment, leur analyse s'applique également au rapport de la législation avec la common law (id.). Ceci apparaît logique étant donné les fondements auxquels ils font référence, en particulier dans les cas de dépendance implicite (id., p. 309-310).
- [17] Voir Ruth SULLIVAN, « The Challenges of Interpreting Multilingual, Multijural Legislation », (2004) 29 Brook. J. Int'l. L. 985, p. 1030 et 1042.
- [18] Quant aux fondements, voir J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 13, p. 303304, 309-310.
- [19] L'article de J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 13, regorge d'exemples où le droit des provinces, en particulier le droit civil, est tour à tour retenu ou écarté. Pour les fins de la présente étude, nous avons par ailleurs dépouillé un groupe important d'études publiées par le ministère de la Justice du Canada dans le cadre du progamme d'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil. Ces études sont mentionnées spécifiquement dans l'Annexe. Pour les fins présentes, voir par exemple : David DUFF, « La Loi de l'impôt sur le revenu et le droit privé au Canada : Complémentarité, dissociation et bijuridisme », (2003) 51 Revue fiscale canadienne 64.
- [20] L'examen de ces rapports est particulièrement évident dans des causes de nature constitutionnelle. À titre préliminaire, voir par exemple Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437, en droit maritime, ou Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453, en droit de la faillite. Un tel examen n'est toutefois pas limité, de toute évidence, aux cas de dissociation. Pour un exemple éloquent, voir St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289 (C.A.F.).
- [21] Les études se sont multipliées au sujet du bijuridisme, en particulier à la Cour suprême du Canada. Ces études, toutefois, ne portent pas nécessairement sur le droit privé fédéral, mais sur la convergence des traditions au Québec ou au Canada : France ALLARD, « La Cour suprême du Canada et son impact sur l'articulation du bijuridisme », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la pro vince de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 3 ; France ALLARD, « Entre le droit civil et la common law : la propriété en quête de sens », dans Jean-Claude GÉMAR et Nicholas KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits / Jurilinguistics : Between Law and Language, Paris, Éditions juridiques Bruylant / Montréal, Éditions Thémis, 2003, p. 195 ; Louis LEBEL et Pierre-Louis LE SAUNIER, « L'interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47 C. de D. 179.
- [22] Nous examinerons la notion de droit commun dans la Partie I de cette étude. Pour l'instant, voir John E.C. BRIERLEY, « Quebec's “common law ” (Droits communs): How many are there ? », dans E. CAPARROS (dir.), Mélanges Louis-Philippe Pigeon, Montréal, Wilson & Lafleur, 1989 ; Jean-Maurice BRISSON, « Le Code civil, droit commun ? », dans Le nouveau Code civil : interprétation et application, Journées Maximilien-Caron (1992, Faculté de droit, Université de Montréal), Montréal, Éditions Thémis, 1993.
- [23] Roderick A. MACDONALD, « Encoding Canadian Civil Law », dans Mélanges Paul-André Crépeau, Faculté de droit de l'Université McGill, Cowansville, Éditions Yvon Blais, 1997.
- [24] R. SULLIVAN, loc. cit., note 17, p. 1042. À noter, l'auteur affirme dans la phrase précédente que les tribunaux fédéraux n'ont pas la compétence, en l'absence de législation fédérale, de créer un droit commun (common law) dans les domaines de compétence fédérale. Nous considérons toutefois qu'il pourrait y avoir, de sa part, confusion théorique en ce qui a trait aux notions de droit commun (common law) qu'elle emprunte pour les fins de sa thèse à R.A. MACDONALD, loc. cit., note 23. Nous y reviendrons [voir infra, Partie I, notes 231 à 233].
- [25] Voir à ce sujet l'étude de Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS, Les solitudes du bijuridisme au Canada, Montréal, Éditions Thémis, 2007. Sur un autre registre, voir également John E.C. BRIERLEY, « Bijuralism in Canada », dans Droit contemporain – Rapports canadiens au Congrès international de droit comparé, Montréal, 1990, Montréal, Éditions Yvon Blais / Institut de droit comparé, McGill University, 1992, p. 22 : « Bijuralism (bijuridisme) in Canada signifies the coexistence of the English common law and the French Civil law traditions within a country organized along federal lines.,raquo; Enfin, voir Michel BASTARACHE, « Le bijuridisme au Canada », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1. À noter les différences subtiles de perspectives qui se dégagent de ces textes. Le professeur Brierley qualifie le bijuridisme par rapport au Québec essentiellement où le droit civil s'est implanté, et associe le droit fédéral à la common law (par. 1, 4 et 9). Le juge Bastarache ne fait pas cette distinction et se concentre sur l'application du droit civil en droit fédéral et la convergence des traditions.
- [26] Sur la distinction entre sources formelles et sources réelles, voir Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 4e éd., Paris, P.U.F. / Quadrige, 2003, vo « Source (1a et 1b) ». Voir également : Gérard CORNU, Droit civil – Intro duction – Les personnes – Les biens, 7e éd., Paris, Montchrestien, 1994, par. 72, p. 37 ; Gerald GALL, The Canadian Legal System, 5e éd., Scarborough (Ontario), Thomson – Carswell, 2004, p. 35 et suiv. et 273 et suiv.
- [27] Nous reviendrons sur cette idée de « toile de fond ». L'expression est employée par la juge L'Heureux-Dubé dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919.
- [28] Nous mentionnons « norme » et « domaine » car, comme nous le constaterons, le droit privé fédéral est souvent défini au regard des champs de compétences législati ves, et non seulement des normes comme telles qui y correspondent. Pour une définition de « droit privé », voir Nicholas KASIRER (dir.), Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues – Les obligations, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Cowansville (Québec), 2003, vo « Droit privé ».
- [29] Dans la mesure du possible, nous avons tenté d'éviter la confusion dans l'emploi de cette terminologie. Il n'est pas exclu toutefois que l'expression « législation fédérale de droit privé », en principe moins englobante, soit employée par nous-même en l'absence de législation (voir par exemple, le cas du droit maritime). Par métonymie, donc, l'expression peut à la limite faire référence aux sources supplétives.
- [30] En ce qui concerne les sources judiciaires, n'entrons pas dans le débat de savoir si les juges ont un rôle différent selon qu'ils appartiennent à une province de common law ou de droit civil. Néanmoins, certains reconnaissent au juge, jusqu'en droit civil français, un « véritable pouvoir de créer du droit » : voir Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, Traité de droit civil – Introduction générale, 4e éd., Paris, L.G.D.J. 1994, par. 465 et 475 et suiv. Pour un résumé succinct mais très utile du rôle de la jurisprudence comme source de droit, voir Gisèle LAPRISE, Les outils du raisonnement et de la rédaction juridique, Montréal, Éditions Thémis, 2000, chapitre premier. Voir aussi G. GALL, op. cit., note 26, p. 35 et suiv., et 273 et suiv. ; Louise BÉLANGER-HARDY et Aline GRENON (dir.), Éléments de common law et aperçu com paratif du droit civil québécois, Scarborough (Ontario), Carswell, 1997, chapitre 2.
- [31] François CHEVRETTE, Herbert MARX, Droit constitutionnel, Notes et jurisprudence, Montréal, P.U.M., 1982, p. 5-9. Ce passage très intéressant est inséré dans une discussion sur le problème de l'existence d'« un » ( ! ) common law fédéral. Le passage est cité par J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 13, p. 309-310, en ce qui concerne les fondements de la dépendance implicite du droit privé fédéral. À noter l'emploi du mot « dérive » par les auteurs Chevrette et Marx : le bijuridisme supplétif serait-il aussi dérivatif ?
- [32] Comme nous le constaterons, la notion de droit commun comme « corps de droit » connote l'idée d'unité plutôt que de pluralité. Voir cette définition de John E.C. BRIERLEY, « La notion de droit commun dans un système de droit mixte : le cas de la province de Québec », dans La formation du droit national dans les pays de droit mixte, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1989, p. 104 : « [...] il semble que l'on puisse néanmoins retracer une unité dans la conception de ce qu'est le droit commun, même dans un système juridique à caractère mixte et fédéral. En effet, la notion du droit commun n'est autre chose que l'expression d'une certaine idée : un corps donné de normes s'applique sauf dérogation expresse. » Toutefois, nous pouvons penser que cette idée de corpus normatif n'exclut pas nécessairement au niveau théorique la présence d'une pluralité formelle de sources juridiques. Au sujet de la tension constante entre unité et multiplicité par rapport à la notion de droit(s) commun(s), voir H. Patrick GLENN, On common laws, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. vii et p. 88-91.
- [33] Nous retenons donc, pour les fins présentes, la deuxième définition de l'interprétation des textes législatifs donné par Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 1999, p. 3-4. Quant à l'indétermination du droit, voir le même auteur, id., p. 19. Voir aussi, au sujet de la théorie de l'imprécision, cet arrêt de la Cour suprême du Canada : R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, [1992] 2 R.C.S. 606. La Cour y écrit notamment : « Les arguments sémantiques, fondés sur une conception du langage en tant que moyen d'expression sans équivoque, ne sont pas réalistes. Le langage n'est pas l'instrument exact que d'aucuns pensent qu'il est. »
- [34] Nous entendons par « source formelle » la norme telle qu'elle est reconnue dans sa forme officielle par l'État : Gérard CORNU, Vocabulaire juridique, Association Henri Capitant, 4e éd., Paris, P.U.F. / Quadrige, 2003, vo « Source (1b)»: « Forme sous l'action de laquelle la règle naît au Droit ; moule officiel dit source formelle qui préside, positivement, à l'élaboration, à l'énoncé et à l'adoption d'une règle de Droit : fonction reconnue selon les systèmes juridiques à la loi, à la coutume, à la jurisprudence ou à la doctrine. » Voir aussi, au sujet des sources du droit : Jacques GHESTIN et Gilles GOUBEAUX, Traité de droit civil – Introduction générale, 4e éd, Paris, L.G.D.J., 1994, no 236 et suiv.
- [35] Art. 8.1, Loi d'interprétation, L.R.C. (1985), c. I-21.
- [36] Nous donnons à cette expression son sens le plus général, afin d'inclure les documents constitutionnels historiques dont nous discuterons dans la présente section. Pour une définition formelle, voir l'art. 52 de la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11)].
- [37] Laquelle continuité est illustrée par l'emploi de l'expression « property and civil rights » dans les textes fondateurs du droit privé canadien. Voir infra notes 77 et 82. Nous reviendrons sur le sens de cette expression dans la section portant sur le partage des compétences (I.A.1.b)).
- [38] 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 5), art. 91 et 92.
- [39] Id., Intitulé VI.
- [40] On peut y inclure, plus particulièrement dans les provinces de common law, les normes d'origine judiciaire (judge-made law). Au Québec, par ailleurs, on peut aussi inclure les principes fondamentaux ou les normes coutumières, bien que le Code civil couvre l'essentiel : John E.C. BRIERLEY et Roderick A. MACDONALD, Quebec Civil Law – An Introduction to Quebec Private Law, Toronto, Emond Montgomery Publications, 1993, no 108. Nous reviendrons sur la continuation dans les provinces de ce « bouquet de normes préconfédérales », aux termes de l'art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 (voir infra, note 68).
- [41] Nous n'examinerons pas la question sous l'angle des traditions autochtones qui, en présumant qu'elles constituent également les régimes de droit privé, complexifieraient de toute façon la composition du droit fédéral.
- [42] Cet exposé des règles de réception est fondé sur Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 4e éd. (feuilles mobiles), vol. 1, Scarborough (Ontario), Thomson-Carswell, 1997 (mise à jour « 2005 – Release 1 »), par. 2-1 ; François CHEVRETTE et Herbert MARX, Droit constitutionnel, Notes et jurisprudence, Montréal, P.U.M., 1982, p. 5-9 ; Louise BÉLANGER-HARDY et Aline GRENON (dir.), Éléments de common law et aperçu comparatif du droit civil québécois, Scarborough (Ontario), Carswell, 1997, p. 51 et suiv. Pour un exposé détaillé des règles de réception, voir J.E. CÔTÉ, « The Reception of English Law », (1977) 15 Alta. L. Rev. 29, 31 et suiv.
- [43] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-1 et 2-3(b) ; J.E. CÔTÉ, loc. cit., note 42, 31 et suiv. Pour une perspective historique, voir Jacques VANDERLINDEN, « La réception des systèmes juridiques européens au Canada – Regards d'un historien du droit sur ses origines », (1996) 1:1 R.C.L.F. 1. Cet auteur démontre par exemple qu'il peut y avoir un décalage plus ou moins long entre l'affirmation du pouvoir impérial sur un territoire et la réception formelle de son système de droit sur ce territoire.
- [44] Pour un survol de l'histoire constitutionnelle et de ses sources documentaires, consulter le site Internet « Le Canada en devenir », sous la rubrique « Histoire de la Constitution » (collection Notre mémoire en ligne, http://www.canadiana.org/citm/index_f.html).
- [45] Selon J.E. CÔTÉ, loc. cit., note 42, 14, l'acte de concession accordé à Champlain prévoit l'autorisation de « légiférer sous la forme de “loix, statuts et ordonnances [...] autant qu'il se pourra conformes aux nôtres”».
- [46] John E.C. BRIERLEY et Roderick A. MACDONALD, Quebec Civil Law – An Introduction to Quebec Private Law, Toronto, Emond Montgomery Publications, 1993, no 9, p. 8 et suiv. À noter que, pour les fins de cette discussion, nous n'abordons pas le cas de la Terre de Rupert, octroyée à la Compagnie de la Baie d'Hudson par la Couronne britannique en 1670 et sujette donc à la réception du droit anglais (J.E. CÔTÉ, loc. cit., note 42, 3).
- [47] J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 9-11, p. 9-11 ; J.E. CÔTÉ, loc. cit., note 42, 16. Voir Michel MORIN, « Introduction historique au droit civil québécois », dans L. BÉLANGER-HARDY et A. GRENON (dir.), op. cit., note 42, p. 59-62 ; Louis PERRET, « Peut-on combiner les modèles ? Le Québec comme système mixte », dans F. ROUVILLOIS (dir.), Le modèle juridique français est-il un obstacle au développement économique ?, Fondation pour l'innovation politique, Paris, Dalloz, 2005, p. 101.
- [48] Traité de Paris 1763, reproduit dans André TREMBLAY (dir.), Droit constitutionnel canadien et québécois – Documents, Montréal, Éditions Thémis, 1999, p. 21 ; Proclamation royale, 7 octobre 1763, Proclamation par le roi George R. (reproduite dans L.R.C. (1985), app. II, no 1). Au sujet de cette période, voir J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 11, p. 11 et suiv. ; P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-3(b). Quant à savoir s'il s'est agi d'une conquête ou d'une cession (le territoire ayant été conquis militairement ; l'expression « cede & garantit » étant employée dans le Traité de Paris), la question importe peu ici puisque l'effet est le même quant aux règles de réception. Quant à l'ambiguïté qui a régné durant le gouvernement militaire de Murray entre 1760 et 1763, voir J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, id., no 46, p. 15.
- [49]À propos de l'incertitude juridique causée par la Proclamation royale de 1763, voir J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 13, p. 15 et suiv. ; Gerald GALL, The Canadian Legal System, 5e éd., Scarborough (Ontario), Thomson – Carswell, 2004, p. 268.
- [50] Acte de Québec de 1774 (« An Act for making more effectual Provision for the Government of the Province of Quebec in North America »), 14 Geo. III, R.-U., c. 83 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 2; ci-après cité « Acte de Québec »). Voir, en particulier, les art. IV et VIII-XI.
- [51] Id., art. VIII : « may also hold and enjoy their Property and Possessions, together with all Customs and Usages relative thereto, and all other their Civil Rights, in as large, ample, and beneficial Manner, as if the said Proclamation, Commissions, Ordinances, and other Acts and Instruments, had not been made ».
- [52] Id., art. VIII.
- [53] Voir en particulier, à la Cour suprême, les arrêts Laurentides Motels Ltd. c. Beauport (Ville de), [1989] 1 R.C.S. 705 ; R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, par. 49.
- [54] Comme l'histoire l'a démontré, ces mesures allaient donner lieu au moins en par-tie à l'introduction de normes de droit anglais. Rendu bijuridique par l'imposition du droit anglais dans les matières de droit public, et quelques matières de droit privé, le droit du Québec pouvait commencer sa lente évolution vers une mixité de sources en droit privé : « The result, in private law matters, was the alteration over the next years of Quebec Civil law into the law of a bijural jurisdiction : portions of English law coexisted with the body of old French law reinstituted under the Act. » (J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 14, p. 17).
- [55] Sur l'évolution du droit à partir de cette période et la formation d'un « droit civil » canadien, consulter J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 3,p. 2 ; no 15 et suiv., p. 17 et suiv. Voir aussi M. MORIN, loc. cit., note 47, p. 62 et suiv. Pour des analyses détaillées de la formation d'un « droit mixte », voir John E.C. BRIERLEY, « La notion de droit commun dans un système de droit mixte : le cas de la province de Québec », dans La formation du droit national dans les pays de droit mixte, Aix-en-Provence, Presses universitaires d'Aix-Marseille, 1989, p. 103. Voir aussi, quant à la procédure, Jean-Maurice BRISSON, La formation d'un droit mixte : l'évolution de la procédure civile de 1774 à 1867, Montréal, Thémis, 1986.
- [56] Acte constitutionnel de 1791, 31 Geo. III, R.-U., c. 31 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 3) ; Acte d'Union, 1840, 3-4 Vict., R.-U., c. 35 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 4 ; ci-après cité « Acte d'Union »).
- [57] L'art. XXXIII de l'Acte constitutionnel de 1791 et l'art. XLVI de l'Acte d'Union emploient exactement la même formule : « all Laws, Statutes, and Ordinances [...] shall remain and continue to be of the same Force, Authority, and Effect [...] as if this Act had not been made ». À noter que l'Acte d'Union n'a pas pour effet d'unir les deux régimes de droit privé, la réserve étant clairement exprimée à l'art. XLVI que les droits applicables dans chaque province au moment de l'Union continuent d'être en vigueur « in those Parts of the Province of Canada [...] as if the said Two provinces had not been united ». À ce sujet, voir P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-3(b).
- [58] Les dispositions finales de l'art. XXXIII de l'Acte constitutionnel de 1791 et de l'art. XLVI de l'Acte d'Union permettaient aux Assemblées de « rappeler ou varier » (« repeal or vary ») le droit en vigueur, ce que Lord Durham suggérait d'ailleurs de faire à propos du droit civil dans son rapport ayant présidé à l'Union de 1840. Pour un compte rendu historique et des références sur cette période ayant mené à la codification de 1866, voir J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 15 et suiv., p. 18 et suiv. ; Murray GREENWOOD, « Lower Canada (Quebec) : Transformation of Civil Law, from Higher Morality to Autonomous Will, 17741866 », dans Canada's Legal Inheritances, (1996) 23 Man. L.J.132.
- [59] L'article XXXIII de l'Acte constitutionnel de 1791 prévoit cette possibilité en ces termes : « except [...] in so far as the same [all Laws, Statutes, and Ordinances, which shall be in force...] shall or may hereafter, by virtue of and under the authority of this Act, be repealed or varied by his Majesty, his heirs of successors, by and with the Advice and Consent of the Legislative Councils and Assemblies of the said Provinces respectively [...]. »
- [60] An act to repeal certain parts of an act passed in the fourteenth year of his Majesty's reign, entitled An act making more effectual provision for the government of the province of Quebec in North America and to introduce the English law as the rule of decision in all matters of controversy, relative to property and civil rights, (H.-C.), 32 Geo. III, c. 1 (sanctionnée le 15 octobre 1792). Une loi de même nature est toujours en vigueur dans les lois révisées de l'Ontario : Loi sur la propriété et les droits civils, L.R.O. 1990, c. P-29.
- [61] L'article I précise : « And whereas, since the passing of the act aforesaid, that part of the late province of Quebec now comprehended within the province of Upper Canada, having become inhabited principally by the British subjects, born and educated in countries where the English laws were established, and who are unaccustomed to the laws of Canada [...] ». Voir P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 23(b) ; Paul ROMNEY, « Upper Canada (Ontario) : The Administration of Justice, 1784-1850 », dans Canada's Legal Inheritances, (1996) 23 Man. L.J. 132. Pour un survol historique de l'histoire du Haut-Canada, consulter l'article « Haut-Canada » sur le site Internet L'Encyclopédie canadienne, Fondation Historica (http://www.the canadianencyclopedia.com).
- [61a] Comme l'annonce son titre, le statut du Haut-Canada prévoit l'« abrogation » de la disposition prévue à l'art. VIII de l'Acte de Québec, laquelle disposition est pourtant contenue dans une loi du parlement britannique : « [...] be it enacted by the king's most excellent Majesty, by and with the advice and consent of the legislative council and assembly of the province of Upper Canada, [...] that from and after the passing of this act, the said provision contained in the said act of the fourteenth year of his present Majesty be, and the same is hereby repealed [...].»
- [62] Loi précitée, note 60, art. III. Comparer la formule employée ici avec celle employée dans l'Acte de Québec, supra, note 52.
- [63] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-3(b) : « This was an adoption of English laws as of 1792, and it established 1792 as the date of reception of English law for what is now Ontario ». L'expression « réception secondaire » est employée à propos du droit d'origine française par J. VANDERLINDEN, loc. cit., note 43, p. 32.
- [64] Supra, notes 57 et 58.
- [65] Les dates de réception sont importantes afin de déterminer en quel état le droit reçu a commencé d'évoluer. À ce sujet, et en ce qui concerne la datation des diverses réceptions du droit anglais dans les provinces et territoires canadiens, voir J.E. CÔTÉ, loc. cit., note 42 ; J. VANDERLINDEN, loc. cit., note 43 ; P.W. HOGG, op. cit., note 42. La date de réception formelle de la tradition européenne de droit civil est plus incertaine dans le cas du Québec. Dans la mesure où les dispositions de la Proclamation royale ont été annulées par l'Acte de Québec, on peut avancer les dates des édits français de 1663 et 1664 comme repères historiques de l'introduction formelle de la Coutume de Paris en Nouvelle-France (voir supra, note 46). On a proposé aussi la date de 1774, soit celle de l'Acte de Québec : F. CHEVRETTE, H. MARX, op. cit., note 42, p. 7. À noter, quant à la Nouvelle-Écosse, le Nouveau-Brunswick et l'Île-du-Prince-Edward, que la présence du droit français et la « cession » de ces colonies par la France ne sont généralement pas considérées, ces colonies étant vues comme des colonies de peuplement (voir P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-1).
- [66] Supra, note 57.
- [67] Le titre de cette loi était auparavant Acte de l'Amérique du Nord britannique ; il a été changé par la Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11), art. 53(2). La version française de la Loi constitutionnelle de 1867 n'étant qu'officieuse (voir l'art. 55 de la Loi constitutionnelle de 1982), nous ne citerons que l'anglais. Nous nous référons à la codification administrative du ministère de la Justice du Canada, 1er avril 1996.
- [68] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-4 ; Jean LECLAIR, « Réflexions sur les problèmes constitutionnels soulevés par l'abrogation du Code civil du Bas Canada », (1997) 99 R. du N. 155, 158-159. Les deux auteurs précisent de quoi était constitué ce « bouquet de normes préconfédérales », pour reprendre l'expression du professeur Leclair. Voici la description du professeur Hogg :
- (1) droit reçu dans la colonie ;
- (2) droit sanctionné pour la colonie en vertu de la prérogative royale ;
- (3) droit statutaire sanctionné pour la colonie par le parlement impérial ;
- (4) développements judiciaires après la réception du droit ;
- (5) droit statutaire sanctionné par la législature coloniale.
- [69] Sur l'absence de réception du droit privé préconfédéral dans l'ordre juridique fédéral, voir J. LECLAIR, loc. cit., note 68, p. 191. Le professeur Leclair cite à ce sujet l'arrêt ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752, par. 30 (ci-après cité « ITO »). Contra : Roderick A. MACDONALD, « Encoding Canadian Civil Law »,,/ dans Mélanges Paul-André Crépeau, Faculté de droit de l'Université McGill, Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 1997, p. 579.
- [70] ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics, précité, note 69, par. 27 ; J. LECLAIR, loc. cit., note 68, p. 160 ; P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-4.
- [71] A. (P.) c. G.(C.), [2002] R.J.Q. 2612, J.E. 2002-1818 (C.A. Qué.), par. 30 ; J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 44. Cette question, liée à celle de la réception du droit préconfédéral dans l'ordre juridique fédéral, reste controversée : voir par exemple Chippewas of Sarnia Band c. Canada (Attorney General), (2000) 195 D.L.R. (4th) 135, 51 O.R. (3d) 641 (Ontario C.A.), par. 224, 225, 234. Certains prétendent que le droit préconfédéral serait devenu du « droit fédéral » en
- 1867 dans les domaines de compétence fédérale (voir R.A. MACDONALD, loc. cit., note 69, par. 46). À notre avis, comme l'affirme le professeur Leclair (supra, note 69), le libellé et l'objet de l'art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867 n'appuient pas cette hypothèse. Dans l'arrêt ITO (précité, note 69, par. 27), le juge McIntyre affirme clairement : « Section 129 does not, in my opinion, support an argument for referential incorporation of provincial law. » Quant à la décision de la Cour d'appel fédérale citée par le juge McIntyre, Associated Metals and Minerals Corporation c. The « Evie W », [1978] 2 C.F. 710, par. 6 et 7, elle réfère au droit préconfédéral aux fins de déterminer la juridiction de la Cour fédérale (« for the purposes of section 101 »). Il y a bien sûr la question de savoir comment, aux termes de l'article 129, le Parlement pouvait abroger ou modifier (« to be repealed, abolished, or altered ») le droit ayant été maintenu dans une province. Ceci, à notre avis, ne pose pas de problème dans la mesure où l'on admet que le droit privé résiduel était de compétence fédérale tout en étant pluriel et localisé dans les provinces. Il reste néanmoins que l'on ne saurait – sans extrapolation – inférer la réception (le professeur Macdonald emploie l'expression « carry forward ») d'un droit résiduel général (jus commune) dans l'ordre juridique fédéral, en se fondant sur une disposition dont la finalité est d'assurer la continuité du droit dans les provinces. Nous reviendrons sur cette question dans la section relative à l'absence de droit commun fédéral (I.A.2.a) Voir en particulier, infra, notes 123 et 128.
- [72] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 2-4 : « With respect to matters within federal legislative authority, there was no single body of law in 1867 ». Le professeur Hogg donne l'exemple de la loi fédérale sur le divorce sanctionnée seulement en 1968. Il précise toutefois qu'il n'y a aucune exigence constitutionnelle d'uniformité du droit fédéral (par. 2-4 et 17.3(b)). Voir par ailleurs l'art. 94 de la Loi constitutionnelle de 1867.
- [73] Nous reviendrons, infra, note 85, sur les compétences du Parlement dans des matières de droit privé.
- [74] Sur la distinction entre compétence « de principe » et compétence « d'exception », voir Jean LECLAIR, « La Constitution par l'histoire : portée et étendue de la compétence fédérale exclusive en matière de lettres de change et de billets à ordre », (1992) 33 C. de D. 53, 541-548. Voir aussi F. CHEVRETTE, H. MARX, op. cit., note 42, p. 639.
- [75] L'expression apparaît déjà, quant au partage des pouvoirs, dans les Résolutions de Québec du mois d'octobre 1864 (résolutions 29 et 43). À noter, la résolution 43 confirme le caractère exceptionnel des compétences fédérales de droit privé en précisant que la compétence provinciale en la matière est attribuée « excepting thoses portions thereof assigned to the General Parliament ».
- [76] À ce sujet, voir André TREMBLAY, Les compétences législatives au Canada et les pouvoirs provinciaux en matière de propriété et de droits civils, Ottawa, Éditions de l'Université d'Ottawa, 1967, p. 39 et suiv. ; Gérald-A. BEAUDOIN, La Constitution du Canada, 3e éd., Montréal, Wilson & Lafleur, 2004, p. 413. Pour un point de vue historique des négociations constitutionnelles, voir George F.G. STANLEY, « Act or Pact ? Another Look at Confederation », Report of the Annual Meeting, Société historique du Canada, 1956, 1-25 (http://www.cha-shc.ca).
- [77] Sur le sens de cette expression dans l'Acte de Québec de 1774 (précité, note 50), voir Louis-Philippe PIGEON, Rédaction et interprétation des lois, Québec, Les Publications du Québec, 1986 : « [...] il faut donner à ces mots-là le sens qui leur appartient dans une loi du Parlement anglais votée en 1774, car ces mots-là ne doivent pas être interprétés suivant le droit civil. » (p. 110). Voir également John E.C. BRIERLEY, « Bijuralism in Canada », dans Droit contemporain – Rapports canadiens au Congrès international de droit comparé, Montréal, 1990, Montréal, Éditions Yvon Blais / Institut de droit comparé, McGill University, 1992, p. 22.
- [78] Il s'agit de l'interprétation large. Une interprétation restrictive est également possible, notamment à la lumière des instructions royales de 1775 au gouverneur Carleton. Par ailleurs, l'expression peut ne pas correspondre entièrement à la notion de droit privé. Sur ces questions, voir A. TREMBLAY, op. cit., note 76, p. 19 et suiv. ; J. LECLAIR, loc. cit., note 74, p. 541-548. Une analyse historique fouillée, adoptant également une approche libérale, est proposée dans W.F. O'CONNOR, « Property and Civil Rights in the Province », (1940) 18 Can. Bar Rev. 331, 337.
- [79] Quant aux sources du droit privé et du droit public au Québec, voir Laurentide Motels Ltd. c. Beauport (Ville de), précité, note 53. La Cour suprême cite L.-P. PIGEON, op. cit., note 77. Selon le raisonnement de ce dernier, tout ce qui n'est pas visé explicitement dans l'Acte de Québec relèverait du droit public anglais. L'arrêt Laurentide Motels a été revu récemment dans Prud'homme c. Prud'homme, [2002] 4 R.C.S. 663. Sur cette question et l'interprétation historique de l'expression « Property and Civil Rights », voir les nuances apportées par Andrée LAJOIE, Contrats administratifs : jalons pour une théorie, Montréal, Éditions Thémis, 1984, p. 48 et suiv. Pour une analyse récente des rapports entre le droit civil et le droit administratif, voir Denis LEMIEUX, « Le rôle du Code civil du Québec en droit administratif », (2005) 18 Can. J. Admin. L. & Prac. 119.
- [80] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 21.2 ; F. CHEVRETTE, H. MARX, op. cit., note 42, p. 639. Le Conseil privé a influé sur la détermination du sens large de l'expression, en particulier avec l'arrêt Citizens Insurance Company of Canada c. Parsons, (18811882) 7 A.C. 96, 110 et suiv. Voir A. TREMBLAY, op. cit., note 76, p. 76 et suiv ; W.F. O'CONNOR, loc. cit., note 78, p. 355 et suiv. ; W.R. LEDERMAN, « Unity and Diversity in Canadian Federalism : Ideals and Methods of Moderation », (1975) 53 Can. Bar Rev. 597, 601.
- [81] John Deere Plow Co. c. Wharton, [1915] A.C. 330. Le professeur J. LECLAIR, loc. cit., note 74, p. 544, fait allusion à la « portée virtuelle » de l'expression.
- [82] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 21.2. Voir également Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 4e éd., Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2002, p. 475 ; G.-A. BEAUDOIN, op. cit., note 76, p. 414 et suiv.
- [83] Le droit privé, en particulier au Québec, n'est pas limité au droit civil uniquement, puisque l'on peut aussi y inclure par exemple le droit commercial et la procédure civile. Voir Nicholas KASIRER (dir.), Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues – Les obligations, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Cowansville (Québec), 2003, vo « Droit privé ».
- [84] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 21.2 ; W.R. LEDERMAN, loc. cit., note 80, p. 601602. Voir John Deere Plow Co. c. Wharton, précité, note 81 : « The expression “civil rights in the Province” is a very wide one, extending, if interpreted literally, to much of the field of the other heads of s. 92 and also to much of the field of s. 91. » Quant à savoir si les pouvoirs énumérés à l'art. 91 constituent des illustrations du pouvoir général du fédéral (phrase introductive de l'art. 91), ou des retranchements des pouvoirs provinciaux (clause « nonobstant »), voir J. LECLAIR, loc. cit., note 74, p. 545 et suiv.
- [85] P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 21.2 ; J. LECLAIR, loc. cit., note 74, p. 546 ; G.-A. BEAUDOIN, op. cit., note 76, p. 437 et suiv ; H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 82, p. 478 et suiv. La catégorie est fluctuante et les auteurs ajoutent aussi comme exemples la navigation (par. 91(10)), le cours monétaire (par. 91(14)), les poids et mesures (par. 91(17)), les offres légales (par. 91(20)), les pénitenciers (par. 91(28)).
- [86] H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 82, p. 479 ; P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 21.2. Ce dernier fait référence au pouvoir général fédéral formulé dans la phrase introductive de l'art. 91. À noter par ailleurs que le par. 92(13) comporte la mention « in the Province ». Pour une analyse du pouvoir général au regard de la compétence exclusive des provinces en matière de propriété et droits civils, voir notamment Jean LECLAIR, « The Elusive Quest for the Quintessential “National Interest” », (2005) 38 U.B.C. Law Rev. 353, 356 et suiv.
- [87] Nous empruntons cette idée à M. le professeur Jean LECLAIR de la Faculté de droit de l'Université de Montréal, idée qu'il a formulée dans : « L'interface entre le droit commun privé provincial et les compétences fédérales “attractives” », dans Ysolde GENDREAU (dir.), Un cocktail de droit d'auteurs, ALAI Canada / Éditions Thémis, 2007, p. 25 (à noter que, pour les fins de la présente étude, nous avons consulté une version préliminaire de ce texte, et ce, avec l'aimable autorisation de l'auteur). Les réflexions savantes du professeur Leclair dans ce texte ont grandement inspiré la rédaction de la présente section, en particulier les lignes qui suivent.
- [88] Id. : « Dans la mesure où ils visent le droit privé, les articles 91 et 92 de la Constitution ont ceci de particulier, et cette caractéristique est capitale : ils attribuent tous deux un pouvoir de même nature. [...] Ce qui caractérise le droit privé, c'est précisément l'unité et l'interpénétration des parties qui le composent. ». Voir John Deere Plow Co. c. Wharton, précité, note 81 ; G.-A. BEAUDOIN, op. cit., note 76, p. 331-335.
- [89] Le professeur LECLAIR emploie l'expression « colmater les brèches » : id., p. 6. Pour décrire la nature de ce rapport, on a fait référence à l'idée de « réservoir » : Jean-Maurice BRISSON, « L'impact du Code civil du Québec sur le droit fédéral : une problématique », (1992) R. du B. 345, 348. Quant à l'idée de complémentarité dans le partage des compétences, voir G.-A. BEAUDOUIN, op. cit., note 76, p. 334 ; André TREMBLAY, Droit constitutionnel – Principes, 2e éd., Montréal, Éditions Thémis, 2000, p. 328 et suiv. On voit poindre ici la fonction caractéristique du « droit commun », dont nous reparlerons plus loin (infra, note 112). La nature des rapports entre la législation fédérale et le droit civil a été décrite par les idées de superposition et d'insertion : voir infra, note 145.
- [90] Jean-Maurice BRISSON et André MOREL, « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation », (1996) 75 R. du B. can. 297, 299. G.-A. BEAUDOIN, op. cit., note 76, p. 334, parle quant à lui d'« interdépendance ».
- [91] Sur la règle de l'exhaustivité du partage des compétences, liée à celle de complémentarité, voir Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698, par. 34 ; H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 82, p. 448 ; P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 15.9(e).
- [92] Pour un exemple récent s'attardant à l'analyse des « éléments essentiels » d'une compétence fédérale « particulière », par rapport à la compétence « générale » des provinces en matière de propriété et droits civils : Renvoi relatif à la Loi sur l'assuranceemploi, [2005] 2 R.C.S. 669.
- [93] Cushing c. Dupuy, (1880) 5 A.C. 409 : « It is therefore to be presumed, indeed it is a necessary implication, that the Imperial statute, in assigning to the Dominion Parliament the subjects of bankruptcy and insolvency, intended to confer on it legislative power to interfere with property, civil rights, and procedure within the Provinces, so far as a general law relating to those subjects might affect them. »
- [94] J.LECLAIR, loc. cit., note 87, p. 6. Sur les principes d'interprétation applicable au partage des compétences, dans une perspective opposant efficacité (unité) et diversité, voir aussi du même auteur : Jean LECLAIR, « The Supreme Court of Canada's Understanding of Federalism : Efficiency at the Expense of Diversity », (2003) Queen's L.J. 411, 416 et suiv.
- [95] Sur la théorie du double aspect, voir l'arrêt Hodge c. La Reine, (1883-1884) 9 A.C. 117 : « The principle [...] is, that subjects which in one aspect and for one purpose fall within sect. 92, may in another aspect and for another purpose fall within sect. 91. » Sur la théorie des compartiments étanches, voir l'arrêt P.G. Canada c. P.G. de l'Ontario (Arrêts sur les conventions de travail), [1937] A.C. 326 : « While the ship of state now sails on larger ventures and into foreign waters she still retains the watertight compartments which are an essential part of her original structure. »
- [96] Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, précité, note 91, par. 32.
- [97] Kirkbi AG c. Gestions Ritvik, [2005] 3 R.C.S. 302 ; Renvoi relatif à la Loi sur les armes à feu, [2000] 1 R.C.S. 783 ; General Motors of Canada c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641.
- [98] Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 13. Voir à ce sujet P.W. HOGG, op. cit., note 42, chapitre 16. Sur l'origine de ce pouvoir, comparer H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 82, p. 457 et G.-A. BEAUDOIN, op. cit., note 76, p. 354.
- [99] Rothmans, Benson & Hedges c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188 ; Multiple Access c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161. On a retenu de ce dernier arrêt que la prépondérance ne s'applique qu'en présence d'un conflit véritable, lorsque l'une des mesures dit « oui », l'autre « non ». Cette conclusion a été nuancée dans le premier arrêt. Voir par ailleurs l'approche adoptée dans Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121 ; Law Society of British Columbia c. Mangat, précité, note 98.
- [100] J. LECLAIR, loc. cit., note 87, p. 7 et suiv.
- [101] Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121 ; Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du Revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453. À propos de ce dernier arrêt, on a noté une certaine confusion entre les notions de compatibilité et d'applicabilité des lois. À ce sujet, voir H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 82, p. 464 ; J. LECLAIR, loc. cit., note 87, p. 10. L'argument du « champ occupé » a été rejeté dans Rothmans, Benson & Hedges c. Saskatchewan, précité, note 99, par. 21.
- [102] Commission de transport du Québec c. Commission des champs de bataille nationaux, [1990] 2 R.C.S. 838 ; Bell Canada c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 749.
- [103] Supra, note 72.
- [104] Voir supra, notes 71 et 72.
- [105] J.E.C. BRIERLEY, loc cit., note 55, p. 108 ; J.E.C. BRIERLEY, loc cit., note 77, p. 27. L'auteur va plus loin et considère que les matières de droit privé relevant de l'autorité fédérale se rattachent directement à la common law. À ce sujet, voir les remarques de J.-M. BRISSON, loc. cit., note 89, p. 346, note infrapaginale 3 ; J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 311, note infrapaginale 52. Quant au droit privé des provinces, rappelons-le, le Parlement du Canada n'est autorisé à procéder à son uniformisation qu'en ce qui concerne l'Ontario, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, avec l'accord de leur législature (art. 94, Loi constitutionnelle de 1867).
- [106] Voir supra, note 72 ; J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 44. Le Parlement du Canada n'a légiféré sur les conditions de fond du mariage qu'en 2001, en ce qui concerne le Québec : Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4, art. 4-7. Une loi nationale redéfinissant ces conditions de fond afin d'inclure les conjoints du même sexe a été adoptée ensuite en 2005 : Loi sur le mariage civil, L.C. 2005, c. 33.
- [107] La notion de droit commun est intimement liée à celle de sources : « The notion of a droit commun or “common law” is a device for advancing a justification for the selection of legal rules that goes beyond this dimension of historical fact. It reaches into the very heart of the theoretical scheme of “sources of law” in the legal system as a whole and plays the role of an ultimate justification. » (John E.C. BRIERLEY, « Quebec's “common law” (Droits communs): How many are there ? », dans E. CAPARROS (dir.), Mélanges Louis-Philippe Pigeon, Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, 109, à la p. 113.
- [108]108 Id., p. 114 ; H. Patrick GLENN, « La Disposition préliminaire du Code civil du Québec, le droit commun et les principes généraux du droit », (2005) 46 C. de D. 339, 340-341.
- [109] Le professeur J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 107, p. 114, signale trois acceptions possibles de la notion de droit commun, parmi lesquelles nous désignons surtout ici la première et la troisième : « Beyond the droit commun residing in “historical fact” [...], there is a droit commun residing in “implicit norms” and a further droit commun residing in the Civil code itself because of its particular form as a “legislative enactement” ». Nous reviendrons ci-dessous sur la deuxième acception.
- [110] J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 55, p. 104. Voir Nicholas KASIRER (dir.), op. cit., note 83, vo « Droit commun » : « 1. Droit qui sert de base substantielle à l'ensemble d'un système juridique et qui s'applique, en conséquence, à défaut de règles particulières ».
- [111] Comme le dit H.P. GLENN, loc. cit., note 108, p. 341, à propos de la « multiplicité des droits communs » : « Chaque droit commun représenterait ainsi une expérience unique et isolée, tendant vers l'universel sans jamais l'atteindre. » Dans son ouvrage magistral sur la diversité des droits communs (H. Patrick GLENN, On common laws, Oxford, Oxford University Press, 2005, p. vii), le professeur Glenn explique cette tension constante entre l'unique et le multiple : « What has been lost in all of this is the idea that law is common in relation to law which is not common, which is particular, and that a common law lives in constant, dialogical tension with an inescapable intellectual companion, the jus particulare.» Sur la multiplicité des droits communs dans les fédérations, id., p. 88-91.
- [112] À propos de l'évolution de la notion de droit commun, d'une conception romaine d'application impérative à une conception européenne d'application supplétive, voir H. Patrick GLENN, loc. cit., note 108, p. 342 et suiv. Sur la fonction supplétive d'un code civil, en particulier celle de combler en tant que « réservoir » les vides laissés par la législation, ainsi que sa fonction structurante, voir Jean-Maurice BRISSON, « Le Code civil, droit commun ? », dans Le nouveau Code civil : interprétation et application, Journées Maximilien-Caron (1992, Faculté de droit, université de Montréal), Montréal, Éditions Thémis, 1993, p. 296 ; J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 32 ; J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 107, p. 122 et suiv.
- [113] L.Q. 1991, c. 64. Dans un arrêt récent, la Cour suprême du Canada a désigné le Code civil comme « la loi fondamentale générale du Québec » : Gilles E. Néron Communication Marketing inc. c. Chambre des notaires du Québec, [2004] 3 R.C.S. 95, par. 56. Au sujet de la disposition préliminaire, en particulier l'historique de sa rédaction et les éléments de définition de la notion de droit commun qui s'en dégagent, voir Alain-François BISSON, « La Disposition préliminaire du Code civil du Québec », (1999) 44 R.D. McGill 539.
- [114] J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 107, p. 114.
- [115] Les expressions sont tirées respectivement de J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 55, p. 115 ; H.P. GLENN, loc. cit., note 108, p. 349 ; J.-M. BRISSON, loc. cit., note 112, p. 296. On notera de cette dernière référence que nous incluons, dans la présente acception, le droit commun considéré principalement dans sa « fonction conceptuelle » (id., p. 308). Voir aussi, en ce sens, J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 55, p. 111.
- [116] Selon les mots de J.E.C. BRIERLEY, id., p. 115 et suiv., le droit commun est entendu en ce sens comme « un fond de droit reposant sur les valeurs implicites d'une société donnée ». Il peut ainsi fonder autant les rapports de droit privé que le droit public fondamental, comme c'est le cas de la Charte canadienne des droits et libertés. Cette idée du droit commun ressort également, il nous semble, de la conception des principes constitutionnels sous-jacents que la Cour suprême du Canada a présentée dans le Renvoi sur la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217. On y trouve en effet ces deux caractéristiques importantes, soit la fonction supplétive et le potentiel normatif. À noter, en particulier, la discussion portant sur la « nature des principes » (par. 49 et suiv.) et cette phrase éloquente : « Ces principes inspirent et nourrissent le texte de la Constitution : ils en sont les prémisses inexprimées ». Dans ce passage où abondent les métaphores de vie, la Cour écrit que les principes « fonctionnent en symbiose », qu'ils « imprègnent la Constitution et lui donnent vie », qu'ils « en sont la force vitale ». Elle précise que les principes « peuvent, dans certaines circonstances, donner lieu à des obligations juridiques substantielles », qu'« ils sont aussi investis d'une force normative puissante ». On notera que de tels principes – que la Cour désigne aussi comme « valeurs », « postulats », « guides »... et même « étoile » ! – paraissent devoir passer par le stade de la décantation judiciaire pour acquérir une force obligatoire. Par exemple, à propos du préambule, la Cour énonce cette méthode (par. 53) : « [...] nous avons statué que le préambule “invite les tribunaux à transformer ces principes en prémisses d'une thèse constitutionnelle qui amène à combler les vides des dispositions expresses du texte constitutionnels” ».
- [117] C'est par métonymie que l'on associe cet aspect du droit commun à ses manifestations écrites, en particulier le Code civil qu'on a décrit comme suit dans J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 31 : « Substantively, a Code also has a unique role. Unlike a statute, it is not merely an episodic or instrumental reflection of parliamentary will : it is the distillation in legislative form of the animating themes, fundamental values, transcendent principles, and institutions of the private law. » Quant au Code civil comme « toile de fond », voir infra, note 127.
- [118] C'est ce que le professeur J.-M. BRISSON (loc. cit., note 112, p. 305 ) appelle le « droit commun substantiel ». Voici comment il le désigne à propos du Code civil : « [...] le droit civil fondamental, c'est-à-dire l'ensemble des règles de droit qui doit normalement servir de base philosophique et intellectuelle au droit civil dans son entier. »
- [119] H.P. GLENN, loc. cit., note 108, p. 348 et suiv. Voici comment cet auteur définit les « principes généraux » dans une perspective comparatiste : « Parler des principes généraux, c'est donc parler d'un droit commun supplétif, tiré de sources multiples, qui supplée en cas de besoin les droits locaux ou régionaux. » Au sujet de la disposition préliminaire, et des références qu'elle contient aux « principes généraux », voir A.-F. BISSON, loc. cit., note 113, p. 556-557. Voici comment le professeur Bisson décrit les principes généraux : « [...] êtres normatifs énigmatiques et plastiques toujours en attente de service, sur l'existence autonome, la nature, la provenance et les fonctions légitimes desquels on ne s'est jamais guère entendu, mais qui sont comme l'âme et l'armature du système et que certains iront débusquer dans la législation elle-même, d'autres dans l'esprit du droit national, d'autres encore dans la tradition juridique, d'autres enfin dans une espèce de raison universelle, ou en tout cas de large étendue, que le droit comparé serait propre à fournir. » Voir enfin l'arrêt Cie immobilière Viger Ltée c. Lauréat Giguère Inc., [1977] 2R.C.S. 67, dans lequel la doctrine de l'enrichissement injustifié fut reconnu en droit civil à travers notamment cette affirmation : « Le Code civil ne contient pas tout le droit civil. Il est fondé sur des principes qui n'y sont pas tous exprimés et dont il appartient à la jurisprudence et à la doctrine d'assurer la fécondité. »
- [120] [1977] 2 R.C.S. 1054. Voir aussi McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 (ci-après cité « McNamara »); R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695 (ci-après cité « Fuller »). Pour un résumé des critères permettant d'établir la compétence de la Cour fédérale, voir l'arrêt ITO, précité, note 69.
- [121] Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, précité, note 120, par. 5 : « Cette prétention suppose l'incorporation de l'ensemble de la législation provinciale ou son adoption par renvoi afin d'alimenter [« feed » en anglais] la compétence de la Cour fédérale en vertu de l'art. 23. »
- [122] Id., par. 17. La Cour précise : « [...] que ce soit une loi, un règlement ou la common law, comme dans le cas de la Couronne [...] ». Dans l'arrêt McNamara, précité, note 120, la Cour suprême a déterminé qu'une règle de common law permettant à la Couronne de poursuivre devant tout tribunal compétent relativement à un domaine, n'était pas applicable au Canada et ne constituerait donc pas une législation attribuant compétence à la Cour fédérale, puisque cette règle ne peut s'appliquer dans le contexte d'un état fédéral dont la Constitution prévoit notamment le partage des compétences et le pouvoir d'établir des tribunaux. Lorsque la Couronne est poursuivie, il peut toutefois en être autrement. À ce dernier égard, voir les difficultés survenues dans l'arrêt Fuller, précité, note 120. Pour une interprétation des mots « common law » dans l'expression citée précédemment, voir Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322. Cette interprétation a eu pour effet, afin de déterminer la compétence de la Cour fédérale, de confirmer l'existence d'une « common law relative au titre aborigène qui sous-tend la nature fiduciaire des obligations de la Couronne ». Le titre indien étant déclaré de « nature sui generis », s'agissant en outre d'un titre de propriété de nature collective et d'une obligation fiduciaire de la Couronne, on peut se demander s'il ne s'agit pas ici de common law fédérale publique. C'est du moins la conclusion vers laquelle on tend en lisant l'arrêt R. c. Côté, [1996] 3 R.C.S. 139, par. 49, où la Cour suprême place le droit relatif au titre aborigène dans une « catégorie distincte de la common law fédérale », en mentionnant dans son analyse le rôle déterminant de la « souveraineté britannique » ou le fait qu'il s'agit des « relations entre la Couronne britannique et les sociétés autochtones ». (Au sujet des droits fonciers des autochtones, voir aussi les arrêts Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010 ; Bande indienne d'Osoyoos c. Oliver (Ville), [2001] 3 R.C.S. 746, par. 41 à 47). Si l'on peut donc avancer l'existence d'une « common law » fédérale en tant que droit d'origine judiciaire, dans certains cas (par exemple « comme dans le cas de la Couronne » ou peut-être les droits fonciers autochtones), il faut reconnaître sa portée nécessairement très limitée (« in some areas » pour reprendre les mots du juge Wilson dans l'arrêt Roberts) par rapport à l'ensemble du droit privé formant le droit commun d'une province.
- [123] Pour une critique en règle de cette décision, critique animée avant tout, il nous semble, par un souci d'efficacité et d'uniformité, voir P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 7.2(b). Voir également R.A. MACDONALD, loc. cit., note 69, par. 39 et 40. Le professeur cite, en particulier, l'arrêt R. c. Rhine, [1980] 2 R.C.S. 442. Noter cependant qu'il s'agit d'un cas où, selon la Cour suprême, la compétence de la Cour fédérale en matière de contrat est fondée sur un « detailed statutory framework ». La Cour ajoute : « In the McNamara case, there was no such statutory shelter within which the transactions there were contained as there is in the present case. » (Nous soulignons). Il est vrai que la Cour ajoute : « It should hardly be necessary to add that “contract” or other legal institutions, such as “tort” cannot be invariably attributed to sole provincial legislative regulation or be deemed to be, as common law, solely matters of provincial law. » L'emploi de l'expression « as common law » (« de même que la common law ») dans cette phrase nous paraît plutôt ambigu (en tant que ? tout comme ? ... la common law). Considérant de plus que l'arrêt a été rendu relativement à un « cadre législatif détaillé », la remarque n'est pas un argument très convaincant pour justifier l'existence d'une common law fédérale. Quant à l'arrêt Northern Telecom Canada Ltée c. Syndicat des travailleurs en communication du Canada, [1983] 1 R.C.S. 733, où la Cour suprême fait allusion à la « common law fédérale », il s'en tient expressémment (voir le par. 15) à l'arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, précité, note 120.
- [123a] Deux remarques s'imposent à cet égard. Premièrement, dans l'arrêt Québec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, précité, note 120, le juge Laskin écrit que le Parlement ne peut modifier ou abroger les « lois provinciales » qu'il n'a pas d'abord adoptées ou promulguées. Selon nous, la mention « lois provinciales », en parlant du droit civil, n'invalide pas notre raisonnement en ce qui a trait au droit préconfédéral. Pour l'essentiel, en effet, le droit civil du Québec était d'origine préconfédérale lorsque cet arrêt a été rendu. Deuxièmement, rappelons que le Parlement possède effectivement l'autorité de modifier ou d'abroger certaines dispositions du droit préconfédéral qui tombe sous sa coupe, aux termes de l'article 129 de la Loi constitutionnelle de 1867. Cependant, nous l'avons déjà dit, supra, note 71, le libellé et l'objet de cet article ne permettent pas d'inférer d'une telle autorité la réception du droit préconfédéral, comme droit résiduel général, dans l'ordre juridique fédéral.
- [124] Pour reprendre les termes du juge Wilson dans l'arrêt Roberts c. Canada, précité, note 122, il n'y a pas, sauf dans certains domaines tels les droits fonciers autochtones, un « federal body of common law co-extensive with the federal legislature's unexercised legislative jurisdiction over the subject matters assigned to it ». La conséquence de l'arrêt Québec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, précité, note 120, a été clairement comprise par la doctrine. Voir J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 44 : « Because it can only establish a general law by statute, there can be no federal judicially driven “common law” ». Cf. J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 77, p. 35, où l'auteur formule cette conclusion plus précisément au regard de la compétence de la Cour fédérale : « [...] there is no “federal common law” arising in connection with the jurisdiction of the Federal Court of Canada [...] ». Quant aux conséquences de l'absence de droit commun fédéral sur l'interaction de la législation fédérale avec le droit privé des provinces, voir J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 310. Sur la question de la common law fédérale, voir aussi France ALLARD, « La Cour suprême du Canada et son impact sur l'articulation du bijuridisme », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 3, p. 25-26 ; et Louis LEBEL et Pierre-Louis LE SAUNIER, « L'interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47 C. de D. 179, 217-219. À noter, ces derniers affirment qu'une « règle de common law découlant de la législation » peut s'appliquer en cas de silence de la loi, malgré l'absence d'un « droit fédéral supplétif autonome ». Cette affirmation recoupe celle admettant la création d'un « unenacted law >in the course of interpreting federal legislation », formulée par Ruth SULLIVAN, « The Challenges of Interpreting Multilingual, Multijural Legislation », (2004) 29 Brook. J. Int'l. L. 985, 1042. Nous reviendrons (infra, notes 231 à 233) sur cette hypothèse donnant une portée plus limitée à la notion de common law fédérale.
- [125] La réserve est exprimée par R. SULLIVAN, loc. cit., note 124, p. 1042 (note de bas de page 246). En supposant qu'une common law fédérale existe comme source générale de droit privé, peut-on imaginer que la Cour fédérale ne pourrait pas l'appliquer alors que d'autres cours le pourraient ?
- [126] J.-M. BRISSON, loc. cit., note 112, p. 298 : « Il ne peut donc y avoir, en droit privé, de droit commun fédéral sans texte. » À noter, cependant, que la législation fédérale peut comporter des dispositions d'incorporation ou renvoi formel dans certains cas délimités. Voir, par exemple, art. 32, Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), c. C-50 ; art. 88, Loi sur les Indiens, L.R.C. (1985), c. I-5 ; art. 9, Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), c. B-4.
- [127] Voir 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d'alcool), [1996] 3 R.C.S. 919. Dans cet arrêt, dans des motifs séparés, la juge L'Heureux-Dubé désigne le Code civil en tant que toile de fond du droit civil dans son ensemble, tout comme elle désigne la Charte canadienne des droits et libertés comme toile de fond du droit législatif ou de la common law. La juge emprunte cette image du Code civil comme représentation unifiée du droit civil à J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 87 : « It is in this theoretical rather than empirical sense that a Code can claim to be a gapless presentation of the basic fabric of the Civil law. »
- [128] Considéré de la sorte, le droit réside alors dans sa dimension non écrite, c'est-àdire non légiférée (quant au droit civil) ou non découverte (quant à la common law), en tant que ressource virtuelle extérieure au droit positif. S'y superposent les principes fondamentaux alimentant le droit public et le droit privé. Quant à la démonstration d'un droit privé fondamental au niveau fédéral, voir l'essai de R.A. MACDONALD, loc. cit., note 69. Le professeur Macdonald y dégage les notions de droit commun en tant que droit non légiféré (« common law ») et en tant que droit fondamental (« jus commune»), ainsi que la tierce notion de droit supplétif. La notion de « jus commune» est particulièrement pertinente ici. Elle se caractériserait en termes utilitaires comme un « reservoir of legal concepts and rules » ou un « dictionary of private law terms », et en termes substantiels comme le « general juristic foundation and conceptual reference point for later substantive legal development, and a compass for the discovery of other, implicit principles of the private law. ». Le professeur Macdonald conclut, en se fondant principalement sur l'art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867, qu'il existe un jus communefédéral – au sens utilitaire – dont l'expression est principalement, pour le Québec, le droit préconfédéral du Code civil du Bas Canada considéré au plan de sa substance non écrite (« substantive conceptual referent »), et un droit résiduel implicite et général auquel le droit privé des provinces, par exemple le nouveau Code civil du Québec, peut contribuer à titre supplétif (par. 41-52, 67-69). Pour ce faire, à noter que le professeur remet en question en passant (par. 39-40) les décisions rendues dans les arrêts Québec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, précité, note 120, et McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, précité, note 120. À noter par ailleurs que la thèse du professeur Macdonald a été contredite sur un point de vitale importance (dont nous avons déjà discuté, supra, notes 71 et suiv.), soit celui de la réception du droit préconfédéral dans l'ordre juridique fédéral : voir J. LECLAIR, loc. cit., note 68. Enfin, il convient de noter que cette thèse d'un droit civil canadien s'appuyant sur le Code civil du Bas Canada d'origine préconfédérale (voir par. 71) apparaît désormais contredite par l'abrogation de ce dernier par le Parlement du Canada dans la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, précitée, note 106, art. 3, quant aux dispositions « qui portent sur une matière relevant de la compétence du Parlement et qui n'ont pas fait l'objet d'une abrogation expresse » (cf. art. 129, Loi constitutionnelle de 1867).
- [129] Dirions-nous même, supranationale. Voir H.P. GLENN, loc. cit., note 108, p. 348 : « Parler des principes généraux, c'est donc parler d'un droit commun supplétif, tiré de sources multiples, qui supplée en cas de besoin les droits locaux ou régionaux. »
- [130] Hypothèse déjà évoquée, supra, note 124, et au sujet de laquelle nous reviendrons infra, notes 231 à 233.
- [131] À propos du « droit civil canadien », voir R.A. MACDONALD, loc. cit., note 69. Voir aussi Nicholas KASIRER, « Qu'est-ce que le “droit civil canadien” ? », préface de Paul A. CRÉPEAU, La réforme du droit civil canadien : une certaine conception de la recodification, 1965-1977, Centre de recherche en droit privé et comparé du Québec, Montréal, Éditions Thémis, 2003, p. xv : « À l'intérieur du cadre fédéral, le bijuridisme ne serait alors pas simplement la coexistence passive des deux traditions, celles-ci étant de fait liées l'une à l'autre. On pourrait, en effet, préconiser une vision du bijuridisme selon laquelle les traditions s'interpellent et se nourissent mutuellement, à l'image du bilinguisme juridique » (p. xviii). Pour une illustration de cette perspective idéale, à propos du mariage, voir P.A. CRÉPEAU, id., p. 39-40. Plusieurs études ou commentaires sont maintenant disponibles sur le phénomène de convergence et « dialogue » entre les traditions juridiques : Michel BASTARACHE, « Le bijuridisme au Canada », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1, 18, à la p. 25 ; France ALLARD, loc. cit., note 124 ; Charles D. GONTHIER, « Quelques réflexions sur le bijuridisme – Convergence et valeurs », (2003) 33 R.G.D. 305, 317 ; France ALLARD, « Entre le droit civil et la common law : la propriété en quête de sens », dans J.-C. GÉMAR et N. KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits / Jurilinguistics : Between Law and Language, Paris, Éditions juridiques Bruylant / Montréal, Éditions Thémis, 2003, p.195 ; L PERRET, loc. cit., note 47 ; L. LEBEL et P.-L. LE SAUNIER, loc. cit., note 124. À noter en particulier ces conclusions nuancées dans l'étude du juge LEBEL et de Me LE SAUNIER, p. 238 : « L'étude de la jurisprudence révèle en effet que les règles de droit positif, les traditions de la common law et du droit civil, l'économie des régimes juridiques en jeu et certains aspects méthodologiques continuent de limiter l'établissement de véritables rapports de convergence. » Sur un plan davantage sociologique, de tels obstacles à la convergence sont admirablement exposés dans Jean-François GAUDREAULT-DESBIENS, Les solitudes du bijuridisme au Canada, Éditions Thémis, 2007. Nous reviendrons sur la question de la convergence et du bijuridisme, infra, note 232.
- [132] J.E.C. BRIERLEY, loc. cit., note 77, p. 22 : « Bijuralism (bijuridisme) in Canada signifies the coexistence of the English common law and the French Civil law traditions within a country organized along federal lines.
- [133] Le caractère bijuridique du droit privé fédéral est reconnu à l'art. 8.1 de la Loi d'interprétation : « Le droit civil et la common law font pareillement autorité et sont tous deux sources de droit en matière de propriété et de droits civils au Canada [...] ».
- [134] Pour un article fondamental illustrant cette réalité avec de nombreux exemples tirés du corpus législatif fédéral, voir J.-M. BRISSON, loc. cit., note 89. À la suite d'une révision exhaustive de la législation fédérale, celui-ci déclare : « Bien que toutes les lois fédérales ne soient pas de droit privé, la quasi-totalité d'entre elles font appel, et généralement sans les définir, à des notions de droit privé » (p. 346). En annonçant le programme d'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil, on a fait état, parmi les Lois révisées du Canada, de 300 lois qui mériteraient un examen approfondi et, parmi les lois annuelles, d'une trentaine de lois chaque année. Voir Mario DION, « L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil du Québec : le bijuridisme canadien et son actualisation », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1, 27, à la p. 30.
- [135] J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90.
- [136] Supra, note 89.
- [137] Il faisait déjà l'objet de réflexions longtemps avant d'être étudié et systématisé. Voir par exemple Andrée LAJOIE, Expropriation et fédéralisme au Canada, Montréal, Presses de l'Université de Montréal, 1972, p. 11.
- [138] Art. 8.1. La Cour d'appel fédérale a rendu une décision fort importante et bien documentée sur la question de la complémentarité, dans St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289. Voir également 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), (2005) CAF 334. À la Cour suprême du Canada, voir Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, [2004] 3 R.C.S. 461, par. 29 ; D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564, par. 34. À la Cour d'appel du Québec, voir W.(D.) c. G.(A.), [2003] R.J.Q. 1411 ; (2003) IIJCan 47442 (C.A. Qué.), par. 27 ; Greenberg c. Gruber (27 mai 2004), Montréal 500-09-014103048 (C.A.), par. 24 et suiv. À la Cour supérieure du Québec, voir en particulier G. (R.) c. A. (L.) (18 avril 2000), Montréal 500-12-123540-837 (C.S.). Au sujet de l'arrêt D.I.M.S. de la Cour suprême, voir le commentaire suivant : Philippe DENAULT, « D.I.M.S. Construction Inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général) : La fin d'une controverse – Mise en œuvre du principe de complémentarité par la Cour suprême du Canada », (2006) 27 R.P.F.S. 235.
- [139] J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 299. Les auteurs disent qu'il y a « dissociation » lorsque la législation fédérale « déroge » au droit provincial d'application supplétive (s'en soustrait, dirions-nous...).
- [140] Voir par exemple la définition de « responsabilité » dans la Loi sur la responsabilité civile de l'État et le contentieux administratif, précitée, note 126, art. 2 ; la définition de « immeuble » dans la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux, 1991, c. 50, art. 2 ; la définition de « créancier garanti » dans la Loi sur la faillite et l'insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3, art. 2.
- [141] Voir supra, section I.A.1. Quant à J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90,
- p. 309-310, ils soulignent l'absence de droit commun fédéral, en raison principalement du fait que le fédéral n'a pas « reçu » de droit fondamental aux termes de l'art. 129 de la Loi constitutionnelle de 1867.
- [142] Les auteurs font aussi mention des cas de « renvois indirects » (id., p. 308), que nous passerons sous silence mais qui désignent en substance les situations où c'est, non pas la loi, mais la common law qui opère renvoi au droit privé des provinces (par exemple, en ce qui concerne les contrats conclus par la Couronne fédérale). Quant à la doctrine relative à la dépendance implicite de la législation fédérale, voir les prémisses que J.-M. BRISSON, loc. cit., note 89 a exposées le premier.
- [143] J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 309. On notera ici que les auteurs font référence aux « deux systèmes juridiques en vigueur », c'est-à-dire le droit civil et la common law. Les auteurs fondent leur perspective sur les traditions, affirmant ainsi que les provinces de common law partagent le même droit commun. Ils reconnaissent toutefois les différences entre le droit privé de chacune des provinces : « On oublie parfois que le droit privé de ces provinces, avec lequel les lois fédérales sont aussi en rapport de dépendance, n'est pas uniforme et qu'il varie d'une province à l'autre, en dépit du même droit commun qu'elles partagent. » (id., p. 299).
- [144] Id., p. 316-317.
- [145] Id., p. 317 et suiv. et 323 et suiv. À noter, c'est la disposition (la « question ») qui est qualifiée de droit privé ou de droit public, et non l'ensemble du contexte de la législation : id., p. 309 et 320. Voir également à ce sujet St-Hilaire c. Canada (Procureur général), précité, note 138, par. 93. Cf. Travel Just c. Canada, 2006 CAF 343. Nous reviendrons sur la distinction droit privé, droit public, quant à la séquence logique de l'interprétation (infra, note 207). Pour un exemple de complémentarité dans un contexte de droit public et de droit non légiféré, plus précisément en matière de contrat et de responsabilité, voir Canada c. Monit International Inc., 2004 CAF 335 (C.A.F.). Pour des analyses illustrant l'articulation complexe du droit fédéral et du droit privé provincial, voir par exemple : D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), précité, note 138 ; Newcourt Financial Ltd. c. Canada, 2004 CAF 91.
- [146] Id., p. 300 : « Dire de la législation fédérale qu'elle n'est pas autonome, c'est affirmer simplement que, prise isolément, elle n'exprime pas la totalité du droit applicable dans les matières qui ressortissent à la compétence du Parlement. »
- [147] Id., p. 298 : « [...] le droit civil entretient avec la législation fédérale des liens qui sont tout à fait analogues à ceux qui unissent la législation du Québec et le Code civil. ». Sur le rôle supplétif du Code civil du Québec en tant que droit commun, voir notamment Doré c. Verdun (Municipalité de), [1997] 2 R.C.S. 862, par. 16. Pour un exemple portant sur la procédure civile, voir Lac d'Amiante du Québec Ltée c. 28580702 Québec Inc., [2001] 2 R.C.S. 753, par. 40. Voir également, en doctrine, les auteurs suivants : A.-F. BISSON, loc. cit., note 113 ; J.M.-BRISSON, loc. cit., note 112.
- [148] La critique la plus acerbe de l'application du principe de complémentarité dans le cadre de l'interprétation des lois fédérales, en particulier pour l'harmonisation avec le droit civil du Québec, a été formulée par Ruth SULLIVAN, « The Challenges of Interpreting Multilingual, Multijural Legislation », (2004) 29 Brook. J. Int'l. L. 985. Mme Sullivan oppose (p. 1024-1025) une approche fondée sur le dialogisme et l'intégration (« Derivative Bijuralism ») à une approche fondée sur la complémentarité des sources fédérales et provinciales (« Suppletive Bijuralism »). Elle critique l'approche complémentaire en arguant essentiellement qu'il s'agit d'une approche civiliste de l'interprétation (« a Civilist coup », p. 1027, en référence à la doctrine ayant étudié cette question). Elle affirme qu'elle est fondée sur des prémisses erronées eu égard à la common law : « For example, the notion of a pre-existing, self-contained and coherent jus commune, which lies at the heart of the Harmonization Program, is a civilist notion. » (p. 1027, note 197 ; p. 1041). Par ailleurs, la dépendance implicite de la législation fédérale et le recours au droit commun provincial à titre supplétif, constituent selon elle une analyse inadéquate (bien que correcte...) pour les deux raisons suivantes (p. 1030) : (i) l'analyse négligerait le rôle complémentaire de l'interprétation judiciaire ; et (ii) impliquerait que toute dérogation au droit privé des provinces constitue une anomalie. Nous reviendrons sur la première raison dans la prochaine section (I.B.). Qu'il suffise pour l'instant d'indiquer ce qui nous semble ici une méprise quant à la seconde. On note d'abord que son point de vue est confiné à l'interprétation et ne prend pas en considération les prémisses historiques et constitutionnelles dont les auteurs Brisson et Morel ont tenu compte. En effet, la dépendance implicite du droit fédéral en matière de propriété et droits civils est ancrée dans la continuité historique et le partage des compétences, qui ont attribué aux provinces des régimes de droit commun et une compétence de principe en droit privé. Ensuite, il nous semble que Ruth Sullivan commet une erreur en ne détectant pas, dans la pensée de Brisson et Morel, que le principe de complémentarité est analysé par analogie avec la disposition préliminaire du Code civil du Québec. En omettant de voir qu'il s'agit d'une analogie, elle confond en effet la notion de code civil (« pre-existing, self-contained and coherent ») avec celle plus générale de droit commun (jus commune). Affirmer que la common law méconnaît cette notion de « droit commun » (laquelle, il est vrai, est visée en un sens spécifique par la disposition préliminaire), c'est oblitérer la portée universelle de la notion de droit commun en tant que modèle de droit supplétif (voir H.P. GLENN, op. cit., note 111) et le fait que cette notion est également présente en tant que modèle dans la tradition de common law (voir Ruth SULLIVAN, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Toronto, Butterworths, 2002, p. 342). Pour cette raison, sans doute, Ruth Sullivan s'en remet finalement à une notion théorique et spéculative de « unenacted law » (p. 1042), laquelle paraît tout autant servir de réservoir ou droit supplétif dans cette perspective de common law axée principalement sur le pouvoir judiciaire, que le droit provincial dans la perspective de la complémentarité (sur le jus commune vu comme « ennemi farouche des juristes des common law », voir H.P. GLENN, loc. cit., note 108, p. 341). À notre avis, donc, ce qu'il importe de retenir, c'est que le droit privé provincial joue un rôle supplétif en raison de la compétence de principe des provinces en matière de propriété et droits civils. La prémisse de la critique de Ruth Sullivan, soit l'idée que la complémentarité ferait intervenir le droit privé provincial comme « droit commun » de la législation fédérale de la même façon que le Code civil se positionne dans un rapport organique aux lois du Québec, nous apparaît erronée (p. 1042 : « [The principle of complementarity] asserts that the suppletive law must be the jus communeof the province. »). Nous reviendrons, dans la prochaine section (I.B), sur les rapports entre droit statutaire et droit commun et sur la proposition d'un « bijuridisme dérivé ».
- [149] Contra : Nicholas KASIRER (dir.), op. cit., note 83, vo « Droit commun » (voir Rem. 4o). À noter que le dictionnaire distingue nettement les notions de droit commun et droit supplétif (voir Rem. 5o et vo « Droit supplétif »). Si cela nous semble juste, toutefois ce ne l'est pas, selon nous, de considérer que l'expression « droit supplétif » est employée « à tort » dans le préambule de la Loi d'harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, précitée, note 106.
- [150] Il faudrait supposer, sinon, que les droits communs provinciaux s'appliquent à titre de droit commun fédéral, une hypothèse que nous avons déjà infirmée dans la section précédente (I.A.).
- [151] Supra, note 111. H.P. GLENN, loc. cit., note 108, p. 342 : « Le droit qui est commun doit être identifié, par le mot “commun”, pour le démarquer des autres droits, différents, qui s'appliquent sur le même territoire. »
- [152] Le mot « commun » provient du latin communis : « qui appartient à tous » (Le nouveau petit Robert, Dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française, Josette REY-DEBOVE et Alain REY (dir.), Paris, Dictionnaires Le Robert, 2003.)
- [153] L'expression est employée à l'art. 8.1 de la Loi d'interprétation, en ce qui concerne l'application du droit provincial à titre supplétif : « [...] il faut, sauf règle de droit s'y opposant, avoir recours aux règles, principes et notions en vigueur dans cette province [...] ».
- [154] L'art. 8.1 de la Loi d'interprétation est encore plus précis en reprenant l'expression employée dans la Loi constitutionnelle de 1867 pour désigner le droit privé : « domaine de la propriété et des droits civils ».
- [155] Rappelons qu'il n'y a aucune exigence d'uniformité du droit fédéral (supra, note 72) Voir F. CHEVRETTE et H. MARX, op. cit., note 10, 868 : « [...] au niveau fédéral, le droit non statutaire n'est pas un corps de droit unique [...] ». Voir aussi J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, 332 : « [...] les lois fédérales de droit privé ne constituant en principe que des parties d'un tout qui relève, pour le reste, de la compétence des provinces [...] ». Nous sommes confrontés ici à l'acceptation d'un fédéralisme décentralisé en matière de droit privé, une condition originelle de la fédération canadienne (supra, note 76), et fondamentalement positive si l'on veut bien reconnaître les vertus générales du bijuridisme. À cet égard, voir Stéphane DION, « Notes pour une allocution – Colloque sur l'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1, 1, à la p. 4 : « Nous savons depuis longtemps que l'unité de l'État ne va nécessairement pas de pair avec l'uniformité de la législation. [...] S'il y a un pays où l'on sait que l'égalité n'est pas synonyme d'uniformité, c'est bien le nôtre. » Voir aussi Michel BASTARACHE, « Le bijuridisme au Canada », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1, 18, à la p. 23 : « Même si le droit civil et la common law complètent les dispositions de droit privé de la législation fédérale, celle-ci ne devrait pas être appliquée de manière uniforme partout au pays et à tous égards. »
- [156] Supra, note 145.
- [157] Henry L. MOLOT, « Clause 8 of Bill S-4 : Amending the Interpretation Act », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 6, p. 1. L'auteur emploie aussi l'expression sealed off, par exemple dans cette affirmation : « But federal enactments are not sealed off entirely from provincial law. »
- [158] Id. Le mot « bridge » est employé par l'auteur à la p. 11. Quant à l'importance des concepts et du langage dans l'établissement de ces renvois implicites, voir à la p. 5 (ainsi qu'à la p. 10) : « How is provincial law incorporated into or made to apply to the interpretation of federal legislation ? In a sense, in applying or interpreting federal legislation a common law or civil law lawyer or judge may be required to “think outside” his or her normal professional range of experience. As illustrated by some of the examples described above, that cerebral process depends principally on legal concepts and language. »
- [159] L'expression a été consacrée dans le cadre de l'harmonisation de la législation fédérale. Voir André MOREL, « Méthodologie et plan de travail – Rapport final », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Recueil d'études, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 1997, 265, aux p. 269-270 ; Louise MAGUIRE WELLINGTON, « Bijuridisme canadien : Méthodologie et terminologie de l'harmonisation », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 4, aux p. 6 et suiv. Elle apparaissait déjà dans la Politique d'application du Code civil du Québec à l'administration publique fédérale, Ministère de la Justice du Canada (7 juin 1993), publiée dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 4, annexe I.
- [160] La Politique sur le bijuridisme législatif du Ministère de la Justice du Canada (1995) emploie le mot « toucher » pour décrire l'interaction de la législation fédérale et du droit provincial : « [...] b) s'engage, chaque fois qu'un projet de loi ou de règlement fédéral touche au droit privé provincial ou territorial, à rédiger chacune des versions de ce texte en tenant compte également de la terminologie, des concepts, des notions et des institutions propres aux deux régimes de droit privé canadien » (notre italique). La Politique est publiée dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 4, annexe III.
- [161] Sur les objectifs poursuivis par l'initiative de révision et d'harmonisation de la législation fédérale, voir André MOREL, « L'harmonisation de la législation fédérale avec le Code civil du Québec – Pourquoi ? Comment ? » et « La rédaction de lois bilingues harmonisées avec le droit civil », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Recueil d'études, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 1997, 1 et 309 respectivement. Voir de façon générale les textes publiés dans le fascicule 1 de L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001. Pour le résultat des travaux d'harmonisation, consulter notamment la page « Lois » sur le site Internet suivant : https://canada.justice.gc.ca/fra/sjc-csj/harmonization/bijurilex/loisdharmonisation-harmonization.html. Enfin, plus récemment, voir L. PERRET, loc. cit., note 47, où l'auteur expose le contexte historique du programme d'harmonisation et quelques considérations économiques sur la convergence des systèmes de droit.
- [162] Pour un rappel historique et un aperçu de la problématique relative à la rédaction des lois fédérales, voir Lionel LEVERT, « Bilingual and Bijural Legislative Drafting : To Be or Not To Be?», (2004) 25 Stat. L. Rev. 151. Voir aussi la Politique d'application du Code civil du Québec à l'administration publique fédérale, (7 juin 1993), précitée, note 159.
- [163] Le préambule de la Loi d'harmonisation no 1, précitée, note 106, fait référence au « caractère unique de la société québécoise ». Voir également à ce sujet le commentaire de S. DION, loc. cit., note 155, 2, à propos des résolutions adoptées par les deux chambres du Parlement en 1995 pour reconnaître que le caractère distinct du Québec comprend la tradition du droit civil. Voir Motion du gouvernement sur la société distincte, Chambre des communes, Débats, 1re session, 35e législature, 29 novembre 1995 et 11 décembre 1995 ; Motion reconnaissant le Québec comme société distincte, Sénat, Débats, 1resession, 35e législature, 7 décembre 1995 et 14 décembre 1995.
- [164] Le mot est de Jean LECLAIR, loc. cit., note 87.
- [165] On a fait référence aussi à l'image de « signaux » (« signposts »): Aline GRENON, « The Interpretation of Bijural or Harmonized Federal Legislation : Schreiber v. Canada (A.G.) », (2005) 84 R. du B. can. 132, à la p. 146. Cette remarque a été faite à propos des « doublets ». Sur cette technique de rédaction, voir L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., note 159 et l'arrêt : Schreiber c. Canada (Procureur général), [2002] 3 R.C.S. 269. Sur l'importance de la terminologie pour l'établissement de renvois, voir l'art. 8.2 de la Loi d'interprétation. La jurisprudence fournit des exemples innombrables où une expression donne lieu à l'application du droit provincial. Voir par ex. le juge Décary, dans St-Hilaire c. Canada (Procureur général), précité, note 138, par. 93 : « Je ne crois pas qu'il puisse y avoir de doute que cette partie de la Loi qui réfère à la “succession” sans la définir, doive être interprétée, au Québec, à la lumière du droit civil ». Voir également : « personal or bodily injury », dans Schreiber c. Canada (Procureur général), précité, note 165 ; « diligence », dans Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, précité, note 138 ; « droit de bénéficiaire / beneficially owned », dans Canada (P.G.) c. Banque Nationale du Canada, (2004) CAF 92 et Newcourt Financial Ltd. c. Canada, précité, note 145 ; « contrat de louage de services », dans 90416868 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), précité, note 138 ; « dévolution », dans Lefebvre (Syndic de) ; Tremblay (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 326 ; « compensation », dans D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), précité, note 138 ; « saisir et retenir », dans Canada 3000 Inc., Re ; Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), (2006) CSC 24 ; « paiement », dans Commission de la Construction du Québec c. Canada (M.R.N.), 2006 CAF 49 (C.A.F.) ; « mandat », dans Factums Instanter, s.e.n.c. c. Canada, 2006 CCI 53. À noter la nuance apportée dans une décision de la Cour d'appel fédérale, à propos du renvoi à des concepts de droit privé : Royal Winnipeg Ballet c. Canada (M.R.N.), 2006 CAF 87 (C.A.F.).
- [166] P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 94 : « Il y a renvoi lorsqu'une disposition d'un texte législatif oblige expressément le lecteur à se reporter à un autre texte. ». Voir également John Mark KEYES, « Incorporation by Reference in Legislation », (2004) 25 Stat. L. Rev. 180, à la p. 182 notamment. Sur les questions de l'incorporation par renvoi, de la délégation de pouvoirs, et de la coopération en matière de fédéralisme, voir notamment R. c. Furtney, [1991] 3 R.C.S. 89 et Elmer A. DRIEDGER, « The Interaction of Federal and Provincial Laws », (1976) 54 R.du B. can 694, à la p. 712 : « A statute incorporating future laws of another jurisdiction must be carefully worded, lest it be struck down as an attempt at delegation. » En domaine réglementaire, voir Jacques DESJARDINS et Josée LEGAULT, « L'incorporation par renvoi dans l'exercice du pouvoir réglementaire à l'échelon fédéral », (1991) 70 Rev. B. can. 244.
- [167] Art. 8.1, Loi d'interprétation. Sur le rôle crucial de l'interprétation, voir H. MOLOT, loc. cit., note 157, et la citation à la note 158. Pour des exemples d'une certaine confusion des genres dans l'interprétation, voir d'abord une approche mêlant le sens commun à la complémentarité des droits provinciaux dans Schreiber c. Canada (Procureur général), précité, note 165 (nous y reviendrons, infra, note 198 et Partie II.A.3.a). À l'autre extrême et à un niveau nettement plus intuitif, voir comment un juge de la Cour du Québec a recouru à l'art. 8.2 de la Loi d'interprétation pour déterminer le sens du mot « réputé » dans la Loi sur le système de justice pénale pour adolescents : Spénard c. Promotuel Bois-Francs (29 août 2005), Arthabaska 415-32003671-040 (C.Q. p. cr.). Un même empressement est notable dans la décision suivante à propos de la notion d'intérêt dans la Loi sur l'intérêt, L.R.C. (1985) c. I-21, par rapport aux dispositions de la Loi sur la protection du consommateur, L.R.Q., c. P-40.1 : Blanchette c. Corporation Crédit Trans Canada (17 mai 2004), Montréal 500-06-000187-027 (C.S.). Voir enfin comment un juge de la Cour canadienne de l'impôt renvoie au droit civil, en citant l'article 8.1 de la Loi d'interprétation, pour examiner la notion de « fonds de revenu viager » (!): Letarte c. La Reine, 2005 CCI 420, par. 11. Sur la difficulté de qualifier les concepts, voir infra, note 198.
- [168] Sur la technique des « termes neutres », c'est-à-dire des termes ou formulations « sans attache particulière à l'un ou l'autre des deux systèmes juridiques canadiens », voir Lionel LEVERT, « La cohabitation du bilinguisme et du bijuridisme dans la législation fédérale canadienne : mythe ou réalité ? », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1, p. 7-8. Quant à l'emploi du concept d'incorporation dans ce contexte, voir l'arrêt Magasins à rayons Peoples inc. (Syndic de) c. Wise, précité, note 138. Cet arrêt emploie le terme « incorporation » pour décrire l'interaction – à rebours – du Code civil du Québec avec la Loi sur les sociétés par actions, L.R.C. (1985) c. C-44. À notre avis, il existe malheureusement une certaine confusion dans l'emploi du concept par rapport aux cas de dépendance implicite : voir H. MOLOT, loc. cit., note 157,p. 5 ; l'honorable juge Michel BASTARACHE, « Les difficultés relatives à la détermination de l'intention législative dans le contexte du bijuridisme et du bilinguisme législatif canadien », dans Jean-Claude GÉMAR et Nicholas KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits / Jurilinguistics : Between Law and Language, Paris, Éditions juridiques Bruylant / Montréal, Éditions Thémis, 2003, 95, à la p. 110.
- [169] Ces cas apparaissent somme toute exceptionnels : J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, 328-329. Pour le recours à un droit non légiféré (« unenacted law ») comme source supplétive du droit privé fédéral, voir R. SULLIVAN, loc. cit., note 148. Mme Sullivan favorise ainsi une approche fondée sur le « bijuridisme dérivé ». Nous y reviendrons dans la prochaine section (I.B).
- [170] Sur les divers sens du mot « interprétation », voir P-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 4-5. Nous adoptons principalement le deuxième sens identifié par le professeur Côté : « Le terme interprétation, dans un second sens, plus restreint, ne désigne pas tout processus de détermination du sens et de la portée des règles de droit qu'un texte législatif énonce, mais fait référence à ce processus dans la seule hypothèse où il demande au lecteur un effort particulier, effort exigé par la présence d'une obscurité qu'il faut élucider. » Pour une « théorie unifiée » fondée sur les notions de « vagueness », « ambiguity », « subtext » et « analogy », voir Randal N. GRAHAM, Statutory Interpretation. Theory and Practice, Toronto, Montgomery Publications, 2001.
- [171] Richard TREMBLAY, L'essentiel de l'interprétation des lois, Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2004, p. 48. Voir les p. 52 et suiv. pour des principes « particulièrement importants » selon Me Tremblay. Les recensions effectuées en doctrine n'ont aucune valeur définitive comme telle, même si les auteurs n'hésitent pas à en proposer, souvent pour des raisons académiques. À propos des « règles d'Ilbert » de Louis-Philippe PIGEON, op. cit., note 77, p. 93 et suiv., voir le commentaire de Alain-François BISSON, « L'interprétation adéquate des lois », dans E. CAPPAROS (dir.), Mélanges Louis-Philippe Pigeon, Montréal, Wilson & Lafleur, 1989, p. 89, à la p. 91.
- [172] Une approche dite « holistique » de l'interprétation par rapport à l'emploi judicieux et finalement nécessaire des maximes d'interprétation, vaut une mise en garde de Randal N. GRAHAM, op. cit., note 170, p. 110.
- [173] Intitulé précédant l'art. 8.1 : « règles d'interprétation / Rules of Construction ». Le professeur P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 48 et suiv., signale que les principes peuvent être conçus comme des « guides » ou des « arguments ». Voir aussi Alain-François BISSON, loc. cit., note 171, à la p. 92, qui en parle comme des « outils commodes ».
- [174] La distinction entre « intention » et « objet » n'est pas nette, la première paraissant inclure la seconde. Cependant, il semble assez clair que l'intention renvoie à ce qui a été voulu ou recherché à l'origine, et l'objet comme tel à une finalité. Voir P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, à propos de la notion d'intention du législateur : « Il faut particulièrement souligner l'ambiguïté de l'expression. Elle désigne tantôt le sens que l'auteur du texte a voulu donner à celui-ci, tantôt l'objectif pratique recherché par l'auteur en édictant le texte » (p. 7) ; « [...] elle désigne à la fois ce que le législateur a voulu signifier par le texte édicté et ce qu'il a voulu accomplir en l'édictant » (p. 476 ; nous soulignons). Quant à l'objet comme finalité, qu'il suffise ici de s'en remettre au sens étymologique : « “objectum” ce qui est placé devant » (Le Petit Robert).
- [175] Cette formule de Driedger est un bel exemple de la force persuasive, sinon même de l'autorité normative, de la pensée doctrinale. Elle a été présentée comme la méthode « privilégiée » par la Cour suprême dans Rizzo & Rizzo Shoes Ltd. (Re), [1998] 1 R.C.S. 27. La Cour cite Elmer DRIEDGER, Construction of Statutes, 2e éd., Toronto, Butterworths, 1983, p. 87. Cette formule a été reprise par la Cour à de très nombreuses reprises. Voir par exemple, de nouveau sous la plume du juge Iacobucci, l'arrêt Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, [2002] 2 R.C.S. 559. Plus récemment, Canada 3000 Inc., Re ; Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), précité, note 165, par. 36. En domaine fiscal, voir Will-Kare Paving & Contracting ltd. c. Canada, [2000] 1 R.C.S. 915, par. 32 (juge Major) et par. 50 (juge Binnie, dissident) ainsi que Entreprises Ludco Ltée. c. Canada, [2001] 2 R.C.S. 1082, par. 37 à 39. Voir par ailleurs l'approche proposée par l'honorable juge Gerard V. LA FOREST, « Foreword », dans Ruth SULLIVAN, Statutory Interpretation, Concord (Ontario), Irwin Law, 1997, p. xv. Signalons également cet article présentant un résumé des principaux aspects de l'interprétation, par l'honorable juge Michel BASTARACHE, loc. cit., note 168, p. 95. L'emploi de la formule par la Cour suprême a fait l'objet d'une étude approfondie et d'une critique sérieuse, récemment, dans Stéphane BEAULAC, Pierre-André CÔTÉ, « Driedger's “Modern Principe” at the Supreme Court of Canada : Interpretation, Justification, Legitimization », (2006) 40 R.J.T. 131. Nous retiendrons surtout, comme le disent les auteurs, qu'il s'agit au plan méthodologique d'un « point de départ ».
- [176] La juge Deschamps reprend étape par étape les éléments de la formule dans Monsanto Canada Inc. c. Ontario (Surintendant des services financiers), [2004] 3 R.C.S.152. L'approche dite moderne est analysée, et critiquée à certains égards, dans Ruth SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 1 et suiv. Le professeur Sullivan note l'aspect multidimensionnel de l'approche : « The chief significance of the moderne principle is its insistence on the complex, multi-dimensional character of statutory interpretation. »
- [177] Sur le parallélisme entre la formule de Driedger et la règle prévue à l'article 12, voir Bell Express Vu Limited Partnership c. Rex, précité, note 175, par. 26.
- [178] À noter l'emploi de mêmes termes dans la disposition préliminaire du Code civil du Québec : « [...] Le code est constitué d'un ensemble de règles qui, en toutes matières auxquelles se rapportent la lettre, l'esprit ou l'objet de ses dispositions, établit, en termes exprès ou de façon implicite, le droit commun. [...] » (Nous soulignons).
- [179] Voir J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, 316 : « La plus importante constatation qui s'impose, à la lecture de la jurisprudence rendue au cours des vingtcinq dernières années, est sans aucun doute que les fondements qui ont été exposés, dans la première partie de cette étude, pour justifier la complémentarité du droit fédéral et du droit civil, font bel et bien partie du “droit vivant”, même s'ils sont rarement utilisés de façon explicite. »
- [180] À noter que la Loi sur les langues officielle, L.R.C. (1985), c. O-3.01 comportait avant 1988 à son alinéa 8(2)c) une disposition interprétative permettant d'interpréter la législation fédérale en fonction du système juridique de la province d'application. Au sujet de cet alinéa, dont la fortune fut brève et qui s'expliquait par un mode de rédaction essentiellement unilingue, voir Rémi Michael BEAUPRÉ, Interprétation de la législation bilingue, Montréal, Wilson & Lafleur, 1986, p. 78 et 163 ; A. MOREL, loc. cit., note 159, p. 303.
- [181] Pour un compte rendu des origines de cet article, voir A. MOREL, loc. cit., note 161, aux p. 326 et suiv. Pour une analyse détaillée du texte présenté au Parlement, voir H. MOLOT, loc. cit., note 157, fascicule 6. Sur les méthodes interprétatives découlant des articles 8.1 et 8.2, notamment dans le cadre de l'harmonisation de la législation fédérale, voir, dans l'ordre : L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., note 159, fascicule 4 ; R. SULLIVAN, loc. cit., note 148; A. GRENON, loc. cit., note 165. La seule décision qui, à notre connaissance, traite en profondeur du sujet au plan des fondements et de l'interprétation, est celle rendue par la Cour d'appel fédérale dans St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289.
- [182] Art. 8.2, Loi d'interprétation : « Sauf règle de droit s'y opposant, est entendu dans un sens compatible avec le système juridique de la province d'application le texte qui emploie à la fois des termes propres au droit civil de la province de Québec et des termes propres à la common law des autres provinces, ou qui emploie des termes qui ont un sens différent dans l'un et l'autre de ces systèmes. »
- [183] H. MOLOT, loc. cit., note 157, p. 16 et suiv. L'article 8.2 est plus affirmatif et ne comporte pas la précision qu'il doit y avoir recours au droit provincial si « nécessaire ». Il fait état cependant d'une ambiguïté (de termes ou de sens), laquelle serait causée par le renvoi – présumé – au droit provincial. Quoi qu'il en soit, il est clair selon nous que le principe exprimé à l'art. 8.1 est prééminent, de même que l'est à son tour la phrase introductive de l'article 8.1 affirmant l'égale autorité des traditions de droit civil et de common law. À ce sujet, voir la généalogie des textes dans A. MOREL, loc. cit., note 161, p. 327 et suiv. Elle indique que le principe d'interprétation relatif à la terminologie suppose l'existence préalable d'un rapport avec le droit privé de la province.
- [184] Voir R.N. GRAHAM, op. cit., note 170, p. 110. À noter que le préambule de la Loi d'harmonisation no 1, précitée, note 106, inscrit dans l'acte interprétatif même l'interaction de la législation fédérale avec le droit provincial : « Attendu : [...] qu'une interaction harmonieuse de la législation fédérale et de la législation provinciale s'impose et passe par une interprétation de la législation fédérale qui soit compatible avec la tradition du droit civil ou de la common law, selon le cas ». (Nous soulignons).
- [185] Voir R. TREMBLAY, loc. cit., note 171, p. 48 : « La démarche intellectuelle qui consiste à interpréter un texte obéit, pour l'essentiel, à des impératifs qui échappent au législateur ; elle est d'ordre méta-législatif, sinon d'ordre méta-juridique. » Quant à l'obligation de recourir au droit supplétif des provinces en cas de nécessité, nous y reviendrons, infra, notes 215 et 247.
- [186] Pour un exemple de l'opposition entre l'approche téléologique et le principe de complémentarité, voir les arguments de l'intimé dans Garneau c. Canada (M.R.N.), 2006 CCI 160, par. 59.
- [187] J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 323 et 317 respectivement.
- [188] Voir J.E.C. BRIERLEY et R.A. MACDONALD, op. cit., note 46, no 44, p. 47: «To date, [...] federal enactments have taken a form that presupposes the existence of a provincial general law. Legislation relating to marriage and divorce, for example, is necessarily embedded in a legal framework that includes filiation, alimentary obligations, and matrimonial property law – subjects governed by the Civil Code. » (Nous soulignons).
- [189] Une intention claire d'opérer renvoi ne pose pas de problème, puisqu'il s'agit alors d'un renvoi formel. Cette intention peut toutefois être exprimée de façon implicite par le législateur ou peut lui être imputée par un tribunal. À ce sujet, voir R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 2, en particulier ce passage important concernant les sources sur lesquelles reposeraient les intentions présumées : « Presumed intention embraces the entire body of evolving legal norms which contribute to the legal context in which official interpretation occurs. These norms are found in Constitution Acts, in constitutional and quasi-constitutional legislation and in international law, both customary and conventional. Their primary source, however, is the common law. » À noter cet avertissement du professeur J.-M. BRISSON, loc. cit., note 89, p. 349-350 : en cas d'abstention du législateur, il ne faut pas présumer, selon lui, d'une intention de renvoi au droit provincial et la complémentarité doit dans tous les cas être « appropriée ». Il reconnaît toutefois que l'abstention puisse être « délibérée ».
- [190] Reconnaissance exprimée formellement pour l'ensemble de la législation fédérale dans la phrase introductive de l'art. 8.1 de la Loi d'interprétation et dans le préambule de la Loi d'harmonisation no 1, précitée, note 106 : « Attendu : [...] que, sauf règle de droit s'y opposant, le droit provincial en matière de propriété et de droits civils est le droit supplétif pour ce qui est de l'application de la législation fédérale dans les provinces ». La Cour suprême du Canada considère à cet égard qu'il s'agit d'une clarification : voir D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), précité, note 138, par. 34 et 64.
- [191] Au sujet des présomptions d'uniformité et de stabilité du droit, qualifiées d'« arguments pragmatiques », voir P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 633 et suiv. et 636 et suiv. Quant à la possibilité que le Parlement veuille et accepte l'« asymétrie juridique », voir St-Hilaire c. Canada (Procureur général), précité, note 181, par. 43, 49-53 ; 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), précité, note 165, par. 6. Dans la prochaine partie, nous exposerons quelques exemples de décisions qui, au contraire, présument l'uniformité de la législation fédérale en matière de droit privé. Pour un exemple où les conséquences du principe de complémentarité sont atténuées quant à l'asymétrie, voir Royal Winnipeg Ballet c. Canada (M.R.N.), précité, note 165 : « When the scope of federal legislation refers to a private law concept, which is not defined in the statute, the bijural nature of our federation leaves open the possibility that the statute may be applied differently in Quebec from common law Canada. »
- [192] Nous examinerons plus loin (infra, note 209) ce que ce mot entraîne quant à la reconnaissance législative du principe de complémentarité. Quant aux références à ce mot dans la jurisprudence, voir par exemple Canada 3000 Inc., Re ; Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), précité, note 165, par. 80 ; Canada (P.G.) c. Banque Nationale du Canada, précité, note 165, par. 33-34 ; A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2006 CAF 136, par. 12 (pourvoi rejeté en Cour suprême : 2007 CSC 42 ; voir en particulier le raisonnement de la juge Abella) ; Travel Just c. Canada, 2006 CAF 343 ; Letarte c. La Reine, 2005 CCI 420, par. 11.
- [193] Dans la partie suivante (section II.A.1), voir les exemples de décisions qui se fondent sur des arguments lexicaux.
- [194] P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 325 et suiv. Voir par ex. Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, quant aux expressions « proceedings » et « cause of action ». Il s'agit d'un bon exemple illustrant la complexité de l'interprétation qui s'en remet à la fois au sens ordinaire, au contexte immédiat de la disposition (incluant la règle du sens commun des versions linguistiques), et à l'objectif du législateur.
- [195] Id., p. 330. Le professeur Côté fait une mise en garde à propos du recours aux dictionnaires. R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 21-24, apporte aussi des nuances quant à la notion de « sens ordinaire ». Il ne s'agit pas selon elle du « sens du dictionnaire » ni du « sens littéral » : « Most often, however, it refers to the reader's first impression of meaning, the understanding that spontaneously emerges when words are read in their immediate context [...] » (id., p. 21). Elle précise toutefois que le sens ordinaire est défini autrement lorsqu'il s'agit de le distinguer du sens technique, et que le sens ordinaire est présumé en cas d'ambiguïté : « However, in statutory interpretation the expression “ordinary meaning” is also used to refer to the common or popular meaning of words as opposed to any technical or specialized meaning they might bear. When a word or series of words has both an ordinary nontechnical meaning and a technical or local one, the ordinary (non-technical, non-local) meaning is presumed. » (id., p. 37). Dans la partie suivante (section II.A.1), nous examinerons plusieurs cas considérés dans le contexte de l'interaction des lois fédérales avec le droit provincial, où l'on a fait prévaloir le sens ordinaire sur le sens technique.
- [196] Voir, par exemple, Montréal (Ville) c. 2952-1366 Québec Inc., [2005] 3 R.C.S. 141, en particulier les motifs du juge Binnie (dissident). En domaine fiscal, voir par ex. Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622, par. 40 et suiv. Voir aussi R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 49 et P.A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 359, qui citent la décision anglaise classique sur la question, l'arrêt Sussex Peerage Case (1844), 8 E.R. 1034. À noter en particulier ce passage dans cette décision : « If the words of the statute are in themselves precise and unambiguous, then no more can be necessary than to expound those words in their natural and ordinary sense. » Cette règle s'oppose à l'approche globale de l'interprétation : voir R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 9. Dans la tradition anglaise de l'interprétation, elle est contrebalancée par le golden rule et le mischief rule : voir M. BASTARACHE, loc. cit., note 168, p. 95 et R. TREMBLAY, op. cit., note 171, p.11. Pour une critique en règle de son emploi par les tribunaux, voir Ruth SULLIVAN, « The Plain Meaning Rule and Other Ways to Cheat at Statutory Interpretation », dans Ejan MACKAAY (dir.), Les certitudes du droit – Certainty and the Law, Montréal, Éditions Thémis, 2004. Voir également J.M. KERNOCHAN, « Statutory Interpretation : An Outline of Method », (1976) Dalhousie L. J. 333, à la p. 338.
- [197] Comparer les méthodes d'interprétation des dispositions fédérales de droit privé proposées par R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1047, et A. GRENON, loc. cit., note 165, p. 144. Mme Sullivan considère que la première étape de l'analyse est de déterminer si la terminologie est employée dans son sens ordinaire. La seconde considère au contraire qu'il faut déterminer en premier lieu s'il s'agit d'une disposition de droit privé, l'importance du langage étant secondaire puisque les renvois aux notions de droit privé peuvent s'effectuer au moyen de termes non juridiques ou termes neutres.
- [198] Les zones d'ombres sont inévitables (certains d'ailleurs s'y engouffrent sans réticence : voir supra, note 167). Elles sont parfois dans la nature des choses. H. MOLOT, loc. cit., note 157, mentionne quelques exemples (p. 3 et p. 17). Entre l'expression « intégrité écologique », clairement dissociée du langage technique du droit privé, et les mots « propriété », « contrat », « vente », « location », il existe en effet des termes dont l'appartenance est moins définie. Ainsi, comme il le signale, le mot « mort » peut à la fois être entendu au sens ordinaire et au sens technique selon le contexte. Des zones d'ombre peuvent donc être créées par l'utilisation d'un langage imprécis ou ambigu. Voir à ce sujet cette mise en garde de A. MOREL, loc. cit., note 161, 3, p. 13 : « Il n'y a, par exemple, aucun avantage à utiliser des termes vagues ou imprécis pour désigner des notions pour lesquelles il existe en droit civil une terminologie consacrée. [...] L'utilisation d'un langage approximatif comporte sou-vent, pour le juriste, une part d'ambiguïté qui aurait pu être évitée par l'emploi d'un vocabulaire technique permettant d'identifier clairement les notions ou les institutions du droit civil que l'on entendait viser. » Sur les avantages et les inconvénients de la technique de rédaction employant des termes dits « neutres », voir le même auteur, id., p. 19-20 et L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., note 159, p. 9. Cette technique serait, selon certains, le mode de rédaction privilégié du législateur : voir Lionel LEVERT, loc. cit., note 168, p. 7-8. Toutefois, si l'on s'en remet aux lois d'harmonisation adoptées à ce jour par le Parlement, elle n'est clairement pas la seule possible : voir les Loi d'harmonisation no 1, précitée, note 106 et Loi d'harmonisation no 2 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2004, c. 25. Bref, on devrait à notre avis clarifier la confusion qui s'est installée à propos de cette technique et clairement distinguer l'emploi de ce qui constitue un terme « neutre » (relevant du sens ordinaire) et ce qui constitue un « terme commun » (relevant du sens technique du droit privé de plus d'une province). Quant aux difficultés posées par la distinction entre langue et droit, voir enfin R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1045 et suiv. L'auteure y déplore l'application de la règle du sens commun, applicable à l'interprétation des lois bilingues, dans un cas de bijuridisme analysé par la Cour suprême dans Schreiber c. Canada (Procureur général), précité, note 165. Pour une autre critique, voir A. GRENON, loc. cit., note 165. Pour une analyse convergente du bilinguisme et du bijuridisme dans des cas d'ambiguïté, voir également M. BASTARACHE, loc. cit., note 168, p. 110-111.
- [199] J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, 309.
- [200] À noter les mots suivants à l'article 8.1 : « règles, principes ou notions appartenant au domaine de la propriété et des droits civils ». L'article 8.2, relatif à la terminologie, fait référence à une identité de sens dans chaque système juridique : « termes propres au droit civil... à la common law » ; « termes... qui ont un sens différent dans l'un ou l'autre de ces systèmes ». Pour une analyse du langage juridique sous l'angle de l'« appartenance » et de la « spécialité », voir Gérard CORNU, Linguistique juridique, 3e éd., Paris, Montchrestien, 2005, p. 11 et suiv., 62 et suiv.
- [201] L'idée d'un jus commune servant de « dictionnaire législatif par défaut » est proposée par Roderick A. MACDONALD, « Harmonizing the Concepts and Vocabulary of Federal and Provincial Law : The Unique Situation of Quebec Civil Law », dans The Harmonization of Federal Legislation with Quebec Civil Law and Canadian Bijuralism, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 1999, 27, par. 34 et suiv.
- [202] Voir supra, notes 164 et suiv.
- [203] Quant aux avantages de la technique dite du « doublet » en ce qui concerne la spécificité juridique des traditions, voir L. LEBEL et P.-L. LE SAUNIER, loc. cit., note 124,214-215 ; A. MOREL, loc. cit., note 161, p. 20-21.
- [204] L. MAGUIRE WELLINGTON, loc. cit., note 159, p. 4-8 ; R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1047 ; et A. GRENON, loc. cit., note 165, p. 144.
- [205] D'un côté, on met l'accent sur l'autonomie de la législation fédérale, de l'autre sur sa dépendance implicite face à un droit provincial autonome. Comparer les deux approches suivantes : l'approche de Ruth SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 95 : « In approaching bijural legislation, the courts must bear in mind various constitutional principles and values. Under the federal system established by the Constitution Act, 1867, Parliament has jurisdiction to enact legislation that operates uniformly across the country, imposing a single regulatory regime applicable in each province. » ; et celle de A. GRENON, loc. cit., note 165, p. 145 : « If Justice LEBEL had taken that approach, he would first have had to determine whether or not section 6(a) of the SIA employed rules, principles or concepts forming part of the law of property and civil rights. » Ces deux articles portent sur l'analyse effectuée dans Schreiber c. Canada (Procureur général), précité, note 165. Cet arrêt porte sur une disposition de la Loi sur l'immunité des États, L.R.C. (1985), c. S-18, ayant été harmonisée. Cette disposition était appliquée en Ontario, dans un contexte de droit international, et la Cour s'appuie sur la règle du sens commun des versions linguistiques pour conclure que le concept de droit civil, plus restreint, correspond à l'intention du législateur. À noter que la Cour suprême ne fait pas référence à l'art. 8.1 de la Loi d'interprétation. Elle adopte pour ainsi dire une approche transversale en examinant toutes les significations possibles dans divers contextes, et s'en remet ultimement aux principes d'interprétation des lois bilingues pour résoudre une apparente divergence causée par un doublet. Pour une approche moins « comparatiste », voir 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), précité, note 165.
- [206]J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, 309. À ce sujet, en matière d'interprétation, voir aussi H. MOLOT, loc. cit., note 157, p. 15. Nous reviendrons, infra, note 208, sur le pouvoir du Parlement de déterminer le sens du droit privé fédéral dans sa législation. À noter, nous employons l'expression « principe de complémentarité » pour désigner le mécanisme intervenant dans la détermination des sources. C'est par métonymie, sans doute, que l'on accorderait à l'expression la connotation erronée de prémisse.
- [207] Notons ici que c'est la disposition qui appartient au domaine du droit privé, et non la loi dans son ensemble : voir supra, note 145. Notons de plus que la qualification de la source supplétive externe, à savoir s'il s'agit de droit privé ou de droit public, intervient en deuxième lieu dans le processus interprétatif, soit lorsque la nécessité de recourir à des sources supplétives a été déterminée : voir infra, note 247. Comparer les deux méthodes proposées par la doctrine dont nous avons déjà fait mention : supra, note 197. Quant aux aspects constitutionnels, voir supra, section I.A. Quant aux limites de l'intervention judiciaire, eu égard en particulier aux vides législatifs, voir la section suivante sur le pouvoir judiciaire (I.B.2).
- [208] Si l’on s’en tient aux cas observés en pratique, dans la législation et la jurisprudence, ce serait plutôt l’inverse. Voir J.-M. BRISSON, loc. cit., note 89, p. 352-353 ; J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 307, 309, 316. R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, critique ceux qui, à son avis, concevraient le principe de complémentarité comme si la législation fédérale de droit privé constituait une exception au droit des provinces (voir p. 1030 et 1042). Il nous semble cependant qu’en faisant cette critique, elle occulte la dimension historique et constitutionnelle du principe de complémentarité. Les textes qu’elle critique font référence en substance à la compétence de principe des provinces en droit privé, laquelle permet le rapport supplétif en cas d’insuffisance de la loi ; ces textes supposent et respectent la liberté du Parlement de déterminer le sens du droit privé fédéral dans sa législation, bien qu’ils y accordent moins d’attention. Il convient donc de rappeler et souligner que si le droit privé fédéral est effectivement un droit d’exception par rapport au droit des provinces, la législation fédérale de droit privé est susceptible d’exprimer le droit privé nécessaire à la réalisation de son objet en vertu des compétences fédérales exclusives ou accessoires du Parlement. Tel que soulevé précédemment (supra, note 206), le principe de complémentarité ne signifie pas en soi la complémentarité de principe, et il nous semble que les textes cités par Sullivan n’infèrent en aucun moment une telle conception. (Quant à savoir si, en pratique, le principe de complémentarité peut donner lieu à des automatismes chez ceux qu’elle appelle des « bureaucrates », c’est une toute autre question...). Sur l’importance de considérer les compétences et la prépondérance fédérale en matière de droit privé, voir J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, p. 303 ; Ruth SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 103. Quant au second volet de la critique de Ruth Sullivan, soit la possibilité de recourir à un droit commun non légiféré à titre supplétif, nous y reviendrons dans la section suivante (I.B.2).
- [209] Le terme « nécessaire » marque effectivement un point tournant de l'interprétation. Voir les jugements cités à ce sujet, supra, note 192. À preuve, également, ces deux façons de considérer le mot, ou bien comme fermeture, ou bien comme ouverture au droit provincial : R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1040, y voit en quelque sorte une preuve que l'art. 8.1 ne codifie pas le principe de complémentarité ; par opposition, David Duff qu'elle cite y voit plutôt la « condition » du recours au droit provincial à titre supplétif (David DUFF, « La Loi de l'impôt sur le revenu et le droit privé au Canada : Complémentarité, dissociation et bijuridisme », (2003) 51 Revue fiscale canadienne 64, p. 116). Si les deux visions se justifient (la fermeture en raison de la prépondérance fédérale, l'ouverture en raison de la compétence de principe des provinces : supra, note 208), à notre avis toutefois il s'agit d'une erreur de ne pas reconnaître le principe de complémentarité à l'article 8.1. De nouveau (voir supra, notes 206 et 208), il convient de souligner que le principe de complémentarité ne signifie pas la complémentarité de principe, comme l'affirme Sullivan : « [...] section 8.1 does not codify the principle of complementarity. The first thing to notice is that section 8.1 does not state that provincial law applies unless it is expressly excluded by federal legislation. » (id., p. 1040). À cet égard, l'emploi de l'expression « sauf règle de droit s'y opposant / unless otherwise provided by law » a peut-être causé une confusion en paraissant faire de la dissociation une exception. Cette expression, toutefois, ne doit pas porter ombrage à l'importance cruciale du mot « nécessaire » pour marquer la complémentarité ou la dissociation. Il n'était d'ailleurs peut-être pas indispensable de l'ajouter, puisqu'il va de soi qu'il ne serait pas nécessaire de recourir au droit supplétif provincial si une règle de droit s'y opposait (à ce sujet, voir H. MOLOT, loc. cit., note 157, p. 18-19). Paraissant faire double emploi, donc, c'est sans doute pour plus de certitude et pour bien marquer la prépondérance fédérale qu'elle a été apposée syntaxiquement (ce qui ressort davantage en français...) à l'expression « il faut ». Nous pensons donc qu'il ne convient pas de donner trop d'importance à cette expression. Si l'on s'en tient à une lecture littérale (l'expression est subsumée à la détermination de la « nécessité » de recourir au droit provincial...), il ne s'agit que d'un frein additionnel à la complémentarité et l'expression ne devrait viser, en principe, que des mesures législatives explicites la contrecarrant : H. MOLOT, id., p. 18 ; D. DUFF, id., p. 118 ; Pierre ARCHAMBAULT, « Contrat de travail : Pourquoi Wiebe Door Services Ltd. ne s'applique pas au Québec et par quoi on doit le remplacer », dans L'harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien – Deuxième recueil d'études en fiscalité (2005), Ministère de la Justice du Canada, 2005, 2, p. 2:16 à 2:18. Néanmoins, selon certains, il est aussi possible d'y voir une référence à des sources de common law : A. GRENON, loc. cit., note 165, p. 146 et suiv. Si tel est le cas, nous pensons quant à nous que ces règles d'origine jurisprudentielle auxquelles l'expression ferait référence ne devraient être limitées qu'à certains domaines (voir supra, notes 122 et 124). Elles devraient par ailleurs rompre expressément le lien de complémentarité. Nous reviendrons sur cette question, infra, note 248 (dans le texte).
- [210] Voir supra, notes 147 et suiv.
- [211] En particulier, le respect de la souveraineté parlementaire ou le principe de l'interprétation stricte du droit statutaire. À ce sujet, voir R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 339 et suiv. ; P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 45 et suiv., 643 et suiv. Quant aux nuances à apporter en contexte de droit civil, voir P.-A. CÔTÉ, id., p. 34 et suiv.
- [212] La théorie du « code complet » est invoquée en droit constitutionnel (voir supra, note 101), mais elle est également présente en ce qui concerne l'interprétation du droit statutaire (voir R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 347). Dans cet esprit, il n'est pas étonnant qu'elle ait servi à rendre la législation fédérale indépendante du droit provincial. Nous y reviendrons dans la partie suivante relativement aux procédés déterminant l'unification de la législation (II.A.2).
- [213] C'est la thèse principale de R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1041-1042. L'auteure appuie son raisonnement sur la notion de « unenacted law » présentée par R. A. MACDONALD, loc. cit., note 69, 579, p. 587-589. À ce sujet, voir supra, notes 128 et 148. À noter que la notion de « unenacted law » est désignée par le professeur Macdonald sous le vocable de « common law » (en lettres minuscules). Dans la prochaine section (voir supra, note 233), nous reviendrons sur cette thèse et sur la notion, afin d'examiner la possibilité qu'un juge ait recours à titre supplétif à cette source de droit à des fins d'uniformité.
- [214] R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1030. En ce qui concerne cette distinction dans le contexte du rapport entre droit statutaire et common law, voir R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 341.
- [215] À cet égard, on notera que l'art. 8.1 de la Loi d'interprétation énonce une obligation : « s'il est nécessaire, [...] il faut ». La dualité juridique du Canada est présentée comme une règle d'ordre systémique dans la phrase introductive de l'art. 8.1. Cette dualité, inscrite dans le partage des compétences, surplombe à la fin les techniques d'interprétation proprement dites.
- [216] Image empruntée au sonnet « Correspondances » de Charles Baudelaire dans Les fleurs du mal : «La Nature est un temple où de vivants piliers / Laissent parfois sortir de confuses paroles »...
- [217] Nous formulons ce problème de la façon la plus générale possible. Pour une analyse plus restrictive de l’enjeu posé par la pluralité des sources formelles du droit privé fédéral, voir R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1042 : « The key issue raised by the harmonization project is whether judges can create unenacted law in the course of interpreting federal legislation ». Nous reviendrons, infra, notes 231 à 233, sur cette question plus spécifique.
- [218] La « théorie officielle de l’interprétation des lois » est exposée par P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 5 et suiv. Le professeur Côté présente deux théories alternatives, celle du « rôle supplétif de l’interprète » et celle de la « création soumise à des contraintes » (p. 22 et suiv.). Pour l’essentiel, notre analyse s’en tient aux limites de la théorie officielle et aux possibilités de la théorie du rôle supplétif de l’interprète. Cette dernière, à noter, repose sur ce que P.-A. Côté appelle un « modèle communicationnel » et suppose également la présence d’un sens prédéterminé par le législateur. Le pouvoir créateur de l’interprète y reste donc solidement encadré. Quant à la seconde théorie alternative, bien qu’elle n’élimine pas les contraintes fixées par le texte, elle suppose une liberté plus grande de l’interprète (« La loi ne fixe pas le sens, car ce dernier naît de l’interprétation », id., p. 27). Dans le contexte de l’interprétation du droit privé fédéral, cette conception pragmatique de l’interprétation se heurte à notre avis à un cadre constitutionnel trop contraignant, soit celui posé par la compétence de principe des provinces en matière de propriété et droits civils et le principe de complémentarité que cette compétence suppose. Sur l’opposition entre une conception « originalist » et « dynamic » de l’interprétation, voir également R. N. GRAHAM, op. cit., note 170, p. 1 et suiv.
- [219] Pluralité dont nous avons fait la démonstration dans la section précédente (I.A.).
- [220] Notre distinction entre disposition « incertaine » et disposition « incomplète » est délibérée et reflète justement la problématique de l’identité / unité et celle de l’altérité / complémentarité. Voir R. GRAHAM, op. cit., note 170, pour la proposition d’une approche générale fondée sur les notions de « vagueness », « ambiguity », « subtext » et « analogy ».
- [221] C’est l’approche adoptée par la Cour suprême dans Schreiber c. Canada (Procureur général), précité, note 165. À ce sujet, voir également M. BASTARACHE, loc. cit., note 168, p. 110-111.
- [222] Voir par exemple Canada 3000 Inc., Re ; Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), précité, note 165 ; Canada (P.G.) c. Banque Nationale du Canada, précité, note 165.
- [223] Nous faisons référence ici aux décisions judiciaires antérieures qui seraient consultées à titre indicatif, à titre de guide. Quant à l’hypothèse d’une common law fédérale créatrice de droit dans le cadre de l’interprétation de la législation fédérale, nous l’avons déjà évoquée précédemment (supra, note 124) et nous y reviendrons plus loin (infra, notes 231 à 233).
- [224] Dans la présente étude, nous employons généralement le verbe « suppléer » ou le substantif « supplétif » pour faire référence à des sources complémentaires externes, au sens où on l’utiliserait par exemple en droit des contrats par rapport au droit étatique. À cet égard, voir N. KASIRER (dir.), op. cit., note 83, vo « Droit supplétif 1 ». Toutefois, il est possible d’employer le terme dans un sens plus large pour couvrir tout type d’intervention « créatrice » permettant de compléter mais aussi de préciser le sens d’une disposition. Quant aux flottements et ambiguïtés dans l’emploi de ce terme ou de termes tels « lacunes », « rôle créateur », « rôle complémentaire », etc., lire et comparer P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 22 ; René DUSSAULT et Louis BORGEAT, Traité de droit administratif, 2e éd., t. III, Québec, Presses de l’Université Laval, 1989, p. 30 ; Luc HUPPÉ, Le régime juridique du pouvoir judiciaire, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 140 et suiv. Pour notre part, bien que nous employions le terme « suppléer » pour faire référence principalement à l’idée d’un manque et d’un ajout, nous reconnaissons qu’il peut faire référence tout simplement, dans son sens ordinaire, à la correction d’un quelconque défaut [voir Le Petit Robert, sous « suppléer »].
- [225] Nous reviendrons dans la prochaine partie sur les arguments fondés sur le « sens ordinaire » du texte ou ceux fondés sur des théories constitutionnelles, par exemple la théorie du champ occupé ou de l’immunité interjuridictionnelle. Bien que de tels arguments ne reposent pas nécessairement sur une imprécision ou ambiguïté du texte, ils s’inscrivent entièrement dans les ressources de la législation permettant d’établir son identité.
- [226] La crainte d’une subjectivité dans l’interprétation paraît en effet la plus justifiée en ce qui concerne les limites du pouvoir judiciaire : voir P.A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 10 et 12-13 ; L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 141.
- [227] Nous avons déjà signalé quelques cas de renvois dans la section I.A, note 140, soit par exemple la définition de « responsabilité » dans la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, précité, note 140, art. 2 ; la définition de « immeuble » dans la Loi sur les immeubles fédéraux et les biens réels fédéraux, précité, note 140, art. 2 ; la définition de « créancier garanti » dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, art. 2. On pourrait également mentionner le cas – controversé – du droit maritime. À ce sujet, voir la définition de «droit maritime canadien », Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7, art. 2 et l’interprétation de cette définition dans l’arrêt ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics, précité, note 69.
- [228] Voir la section précédente (I.A.) ; notamment, supra, note 124.
- [229] Voir supra, note 122. En ce qui a trait au droit autochtone, voir la série d’arrêts Roberts c. Canada, précité, note 122 ; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, précité, note 122 ; Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville de), [1997] 2 R.C.S. 678 ; et Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver, précité, note 122. Le cas du droit maritime pourrait également être considéré comme un domaine d’exception (voir Partie II, section B.3), de même que celui du droit international. Dans ce dernier cas, eu égard en particulier aux conventions fiscales, voir André OUELLETTE, « Bijuridisme et fiscalité : aspects internationaux », (2003) 24 R.P.F.S. 1051 (ce texte a été publié sur Internet : http://www.bijurilex.gc.ca). Les décisions suivantes sont citées par Me Ouellette en ce qui concerne la relation entre le droit domestique et le droit international en matière d’interprétation : National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324 ; Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396.
- [230] Nous empruntons à Elmer Driedger cette distinction entre intention implicite et intention présumée, distinction reprise dans R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 2 et 361.
- [231] La proposition est formulée par R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1042. Cf. L. LEBEL et P.-L. LE SAUNIER, loc. cit., note 124, p. 218. Nous avons déjà examiné la possibilité de concevoir un droit commun fédéral dans l’ordre abstrait ou comme toile de fond. Cette hypothèse ne présente selon nous aucun fondement ni aucune utilité pratique au plan des sources formelles du droit privé fédéral : voir supra, note 128. Quant au rapport entre droit statutaire et droit commun – ou vision monosystémique – qu’une telle hypothèse suppose, voir supra, note 213.
- [232] La notion de unenacted law a été proposée comme droit supplétif dérivé par opposition au droit supplétif provincial appliqué selon le principe de complémentarité : voir R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1042 et suiv. Cette proposition oppose le « derivative bijualism » au « suppletive bijuralism », le premier étant considéré comme le produit de la convergence des traditions juridiques de droit privé dans l’ordre juridique fédéral (voir supra, note 148). Une telle convergence (ou « dialogue ») des traditions a été commentée par d’autres auteurs et constitue un phénomène indéniable et quant à nous souhaitable au plan philosophique (voir supra, notes 131 à 133). La convergence concerne toutefois en arrière-plan les traditions comme telles, d’où l’emploi du mot « bijuridisme » pour la décrire, et n’implique pas nécessairement l’application de la législation fédérale ou la détermination de ses sources supplétives (le bijuridisme est également présent, sinon plus, au niveau provincial au Québec : voir par exemple Prud’homme c. Prud’homme, précité, note 79 ; voir L. PERRET, loc. cit., note 47). Le phénomène se situe donc à un autre niveau et relève pour l’essentiel du droit comparé. Le concept de bijuridisme transcende le principe de complémentarité relatif à la législation et c’est par extrapolation, dans le contexte fédéral, que l’on emploiera l’expression « bijuridisme législatif » pour se référer aux deux principales traditions juridiques du Canada. Quant à la complémentarité, il s’agit essentiellement d’un concept relatif à l’application de la législation, donc au droit positif comme tel (à noter l’emploi de « en vigueur » à l’art. 8.1 de la Loi d’interprétation). Dans cette perspective, il faut considérer qu’il y a 10 (peut-être 13) systèmes juridiques supplétifs dans la fédération canadienne, et non seulement 2 comme le sous-entend la notion de bijuridisme. Et considérer de plus que l’application du droit supplétif provincial ne constitue pas comme telle un « exercice de droit comparé » ou la recherche d’un « résultat uniforme » (pour reprendre les termes du juge Décary dans 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), précité, note 165, par. 6). Considérant ce qui précède, la qualification du principe de complémentarité comme une approche ségrégationniste nous apparaît d’ailleurs inexacte sinon tout à fait impertinente (« equal-but-separate » : R. SULLIVAN, id., p. 1000 et 1025).
- [233] Pour concevoir le « unenacted law » comme droit de référence dérivé applicable à titre supplétif à la législation, en lieu et place des divers droits provinciaux, le professeur R. SULLIVAN (loc. cit., note 148, p. 1042) s’appuie sur une classification proposée par le professeur R.A. MACDONALD (loc. cit., note 69, p. 587). À ce sujet, il convient de signaler ce qui nous semble une méprise. Le professeur Macdonald, il est vrai, fait référence à un droit non légiféré (« unenacted legal rules discovered and applied by courts of general jurisdiction», p. 588), par opposition au droit statutaire (« legal rules enacted by Parliament or its delegates », id.). Ce droit non légiféré constitue selon lui de la « common law» ou, plus précisément, de la « unenacted common law ». Cette common law s’opposerait aux autres acceptions du mot : (i) la Common Law, soit la tradition juridique britannique d’origine médiévale ; (ii) le droit issu des cours royales ou Cours de common law, par opposition à celui issu des autres cours comme la Cour de Chancellerie ; (iii) et le droit privé général fondamental considéré comme jus commune. À notre avis, bien qu’elles soient fort intéressantes, ces distinctions ne sauraient servir à justifier l’existence d’une forme de droit commun fédéral supplétif découlant de l’interprétation de la législation fédérale en matière de droit privé. Premièrement, il importe de le répéter, le unenacted law auquel Ruth Sullivan fait référence est considéré, dans la classification de Roderick Macdonald, comme de la common law. Ce dernier ne distingue pas le unenacted law de la common law. Qui plus est, l’acception fait référence d’abord à la tradition de common law (« refers to rules of both common law and Equity indifferently, as a way of distinguishing, in the common law tradition... »). Deuxièmement, cette forme de common law correspond au plan pratique au droit découvert par les tribunaux (« unenacted legal rules discovered... by courts »). Le professeur Macdonald finit par passer sous silence le lien étroit entre le judge-made law et la tradition de Common Law, mais ces derniers constituent historiquement les deux côtés d’une même pièce. Si le phénomène existe en droit civil, il est situé en périphérie de la forme codifiée et ne constitue à la fin qu’une catégorie résiduelle (principes généraux, etc.) sur laquelle l’on ne saurait s’appuyer de façon générale. Troisièmement, ce sont les tribunaux possédant une juridiction générale et résiduaire (« courts of general and residual jurisdiction ») qui, selon Roderick Macdonald, découvrent cette forme de common law. Par conséquent, il nous semble que Ruth Sullivan commet une erreur en affirmant, d’une part, que les tribunaux fédéraux n’ont pas la compétence pour « créer » de la common law dans les matières fédérales, et en affirmant, d’autre part, qu’ils peuvent « créer » du unenacted law(c’est-à- dire du unenacted common law) en ce qui concerne la législation. Elle paraît vouloir distinguer ce qui, selon nous, participe d’un même phénomène et ce qui, par ailleurs, ne pourrait correspondre à la compétence des cours fédérales : les règles de common law découvertes par des cours de juridiction générale et résiduaire. Voici la citation complète où ce glissement apparaît : « It is also clear that in the absence of federal legislation there is no jurisdiction in federal court judges to create common law in areas of federal jurisdiction. The key issue raised by the harmonization project is whether judges can create unenacted law in the course of interpreting federal legislation. In my view, the answer to the question must be yes. ». (id., p. 1042). En somme, aucune ratiocination des concepts fondamentaux ne laisse entrevoir au plan formel la possibilité de créer une common law fédérale dans les matières de droit privé, même lorsqu’il s’agit de s’appuyer sur la législation : les règles de réception et la Constitution du Canada ne le permettent pas (voir section I.A) ; la Cour suprême a conclu par ailleurs qu’il n’y a pas, sauf dans certains domaines, de common law fédérale recouvrant les compétences non exercées par le Parlement (voir supra, note 124), ce qui implique forcément selon nous la common law formulée en marge des compétences exercées. La jurisprudence dégagée lors de l’interprétation de la législation fédérale ne saurait donc être considérée comme constitutive d’un droit fédéral autonome mixte appelé à devenir « common law » et à remplacer de façon dérivée le droit provincial supplétif. À la limite, elle servira de guide et d’autorité plus ou moins contraignante (de « jurisprudence »...) pour la détermination du sens d’une loi. Sur la signification des termes «common law» et « jurisprudence », voir N. KASIRER (dir.), op. cit., note 83.
- [234] La théorie de la séparation des pouvoirs entre les branches législative, exécutive et judiciaire de l’État doit être nuancée au Canada, au point que l’on a affirmé qu’elle n’y existe pas de façon générale : P. W. HOGG, op. cit., note 42, par 7.3(a). Par cette expression, on vise surtout dans le présent contexte la séparation relative entre les pouvoirs législatif et judiciaire, laquelle correspond aux notions également relatives de souveraineté parlementaire d’une part, et d’indépendance judiciaire d’autre part. À ce sujet, voir H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 82, p. 755 et suiv. Pour une remise en question du pouvoir judiciaire et de la discrétion judiciaire depuis l’avènement des droits fondamentaux de la personne, voir Geneviève TREMBLAY, Les tribunaux et les questions politiques – Les limites de la justiciabilité, Montréal, Wilson & Lafleur, p. 1999, p. 27 et suiv., p. 61 et suiv.
- [235] Cette règle découle de la souveraineté parlementaire et signifie en particulier que le rôle des tribunaux n’est pas d’évaluer la sagesse ou pertinence des lois. Voir P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 12.2(g) ; L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 71. À titre d’illustration en droit fiscal, voir Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority Women c. M.R.N., [1999] 1 R.C.S. 10. Pour une affirmation de ce principe dans un cas de révision de la constitutionnalité d’une loi eu égard à la Charte canadienne des droits et libertés, voir Vriend c. Alberta, [1998] 1 R.C.S. 493, par. 29 (motifs du juge Iacobucci) et, plus récemment, Chaoulli c. Québec (Procureur général), 2005 CSC 35, [2005] 1 R.C.S. 791, par. 85 et 184. Quant au rôle des tribunaux par rapport à celui du Parlement, voir les remarques de la juge McLachlin dans Watkins c. Olafson, [1989] 2 R.C.S. 750 : « Enfin, et c’est peut-être là le plus important, il existe un principe établi depuis longtemps selon lequel, dans une démocratie constitutionnelle, il appartient à l’assemblée législative, qui est le corps élu du gouvernement, d’assumer la responsabilité principale pour la réforme du droit. Ce sont des considérations comme celles-là qui permettent de soutenir que les réformes majeures du droit doivent plutôt relever de l’assemblée législative. » (Commentaire repris dans l’arrêt Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437). Lire également les remarques intéressantes de la juge en chef dans un discours plus récent, en tant que juge en chef de la Cour suprême du Canada : « The aim of the legislative role of drafting, debating and passing law is to create the laws that will best serve the people, in the collective and negotiated wisdom of the elected legislators. The aim of the judicial role, by contrast, is to interpret the laws that our common law tradition and the legislators have put in place. This activity of interpretation breaks down into various sub-activities : assigning meaning where it is unclear ; applying the law to complex fact situations ; harmonizing laws that may appear to be at cross-purposes or yield different results when applied to the same situation ; and finally, determining whether challenged laws are constitutional, that is, whether they fall within the powers of the legislature that passed them. » (Remarks of the Rt. Hon. Beverley McLACHLIN, P.C., Chief Justice of Canada, « Judging, Politics, and Why they Must be Kept Separate », Lucheon Address to The Canadian Club of Toronto, 17 juin 2003). Voir également, en ce qui concerne le rôle des juges devant des dispositions dont le sens n’est pas clair, les remarques de Peter W. HOGG lors de l’entrevue du juge Rothstein devant un comité du Parlement : Judicial Interview Process – Opening remarks to Ad Hoc Committee on Supreme Court Appointment, 27 février 2006 (http://justice.gc.ca/eng/dept-min/pub/scc-csc/sp-dis.html).
- [236] Bien qu’il jouisse d’une discrétion non contestée (voir P.W. HOGG, op. cit., note 42, par. 12.2(g)), le juge exerce son rôle et cette discrétion dans le cadre fixé par la loi en cherchant à découvrir et donner effet à la volonté du législateur (voir H. BRUN, op. cit., note 82, p. 759). Ce cadre sera d’autant plus contraignant que le sens du texte apparaît clair : R. c. Multiform Manufacturing co., [1990] 2 R.C.S. 624. C’est donc dans les limites fixées par la loi que le juge « dispose d’un pouvoir créateur et participe à l’oeuvre du législateur » : R. DUSSAULT et L. BORGEAT, op. cit., note 224, p. 30. Voir également L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 141. Au sujet des sources dites interprétatives, voir notre discussion supra, notes 220 et suiv. À noter l’ancien article 11 du Code civil du Bas Canada, qui prévoyait que le juge ne pouvait se dérober à sa tâche au motif du silence de la loi.
- [237] L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 72 : « Bien qu’il exerce sans conteste un rôle créateur dans l’interprétation et l’application de la loi, le tribunal ne peut pas, même dans certains domaines comme le droit fiscal, combler le silence des dispositions législatives ». L’auteur cite Canderel Ltée c. Canada, [1998] 1 R.C.S. 147 (voir par. 40 et 41 en particulier). Voir également, à titre d’exemples, Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103 : « Imposer une telle limite judiciaire au texte clair et net de la Loi, c’est en quelque sorte usurper la fonction législative du Parlement » ; Manrell c. R., [2003] 3 C.T.C. 50 (C.A.F.) : « En l’espèce, on pourrait être fortement tenté de légiférer au lieu d’interpréter la loi ». Voir aussi cet arrêt récent, en particulier les motifs de la juge Abella : A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du Revenu), 2007 CSC 42, par. 58. De même, la décision suivante de la Cour d’appel du Québec, où la question du vide législatif est subtilement résolue sans recourir à la notion de code complet : Canadian National Railway c. Sumitomo Marine & Fire Insurance Co. (10 juillet 2007), Montréal 500-09-015114-044 (C.A.). Pour une analyse plus nuancée de la question en droit administratif du travail, voir Pointe-Claire (Ville) c. Québec (Tribunal du travail), [1997] 1 R.C.S. 1015, en particulier au par. 63. L’approche de la Cour suprême est commentée dans R. SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 136 et suiv. Quant aux implications différentes en droit civil, voir P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 512.
- [238] Ces zones d’ombre sont d’ailleurs reflétées dans les flottements terminologiques pour désigner de telles lacunes. Tous les mots finissent par être employés à ce sujet : « silences », « lacunes », « défauts », « vides », « carences », « incomplet ». Comparer, par exemple, les mots « silences » et « lacunes » et l’analyse différente qu’ils impliquent chez L. HUPPÉ, op. cit., note 224 aux p. 72 et 141. Les auteurs J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, ne font pas cette distinction en ce qui a trait à la complémentarité des droits privé provinciaux. Ils emploient indistinctement les termes « incomplets » (p. 307) ou « incomplétude » (p. 324), « défaut » (p. 309), « silences » (p. 309, 324), « lacunaire » (p. 323, 324) ou « lacunes » (p. 324), « omission » (p. 324).
- [239] Ruth SULLIVAN, op. cit., note 148, p. 136. C’est quant aux « lacunes » de la législation que les auteurs L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 141 et P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 505 reconnaissent aux tribunaux un pouvoir créateur.
- [240] Selon L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 23 : « [...] l’élaboration de la common law relève de la compétence inhérente des tribunaux [...] ». Pour une analyse de la « juridiction inhérente » en ce qui concerne le cas particulier du DIP Financing et la constitution de sûretés judiciaires dans un contexte où le droit civil s’applique à titre complémentaire, voir Antoine LEDUC, « Les limites de la “juridiction inhérente” du tribunal et le cas du financement débiteur – exploitant (“DIP Financing”) en droit civil québécois », (2005) 39 R.J.T. 551.
- [241] Les auteurs J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 90, emploient ce mot dans leur citation-clef servant à décrire les divers cas de dépendance implicite de la législation fédérale : «A chaque fois qu’une disposition d’une loi fédérale utilise une notion de droit privé sans la définir ou sans lui donner autrement une signification propre ; à chaque fois aussi qu’une loi fait défaut de réglementer complètement une question particulière de droit privé ou d’adopter une disposition formelle de renvoi, il faut avoir recours, pour pallier les silences de la loi, à l’un des deux systèmes juridiques en vigueur. » (p. 309). Le mot « silence » est très significatif dans un contexte où il est question d’assurer l’harmonisation de la législation fédérale avec les droits privés provinciaux. Pour une analyse faisant l’analogie du concept d’harmonisation avec la musique, ainsi qu’une critique de ce concept considéré inutile et redondant en contexte juridique, voir Martin BOODMAN, « The Myth of Harmonization of Law », dans Droit contemporain – Rapports canadiens au Congrès international de droit comparé, Montréal, 1990, Montréal, Éditions Yvon Blais / Institut de droit comparé, McGill University, 1992, p. 126. À ce sujet, notons que les lois d’harmonisation du droit fédéral consistent à rendre la législation « conforme » aux traditions de droit civil et de common law et de faire en sorte qu’elle en « tienne compte » dans le cadre d’une « interaction harmonieuse » (préambule de la Loi d’harmonisation no 1, précitée, note 106). Il s’agit donc d’une harmonisation entre le droit fédéral et les traditions, et non entre les traditions elles-mêmes. D’une certaine façon, nous rejoignons ici le concept neutre d’harmonisation dont parle Martin Boodman (on pourrait dire « lois visant l’articulation... » ) et nous sortons techniquement de l’empire du droit comparé. Au sujet du bijuridisme législatif et du droit comparé, voir supra, note 232.
- [242] La Loi d’interprétation prévoit ce qui suit à son art. 12 : «Tout texte est censé apporter une solution de droit [...] ». La Loi d’interprétation du Québec (L.R.Q., c. I-16) est encore plus explicite quant au pouvoir des tribunaux de compléter la loi : « 41.2. Le juge ne peut refuser de juger sous prétexte du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi ». (Une disposition identique apparaissait à l’art. 11 du Code civil du Bas Canada). En ce qui concerne généralement le pouvoir inhérent à la fonction judiciaire, voir L. HUPPÉ, op. cit., note 224, p. 19 et suiv.
- [243] Ce que reconnaît d’ailleurs, dans une certaine mesure, R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1042 : « It is also clear that in the absence of federal legislation there is no jurisdiction in federal court judges to create common law in areas of federal jurisdiction. » Nous avons déjà conclu qu’il ne saurait y avoir, aux termes de la Constitution, de droit commun fédéral : voir supra, section I.A., note 124 ; voir également supra, notes 231 à 233, quant à l’hypothèse d’un recours au unenacted law.
- [244] L’avis contraire est exprimé en ce qui concerne le droit en général et le droit criminel en particulier (en faisant référence notamment aux présomptions d’intention...), par André JODOUIN, « La légitimité des sources du droit pénal (réflexions d’un agnostique sur les certitudes fondamentales du droit répressif) », dans Ejan MACKAAY (dir.), Les certitudes du droit – Certainty and the Law, Montréal, Éditions Thémis, 2004, 117, p. 135 et suiv.
- [245] Voir notamment la discussion sur la théorie de l’imprécision dans R. c. Nova Scotia Pharmaceutical Society, précité, note 33.
- [246] Comme le disait Aristote, la nature a horreur du vide. Cette maxime, transposée au domaine juridique, illustre à quel point le droit est soumis lui aussi à la fluidité du sens. En présence d’un vide législatif que les sources interprétatives ne peuvent combler, le sens d’une disposition sera fourni par le droit provincial. Toute la question dépend donc de savoir comment sont tracées les frontières – les digues – entre l’une ou l’autres des sources supplétives de droit.
- [247] Voir supra, notes 209, 207 et 215, à propos respectivement du mot « nécessaire » à l’article 8.1 de la Loi d’interprétation ; de l’étape où l’on doit distinguer entre droit privé et droit public ; et de l’emploi de « il faut » au même art. 8.1. À noter que l’« obligation » de recourir au droit provincial n’implique aucunement, comme l’affirme R. SULLIVAN, loc. cit., note 148, p. 1041, que celui-ci est le seul contexte valide pour l’interprétation d’une loi fédérale en matière de droit privé. Cette obligation est fondée d’une part sur des prémisses constitutionnelles, et d’autre part sur une nécessité du texte, laquelle est d’ailleurs très bien reconnue par l’auteur D. DUFF, loc. cit., note 209, p. 116 que R. Sullivan critique à tort en ce qui concerne l’idée d’une complémentarité automatique. Soulignons une dernière fois que le principe de complémentarité ne signifie pas une complémentarité de principe, et que le juge dispose d’une marge de manoeuvre interprétative devant une disposition dont le contenu de droit privé est incertain (voir supra, note 206). Le terme « nécessaire » doit être entendu pour ce qu’il veut dire, c’est-à-dire ce qui s’impose.
- [248] Supra, note 209.
- [249] Voici comment P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 33, p. 560 désigne les présomptions d’intention : « Elles expriment donc des lignes de conduite (policies) suivies par les tribunaux lorsque l’application d’une loi les oblige à suppléer à ses carences. ». Logiquement, dans les limites de la Constitution, de telles règles de conduite appliquées en cas de carence peuvent être contrecarrées au moyen d’une règle expresse.
- [250] Ces cas seraient limités à certains domaines, par exemple dans le cas de la Couronne ou des droits fonciers des Indiens : voir supra, note 124.
- [251] La Loi d’harmonisation no 1, précitée, note 106, constitue en effet une clarification apportée par le législateur quant aux sources complémentaires de la législation fédérale. À ce sujet, voir l’arrêt D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), précité, note 138, par. 34 et 64, et le commentaire de P. DENAULT, loc. cit., note 138.
- [252] L’art. 94 de la Loi constitutionnelle de 1867 est par ailleurs très clair en ce qui concerne les moyens de réaliser l’uniformisation du droit privé au Canada et dans les provinces autres que le Québec.
- [253] Au plan formel, le bijuridisme dérivé n’est donc concevable qu’en amont des lois, lors de leur conception. Le reste n’est qu’affaire de droit comparé, lequel peut cependant être fort utile aux tribunaux lorsqu’il s’agit de comprendre le fondement des lois. Voir par exemple D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), précité, note 138, par 55 (« Peu d’auteurs se sont intéressés à l’effet de la subrogation en matière de faillite et le bijuridisme canadien ne permet pas d’importer les règles de la common law. Les commentaires des auteurs de l’extérieur du Québec demeurent cependant intéressants pour l’étude des principes propres à la LFI [...] »). À noter les conclusions suivantes de L. LEBEL et P.-L. LE SAUNIER, loc. cit., note 124, p. 238 : « Le dialogue qu’entretiennent les deux traditions permet les emprunts mutuels de solutions juridiques de manière isolée ou encore les références persuasives qui relèvent davantage d’un exercice de droit comparé. [...] Dans ce contexte, il semble difficile de conclure à l’harmonisation des deux traditions. L’adaptation et la conciliation de celles-ci relèvent davantage de l’initiative législative. » Sur la question de la convergence des systèmes de droit et le bijuridisme dérivé, voir supra, notes 131 à 133 et note 232.
- [254] Une critique adéquate supposerait la connaissance spécialisée de l’ensemble des problèmes examinés par les tribunaux dans les décisions que nous avons repérées. Notre étude visant d’abord à identifier les principaux procédés d’unification, notre examen des problèmes de droit substantiel, comme tels, s’est présenté de façon plutôt transversale. Une analyse des procédés d’unification dans le cadre d’un examen en profondeur de ces problèmes serait souhaitable mais ne correspond pas à l’objet de cette étude et dépasserait largement sa portée.
- [255] Les références aux documents que nous avons dépouillés sont fournies séparément dans l’Annexe présentée à la fin du mémoire. À noter, ces textes doctrinaux ne seront cités qu’occasionnellement, lorsqu’ils apportent un éclairage utile sur les stratégies à l’oeuvre pour l’unification du droit privé fédéral. À noter, de plus, qu’ils portent principalement en droit de la faillite et en droit fiscal, puisqu’il s’agit des deux domaines les plus étudiés jusqu’à maintenant dans le cadre des travaux d’harmonisation du droit fédéral avec le droit civil du Québec. Nous jugeons que ces deux domaines sont suffisamment fertiles, en ce qui concerne l’interaction de la législation fédérale avec le droit privé, pour fournir un échantillon de procédés d’unification significatifs. À noter, la même démarche mériterait d’être posée aussi en droit commercial, à propos de documents publiés postérieurement à la réalisation de la présente étude dans L’harmonisation de la Loi canadienne sur les sociétés par actions avec le droit civil québécois – Proposition de révision, (2008)42, R.J.T. 1-309.
- [256] Respectivement : L.C. 2001, c. 4 ; L.R.C. (1985), c. I-21. La liste de jurisprudence est publiée par le ministère de la Justice du Canada et mise à la disposition du public sur le Site du bijuridisme législatif canadien : http://www.bijurilex.gc.ca. Date de mise à jour du document consulté : février 2008.
- [257] Pour un exposé critique de la « théorie officielle » de l’interprétation, laquelle postule la prédétermination du sens dans les textes, voir Pierre-André CÔTÉ, Interprétation des lois, 3e éd., Montréal, Éditions Thémis, 1999, p. 6 et suiv. À noter que le professeur Côté n’écarte pas la possibilité qu’une « contrainte » soit exercée sur le sens d’un texte au moment de sa conception : id., p. 17 et 25.
- [258] [2000] 1 R.C.S. 915, par. 51
- [259] J.M. KERNOCHAN, « Statutory Interpretation : An Outline of Method », (1976) Dalhousie L. J. 333, à la p. 348. Le professeur précise, eu égard à ce qui serait considéré extérieur au texte législatif : « These circles embrace also the preenactement history of legislation and other law on the subject, with the light this may shed on the evil to be remedied. They encompass relevant surrounding legislation and caselaw. Even postenactment developments may have a bearing. »
- [260] Section I.B.1.b).
- [261] Le sens courant présume qu’une disposition doit être comprise dans le même sens par l’ensemble de la population : P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 257, p. 330. Le professeur Côté analyse au même endroit les difficultés reliées à l’emploi des dictionnaires de la langue courante. Pour une analyse éclairante des principes d’interprétation relatifs au sens ordinaire et au sens technique, en particulier la présomption du sens ordinaire par rapport au sens technique, voir Ruth SULLIVAN, Sullivan and Driedger on the Construction of Statutes, 4e éd., Toronto, Butterworths, 2002, chap. 1 et 2. Pour le point de vue d’un jurilinguiste sur les rapports entre le vocabulaire juridique et le langage commun, et les cas où les mots sont caractérisés par une « double appartenance » et une « polysémie externe », voir Gérard CORNU Linguistique juridique, 3e éd., Paris, Montchrestien, 2005, p. 62 et suiv. Sur la conception et l’usage des dictionnaires spécialisés en droit civil ou en common law, voir Mathieu DEVINAT, « Réflexions autour des dictionnaires de droit civil », dans Jean-Claude GÉMAR et Nicholas KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits / Jurilinguistics : Between Law and Language, Paris, Éditions juridiques Bruylant / Montréal, Éditions Thémis, 2003, p. 321.
- [262] Voir les remarques de la juge L’Heureux-Dubé dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919, par. 177. L’approche dite littérale a traditionnellement prévalu en droit fiscal, essentiellement pour des raisons de stabilité dans un contexte jugé potentiellement arbitraire : voir R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 441 et suiv. L’approche contextuelle, soit l’approche dite moderne formulée par E. Driedger (voir la partie précédente, section I.B.1.a)), est venue nuancer la règle de l’interprétation littérale en droit fiscal dans l’affaire Stubart Investments Ltd. c. R., [1984] 1 R.C.S. 536. La Cour suprême résume la nouvelle approche dans Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3. À noter toutefois que la règle de l’interprétation littérale continue de prévaloir en présence d’une disposition dont le sens est clair : voir Canada c. Antosko, [1994] 2 R.C.S. 312 ; Shell Canada Ltée c. Canada, [1999] 3 R.C.S. 622.
- [263] L.R.C. (1985), c. 1 (5e supp.).
- [264] La décision-clef sur cette question est Construction Bérou Inc. c. Canada, (1999) 99 D.T.C. 5841 (C.A.F.), suivie dans Hewlett Packard (Canada) Ltée c. R., (2004) CAF 240 (C.A.F.). La décision Construction Bérou a porté sur les notions d’acquisition et de disposition dans un contexte de crédit-bail. Selon le juge Létourneau, une interprétation uniforme a « le mérite de reconnaître une réalité commerciale transfrontalière et d’éviter de s’enferrer dans un légalisme indû, sectoriel et par surcroît stérile et inéquitable à une époque où le droit civil tend à se rapprocher de la common law. » À noter que l’art. 248 de la Loi de l’impôt sur le revenu applicable en l’espèce précise les notions auxquelles correspond, en droit civil, la propriété bénéficiaire faisant l’objet de disposition. Comme le signale le juge Noël (dissident), on peut situer cette affaire dans la lignée de celles qui avaient adopté précédemment la notion de disposition au sens large : Victory Hotels Ltd. c. Canada (M.R.N.), [1963] Ex. C.R. 123, 62 D.T.C. 1378 (C. de l’É.) ; Canada (M.R.N.) c. Wardean Drilling Ltd., [1969] 2 Ex. C.R. 166, 69 D.T.C. 5164 (C. de l’É.) ; R. c. Henuset Brothers Ltd. (No. 2), [1977] C.T.C. 228, 77 D.T.C. 5169 (C.F.) ; Robert Bédard Auto Ltée c. Canada (M.N.R.), [1985] 2 C.T.C. 2354, 85 D.T.C. 643 (C.C.I.) ; Olympia & York Developments Ltd. c. R., [1981] 1 C.F. 691 (C.F.). La décision Construction Bérou, de même que Biderman c. Canada (2000), DTC 6149 (C.A.F.) quant à la notion de transfert, ont été signalées par le juge Décary (St-Hilaire c. Canada (Procureur général), [2001] 4 C.F. 289 (C.A.F.), par. 50) comme des exemples d’application uniforme de la législation fédérale.
- [265] La décision Canada (M.R.N.) c. Wardean Drilling Ltd., précitée, note 264, définit la notion en faisant appel à un critère à deux volets, le second ayant été compris comme le sens large par les décisions subséquentes : « In my opinion the proper test as to when property is acquired must relate to the title to the property in question or to the normal incidents of title, either actual or constructive, such as possession, use and risk. ». À noter à ce sujet que le juge Noël (dissident) dans Construction Bérou Inc. c. Canada, précité, note 264, est d’avis que cette décision n’avait pas pour intention d’écarter le droit privé applicable et qu’elle a seulement confirmé la distinction existant en common law entre la propriété en titre et la propriété bénéficiaire.
- [266] La décision Victory Hotels Ltd. c. Canada (M.R.N.), précitée, note 264, s’exprime ainsi à propos de la notion d’acquisition : « The words “disposed of” in Section 20 of the Income Tax Act are of the widest meaning and should, in my opinion, be given their widest ordinary or popular meaning [...] ». La décision la plus significative au sujet du sens ordinaire du terme « to dispose » est sans contredit R. c. Cie immobilière BCN, [1979] 1 R.C.S. 865. Dans cette décision, la Cour suprême du Canada s’est prononcée d’abord sur l’opération par laquelle un propriétaire est passé de preneur, en vertu d’un bail emphythéotique, à propriétaire suite à l’acquisition des droits du bailleur. La notion de disposition entendue au sens large de « détruire, mettre fin à, se défaire de » pouvait selon la Cour couvrir l’extinction des droits occasionnée par la confusion des qualités de preneur et bailleur. Quant à l’opération subséquente par laquelle le propriétaire a cédé le terrain par bail emphytéotique avec l’obligation de démolir l’édifice s’y trouvant et d’en reconstruire un nouveau, la Cour a conclu que l’édifice démoli avait fait l’objet d’une disposition de la part du propriétaire, la notion étant entendue au sens très large de « se débarrasser de quelque chose, détruire, démolir », notamment.
- [267] Précité, note 266. La Cour suprême fait référence à l’Oxford English Dictionary. Assez confusément, toutefois, sans doute parce qu’il s’agissait d’une affaire se situant au Québec, la Cour suprême fait également référence pour le terme français « disposer », au jus abutendi du droit civil tel que défini dans le traité de Pierre- Basile Mignault.
- [268] Dans la décision Olympia & York Developments Ltd. c. R., précitée, note 264, la Cour fédérale est sans équivoque : « Puisque la Loi de l’impôt sur le revenu ne définit le mot « vente » ni ne lui accorde un sens spécial, ce mot doit être envisagé à la lumière des lois de la province de Québec. » Pour qualifier l’opération en cause dans cette affaire, elle recourt toutefois au « sens large » de la notion de disposition. Voir Robert Bédard Auto Ltée c. Canada (M.N.R.), précité, note 264, de même que la décision Construction Bérou Inc. c. Canada, précitée, note 264, de la Cour d’appel fédérale. Dans cette dernière, l’on n’est pas sans remarquer toutefois une certaine confusion dans les motifs majoritaires en ce qui concerne l’emploi des notions de vente et de disposition. Le juge Noël, dissident, évite cette confusion en étant plus soucieux de reconnaître le rapport de complémentarité avec le droit provincial. Il signale l’influence de la common law sur l’interprétation large de la notion de disposition dans les décisions inspirées de l’affaire Wardean Drilling, précitée, note 264, et estime que la décision Olympia & York aurait été ignorée dans les affaires issues au Québec. Voir enfin C.R.I. Environment Inc. c. La Reine, 2007 CCI 206.
- [269] Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, précité, note 258. Voir Hewlett Packard (Canada) Ltée c. R., précité, note 264, où le juge Noël, sans déroger à la décision majoritaire quant à la notion large de disposition dans Construction Bérou inc. c. Canada, précité, note 264, établit une correspondance entre le concept de vente « tel que connu en droit » et la notion de vente telle que décrite par le législateur dans la loi. Il s’appuie à cette fin sur Victory Hotels Ltd. c. Canada (M.R.N.), précité, note 264, qui a jugé que le législateur avait conservé une conception stricte lorsqu’il s’agissait de la notion de vente.
- [270] Précité, note 258.
- [271] R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 21 et 39, n’assimile par le sens ordinaire au sens littéral, ni même au sens du dictionnaire. Elle le distingue toutefois du sens technique, en prenant soin de soulever les risques de confusion.
- [272] Sur l’opposition entre sens ordinaire et contexte dans le processus interprétatif, voir les remarques de la juge L’Heureux-Dubé, dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), précité, note 262, par. 152 et suiv.
- [273] Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, précité, note 258, par. 59 ; voir aussi par. 48 : « Quand le sens des mots utilisés est clair et que le contexte ne crée pas d’ambiguïté, les mots sont alors les meilleurs indicateurs de l’intention du législateur. » ; et par. 55 : « La force de la règle du “sens ordinaire” réside dans la reconnaissance que les termes de la disposition sont eux-mêmes le véhicule par lequel le législateur transmet son intention aux personnes qui tentent de déterminer leurs droits et leurs obligations fiscales au titre de la Loi. » Le juge Binnie rappelle à cet égard une mise en garde contre « le recours excessif aux “présomptions préétablies” ». On notera qu’une telle analyse concorde avec notre opinion que le principe de complémentarité s’inscrit dans le cadre d’une analyse contextuelle, notamment par le recours à des présomptions d’intention : voir Partie I, notes 191 et 249.
- [274] Pour un exposé général des cas de dissociation en droit fiscal, incluant ceux relatifs à la notion de disposition et ceux que nous allons maintenant mentionner, voir plus particulièrement David DUFF, « La Loi de l’impôt sur le revenu et le droit privé au Canada : Complémentarité, dissociation et bijuridisme », (2003) 51 Revue fiscale canadienne 64, p. 116.
- [275] Thomson c. Canada (M.R.N.), [1946] C.T.C. 51 (C.S.C.). Les juges majoritaires y font usage de dictionnaires de la langue courante, notamment pour l’expression « ordinary residence ». À noter la dissidence du juge Taschereau, qui s’attarde davantage au contexte général de la loi pour déterminer que l’expression y trouve un sens technique plus étroit. Cette décision a été citée plus récemment au Québec dans une affaire de divorce : Droit de la famille – 2617, [1997] R.J.Q. 1011 (C.S.). Pour une autre décision se référant à la « signification ordinaire » du mot « résidence » en matière de citoyenneté, voir Blaha c. Canada (Minister of Citizenship & Immigration), [1971] C.F. 521.
- [276] R. c. Littler, [1978] C.T.C. 235 (C.A.F.). Dans cette affaire, la Cour d’appel fédérale refuse d’appliquer le sens populaire de la notion de don, ou encore le sens plus large de « libéralité indirecte » en droit civil, afin de reconnaître une vente effectuée à un prix en deçà de la valeur du bien. Le sens ordinaire, correspondant à l’intention du législateur, devient pour la majorité le sens juridique étroit de la notion de common law : « While, speaking loosely, one might say that a gift was made by way of sale at an undervaluation (the gift being the benefit so conferred), in my view, the word gift in a taxing statute must be taken as referring to what is known to the law as a gift, namely, the gratuitous transfer of property » (juge Jackett). Dans ses motifs, le juge Dubinsky, dissident, conçoit plutôt la notion de don au sens large et courant, en faisant d’ailleurs référence à un dictionnaire de la langue courante, par rapport au sens « ordinaire » de la common law. Dans cette loi de nature fiscale, le législateur a voulu selon lui le sens courant. On remarquera que cette affaire évoque les divergences exprimées dans Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, précité, note 258. Tout comme dans cette dernière, le sens technique plus étroit est retenu par la majorité. Cela s’explique peut-être par la connotation technique plus forte des mots « vente » et «don». On conclura néanmoins que c’est par méconnaissance du principe de complémentarité que le sens étroit de la common law est considéré dans Littler comme s’appliquant uniformément au Canada. Sur le sens de la notion de don dans cette perspective, voir également : Gervais c. Canada (M.R.N.), [1984] A.C.F. (Quicklaw) 1040 (C.F. 1re inst.) ; McBurney c. R., [1985] 2 C.T.C. 214 (C.A.F.) ; Tite c. Canada (M.N.R.), [1986] D.T.C. 2343 (C.C.I.).
- [277] Manrell c. R., [2003] 3 C.T.C. 50 (C.A.F.). À propos des paiements reçus pour une renonciation au droit de concurrence, la Cour estime que le mot « bien » défini dans la Loi de l’impôt sur le revenu ne couvre pas un tel droit. Selon la Cour, l’expression « droit de quelque nature qu’il soit » incluse dans la définition législative n’a pas élargi le sens ordinaire au point de couvrir ce type de droit. Le sens restreint de common law est celui qui prévaut dans la loi, sans égards d’ailleurs au droit civil à propos duquel le juge « suppose » qu’il ne se distingue pas de la common law (! ). On retrouve encore ici, pour une notion plutôt technique, le même renversement de perspective que celui effectué par la majorité dans Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, précité, note 258, et dans R. v. Littler, précité, note 276.
- [278] Banque Royale du Canada c. R., (1999) 99 G.T.C. 3061 (C.C.I.). Dans cette décision, un peu confuse il est vrai, la Cour affirme d’abord, puisque les termes « garantie / security » ne sont pas définis dans la Loi sur la taxe d’accise, qu’il faut en déterminer le sens selon les lois de la province, en l’occurrence le droit civil du Québec. Elle affirme ensuite, recourant au Petit Robert et ensuite à des ouvrages spécialisés pour définir « garantie » et « sûreté », que le législateur souhaitait donner au terme « garantie » un « sens large et général ». Le sens du droit civil et celui de la common law seraient par ailleurs équivalents (adéquation de l’interne et de l’externe, donc...)
- [279] Friesen c. Canada, [1995] 3 R.C.S. 103. Le juge Major, pour la majorité, rappelle l’importance de la règle du sens ordinaire en droit fiscal. Le terme « entreprise » est interprété tel que défini dans la Loi de l’impôt sur le revenu, soit comme incluant un « projet comportant un risque de caractère commercial » (p. 13 et suiv.). Dans des commentaires portant sur la méthode d’évaluation des biens figurant dans un « inventaire », le juge Major ajoute que la loi n’a pas codifié une règle de common law et limité cette méthode aux «marchands d’articles de commerce ». La définition large du terme « entreprise » prévue par le législateur ne comporte pas cette limitation et, pour reprendre les mots du juge : « Imposer une telle limite judiciaire au texte clair et net de la Loi, c’est en quelque sorte usurper la fonction législative du Parlement. » Dans Villard c. Canada (M.R.N.), [1978] C.T.C. 2044 (C.R.I.), où la Cour était appelée à déterminer si un immeuble à logements devait être considéré comme produisant un revenu d’entreprise, il a été décidé que la définition du mot « entreprise » dans la loi n’était pas exhaustive et le terme a été défini en ayant recours à son « sens ordinaire » tiré des dictionnaires de la langue courante, et pour plus de précision ensuite en fonction de la common law. Sur cette question, voir aussi No. 249 c. Canada (M.N.R.), (1955) 55 D.T.C. 229 (T.A.B.).
- [280] Commission de la Construction du Québec c. Canada (M.R.N.), 2006 CAF 49. La Cour d’appel fédérale s’en remet à la décision Insurance Corp. of British Columbia c. Canada (Ministre du Revenu national), 2002 CAF 104 (C.A.F.). Dans cette dernière, le juge de première instance avait fait référence à des traités et des dictionnaires pour conclure que la notion de paiement exige la présence d’une obligation. La Cour d’appel a plutôt adopté une interprétation flexible de la notion de paiement fondé sur « le but clairement recherché par l’article ». Toutefois, dans Commission de la Construction du Québec, la Cour précise en obiter que la notion technique de paiement du droit civil, qui suppose une obligation, est de toute façon respectée en l’espèce. À noter, l’article 8.1 de la Loi d’interprétation a été plaidé dans cette affaire.
- [281] Sylvie Vallée et Louis Bouchard s/n Fiducie Sylvie Vallée c. La Reine, 2004 CCI 320. Dans cette décision, le juge fait référence à la jurisprudence portant sur le « sens ordinaire », dont l’affaire Will-Kare Paving & Contracting Ltd. c. Canada, précité, note 258. Le juge s’en remet essentiellement à une interprétation uniforme fondée notamment sur l’emploi de dictionnaires de la langue courante. Il conclut que « particulier » vise les « personnes humaines » et non les « créatures juridiques » dans la Loi sur la taxe d’accise, L.R.C. (1985), c. E-15. À noter, l’article 8.2 de la Loi d’interprétation est cité par le juge en ce qui a trait, plus précisément, à la notion technique de fiducie.
- [282] L’article 8.2 de la Loi d’interprétation peut s’avérer trop rigide alors, puisqu’il s’appuie sur la terminologie même du texte pour établir un rapport supplétif formel avec des sources externes. Certains toutefois s’en remettront aux mots « dans un sens compatible » à cet article pour assouplir le rapport supplétif. Quant à l’idée que le lien de complémentarité relève au plan terminologique d’une question d’appartenance aux droits provinciaux, voir Partie I, note 200. Pour un exemple d’interprétation d’une loi fiscale selon son « sens naturel », afin d’éviter l’application du droit provincial à titre complémentaire (taxation des revenus provenant de la vente d’alcool, prohibée selon les lois de la province), voir par exemple Minister of Finance c. Smith, [1927] C.T.C. 251 (C.P.).
- [283] Au sujet de l’application de la règle du sens ordinaire à la notion de disposition (settlement) dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, L.R.C. (1985), c. B-3, voir Banque royale du Canada c. Nord-Américaine, cie d’assurance-vie, [1996] 1 R.C.S. 325 et les décisions qui y sont citées, en particulier Re Bozanich, [1942] R.C.S. 130. Au sujet du statut du syndic de faillite et de l’emploi du terme « cessionnaire » pour le désigner, voir les motifs du juge Dorion dans In re Civano Construction Inc. ; Gingras c. Crédit M.-G. Inc., [1962] C.S. 45 ; [1962] 3 C.B.R.n.s. 141 (C.S.), qui s’en remet à la fin au sens se dégageant de la loi (voir à ce sujet Jacques AUGER et Albert BOHÉ- MIER, « Le statut du syndic », (2003) 37 R.J.T. 5, 103 ; Alain VAUCLAIR et Martin- François PARENT, « L’harmonisation de la législation fédérale en matière de faillite et d’insolvabilité avec le droit civil de la province de Québec : Quelques problématiques » dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 8). La décision Farm Credit Corporation c. Corriveau, (1993) 20 C.B.R. (3d) 124 (Sask. Q.B.) emploie une méthode textuelle pour définir le mot « séquestre / receiver », dont le sens est toutefois jugé ambigu selon cette méthode (sens traditionnel et sens large étant tous deux possibles). À noter, dans l’affaire de la faillite In re J.K.L. Ross, (1931) 50 C.B.R. 107 (C.A. Québec), à propos de l’expression « simple contrat » dans la Loi sur des lettres de changes (S.R.C. 1927, c. 16, art. 53), les propos suivants du juge Dorion (décision confirmée en Cour suprême) : « En effet, si les mots simple contrat dans le texte français n’ont pas le sens technique qu’ils ont dans le droit anglais, ils ont toujours un sens, et en l’absence de toute restriction ce doit être le sens naturel. » Comparer les motifs du juge Bond, dissident, qui attribue un sens technique à l’expression et l’interprète en conséquence selon la common law. On retrouve aussi ce raisonnement du juge Bond en matière de crédit documentaire, cette fois avec plus de force : Les entreprises Loyola Schmidt c. Cholette, [1976] C.S. 761. Voir enfin Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., [1989] 2 R.C.S. 24, où la majorité interprète l’expression « biens détenus en fiducie » dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité selon son « sens ordinaire », soit le sens technique relevant des « principes généraux du droit des fiducies ».
- [284] Expression employée à propos de la juridiction accordée à la cour à l’art. 140 de la Loi de la faillite de 1952 dans In re Duranceau : Perras c. Cie mutuelle d’immeubles Ltée, (1954) 34 C.B.R. 198 (C.S. Québec), décision infirmée en appel pour d’autres motifs ([1956] Q.B. 80). L’affaire est citée dans Re Alliance Credit Corp. : Gagnon c. Montreal Trust Co., (1973) 17 C.B.R. 136 (C.S. Québec), selon laquelle le terme equity n’est pas employé au sens du droit anglais à l’art. 140. Voir toutefois, contra, les décisions rendues dans In re 125258 Canada Inc. (Formerly Cast North America Ltd.) : Bisseger c. Banque Royale du Canada, [1986] R.J.Q. 1666 (C.S. Québec) ; Meublerie André Viger Inc. c. Wener, [1992] R.J.Q. 1461 (C.A. Québec). Deux autres décisions ont également rejeté l’interprétation du terme « équité » selon le sens courant, mais ont accepté d’exercer la compétence en equity au sens du droit anglais pour appliquer la règle « ex parte James » : Re Pogany, [1997] R.J.Q. 1693 (C.S. Québec) ; Re Maestro ltée (25 mai 2000) 500-11-011474-992 (C.S.), J.E. 2000-1323. À noter enfin que l’article 183 de la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, attribuant cette juridiction en equity, a fait l’objet d’une modification d’harmonisation et a retiré ce terme pour le Québec (Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, L.C. 2001, c. 4, art. 33). Pour des affaires postérieures à cette modification, voir Montreal Fast Print Ltd. c. Édifice 9500 Inc. (16 juin 2003), Montréal 500-09-010582-013 (C.A.) ; Bédard (Faillite) c. Demers (8 juin 2005), Montréal 500-11-022202-044 (C.S.).
- [285] Voir la partie précédente, section I.B.1.b).
- [286] Nous faisons référence ici à l’analyse de R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 339 et suiv. : « Chapter 13 – Relation to common law ». À noter, la théorie du code complet a aussi été invoquée par rapport à la Charte canadienne des droits et libertés, partie I de la Loi constitutionnelle de 1982 [annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11)]. Voir à ce sujet Symes c. Canada, [1993] 4 R.C.S. 695.
- [287] Id., p. 339. Le professeur Sullivan donne comme exemples la Loi sur les lettres de change, le Code du travail ou les lois d’assurance sans égard à la responsabilité. Mme Sullivan ajoute, plus loin (p. 347) : « the key feature of a code is that it is meant to offer an exhaustive account of the law ; it occupies the field in effect, displacing existing common law and cutting off further common law evolution. »
- [288] Id., p. 347-348. Le professeur Sullivan cite à cet égard Lord Hershell dans Bank of England c. Vagliano Brothers, [1891] A.C. 107 (H.L.), qui se prononçait sur cette question en ces termes : « [...] the proper way to deal with such a statute as the Bills of Exchange Act, which was intended to be a code of the law relating to negotiable instruments [...] is in the first instance to examine the language of the statute and to ask what is its natural meaning, uninfluenced by any considerations derived from the previous state of the law [...]. » À noter que le professeur Sullivan admet tout de même (p. 348) la possibilité qu’un code incorpore des termes et concepts du droit commun, pour l’interprétation desquels on pourrait s’en remettre au droit commun lui-même. Au sujet des « codes » dans la tradition de common law et de la présomption qu’il « remplace » les règles de common law préexistantes, au contraire des lois ordinaires qui sont présumées ne pas modifier la common law, voir aussi Donald POIRIER, Sources de la common law, vol. 2, Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 1996, coll. « common law en poche », p. 65.
- [289] Précité, note 262, par. 97 et suiv.
- [290] L.R.Q. c. C-12. Pour l’établissement de la méthodologie, la juge se fonde essentiellement sur l’affaire Zaidan Group Ltd. c. London (Ville), [1991] 3 R.C.S. 593, en particulier sur la décision de la Cour d’appel ((1990), 71 O.R. (2d) 65 (C.A.)). Il faut, en somme, déterminer d’abord la common law applicable avant d’examiner la relation avec le droit statutaire.
- [291] Précité, note 262, par. 101.
- [292] Dans l’affaire Régie des permis d’alcool, la juge L’Heureux-Dubé ne s’est pas prononcée sur l’existence d’un code complet puisqu’elle a conclu que la Charte ne s’appliquait pas en l’espèce. Elle précise toutefois en obiter, sans autre précision : « Je note toutefois, accessoirement, que la Charte ne constitue pas un “code complet qui a pour effet d’exclure ou de supplanter la common law” dans le domaine du droit administratif. »
- [293] [1987] 2 R.C.S. 99.
- [294] Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’Alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, [1990] 1 R.C.S. 1298.
- [295] Voir également, en droit du travail, la décision Panagopoulos c. Canada, [1990] A.C.F. (Quicklaw) 234 (C.F. 1re inst.), dans laquelle la Cour fédérale a conclu à l’existence d’un code complet dans la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique et a rejeté la possibilité d’intenter un recours en dommages de nature civile.
- [296] L’arrêt Gendron a été cité dans une décision intéressante de la Cour suprême de la Colombie-Britannique, Re Down, (2000) 189 D.L.R. (4th) 709 (C.S.C.B.). La Cour y conclut que la Loi sur la faillite et l’insolvabilité constitue un code complet (« comprehensive, exclusive code ») étant donné le contexte entier de la loi (« the entire scheme »), son langage exprès (« express language ») et le fait que la législation n’a pas prévu qu’une disposition de nature pénale dans la loi ait une conséquence civile. L’approche correcte est dans ce cas la suivante : « When the party’s rights and remedies are governed by such a comprehensive code, the appropriate approach is one of normal statutory interpretation to elicit the intention of Parliament. » Voir également la décision R. c. Lewis, (1997) 155 D.L.R. (4th) 442 (C.A. Ontario) de la Cour d’appel de l’Ontario, déterminant que la Loi électorale du Canada, L.R.C. (1985), c. E-2, constitue un code complet, par rapport aux lois provinciales, en ce qui a trait aux personnes autorisées à agir comme vérificateur comptable (« auditor »). Selon la Cour, la loi est un code complet : « [...] in this case Parliament has defined who may act as an auditor and in express terms set out the duties and responsibilites of the auditor for the purposes of the federal election. There is no room left for the operation of the provincial legislation [...] ». Voir enfin Perron-Malenfant c. Malenfant (Syndic de), [1999] 3 R.C.S. 375, où la Cour suprême procède à une analyse détaillée du texte et du contexte pour déterminer que des dispositions du Code civil du Bas Canada en matière d’assurance constituent un code complet.
- [297] Voir St-Hilaire, précitée, note 264, par. 43. À noter la distinction intéressante établie par la Cour d’appel du Québec dans la décision Canadian National Railway c. Sumitomo Marine & Fire Insurance Co. (10 juillet 2007), Montréal 500-09-015114- 044 (C.A.), où la Cour cite d’ailleurs St-Hilaire à ce sujet. La Cour fait une distinction entre les cas où la loi fédérale examinée s’applique à une «situation non définie » (vide législatif justifiant le recours au droit supplétif provincial), et les cas où la loi forme un «ensemble complet et autonome» (sans nécessité de recourir au droit civil). Dans cette affaire, sans conclure à l’existence d’un code complet, la Cour détermine que la loi ne contient aucun vide législatif, i.e. qu’elle «renferme tous les éléments nécessaires à la solution du litige».
- [298] Quant à la disponibilité des recours de droit commun en cas de sommes versées en trop, voir Brière c. Canada, [1989] 3 C.F. 88 (C.A.F.) ; Consumers Glass Co. c. Canada, (1990) 107 N.R. 156 (C.A.F.) ; Forest Oil Corp. c. Canada, [1997] 1 C.F. 624 (C.F. 1re inst.) ; Michelin Tires c. Canada (M.R.N.), (1998) 99 G.T.C. 7015 (C.F. 1re inst.) ; Mathew & Co. Ltd. c. Canada (M.R.N.), [1997] T.C.C.E. 113 (T.C.C.E.) ; British Columbia Ferry Corp. c. Canada (M.R.N.), [2001] 4 C.F. 3 (C.A.F.). Voir aussi, à ce sujet, quoiqu’il ne s’agisse pas de législation fédérale, l’arrêt Zaidan Group Ltd. c. London (Ville), précité, note 290. Sur d’autres questions en droit fiscal, concluant à la présence d’un code complet, voir Québec (Sous-ministre du revenu) c. Marcel Grand Cirque, (1995) 107 F.T.R. 18 (C.F. 1re inst.) ; Marcoux c. Canada (P.G.), (2001) CAF 92 (C.A.F.), concluant qu’il n’y a pas « silence du législateur » et que le principe de complémentarité affirmé dans l’affaire St-Hilaire, précitée, note 264, ne s’applique pas (la Cour d’appel, sans reprendre l’expression, confirme la décision du juge de première instance ayant conclu à un « code complet »); Canada (P.G.) c. Banque nationale du Canada, (2004) CAF 92 (C.A.F.) ; Bleau c. La Reine, 2006 CCI 36. À noter enfin l’arrêt Markevich c. Canada, [2003] 1 R.C.S. 94, clarifiant que la Loi de l’impôt sur le revenu ne constitue pas un code complet : « Rien n’appuie la théorie selon laquelle la LIR est un code complet qui ne peut être interprété à la lumière des lois d’application générale. La LIR ne s’applique pas dans un vide législatif [...]. » (par. 14). La notion de « vide législatif » est attribuée par la Cour à l’arrêt Will- Kare Paving, précité, note 258. Sur l’application du principe de complémentarité en présence d’un vide législatif, voir nos remarques dans la partie précédente, section I.B.2.b).
- [299] L.R.C. (1985), c. B-3. Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du revenu national, [1995] 3 R.C.S. 453 ; Re Down, précité, note 296.
- [300] L.R.C. (1985), c. B-1. Voir Banque de Montréal c. Hall, [1990] 1 R.C.S. 121 ; Saskatoon Boiler Manufacturing c. Industries F.P. Inc. (Syndic de), (1991) 6 C.B.R. (3d) 37 (C.S. Québec). Contra : Waldron c. Royal Bank, (1991) 4 C.B.R. (3d) 53 (C.A.C.B). À noter, dans ce dernier cas (par. 58), que la cour d’appel s’appuie sur l’affirmation de l’existence d’une common law fédérale pour admettre le recours de droit commun, en plus de conclure qu’il n’y a pas de code complet.
- [301] Gendron c. Syndicat des approvisionnements et services de l’alliance de la fonction publique du Canada, section locale 50057, précité, note 294 ; Panagopoulos c. Canada, précité, note 295.
- [302] R. c. Lewis, précité, note 296, en ce qui a trait à la Loi électorale du Canada et aux personnes autorisées à agir comme vérificateur comptable (« auditor »). Cf. Law Society of British Columbia c. Mangat, [2001] 3 R.C.S. 113. Cette dernière décision, rendue en matière d’immigration (représentation par des non-avocats), ne conclut pas à l’existence d’un code complet mais à un conflit d’application fondé sur la notion de conflit énoncée dans l’arrêt Banque de Montréal c. Hall, précité, note 300.
- [303] Canada 3000 Inc., Re ; Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), 2006 CSC 24 (C.S.C.).
- [304] Comme nous l’avons déjà signalé (supra, note 288), en présence d’un code, il faut présumer que la common law a été remplacée.
- [305] Voir Waldron c. Royal Bank, précité, note 300. À noter dans ce cas que la cour d’appel s’appuie sur l’affirmation de l’existence d’une common law fédérale pour admettre le recours de droit commun, en plus de conclure qu’il n’y a pas de code complet.
- [306] Supra, section I.A.
- [307] Précité, note 303.
- [308] Voir, en particulier, les par. 78 et suiv. La Cour s’appuie sur une interprétation téléologique pour conclure que les propriétaires en titre d’aéronefs ne sont pas couverts par la définition du mot propriétaire dans la loi. Quant au recours en rétention octroyé aux créanciers, l’appelante NAV Canada a invoqué les art. 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation. Le juge Binnie écrit qu’il n’est pas « nécessaire » de s’en remettre au droit provincial, étant donné que les lois examinées « énoncent expressément que ce recours s’exerce “en sus de tout autre recours”, ce qui comprend les recours prévus par le droit provincial. » Le juge ajoute : « La Loi sur l’aéronautique, la LCA et la LCSNAC sont des lois fédérales qui établissent un régime unifié en matière d’aéronautique. Le législateur a voulu constituer un code exhaustif qui soit applicable dans tout le pays de façon uniforme d’une province à l’autre. Cette uniformité est d’autant plus essentielle que l’extrême mobilité des aéronefs leur permet de passer facilement d’un territoire à l’autre. »
- [309] Voir Québec (Sous-ministre du revenu) c. Marcel Grand Cirque, précité, note 298. À propos d’une requête en rétractation de jugement, le juge décline la compétence de la Cour fédérale quant au calcul d’une cotisation relative à la taxe sur les produits et services. Il affirme que la Loi sur la taxe d’accise, « tout comme la Loi de l’impôt sur le revenu », contient « un code complet de perception des impôts, en vertu duquel, après avoir reçu un avis de cotisation, un contribuable peut loger un avis d’opposition et en appeler éventuellement devant la Cour canadienne de l’impôt. » Pour notre part, il apparaît douteux de s’appuyer sur la doctrine du code complet pour déterminer ainsi, de façon aussi générale, une question de compétence. Dans l’arrêt Markevich c. Canada, précité, note 298, la Cour suprême a pris soin de clarifier la question (par. 14) : « Rien n’appuie la théorie selon laquelle la LIR est un code complet qui ne peut être interprété à la lumière des lois d’application générale. La LIR ne s’applique pas dans un vide législatif [...] ». Voir aussi A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du Revenu), 2007 CSC 42. Voir enfin, comme autre exemple d’affirmation péremptoire, Mathew & Co. Ltd. c. Canada (M.R.N.), précité, note 298.
- [310] C’est le cas en particulier des affaires où il s’agissait de déterminer la disponibilité d’un recours en equity fondé sur l’enrichissement sans cause. Voir supra, note 298.
- [311] Pour une bonne illustration d’une démonstration solidement motivée dans un tel cas, voir Banque de Montréal c. Hall, précité, note 300.
- [312] Voir, par exemple, les motifs du juge Denault dans Marcoux c. Canada (P.G.), [2000] 4 C.T.C. 143 (C.F. 1re inst.). Le raisonnement retenu pour rejeter une règle d’insaisissabilité du droit provincial, n’est pas entièrement étanche et s’appuie sur une présomption d’uniformité d’application de la Loi de l’impôt sur le revenu. À noter que la Cour d’appel fédérale (voir supra, note 298) a confirmé la décision sans toutefois mentionner la doctrine du code complet. Au sujet des présomptions en droit fiscal, dans ce cas-ci en fiscalité municipale, voir Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, [1994] 3 R.C.S. 3.
- [313] Décisions auxquelles nous avons fait référence, supra, notes 299 et 300.
- [314] À ce sujet, voir notre présentation du partage des compétences dans la partie précédente (section I.A.2), en particulier, le texte du professeur Jean Leclair dont nous nous sommes inspiré pour cette analyse constitutionnelle (Partie I, note 87).
- [315] La clef du raisonnement du juge Gonthier dans Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du revenu national, précité, note 299, se trouve dans cette déclaration plutôt surprenante à propos d’une préférence fondée sur l’exclusivité, par. 81 : « J’ai déjà conclu que la loi attaquée doit être déclarée inapplicable plutôt qu’inopérante en matière de faillite. Je devrais peut-être expliquer que cela est préférable pour le simple motif que la faillite est un domaine de compétence fédérale exclusive à l’intérieur duquel les lois provinciales ne s’appliquent pas, ce qui est différent des domaines où il y a compétence concurrente ou chevauchement de compétence, auquel cas la loi fédérale l’emporte et rend la loi provinciale inopérante dans la mesure du conflit. » (Nous soulignons). Voir également le résumé de sa démarche, par. 87. Pour une approche différente sur des questions similaires, voir l’arrêt D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564. Dans Banque de Montréal c. Hall, précité, note 300, la démonstration effectuée par le juge La Forest est convaincante, dans la mesure où elle conclut que la sûreté bancaire et la procédure de réalisation sont parties intégrantes de la loi. Mais il reste que le conflit est ramené à des considérations essentiellement téléologiques : « L’examen doit plutôt porter sur la question plus large de savoir si l’application de la loi provinciale est compatible avec l’objet de la loi fédérale. Dans la négative, le double respect des lois est impossible. » Le juge conclut à la présence d’un « code complet » en affirmant : « Il n’y a plus de place pour l’application de la loi provinciale [...] ». Voir également Rothmans, Benson & Hedges c. Saskatchewan, [2005] 1 R.C.S. 188.
- [316] Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du revenu national, précité, note 299, par. 122. Cette affaire consistait à déterminer si une loi provinciale devait être invalidée ou déclarée inopérante parce qu’elle modifiait l’ordre de priorité établi dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité.
- [317] Voir R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 340 : «
It follows from the principle of legislative sovereignty that validly enacted legislation is paramount over the common law.
» ; p. 348 : «In interpreting a code, concern for the internal coherence of the statute takes precedence over the presumption against changing the common law.
» - [318] Sur le caractère sui generis du titre indien, voir Roberts c. Canada, [1989] 1 R.C.S. 322 ; Delgamuukw c. Colombie-Britannique, [1997] 3 R.C.S. 1010. Quant aux droits fonciers des Premières nations sur les terres de réserve, voir Bande indienne de St. Mary’s c. Cranbrook (Ville), [1997] 2 R.C.S. 657 et Bande indienne d’Osoyoos c. Oliver (Ville), [2001] 3 R.C.S. 746. On notera également la décision suivante concernant l’art. 50 de la Loi sur les indiens, L.R.C. (1985), c. I-5 : Songhees First Nation c. Canada (A.G.), [2003] B.C.J. 631 (B.C.C.A.).
- [319] Lefaivre et associés c. Côté, [1976] C.A. 691 ; In re Ireland : Gingras c. La Banque provinciale du Canada, (1962) 5 C.B.R. (N.S.) 91. Ces affaires sont survenues avant l’entrée en vigueur du Code civil du Québec en 1994 (L.Q. 1991, c. 64). À noter que, en vertu de celui-ci, le fiduciaire ne détient toujours pas de droit de propriété sur le patrimoine fiduciaire : art. 1261 C.c.Q. Voir sur cette question Jacques AUGER et Albert BOHÉMIER, « Le statut du syndic », (2003) 37 R.J.T. 5.
- [320] Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., [1997] 1 R.C.S. 411. La Cour suprême décide de faire évoluer cette forme de privilège en ce qui concerne les biens futurs : « cette forme de garantie met en question notre conception traditionnelle d’un privilège fixe ; de même, j’estime que notre conception de cette forme de privilège doit évoluer en fonction des réalités contemporaines du droit commercial et, en particulier, des dispositions législatives qui ont été invoquées en l’espèce » (motifs du juge Gonthier, majoritaires sur ce point). Dans la foulée de cette décision, voir aussi First Vancouver Finance c. M.R.N., [2002] 2 R.C.S. 720, par. 34 ; Canada (P.G.) c. Banque Nationale du Canada, précité, note 298.
- [321] In re Civano Construction Inc. ; Gingras, c. Crédit M.-G. Inc., précité, note 283. Dans cette affaire portant sur un transport de créances effectué par un débiteur, avant sa faillite, la Cour supérieure du Québec conclut que le syndic n’est pas « successeur du failli, il en est un cessionnaire », et que ses droits « ne sont pas limités par ceux qu’avait le failli et ne se confondent pas avec eux [...] ». Selon la Cour, la Loi sur la faillite «a créé [...] un nouveau mode de transport de biens comprenant, entre autres, les créances. » De plus, « le syndic est automatiquement investi de la saisine de tous les biens et ce, à titre de cessionnaire [...] ». Voir également les motifs dissidents du juge Chouinard dans Banque de Nouvelle-Écosse c. Perras, Fafard, Gagnon Inc., [1985] C.A. 21, qui qualifie le syndic de « cessionnaire légal de tous les droits faisant partie de l’actif du failli et des autres que lui consent la Loi sur la faillite (...). ». Voir enfin Canadian Middle East Consulting co. (In re) : Interpool Ltd. et Dionne, [1985] C.A. 126.
- [322] Canassurance, Cie d’assurance-vie c. R., [1991] 2 C.T.C. 214, 48 F.T.R. 22 (C.F. 1re inst.). Voir l’approche opposée dans R. c. Lagueux & Frères Inc., [1974] 2 C.F. 97 (C.F. 1re inst.) en ce qui concerne la nature d’un contrat de vente ou de louage. Quant au critère de forme et substance, voir les remarques de la Cour suprême dans Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, précité, note 312.
- [323] Sénécal c. R., [1984] 1 C.F. 169 (C.F. 1re inst.). Dans ce cas, le juge considère qu’il s’agit de la volonté même du législateur provincial aux termes du Code civil.
- [324] Knitrama Fabrics Ltd., c. K & A Textiles Inc., [1984] C.S. 1202.
- [325] L’expression « claim of the unpaid vendor » dans la version anglaise est jugée plus restrictive et est associée à la common law, en vertu de laquelle le vendeur ne dispose d’aucun droit de dissolution, tandis que l’expression « créances d’un vendeur impayé » dans la version française est associée au droit civil où un droit de dissolution accompagne la revendication du vendeur. Cependant, le vendeur jouissant en l’espèce d’un droit de garantie lui permettant de dissoudre rétroactivement la vente en cas de défaut (aux termes du droit civil), la banque ne saurait se prévaloir de la priorité légale applicable aux revendications (aux termes de la common law).
- [326] On a également critiqué cette décision puisqu’elle présuppose une approche comparatiste de la législation fédérale : voir Jean-Maurice BRISSON et André MOREL, « Droit fédéral et droit civil : complémentarité, dissociation », (1996) 75 R. du B. can. 297, 313.
- [327] [2002] 3 R.C.S. 269.
- [328] L.R.C. 1985, c. S-18.
- [329] La mesure a été adoptée dans la Loi d’harmonisation no 1, précitée, note 284, art. 121. Pour des critiques de l’arrêt Schreiber adoptant des perspectives différentes, voir Aline GRENON, « The Interpretation of Bijural or Harmonized Federal Legislation : Schreiber v. Canada (A.G.) », (2005) 84 R. du B. can. 132 ; Ruth SULLIVAN, « The Challenges of Interpreting Multilingual, Multijural Legislation », (2004) 29 Brook. J. Int’l. L. 985.
- [330] Bracklow c. Bracklow, [1999] 1 R.C.S. 420 ; Gordon c. Goertz, [1996] 2 R.C.S. 27 : « La notion de garde sous le régime de la Loi reflète essentiellement la common law. [...] D’un point de vue comparatif, il est intéressant de remarquer qu’en ce qui concerne le droit de choisir un lieu de résidence d’un enfant, la garde reçoit une interprétation similaire sour le régime du Code civil du Québec, dans différents documents internationaux, de même que dans certaines juridictions de common law et de droit civil ».
- [331] Hamel c. Hamel, [1986] R.J.Q. 383 (C.A.). La juge Mailhot cite notamment un article de doctrine de Me Anne Michaud dans lequel celle-ci écrit : «À notre avis, lorsqu’une loi fédérale mentionne un concept juridique qui n’existe pas comme tel en droit québécois, on doit voir si, par analogie, on peut se référer à une situation de fait équivalente. ». Voir également Cormier c. Tessier, [1989] R.J.Q. 1457 (C.A.) ; Chambre des notaires du Québec c. Lesage, (9 juin 1992) Hull 550-05-000250-905 (C.S.), J.E. 92-1793 ; Barreau du Québec c. Leblanc, (13 mai 1993) Montréal 500-05- 018548-923 (C.S.), J.E. 93-1106. Cf. Banque de Nouvelle-Écosse c. Gauthier, (2 juin 1995) Montréal 500-05-006466-948 (C.S.), J.E. 95-1679, où le sens de common law (le juge cite une décision de la Colombie-Britannique) prédomine nettement eu égard au même problème.
- [332] Société en fiducie de la Banque de Hongkong c. Développements sociaux du Sud-Ouest, [1996] R.D.I. 331 (C.S.).
- [333] Construction Bérou inc. c. Canada, précité, note 264. Le juge Desjardins écrit : « Le Parlement canadien a ainsi taillé, pour des fins fiscales et pour l’ensemble du Canada, un concept commun couvrant les notions de “disposition de biens” (“disposition”) et de “propriété effective” (“beneficial ownership”) autant en droit civil qu’en common law [...]. » À noter dans cette décision, de même que dans Hewlett Packard (Canada) Ltée c. R., précité, note 264, l’emphase accordée à l’intention du législateur ou à l’intention des parties afin de contrebalancer l’influence de la common law. Dans Hewlett Packard, le juge Noël précise qu’il y a une « règle commune aux deux systèmes : la propriété est transférée quand les parties ont l’intention d’effectuer le transfert. »
- [334] Commission de la Construction du Québec c. Canada (M.R.N.), précité, note 280. La Cour a retenu l’interprétation selon laquelle la notion de paiement dans ce contexte n’exige pas la présence d’une obligation. À noter que l’article 8.1 de la Loi d’interprétation a été plaidé dans cette affaire.
- [335] Droit de la famille 2617, précité, note 275. À noter que l’expression « résidence habituelle » est interprétée ici en ce qui concerne les Règles de pratique de la Cour supérieure en matière familiale et non une loi fédérale, bien que la Loi sur le divorce soit également applicable et citée dans la décision.
- [336] No. 249 c. Minister of National Revenue, précité, note 279. Le Commissaire avait tout de même affirmé au préalable qu’il fallait s’en remettre aux lois de la province du Québec. Considérer en particulier ce passage : « La conclusion qui s’impose c’est que le louage d’immeuble, ne tombant sous aucune des catégories ajoutées par l’article 127 (1)e) au sens ordinaire du mot entreprise, si ce louage, d’après les critériums de la loi générale, n’est pas une entreprise, il ne [le] sera pas non plus sous la Loi de l’impôt sur le revenu ; par ailleurs, s’il devenait une entreprise sous la loi générale, il le serait également pour les fins de la Loi de l’impôt sur le revenu. » Cf. Banque Royale du Canada c. R., précité, note 278.
- [337] Dans ces cas, le nivellement des sources peut confiner à l’autonomie du droit fédéral. Quant à la recherche d’équivalences, voir par exemple Wolf c. Canada, [2002] 4 C.F. 396 (C.A.F.) ; Poulin c. Canada (M.R.N.), (2003) CAF 50 (C.A.F.). Remarquer les efforts déployés par les juges, dans ces deux décisions, pour concilier le test ouvert et flexible formulé dans la décision Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., (1986) 87 D.T.C. 5025 (C.A.F.), avec les règles plus rigides du droit civil. Dans Wolf, le juge Desjardins conclut, après s’en être remis au test pragmatique élaboré par la jurisprudence, que l’appelant « a eu raison de réclamer le statut d’entrepreneur [...] au sens de l’article 2098 du Code civil du Québec ». Le juge Décary, quant à lui, réaffirme le principe de complémentarité et replace le critère de contrôle au centre de l’analyse, mais le fait tout de même en assouplissant ce critère afin de tenir compte de la « réalité contractuelle des parties ». Dans Poulin, le juge Létourneau déclare que le Code civil est le droit applicable en l’espèce, mais déclare que « la notion de contrôle n’est pas toujours en soi concluante malgré l’importance qu’il faut lui prêter ». Il ajoute : « Il faut examiner les faits et les circonstances entourant la prestation de services : chaque cas est un cas d’espèce ». Pour une décision plus ancienne de la Commission de révision de l’impôt, illustrant la plus complète équivalence des sources de droit civil, de common law ou de droit fiscal, voir Braive c. Canada (M.R.N.), [1981] C.T.C. 2790, 81 D.T.C. 748 (C.R.I.) : « Those guides [determining when one is an employee or when one is self-employed] are expressed by doctrine and by numerous judgments in civil law, in common law and tax law. In fact, in all these fields, the guides are all the same. In each case, however, it is a question of facts. [...] ». Nous reviendrons plus loin, infra, note 355, sur certaines décisions qui s’en remettent plus strictement à l’approche pragmatique – de common law – formulée dans la décision Wiebe Door Services Ltd. À noter, cette approche a été remise en question dans 9041-6868 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), 2005 CAF 334. Voir aussi Dupuis c. Canada (Agence du revenu), (2006) CF 228, et de nombreuses décisions subséquentes de la Cour canadienne de l’impôt où l’on a eu recours plus nettement au principe de complémentarité, parmi lesquelles : Vaillancourt c. Canada (M.R.N.), 2005 CCI 328 ; 9079-6038 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), 2005 CCI 743; Carreau c. Canada, 2006 CCI 20; Garneau c. Canada (M.R.N.), 2006 CCI 160; Rhéaume c. Canada (M.R.N.), 2007 CCI 591; 9020-8653 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), 2007 CCI 604. À noter, toutefois, une décision contradictoire récente de la Cour d’appel fédérale (rendue à Montréal) qui s’en remet de nouveau, à titre de «repères», à l’approche pragmatique: Combined Insurance Company of America c. Ministre du revenu national (M.R.N.) et Mélanie Drapeau, 2007 CAF 60 (C.A.F.). Cette décision cite notamment la décision Royal Winnipeg Ballet c. Canada (M.R.N.), 2006 CAF 87 (C.A.F.). Enfin, signalons que la même discussion a eu lieu concernant la distinction entre le contrat d’emploi et le contrat de services par rapport à la Loi sur l’assurance-emploi ou le Code canadien du travail: voir par ex. Widrig c. Regroupement Mamit Innuat Inc., 2007 C.F. 1234.
- [338] Dontigny c. R., [1974] 1 C.F. 418 (C.A.F.).
- [339] Munro c. Common, (1992) 47 E.T.R. 5 (C.S.). Le juge s’en remet notamment à l’arrêt Tucker c. Royal Trust Co., [1982] 1 R.C.S. 250 quant aux sources applicables aux fiducies. Il s’en remet aux autorités de common law mais amorce son raisonnement en affirmant : « In principle, the question should receive the same answer under the law of the province of Quebec ». Pour une conclusion semblable relativement à la notion de « bien » dans la Loi de l’impôt sur le revenu, voir Manrell c. R., précité, note 277, où le juge adopte la common law tout en « supposant » l’équivalence avec le droit civil.
- [340] L’assimilation à la common law, en partie pour des raisons d’équité nationale, est
particulièrement évidente dans Rosenstone c. Canada (M.R.N.), [1971] Tax A.B.C. 1029 (C.R.I.). Le droit de l’emphytéote y est qualifié de « tenure of property » et même
(par référence à la décision City of Quebec v. Lampson, (1918) 56 S.C.R. 2888) de
« beneficial interest in the property ». Le Code civil y est cité pour comprendre la nature
de l’emphytéose et souligner le fait que cette notion emporte aliénation, tout
en mentionnant l’existence d’un droit de réversion :
« In view of the foregoing comments, I see no difference between leasehold interests and emphyteusis. A leasehold interest can be nothing other than tenure of a property, piece of land or lot assigned by the owner for a specified time, in accordance with the Civil Code, for the making of improvements which will revert on expiration to the said owner. »
Dans Feigelson c. R., [1974] 2 C.F. 807 (C.A.F.), le juge Hyde s’en remet à un « facteur commun » entre les droits du locataire et les droits de l’emphytéote, soit l’existence d’un « bail », pour « faire entrer le bail emphytéotique dans l’expression “tenure à bail” » (nous soulignons). - [341] Dans l’affaire Re Ross en Cour d’appel du Québec ((1931) 12 C.B.R. 247, [1931] 2 D.L.R. 913), le juge Dorion applique aux mots « simple contract » le sens technique du droit anglais, mais donne à l’expression « simple contrat » apparaissant dans le texte français le « sens naturel », soit le contrat qui n’exige pas plus que le consentement (qui n’exige pas un acte notarié). En conséquence, il déclare : « Les rédacteurs de la Loi des lettres de change ont donc trouvé un terrain tout préparé pour exprimer avec les mêmes mots dans les deux textes une règle commune à toutes les Provinces du Dominion. » Quant à la notion de « considération valable », elle est assimilée au Québec au « contrat valide, dont la cause ou considération parfaitement valide, est le simple désir de faire du bien au donataire. » Voir, au même effet mais avec plus d’insistance quant à l’application du droit civil, les motifs du juge Bernier et, pour une référence au droit anglais exclusivement, les motifs du juge Bond.
- [342] Dans une décision remarquable portant sur la solidarité en matière de crédit documentaire, Entreprises Loyola Schmidt Ltée c. Chouette, [1976] C.S. 557, la Cour supérieure du Québec applique les sources du droit anglais afin d’interpréter les termes « jointly » et « jointly and severally » dans la Loi sur les lettres de change. Le juge conclut que les termes « conservent encore le sens qu’ils ont reçu d’Angleterre et qu’ils continuent d’avoir dans les provinces du Canada soumises à la common law », mais reconnaît que la « joint liability » possède des effets « analogues aux conséquences primaires de la responsabilité solidaire de notre droit civil ». Dans l’affaire Banque canadienne nationale c. Turcotte, [1942] B.R. 383 (C.A.), le juge Bertrand souligne que les obligations des cosignataires d’un effet de commerce en droit coutumier d’Angleterre sont considérées « équivaloir » à la solidarité du droit civil, même si les termes du droit anglais pour la notion de solidarité « littéralement éveilleraient plutôt l’idée de conjonction (joint liability) [...]. » À noter que la démarche est inversée dans ce cas-ci, le sens de droit civil étant prédominant et non contredit par le droit applicable en vertu de la Loi sur les lettres de change.
- [343] Banque de Nouvelle-Écosse c. Angelica-Whitewear, [1987] 1 R.C.S. 59. La Cour semble ici s’appuyer avant tout sur le caractère sui generis de l’obligation de la banque émettrice envers le bénéficiaire aux termes d’une lettre de crédit irrévocable. Elle invoque aussi des motifs d’uniformité relativement au commerce international.
- [344] La notion est attribuée à la common law en raison de la terminologie (« settlement »), mais entendue au Québec comme visant les « dispositions à titre gratuit ». Voir In re Beaulieu, (1942) 24 C.B.R. 197 (C.A.) ; In re Evaporateur Portneuf Inc., [1962] B.R. 218 (C.A.) ; In re Promoteurs Inc. ; Danyluk c. Franco, (1982) 42 C.B.R. (N.S.) 252 ; Jobin (Syndic de) c. Monarch Life Assurance Co., [1986] R.J.Q. 1755 (C.A.). Les deux décisions les plus intéressantes sont certainement les suivantes, où l’on a reconnu en plus de l’élément de gratuité la notion de tracing propre à la common law, et déterminé notamment que le failli avait conservé un « intérêt » dans les biens transférés : Boutin, Boutin, Arbour Inc. c. Samson Bélair Deloitte & Touche Inc., [1994] R.J.Q. 1285 (C.S.) ; Giroux (Syndic de), [1993] R.J.Q. 1515 (C.S.).
- [345] Re Hartney Co., (1962) 4 C.B.R. (N.S.) 71 (C.S.). Le juge cite à ce sujet des décisions rendues dans les provinces de common law.
- [346] Structal (1982) inc. c. Fernand Gilbert Ltée, [1998] R.J.Q. 2686 (C.A.) ; Re Nolisair International inc. (22 août 2000), Montréal 500-09-008036-998 (C.A.), J.E. 2000- 1665. La compensation en equity est possible en présence d’un lien étroit entre deux dettes lorsque les conditions de la compensation légale ne sont pas remplies (dettes certaines, liquides et exigibles). Dans ces décisions, la Cour d’appel applique la common law sans justification particulière. On a expliqué ces décisions par la juridiction en equity que certains auraient voulu attribuer à la Cour supérieure du Québec : Alain VAUCLAIR et Annie DRZYMALA, « Quelques questions de politique législative », (2003) 37 R.J.T. 147. Pour une tentative de rapprocher la common law et le droit civil au sujet des règles de compensation en matière de faillite, voir les motifs de la juge Rousseau-Houle dans Montreal Fast Print Ltd. c. Édifice 9500 Inc., précité, note 284 ; cités dans Slater Steel Inc., Re (18 juin 2004), Montréal 500-11-020930-034 (C.S.). À noter, toutefois, que le recours à la compensation en equity au Québec a été clairement rejeté par la Cour suprême du Canada dans D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), précité, note 315, à la suite de la Loi d’harmonisation no 1 du droit fédéral avec le droit civil, précitée, note 284.
- [347] Re De Grandpré, (1969), 15 C.B.R. 262, à la p. 268. Pour plus de précision sur les « pouvoirs du syndic » aux termes de cet article (devenu l’art. 67(1)d) dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité), voir Albert BOHÉMIER, « Recherche de bijuridisme : Loi sur la faillite et l’insolvabilité », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil québécois et le bijuridisme canadien, Recueil d’études, Ministère de la Justice du Canada, 1997, p. 863.
- [348] Langevin c. Weinberg, [1971] C.A. 122. La Cour d’appel a clairement distingué ici le lis pendens de common law applicable à la Loi sur la faillite (art. 87) des règles de « litispendance » prévues au Code de procédure civile : « La litispendance dont traite notre Code de procédure civile se réfère essentiellement à la situation judiciaire de plaideurs qui sont engagés dans plus d’un litige portant sur les mêmes objets. Les principes et les objets fondamentaux de la doctrine de lis pendens de common law qui s’applique au certificat émis en vertu de la règle 87 de la loi fédérale sur la faillite sont dans leur essence tout à fait différents ; ils se rapprochent plutôt de ceux de l’enregistrement. »
- [349] Bank of Montreal c. Hotels Côte de Liesse Inc. (Trustee of), [1996] Q.J. (Quicklaw) 496 (C.S.) : « The concept of taxing costs as between solicitor and client is generally foreign to civil law of Quebec, and we must look to cases decided in the common law provinces for the governing principles. » La règle est appliquée sans plus dans Re Liakas, (1993) 25 C.B.R. (3d) 101 (C.S.). Cf. Biron c. Caisse populaire Desjardins Buckingham, [2001] Q.J. (Quicklaw) 4179 (C.A.), où la Cour établit un rapport d’équivalence et d’intégration avec une condamnation en dommages.
- [350] L’affaire la plus significative pour nos fins est sans aucun doute l’affaire Gervais c. Canada (M.R.N.), précité, note 276, où le juge restreint la notion de don au Québec, dans un cas où un immeuble est vendu sous sa valeur marchande, à la cession sans contrepartie : « En l’espèce, nous sommes en présence d’une loi fiscale qui doit être appliquée de la même façon partout au Canada, et comme l’a affirmé l’ancien juge en chef Jackett, lorsqu’il s’agit de diverses dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu, même si une vente à un prix sous-évalué équivaut à une donation indirecte aux fins de l’article 712 du Code civil du Bas Canada, cela ne veut pas dire qu’il faut étendre l’application de l’article 111 de la Loi de l’impôt sur le revenu à un litige dans la province du Québec au-delà de qu’il en serait dans une autre province. » Il ajoute, en s’appuyant sur la décision R. v. Littler, précitée, note 276 : « Même s’il est probable que l’avantage conféré par l’acte de vente soit considéré comme une donation en droit québécois, aux fins de l’impôt sur le revenu, il faut interpréter la loi de façon uniforme à travers le Canada [...]. » Voir également une application plus nuancée de la notion de common law au Québec dans Aspinall c. Canada (M.R.N.), [1970] Tax A.B.C. 1073 (C.R.I.). Sur toute cette question, voir Joseph SIROIS, « Le concept de «don» / gift – Étude comparative droit civil – common law – droit fiscal » (2003), 24 : 2 R.P.F.S. 381-422.
- [351] Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority women c. M.R.N., [1999] 1 R.C.S. 10.
- [352] Id., par. 28. Voir la décision Travel Just c. Canada Revenue Agency, 2006 CAF 343 (C.A.F.), où la Cour d’appel fédérale a fait référence à cet arrêt et déterminé qu’il n’est pas nécessaire en l’espèce de recourir l’article 8.1 de la Loi d’interprétation. Le juge ajoute que la question de la bienfaisance dans le contexte fiscal est une question de droit public : « There is considerable force in the submission of the Minister that whether an organization is charitable for the purpose of the ITA is a question of public law, and not one of property and civil rights to which the private law of Québec is relevant. » Dans une autre affaire, on a invoqué la notion d’organisme de bienfaisance provenant de la common law à propos d’une association de promotion du sport amateur : A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), 2006 CAF 136. La Cour d’appel fédérale a conclu à cet égard que le législateur fédéral a créé pour celle-ci une catégorie spéciale dans la loi, et que le droit provincial de l’Ontario ne pouvait s’appliquer – au moyen de l’article 8.1 de la Loi d’interprétation – pour leur reconnaître le statut d’organisme de bienfaisance. Le législateur « a occupé le champ ». L’affaire a été portée devant la Cour suprême, qui a rejeté le pourvoi de A.Y.S.A sans toutefois rompre entièrement avec la common law : (2007) CSC 42 (cf. les motifs de la juge Abella).
- [353] Doriga c. M.R.N., [1981] C.T.C. 2155 (C.R.I.) : « Dame Doriga is not beneficiary within the meaning of the Civil Code, but she is a beneficiary in fact and under the common law. Accordingly, she can be considered another person beneficially interested therein, since she is a beneficiary in fact and under the common law, and the federal Income Tax Act applies. »
- [354] Villard c. Canada (M.R.N.), précité, note 279.
- [355] Wiebe Door Services Ltd. c. M.R.N., précité, note 337. Sur ce sujet, et pour des décisions contradictoires qui s’appuient sur le principe de complémentarité, voir supra, note 337. À noter, la décision Wiebe Door a été reprise favorablement dans une affaire de responsabilité délictuelle en Ontario dans l’arrêt 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983.
- [356] Quant aux décisions rendues avant Wiebe Door Services, voir Hauser c. M.N.R., [1978] C.T.C. 2728 (C.R.I.) ; Hecht c. M.N.R., [1980] C.T.C. 2513 (C.R.I.) ; et plus particulièrement Lafleur c. M.N.R., [1984] C.T.C. 2489 (C.C.I.). Quant aux décisions postérieures, voir plus particulièrement Tedco Apparel Management Services Inc., c. M.N.R., [1991] 2 C.T.C. 2669 (C.C.I.) ; ainsi que Placements Marcel Lapointe Inc. c. M.R.N., [1993] 1 C.T.C. 2261 (C.C.I.) ; et Beaulieu c. R., [1993] 2 C.T.C. 2323 (C.C.I.).
- [357] Droit de la famille – 608, [1989] R.J.Q. 522 (C.A.). Le concept a été reconnu dans l’affaire Pelech c. Pelech, [1987] 1 R.C.S. 801. Il était exprimé dans cet arrêt par les termes « unconscionable » en anglais et « lésionnaire » en français. La juge Mailhot fait référence aux dictionnaires de la langue courante et aux dictionnaires juridiques, de même qu’à un ouvrage de doctrine attribuant le concept aux tribunaux d’équité et à la législation commerciale américaine. En l’espèce, elle est prête à reconnaître l’aspect lésionnaire de la convention. Dans ses motifs, le juge Frenette de la majorité affirme qu’il s’agit d’un concept émanant des provinces de common law et que la Loi sur le divorce ne prévoit nulle part qu’il faut annuler une convention matrimoniale qui aurait un « caractère grossièrement déraisonnable ». Il juge qu’en l’espèce la convention avait un caractère de finalité, qu’il n’y avait pas « disproportion indue entre les prestations », et que les parties étaient sur un pied d’égalité. Enfin, notons que l’application du concept de common law a été rejetée avec conviction, en se fondant sur le principe de complémentarité, dans G. (R.) c. A. (L.) (18 avril 2000), Montréal 500-12-123540-837 (C.S.).
- [358] Reading & Bates Construction Co. v. Baker Energy Resources Corp., (1986) 13 C.P.R. (3d) 410 (C.F. 1e inst.) : « I must take these words as they have been interpreted and it appears to me that the Patent Act has been interpreted as creating a statutory tort of infringement. [...] I conclude that in determining who can be considered a party to infringement and thus subject to liability under s. 57 of the Patent Act one should have to resort not to the law of the province where the infringement took place buth rather to common law principles which are presumed to have been adopted by implication when Parliament enacted this section. »
- [359] Roy c. Canadian Imperial Bank of Commerce, [1971] C.A. 321.
- [360] Chemins de fer Nationaux c. Vincent et autre, [1975] C.A. 761. Dans le cadre du pourvoi devant la Cour suprême du Canada, le juge Pratte, pour la majorité, précise qu’il s’agit en l’espèce d’une cause de droit civil où l’article 1053 du Code civil du Bas Canada doit s’appliquer. Voir également Cie des chemins de fer nationaux du Canada c. Ashby, [1976] C.A. 594.
- [361] Caractéristique examinée par P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 257, p. 20 : « [...] la plupart des auteurs le reconnaissent, l’application de la loi rétroagit sur son interprétation. Il suffit en effet de lire attentivement la jurisprudence pour déceler ce que certains ont appelé l’“inversion du raisonnement”, c’est-à-dire le phénomène selon lequel la conclusion du raisonnement judiciaire (l’application) influe sur la détermination des prémisses de celui-ci, notamment sur la détermination du sens du texte à appliquer. »
- [362] Précité, note 282.
- [363] Paragraphe 6 de l’arrêt. Le Vicomte Haldane fait reposer sa décision sur une interprétation littérale de la loi plutôt que sur des considérations morales.
- [364] Précitée, note 350.
- [365] Il s’agissait dans ce cas-ci de la vente d’une maison à un prix sous-évalué. Le juge Walsh ajoute : « Même s’il est probable que l’avantage conféré par l’acte de vente soit considéré comme une donation en droit québécois, aux fins de l’impôt sur le revenu, il faut interpréter la loi de façon uniforme à travers le Canada [...]. » Il s’appuie en particulier sur la décision de la Cour d’appel fédérale, R. c. Littler, [1978] C.T.C. 235 (C.A.F.). Dans cette affaire, le juge en chef Jackett affirme, à propos d’une décision de la Cour d’appel du Québec ayant reconnu les donations indirectes en matière fiscale, qu’elle ne doit pas être comprise comme ayant étendu la notion de don au Québec pour les fins de la législation fédérale : « [...] it should not be taken to extend the application of section 111 of the Income tax Act in the Province of Quebec beyond what it would be in another province. » 366 Précitée, note 353.
- [367] [1990] 1 C.T.C. 54 (C.F. 1re inst.).
- [368] Le juge cite un article du professeur Albert Mayrand, lequel attribue le principe d’équité à l’arrêt Smith du Conseil privé. Voici comment conclut le juge : « [...] il serait tout à fait inéquitable que les contribuables d’une province soient favorisés par le biais d’une loi provinciale face à l’application de la Loi qui doit viser également tous les contribuables canadiens. »
- [369] Précitée, note 340 :
« to be equitable, an income tax law must apply in general to the entire nation. In the present case it would not be fair because taxpayers in the Province of Quebec would enjoy an advantage that taxpayers in other provinces would not have. I feel it is clear that the legislator intended to include all leases, even emphyteusis [...]. »
- [370] Précité, note 312. Le juge fait référence à la théorie du code complet, mais ajoute : « au nom de l’uniformité d’application de cette loi fédérale et de l’égalité des contribuables devant le fisc, j’estime que par les termes du paragraphe 224(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu, le législateur fédéral a créé un mécanisme unique qui confère à sa disposition une autonomie véritable par rapport au droit privé. » Le principe ne fut pas invoqué par la Cour d’appel fédérale qui s’en remet à l’absence de silence du législateur quant aux règles de saisissabilité.
- [371] Construction Bérou inc. c. Canada, précité, note 264.
- [372] Le juge ajoute plus loin, en concluant que l’acquisition d’un bien aux fins d’allocation du coût en capital se produit lorsque les attributs ou accessoires normaux du titre, tels la possession, l’usage et le risque sont transférés, que « sur le plan pratique, cette interprétation a le mérite de reconnaître, pour une législation fiscale d’application pancanadienne, une réalité commerciale transfrontalière et d’éviter de s’enferrer dans un légalisme indû, sectoriel et par surcroît stérile et inéquitable à une époque où le droit civil tend à se rapprocher de la common law. » Il fait le même type de remarques, relatives à l’équité et l’uniformité par opposition aux disparités du droit provincial, en ce qui concerne le Bulletin d’interprétation IT- 233R du 11 février 1983 de Revenu Canada. La décision Construction Bérou est citée au même effet dans Hewlett Packard (Canada) Ltée c. R., précité, note 264.
- [373] [1993] 4 R.C.S. 695. Voir également à Markevich c. Canada, précité, note 298, par. 18. Dans cette dernière décision, la Cour suprême conclut toutefois que l’application d’un délai de prescription au recouvrement de créances fiscales ne porte pas atteinte aux principes d’équité horizontale et d’équité verticale.
- [374] Le principe d’équité verticale exige, selon le juge, que « l’incidence du fardeau fiscal repose davantage sur les riches que sur les pauvres. » La juge L’Heureux-Dubé les définit ainsi : « Le premier type [l’équité horizontale] vise à ce que soient imposés de la même façon les particuliers se trouvant dans des situations similaires, tandis que le second [l’équité verticale] porte sur l’imposition similaire de particuliers dans des situations différentes. » Sur l’historique de ce principe, formulé par la Commission Carter dans les années 1960, voir Peter W. HOGG, Joanne E. MAGEE et Ted COOK, Principes of Canadian Income Tax Law, 3e éd., Scarborough (Ontario), Carswell, 1999, p. 40.
- [375] Il ressort notamment du libellé de l’arrêt Smith du Conseil privé, précité, note 282 :
« Their Lordships can find no valid reason for holding that the words used by the Dominon Parliament were intended to exclude these people, particularly as to do so would be to increase the burden on those throughout Canada whose businesses were lawful. »
- [376] Le principe est fondé sur la « capacité de payer », et non sur la territorialité. Il s’applique par sous-groupes de contribuables. Pour un aperçu des considérations économiques qui gouvernent l’équité en droit fiscal, voir P.W. HOGG, J.E. MAGEE et T. COOK, op. cit., note 374. À noter, c’est surtout une analyse d’ordre économique qui était alléguée dans les arrêts Symes et Markevich, précités, respectivement notes 373 et 298.
- [377] Précité, note 357.
- [378] Nous avons examiné plusieurs décisions en droit de la faillite où les tribunaux ont préservé la compétence exclusive du Parlement du Canada d’établir l’ordre de priorité entre les créanciers. Le principe d’égalité des créanciers lors d’une faillite (sauf exception) a été invoqué dans certaines décisions pour déclarer inopérantes des dispositions législatives provinciales accordant un statut privilégié ou garanti à certaines créances. Voir notamment Québec (A.G.) c. Larue, [1928] A.C. 187 (C.P.) ; Re Automobile Gingras Ltée, [1962] S.C.R. 676 ; Sous-ministre du Revenu c. Rainville (Re Bourgault), [1980] 1 R.C.S. 35. Après réflexion, il nous apparaît cependant que ce principe d’égalité n’est pas tout à fait pertinent dans la présente analyse, puisque l’égalité paraît davantage ici l’effet de la loi fédérale (que les tribunaux s’occupent de protéger), qu’un principe qui gouvernerait l’interprétation ou l’application de la loi fédérale elle-même. Nous reviendrons sur ces décisions, plus pertinentes à notre avis dans l’analyse des procédés ayant recours à l’objet de la loi ou à l’autorité du législateur (dans ce cas-ci, la prépondérance fédérale).
- [379] Whitbread c. Walley, [1990] 3 R.C.S. 1273. La Cour évoque un argument d’équité et de logique dans ce domaine, par opposition au domaine du transport ferroviaire. Dans ce dernier, plus fortement intégré aux collectivités, l’uniformité pourrait être source d’injustice : « [...] s’il est très logique et même équitable de maintenir un régime distinct en ce qui concerne les règles du droit de la responsabilité délictuelle à l’égard de ceux qui se livrent à la navigation ou à la navigation et aux expéditions par eau, un tel régime serait, dans le cas des chemins de fer, dénué de sens et source de grande injustice [...] ».
- [380] Le principe est énoncé dans le préambule de la Charte canadienne des droits et libertés. L’expression citée est empruntée à l’exposé de Henri BRUN et Guy TREMBLAY, Droit constitutionnel, 4e éd., Cowansville (Québec), Éditions Yvon Blais, 2002, p. 686 : « Pour Dicey, la rule of law signifie aussi l’égalité de tous devant le droit, ou l’égale soumission de tous au droit. » Voir également l’exposé du second principe composant la primauté du droit selon Dicey, dans Halsbury’s Laws of England, 4th ed. (reissue), London, Butterworths, 1996, vol. 8(2), page 14, note infrapaginale 1 : « [...] (2) equality before the law or the equal subjection of all classes to the ordinary law of the land administered by the ordinary courts ; [...]. » Dans un essai portant notamment sur le sens de « ordinary law » dans le principe formulé par Dicey, voir H.W. ARTHURS, « Rethinking Administrative Law: A Slightly Dicey Business », (1979) 17 Osgoode Hall L.J. 1.
- [381] 381 H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 380, p. 686. Les auteurs se fondent sur cette affirmation : « La rule of law exclut plutôt l’existence de toute dispense générale qui placerait le gouvernant au-dessus du droit, de même que toute dispense particulière qui ne trouverait pas son fondement dans le droit. »
- [382] Voir l’énoncé des principes constitutionnels, dont fait partie le fédéralisme et la primauté du droit, dans Renvoi sur la sécession du Québec, [1998] 2 R.C.S. 217, par. 49 et suiv. À noter, la question a été analysée également au regard du droit à l’égalité prévu à l’article 15 de la Charte canadienne des droits et libertés. Dans un arrêt très intéressant rendu en matière de droit criminel, R. c. S. (S.), [1990] 2 R.C.S. 254, la Cour suprême a examiné justement l’intersection entre les principes du fédéralisme qui gouvernent le partage des compétences et permettent la diversité dans la fédération, et ceux qui protègent le droit à l’égalité en vertu de l’article 15 plus particulièrement. Voici ce que le juge Dickson affirme à propos de l’intersection de ces principes : « C’est un lieu commun de dire que la constitution canadienne trace une ligne de démarcation non seulement entre le particulier et l’État, mais aussi entre les paliers fédéral et provincial de gouvernement. Un problème survient à l’intersection de ces deux lignes de démarcation établies par la Constitution car elles représentent un conflit entre deux valeurs antagonistes – l’uniformité et la diversité ». Le juge énonce le principe suivant plus loin : « [...] il faut se rappeler que des différences dans l’application d’une loi fédérale peuvent représenter un moyen légitime de promouvoir les valeurs d’un système fédéral ». Ce passage a été cité dans un arrêt subséquent, Haig c. Canada (Directeur général des élections), [1993] 2 R.C.S. 995, à propos de la tenue d’un référendum distinct dans la province de Québec en vertu de la loi provinciale. Pour la majorité, la juge L’Heureux-Dubé écrit : « Manifestement, dans un système fédéral, les distinctions entre les provinces ne donnent pas automatiquement naissance à une présomption de discrimination. Le paragraphe 15(1) de la Charte, bien qu’interdisant la discrimination, n’apporte aucune modification au partage des pouvoirs entre les gouvernements ni n’exige que toutes les lois fédérales s’appliquent toujours de façon uniforme à toutes les provinces. »
- [383] Art. 94, Loi constitutionnelle de 1867, 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 5). Voir supra, Partie I, note 72.
- [384] Il serait exagéré de tirer du concept d’équité formulé à l’art. 12 de la Loi d’interprétation le principe de l’uniformité d’application des lois fédérales, étant donné notamment la version anglaise qui fait plus clairement référence aux qualités que doit avoir l’interprétation dans chaque situation en cause : « 12. Every enactment is deemed remedial, and shall be given such fair, large and liberal construction and interpretation as best ensures the attainment of its objects. » Il ne saurait donc s’agir d’un principe d’interprétation général des lois fédérales susceptible remettre en question celui formulé à l’art. 8.1 de la même loi. Il en va de même du paragraphe 8(1) de la même loi, relativement à la portée territoriale des lois fédérales, puisqu’il ne concerne pas comme tel la teneur des textes législatifs (à noter l’emploi de cet article en combinaison avec l’article 8.2 dans Sylvie Vallée et Louis Bouchard s/n Fiducie Sylvie Vallée c. La Reine, précité, note 281). À noter, par ailleurs, l’arrêt Markevich c. Canada, précité, note 298, dans lequel la Cour suprême a déterminé qu’un délai de prescription uniforme – et non un renvoi au droit provincial – s’applique en vertu de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif, L.R.C. (1985), c. C-50, art. 32, puisque le fait générateur est survenu « ailleurs que dans une province », c’est-à-dire au Canada. Le principe d’égalité repose ici, curieusement, sur une conception abstraite – ou territorialement unifiée – du Canada. Enfin, au sujet des arguments pragmatiques et de de la présomption d’uniformité du droit, cf. P.A. CÔTÉ, op. cit., note 257, p. 633.
- [385] Voir la partie précédente, section I.B.1.a).
- [386] R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 195. L’auteure distingue clairement l’interprétation destinée à identifier l’objet de la loi, et l’interprétation qui tient compte de l’objet pour déterminer le sens d’un texte. Voir également P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 257, p. 476 : « Il est important de distinguer l’intention-sens et l’intentionbut car ces deux éléments, tout en étant distincts, sont en interaction. C’est principalement grâce au sens des termes qu’utilise le texte législatif qu’il est possible d’en découvrir l’objet. En retour, l’objet d’une disposition, à titre d’élément de son contexte, contribue à en préciser la signification. » C’est à l’objet permettant de déterminer le sens d’une disposition – ou plus largement ses sources – que nous faisons ici référence principalement. En ce qui a trait à la distinction entre objet et effet de la loi en droit constitutionnel, cf. R. c. Big M Drug Mart Ltd., [1985] 1 R.C.S. 295, no 80 : «Toute loi est animée par un but que le législateur compte réaliser. Ce but se réalise par les répercussions résultant de l’opération et de l’application de la loi. L’objet et l’effet respectivement, au sens du but de la loi et de ses répercussions ultimes, sont nettement liés, voire inséparables. »
- [387] P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 257, p. 475 ; Ruth SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 204.
- [388] Supra, note 287. Voir également dans la partie précédente, section I.B.1.b), « rapport au droit commun ».
- [389] R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 201 et suiv.
- [390] Canada 3000 Inc., Re ; Inter-Canadien (1991) Inc. (Syndic de), précité, note 303,
- [391] L.C. 1996, c. 20.
- [392] Voir supra, note 303.
- [393] [1990] 3 R.C.S. 1273. Voir également, reprenant essentiellement les mêmes motifs, l’arrêt Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437. À noter cette phrase étonnante dans ce dernier arrêt : « L’importance de l’uniformité du droit maritime est universelle [rien de moins...] et ne change pas selon que l’événement se produit ou non le long des côtes. » (Nous soulignons).
- [394] Voici la citation complète : « L’assujettissement des bateaux de plaisance au domaine du droit maritime est encore appuyé, par voie d’analogie, par la jurisprudence sur la compétence du gouvernement fédéral en matière d’aéronautique. Si l’on considère que les eaux canadiennes forment un seul réseau de navigation, il devient évident que la navigation est très apparentée à l’aéronautique, et il me semble que la similitude des faits devrait conduire à un traitement constitutionnel similaire. » L’arrêt Canada 3000, précité, note 303, rendu en matière d’aéronautique, fait également référence par analogie à la jurisprudence du droit maritime.
- [395] Comparer Friesen c. Canada, précité, note 279 et Québec (Communauté urbaine) c. Corp. Notre-Dame de Bon-Secours, précité, note 262.
- [396] Voir par ex. Markevich c. Canada, précité, note 298, par. 18. Selon la Cour suprême, l’analyse téléologique de la Loi de l’impôt sur le revenu confirme que les dispositions sur le recouvrement n’excluent pas implicitement l’application de l’art. 32 de la Loi sur la responsabilité civile de l’État et le contentieux administratif (L.R.C. 1985, c. C-50), lequel prévoit l’application des règles provinciales de prescription lorsque le fait générateur est survenu dans la province. Voir l’utilisation de cet arrêt dans Canada (P.G.) c. Banque nationale du Canada, précité, note 298.
- [397] Précité, note 277.
- [398] La définition est ramenée au sens ordinaire de la common law tout en « supposant » que le sens est le même en droit civil. Voir nos remarques relativement à l’unité fondée sur le « sens ordinaire », supra, note 277. Le juge Sharlow fait aussi référence à l’historique législatif pour déterminer le sens et la portée de la définition du mot « bien ». Il conclut que la définition n’était pas « destinée », n’a pas été incluse « en vue de » couvrir le droit de faire concurrence. « On ne saurait attribuer [au mot « bien »] un sens qui étendrait la portée de la Loi de l’impôt sur le revenu au delà de ce que le législateur a envisagé. »
- [399] Précité, note 276.
- [400] Le but sous-entendu étant, selon notre compréhension, d’augmenter les recettes fiscales : « But one must not lose sight of the fact that what we are dealing with in this appeal is the interpretation of a statute of which the prime purpose is very well understood by all Canadians. » Pour un autre exemple, où la Cour d’appel fédérale s’en remet à une interprétation flexible de la notion de paiement adoptée dans une décision antérieure de la même cour, soit une interprétation fondée sur « le but clairement recherché par l’article », voir Commission de la Construction du Québec c. Canada (M.R.N.), précité, note 280. À noter, la Cour considère en obiter que la notion technique de paiement du droit civil est tout de même respectée en l’espèce. L’article 8.1 de la Loi d’interprétation avait été invoqué à cette fin.
- [401] Précité, note 258, par. 60. Voir aussi le par. 69 : «À mon avis, l’objet de la loi en l’espèce, soit l’encouragement concret donné aux usines de fabrication et de transformation, corrobore et renforce le “sens ordinaire” de la Loi. » (Cf. Sylvie Vallée et Louis Bouchard s/n Fiducie Sylvie Vallée c. La Reine, précité, note 281). À noter, par ailleurs, l’adéquation entre l’interprétation fondée sur le « sens clair » de la loi et celle fondée sur l’objet de la loi, dans un arrêt portant sur la fiducie présumée en matière d’impôts sur le revenu : First Vancouver Finance c. M.R.N., précité, note 320. On y lit notamment : « [...] le législateur n’a pu vouloir que l’employeur qui manque à ses obligations un jour et qui touche une somme importante le lendemain échappe en grande partie à l’application de la fiducie réputée et continue d’affecter les fonds détournés à l’exploitation de son entreprise. Une telle situation irait à l’encontre de l’intention du législateur d’accorder au ministre de grands pouvoirs de perception au moyen de la fiducie réputée. » Voir aussi, en ce sens, la décision Canada (P.G.) c. Banque nationale du Canada, précité, note 298.
- [402] Construction Bérou Inc. c. Canada, précité, note 264.
- [403] Hillis c. R., [1983] C.T.C. 348 (C.A.F.). « These provisions are stated to be for all purposes, but obviously that can mean only for all provincial purposes. They cannot be taken to intrude fictions for provincial purposes into the interpretation and operation of the Act. The latter takes its operation in the realities of the circumstances, subject only to such directives as it may itself prescribe. » À noter, au sujet d’une autre question relative à la prescription, les commentaires du juge à l’effet que la Loi doit recevoir une interprétation généreuse afin de respecter le but visé par le législateur.
- [404] Voir les décisions précitées, supra, notes 337 et 356. Sur cette question, l’approche fondée sur la complémentarité des droits provinciaux a été opposée à l’approche téléologique dans 9079-6038 Québec Inc. c. Canada (M.R.N.), 2005 CCI 743.
- [405] Vancouver Society of Immigrant and Visible Minority women c. M.N.R., précité, note 351, par. 28. Voir aussiTravel Just c. Canada Revenue Agency, précité, note 352, où la Cour d’appel fédérale exclut l’application du droit du Québec en l’absence d’opérations dans cette province.
- [406] A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), précité, note 352. Les décisions dans cette affaire démontrent que le procédé d’unification fondé sur des questions de finalité est intimement lié à la question de l’intention législative et, en définitive, de l’autorité : voir infra, note 419.
- [407] Banque de Nouvelle-Écosse c. Angelica-Whitewear, précité, note 343.
- [408] Sous-ministre du Revenu c. Rainville (Re Bourgault), précité, note 378. Voici comment s’exprime la Cour suprême à propos de l’al. 107 j) de la Loi sur la faillite : « Le but de cette partie de la disposition est évident. Le législateur fédéral a entendu mettre sur pied d’égalité toutes les dettes dues à un gouvernement ; il ne peut donc pas avoir voulu permettre que les lois provinciales accordent une autre priorité. » Voir également Re Reed ; Sous-ministre du revenu du Québec c. Franco, (1983) 49 C.B.R. n.s. 21 (C.A. Québec), consécutif à cet arrêt, où la Cour d’appel fait référence à deux buts généraux de la loi fédérale : la distribution ordonnée des biens et l’uniformité du régime d’insolvabilité et de faillite partout au Canada.
- [409] Banque canadienne impériale de Commerce c. Marcano, [1990] R.J.Q. 28 (C.A.) : « Si le législateur fédéral, par le truchement de la Loi de faillite, a jugé à propos pour des raisons sociales et humanitaires de libérer certaines personnes de leurs dettes civiles, cette libération que le législateur provincial n’avait pas à prévoir dans sa loi parce que ce n’était pas de sa compétence, n’en constitue pas moins un mode d’extinction. » Au sujet de la libération de dettes, cf. l’approche pragmatique de la Cour d’appel dans Hamel c. Hamel, précité, note 331.
- [410] Blaha c. Canada (minister of Citizenship & Immigration), précité, note 275. La loi citée est L.R.C. 1970, c. C-19.
- [411] Lorsque la tension entre le texte et l’objet se dissout au profit de l’objet, celui-ci n’ayant plus d’assise dans le texte, l’interprète en serait réduit, par exemple, à adopter des présomptions d’intention. Le risque est évidemment qu’il se substitue ainsi au législateur. Selon Ruth SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 199, il existe des cas où les tribunaux étirent le sens du texte afin de donner effet à un objectif clair. Voir à ce sujet l’analyse de P.-A. CÔTÉ, op. cit., note 257, p. 484-493.
- [412] Voir Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 4e éd. (feuilles mobiles), vol. 1, Scarborough (Ontario), Thomson-Carswell, 1997 (mise à jour « 2006 – Release 1 »), par. 15-28.
- [413] H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 380, p. 196. À noter, lorsqu’il s’agit de déterminer la validité d’un texte, la Constitution prévoit comme sanction le caractère « inopérant » de la disposition : Loi constitutionnelle de 1982, annexe B de la Loi de 1982 sur le Canada (1982, R.-U., c. 11), art. 52 (1). La version anglaise emploie l’expression « of no force or effect ». Quant à l’ambiguïté du terme en français, employé également lorsqu’une loi est valide mais déclarée inopérante en raison d’un conflit opérationnel, voir H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 380, p. 196 et suiv.
- [414] Précité, note 282.
- [415] Jugement rendu par le Vicomte Haldane : « The Dominion Parliament is in such a matter of taxation quasi sovereign, and it is not open to serious doubt that under sec. 91, the Dominion Parliament could tax the profits in question if it thought fit to do so, or that the fact that they arose from operations of traffic in liquor made illicit by the provincial legislation of a Province constitute no hindrance to such taxation, if the Dominion Parliament had clearly directed it to be imposed. » À noter que le juge renvoie aussi à des arguments téléologiques et à la règle du sens clair.
- [416] Précité, note 298.
- [417] Comme dans l’arrêt Smith, il s’agit donc en définitive d’une question d’interprétation législative tout simplement. À noter que le juge de première instance avait eu recours à la théorie du code complet (supra, note 312). Voir aussi Hillis c. R., précité, note 403, où la Cour d’appel fédérale, évoquant une sorte d’immunité, rejette l’application d’une fiction du droit provincial en ce qui concerne l’effet des testaments : « These provisions are stated to be for all purposes, but obviously that can mean only for all provincial purposes. They cannot be taken to intrude fictions for provincial purposes into the interpretation and operation of the Act. »
- [418] First Vancouver Finance c. M.R.N, précité, note 320, par. 26 et 34. Dans ces extraits, pour la simple raison qu’il s’agit d’un cadre législatif, la Cour donne clairement prééminence au « législateur » en matière de fiducie. Plus particulièrement, la question était de savoir si la Couronne pouvait revendiquer des biens acquis postérieurement à la matérialisation de la fiducie réputée et vendus ensuite à un tiers. La Cour écrit au par. 34 : « [...] la fiducie réputée étant établie par la loi, elle n’est pas assujettie aux exigences de la common law et, à cet égard, l’acquisition continue de biens détenus en fiducie ne pose pas de difficulté conceptuelle ». À noter, quant au premier point, que la Cour s’en remet à l’affaire Banque Royale du Canada c. Sparrow Electric Corp., précitée, note 320. Au sujet de l’autorité du Parlement en matière de fiducies présumées, voir aussi Newcourt Financial Ltd. c. Canada, 2004 CAF 91, par. 25 et 26, et cette autre décision de la Cour d’appel fédérale rendue le même jour, dans laquelle l’article 8.1 de la Loi d’interprétation est cité: Canada (P.G.) c. Banque nationale du Canada, précité, note 298, par. 49 et 50.
- [419] Canada (P.G.) c. Banque nationale du Canada, précité, note 298 : « La question de savoir s’il est opportun pour le législateur fédéral d’utiliser au Québec des concepts de common law (ou d’utiliser ailleurs au Canada des concepts de droit civil) pour donner effet aux lois fédérales ne relève pas du pouvoir judiciaire. La tâche des tribunaux se limite à déceler l’intention du législateur et d’y donner effet. » Voir aussi A.Y.S.A. Amateur Youth Soccer Association c. Canada (Agence du revenu), précité, note 406.
- [420] Friesen c. Canada, précité, note 279. Dans cette décision portant sur le sens du mot «entreprise», la Cour affirme ce qui suit: «Imposer une telle limite judiciaire au texte clair et net de la Loi, c’est en quelque sorte usurper la fonction législative du Parlement. » Un argument semblable est employé dans Manrell c. R., précité, note 277, où la Cour d’appel fédérale refuse d’étendre le sens du mot «bien» pour y inclure le droit de faire concurrence: «En l’espèce, on pourrait être fortement tenté de légiférer au lieu d’interpréter la loi.» À noter, l’arrêt Friesen est cité dans l’arrêt Markevich c. Canada, précité, note 298, par. 14, à propos de la règle selon laquelle on ne doit pas adopter une interprétation qui nécessite l’ajout de mots lorsqu’une autre interprétation, jugée raisonnable, ne nécessite pas un tel ajout.
- [421] Voir Re Giffen, [1998] 1 R.C.S. 91. Cet arrêt portait sur les droits d’un bailleur dans le cadre d’une faillite lorsqu’il n’a pas parfait sa sûreté conformément au PPSA. La Cour suprême distingue ce cas de ceux analysés dans le quatuor d’arrêts dont nous traiterons ensuite. Elle déclare (par. 64) : « Bien que la faillite soit clairement une matière fédérale et bien qu’il ait été établi que seul le législateur fédéral pouvait arrêter l’ordre de priorité en matière de distribution, il faut nécessairement se référer aux lois provinciales en matière de propriété et de droits civils pour définir les termes utilisés dans la LFI et les droits des parties impliquées dans la faillite. Le paragraphe 72(1) de la LFI prévoit précisément une interaction avec les lois provinciales. » Elle ajoute que le sous-alinéa 20(b)i) du PPSA de la Colombie-Britannique ne porte pas atteinte à l’ordre de priorité établi dans la LFI et constitue plutôt l’un des éléments du droit provincial servant à définir les droits des parties impliquées dans la faillite (par. 63). À ce sujet, voir également : International Harvester Credit Corp. of Canada Ltd. c. Bell’s Dairy Ltd. (Trustee of) (1986), 61 C.B.R. (n.s.) 193 ; Re Hannah, (1988) 68 C.B.R. (n.s.) 270 ; Paccar Financial Services Ltd. c. Sinco Trucking Ltd. (Trustee of), (1989) 73 C.B.R. (n.s.) 28. En ce qui concerne le droit civil québécois et les tentatives d’harmonisation avec les régimes de PPSA, voir comment la Cour suprême s’est portée à la défense d’une certaine orthodoxie civiliste : Lefebvre (Syndic de) ; Tremblay (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 326 ; Ouellet (Syndic de), [2004] 3 R.C.S. 348. Quant à cette problématique par rapport à la définition harmonisée de « créancier garanti » dans la Loi sur la faillite et l’insolvabilité, voir par la suite Maschinenfabrik Rieter, a.g. c. PriceWaterhouseCoopers Inc. (1 novembre 2005), Montréal 500-09-012686-028 (C.A); et Roy (Syndic de) (27 février 2006), Québec 200-09-005087- 058 (C.A.).
- [422] [1960] S.C.R. 571.
- [423] Précité, note 378.
- [424] L’analyse portant sur le caractère accessoire était fondé plus particulièrement sur l’Attorney-General of Ontario c. Attorney-General for Canada, [1894] A.C. 189.
- [425] Précité, note 378.
- [426] La créance est donc limitée à trois mois d’arrérages avant la faillite et au produit provenant de la réalisation des biens du failli. Quant aux améliorations, il s’agit selon la Cour d’une créance non garantie.
- [427] Il s’agit dans l’ordre de Sous-ministre du Revenu c. Rainville (Re Bourgault), précité, note 378 ; Deloitte Haskins and Sells Ltd. c. Workers’ Compensation Board, [1985] 1 R.C.S. 785 ; Banque fédérale de développement c. Québec (Commission de la santé et de la sécurité du travail), [1988] 1 R.C.S. 1061 ; et Colombie-Britannique c. Henfrey Samson Belair Ltd., précité, note 283. Un résumé de ces décisions et des principes qu’elles établissent est présenté dans Husky Oil Operations Ltd. c. Ministre du revenu national, précité, note 299, par. 10 et suiv., par. 132 et suiv. Les quatre arrêts portaient respectivement sur les questions suivantes : (i) le privilège de la Couronne enregistré sur un immeuble fait-il de celle-ci un « créancier garanti » au sens de la Loi sur la faillite ? (ii) une charge grevant les biens d’un employeur relativement à des cotisations impayées à un organisme gouvernemental fait-il de celui-ci un « créancier garanti » ? (iii) est-ce la loi fédérale ou la loi provinciale qui détermine l’ordre de priorité lorsqu’un créancier se prévaut d’une disposition de la Loi sur la faillite permettant de liquider sa garantie en dehors des procédures de faillite ? (iv) une fiducie réputée en vertu d’une loi provinciale relativement à une taxe de vente est-elle valide au sens de la Loi sur la faillite ou s’agit-il plutôt d’une réclamation privilégiée ?
- [428] Les juges minoritaires, dans les motifs du juge Iacobucci, s’en tiennent à cette interprétation restrictive du quatuor, tout en rejetant par ailleurs, comme la majorité, une interprétation large s’en remettant au « résultat final » selon lequel une loi provinciale tenterait de modifier l’ordre de priorité chaque fois qu’elle « touche » le sort d’une faillite (voir par. 30 et 139). À cet égard, le juge Gonthier, pour la majorité, rappelle que la Loi sur la faillite « dépend, pour son application, du droit provincial en matière de propriété » (par. 30).
- [429] Voir les par. 29 et suiv. des motifs du juge Gonthier. Le juge s’en remet à une analyse doctrinale, résumée en quatre points, à laquelle il ajoute deux principes additionnels.
- [430] Controverse examinée en rapport à la théorie du code complet, supra, note 312.
- [431] Voir par. 213. Une telle confusion et le recours à une « règle distincte en matière d’applicabilité » entraînent l’assimilation du test de conflit ou d’incompatibilité opérationnelle, qui rend une loi inopérante, avec la théorie des éléments essentiels (interjurisdictional immunity) qui la rend inapplicable. L’approche privilégiée par le juge Iacobbuci quant à la prépondérance a le mérite, selon lui, de favoriser plutôt la « coexistence » au détriment des « conflits » (par. 122).
- [432] Voir supra, note 300. Dans cet arrêt, il s’agissait notamment de déterminer si une loi provinciale exigeant l’approbation judiciaire de la saisie de biens entrait en conflit avec le régime de sûreté fédérale uniforme établi dans la Loi sur les banques, L.R.C. (1985), c. B-1.
- [433] Cf. Rothmans, Benson & Hedges c. Saskatchewan, précité, note 315, où l’argument du « champ occupé » fut rejeté par la Cour suprême. Dans la Partie I, nous avons fait état de cette approche favorisant l’étanchéité, sinon l’extension de la compétence fédérale : voir supra, section I.A.1. L’approche est critiquée dans H. BRUN et G. TREMBLAY, op. cit., note 380, p. 461 et 464. En ce qui a trait à la notion classique du conflit opérationnel, à savoir l’impossibilité de se conformer à deux lois en même temps, voir Multiple Access c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161. Dans l’arrêt Hall, la Cour applique une notion de conflit élargie consistant plutôt à déterminer si l’« intention » du Parlement est déjouée par la législation provinciale. À ce sujet, voir aussi l’arrêt Law Society of British Columbia c. Mangat, précité, note 302. Voir les commentaires de H. BRUN et G. TREMBLAY, id., p. 459 ; et Eugénie BROUILLET, «The federal Principle, the Balance of Power and the 2005 decisions of the Supreme Court of Canada », (2006) 34 Supreme Court Law Review307, à la p. 327.
- [434] R. SULLIVAN, op. cit., note 261, p. 95 et 103.
- [435] Voir Bell Canada c. Québec (CSST), [1988] 1 R.C.S. 749 ; Delgamuukw c. Colombie- Britannique, précité, note 318. Dans la première affaire, il s’agissait de savoir si les dispositions de la Loi sur la santé et la sécurité du travail, L.Q. 1979, c. 3, pouvaient s’appliquer à une entreprise fédérale. Dans l’énoncé des principes applicables, le juge Beetz écrit : « [...] des ouvrages, tels les chemins de fer fédéraux, des choses, telles les terres réservées aux Indiens, des personnes, telles les Indiens, qui relèvent de la compétence particulière et exclusive du Parlement, demeurent assujettis aux lois provinciales d’application générale, qu’il s’agisse de lois municipales, de lois sur l’adoption, de lois sur la chasse, de lois sur le partage des biens familiaux, pourvu toutefois que cet assujettissement n’ait pas pour conséquence que ces lois les atteignent dans ce qui constitue justement leur spécificité fédérale [...] » Dans un arrêt précédent, la Cour avait rejeté la prétention selon laquelle les lois provinciales d’application générale ne s’appliquent pas aux terres de la Couronne fédérale : Construction Montcalm c. Commission du salaire minimum, [1979] 1 R.C.S. 754. Seule la loi touchant des « éléments essentiels » de la compétence fédérale sera donc jugée inapplicable. Cette conclusion a été reprise, par rapport à la théorie des éléments essentiels, dans Commission de transport du Québec c. Commission des champs de bataille nationaux, [1990] 2 R.C.S. 838, lequel arrêt explicite par ailleurs la théorie des éléments essentiels.
- [436] Nous paraphrasons ici le juge Gonthier dans Commission de transport du Québec c. Commission des champs de bataille nationaux, précité, note 435.
- [437] L’unification du « droit maritime canadien » a été réalisée en grande partie depuis l’arrêt ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics, [1986] 1 R.C.S. 752. Pour un exemple de droit maritime fondé sur un texte législatif, voir Whitbread c. Walley, précité, note 379, où la Cour suprême a déterminé que les articles 647 et 649 de la Loi sur la marine marchande, L.R.C. 1970, c. S-9, concernant des règles de limitation de responsabilité, relèvent du pouvoir exclusif du Parlement en vertu de l’art. 91(10) de la Loi constitutionnelle de 1867.
- [438] Il s’agit du meilleur argument pour affirmer qu’il existe, contrairement à la conclusion à laquelle nous sommes arrivés dans la Partie I de ce mémoire (section I.A.2), un « droit commun fédéral » en matière de droit maritime. Sur cette question et la portée de l’expression « lois du Canada », voir Whitbread c. Walley, id. : « Autrement dit, l’art. 101 exige que toute compétence accordée à la Cour fédérale soit appuyée ou fondée sur un ensemble de règles de droit assujetties à la compétence législative du Parlement. Quant à la compétence de la Cour fédérale sur les questions maritimes et d’amirauté, cet ensemble de règles de droit est mentionné à l’art. 22 de la Loi sur la Cour fédérale comme étant le “droit maritime canadien” » (nous soulignons). On notera un certain glissement sémantique par rapport à l’expression « législation fédérale applicable » employée dans l’arrêt Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, [1977] 2 R.C.S. 1054.
- [439] Les tribunaux se sont fondés à quelques reprises sur la compétence en equity du droit anglais prévue dans la loi fédérale sur la faillite pour appliquer des règles de la common law au Québec. Voir à ce sujet nos références et remarques, supra, note 346.
- [440] N’excluons pas l’hypothèse que l’unification du droit privé fédéral se fonde à l’occasion sur la compétence inhérente des cours supérieures de justice. Voir Antoine LEDUC, « Les limites de la “juridiction inhérente” du tribunal et le cas du financement débiteur – exploitant (“DIP Financing”) en droit civil québécois », (2005) 39 R.J.T. 551.
- [441] Analyse effectuée principalement dans la trilogie d’arrêts Quebec North Shore Paper Co. c. Canadien Pacifique Ltée, précité, note 438 ; McNamara Construction (Western) Ltd. c. La Reine, [1977] 2 R.C.S. 654 ; et R. c. Thomas Fuller Construction Co. (1958) Ltd., [1980] 1 R.C.S. 695. Cette trilogie permet d’affirmer l’absence de droit commun fédéral et donc, le caractère pluriel du droit privé fédéral (voir nos commentaires à ce sujet dans la partie précédente, section I.A.2). Pour un exemple où le droit privé fédéral a été dissocié du droit privé des provinces en se fondant sur la compétence de la Cour fédérale, laquelle était fondée à son tour sur « un cadre législatif détaillé » en matière de contrat, voir R. c. Rhine, [1980] 2 R.C.S. 442.
- [442] Art. 22, Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. (1985), c. F-7. Cet article emploie l’expression « droit maritime canadien » définie à l’art. 2 de la même loi.
- [443] Nous tirons cette citation de l’arrêt Succession Ordon c. Grail, précité, note 393. Cet arrêt présente un résumé fort utile de la question. Voir également cette affirmation du juge McIntyre dans l’arrêt ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics,précité, note 437, qui a amorcé le mouvement d’unification récente du droit maritime : « Le droit maritime canadien est l’ensemble de règles de droit que définit l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale. Ce droit, c’est le droit maritime d’Angleterre qui a été incorporé au droit canadien ; ce n’est pas le droit d’une province canadienne. »
- [444] Art. 91(10), Loi constitutionnelle de 1867. Ces conclusions sont formulées dans Whitbread c. Walley, précité, note 379. Sur la portée de l’expression « lois du Canada », voir nos remarques, supra, note 438.
- [445] Whitbread c. Walley, id. : « Il s’ensuit que ces règles relèvent du pouvoir du Parlement et que cette conclusion ne dépend aucunement de l’application des doctrines du double aspect ou du caractère nécessairement accessoire. » Voir aussi Succession Ordon c. Grail, précité, note 393 : « Le droit maritime canadien est uniforme partout au Canada, et ce n’est pas le droit de quelque province canadienne. Tous les principes qu’il comprend constituent du droit fédéral et non une application accessoire du droit provincial. » Comparer avec la situation en matière de lettres de changes, où le renvoi à la common law à l’art. 9 de la Loi sur les lettres de change, L.R.C. (1985), c. B-4, a été limité par la jurisprudence au droit des effets de commerce « au sens strict », laissant ainsi la place à l’application du droit civil à titre supplétif. Quant au contraste entre droit maritime et droit des effets de commerce, voir J.-M. BRISSON et A. MOREL, loc. cit., note 326, p. 301. Au sujet de l’interprétation de l’art. 9, voir Jean LECLAIR, « L’interaction entre le droit privé fédéral et le droit civil québécois en matière d’effets de commerce : perspective constitutionnelle », (1995) 40 R. D. McGill 691.
- [446]Succession Ordon c. Grail, précité, note 393 ; Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., [1989] 2 R.C.S. 683. Dans cette dernière affaire, on retrouve à l’oeuvre la pensée du juge L’Heureux-Dubé, lorsqu’elle insite sur la pertinence de considérer le droit civil d’un point de vue comparatif étant donné son influence sur la formation du droit maritime anglais. Cf. les remarques de la juge L’Heureux-Dubé au sujet du droit conçu comme « toile de fond », dans 2747-3174 Québec Inc. c. Québec (Régie des permis d’alcool), [1996] 3 R.C.S. 919.
- [447] Voir nos références et remarques, supra, note 393.
- [448] Q.N.S. Paper Co. c. Chartwell Shipping Ltd., précité, note 446. Le saut est donc complet : de la compétence de la Cour fédérale, on est passé à la compétence du Parlement, et enfin à la compétence de l’ensemble des cours du pays. La question se pose de savoir si la compétence exclusive des provinces en matière de propriété et droits civils est respectée dans le domaine du droit maritime ? Le caractère fortement cohésif de la compétence fédérale en matière maritime a été analysé dans Jean LECLAIR, « L’impact de la nature d’une compétence législative sur l’étendue du pouvoir conféré dans le cadre de la Loi constitutionnelle de 1867 », Études juridiques en l’honneur de Jean Beetz, (1994) 28 R.J.T. 661. Le professeur établit une distinction entre l’analyse constitutionnelle de type « matériel » (application de critères de caractère pratique aux entreprises interreliantes dans le cadre de la théorie des éléments essentiels) et l’approche dite « analytique » (analyse juridique des concepts établissant les domaines de compétence). Il dévoile notamment comment l’adoption d’une analyse de type « matériel » en matière maritime a lié la détermination de la compétence du Parlement à celle de la Cour fédérale. Selon le professeur, une « interversion d’approche » fut opérée « en métamorphosant la compétence en matière de navigation et d’expéditions par eau en une compétence en matière d’affaire maritime » (p. 706). Ainsi, dit-il : « L’interprétation législative, dictée par un souci de donner une large juridiction à la Cour fédérale, a déterminé l’interprétation constitutionnelle. » (p. 707). Le professeur Leclair conclut enfin : « Le recours à une approche matérielle a donc pour résultante une extension démesurée du pouvoir exclusif du Parlement fédéral. » (p. 710).
- [449] Précité, note 393.
- [450] Nous trouvions déjà, dans l’arrêt ITO – International Terminal Operators c. Miida Electronics, précité, note 437, une analyse de cet ordre en ce qui a trait à la possibilité d’appliquer le droit civil à titre accessoire : « Le droit maritime canadien, tel qu’adopté historiquement au Canada, puis finalement incorporé dans le droit canadien par l’art. 2 de la Loi sur la Cour fédérale, inclut les principes de common law qui s’appliquent en matière d’amirauté. Ainsi, [...] les principes de common law ainsi incorporés constituent du droit fédéral et non une application accessoire du droit provincial. »
- [451] Quant aux autres domaines que celui de la négligence, la Cour suprême laisse une mince ouverture à l’application du droit provincial en droit maritime, par exemple en ce qui a trait à la procédure ou au droit fiscal. La question qu’il faut poser dans ces cas est la suivante : « [...] la disposition législative provinciale en cause a-t-elle pour effet de réglementer indirectement une question touchant les règles relatives à la négligence du droit maritime ? » Dans l’affirmative, il doit y avoir interprétation atténuée selon la Cour.
- [452] Voir à titre d’exemples : Renvoi relatif au mariage entre personnes du même sexe, [2004] 3 R.C.S. 698 ; Multiple Access Ltd. c. McCutcheon, [1982] 2 R.C.S. 161 ; Tomell Investments Ltd. c. East Marstock lands Ltd., [1978] 1 R.C.S. 974.
- [453] Voir General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, [1989] 1 R.C.S. 641. Dans cette affaire, on a examiné le droit d’action de nature civile créé par le Parlement dans la Loi sur les enquêtes et les coalitions, L.R.C. 1970, c. C-30, art. 31.1. Au sujet du critère d’intégration développé dans cet arrêt, critère faisant en sorte que l’« efficience de la loi l’emporte sur le caractère exclusif du partage des compétences », voir : J. LECLAIR, loc. cit., note 448, p. 715-716 (voir en particulier les commentaires formulés dans la note infrapaginale 105, p. 715).
- [454] General Motors of Canada Ltd. c. City National Leasing, précité, note 453.
- [455] Bien qu’il s’agisse d’une affaire en droit de l’environnement, voir R. c. Crown Zellerbach Canada Ltd., [1988] 1 R.C.S. 401 où la Cour suprême a eu recours à la théorie des dimensions nationales et aux critères d’« unicité, particularité et indivisibilité » afin de faire passer une mesure environnementale sous le pouvoir général du Parlement de faire des lois pour la « paix, l’ordre et le bon gouvernement ». Il n’est pas exclu que cette approche serve éventuellement à ramener sous la compétence du Parlement une matière de droit privé relevant en principe des provinces. Pour un exemple antérieur à l’arrêt Crown Zellerbach, relativement aux règles de responsabilité applicables à un cas de pollution inter-provinciale, voir Interprovincial Co- Operatives Ltd. c. Dryden Chemicals Ltd., [1976] 1 R.C.S. 477. Voir enfin, au sujet des arrêts Crown Zellerbach et General Motors of Canada que nous citons au présent paragraphe : Jean LECLAIR, « The Supreme Court of Canada’s Understanding of Federalism : Efficiency at the Expense of Diversity », (2003) Queen’s L.J. 411.
- [456] 30 & 31 Vict., R.-U., c. 3 (reproduit dans L.R.C. (1985), app. II, no 5).
- [457] John M. KERNOCHAN, « Statutory Interpretation : An Outline of Method », (1976- 1977) 3 Dalhousie L.J. 333, à la p. 333 : « Statutes were scattered islands in the ocean of common law. [...] But change has come and is currently at work at an astonishing pace. The islands of legislation have become much more numerous ; they have become archipelagoes in some areas. The islands have grown in size ; some are almost continents. »
- [458] Cette image évocatrice a été suggérée par notre directeur, le professeur Jean-Maurice Brisson.
- [459] Le juge Bastarache de la Cour suprême a fait référence à un « cadre législatif » en ce qui a trait aux articles 8.1 et 8.2 de la Loi d’interprétation : Michel BASTARACHE, « Les difficultés relatives à la détermination de l’intention législative dans le contexte du bijuridisme et du bilinguisme législatif canadien », dans Jean-Claude GÉMAR et Nicholas KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits / Jurilinguistics : Between Law and Language, Paris, Éditions juridiques Bruylant / Montréal, Éditions Thémis, 2003, 95, à la p. 111.
- [460] L.R.C. (1985), c. I-21.
- [461] Voir France ALLARD, « La Cour suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 3, p. 27 ; France ALLARD, « Entre le droit civil et la common law : la propriété en quête de sens », dans Jean-Claude GÉMAR et Nicholas KASIRER (dir.), Jurilinguistique : entre langues et droits / Jurilinguistics : Between Law and Language, Paris, Éditions juridiques Bruylant / Montréal, Éditions Thémis, 2003, 195 ; Louis LEBEL et Pierre-Louis LE SAUNIER, « L’interaction du droit civil et de la common law à la Cour suprême du Canada », (2006) 47 C. de D. 179, 202 et suiv. Voir également, à propos du « bijuridisme dérivé », Ruth SULLIVAN, « The Challenges of Interpreting Multilingual, Multijural Legislation », (2004) 29 Brook. J. Int’l. L. 985, 1043 et suiv. La métaphore du dialogue est invoquée aussi en droit public pour décrire l’interaction, non pas entre les traditions, mais entre les tribunaux et le législateur, sinon même entre ce dernier et les citoyens. Voir Jean LECLAIR, « Réflexions critiques au sujet de la métaphore du dialogue en droit constitutionnel canadien », (2003) R. du B. 377 (numéro spécial).
- [462] Un très bon exemple est fourni par l’analyse du juge Deschamps dans D.I.M.S. Construction inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général), [2005] 2 R.C.S. 564. Voir à ce sujet notre commentaire : Philippe DENAULT, « D.I.M.S. Construction Inc. (Syndic de) c. Québec (Procureur général) : La fin d’une controverse – Mise en oeuvre du principe de complémentarité par la Cour suprême du Canada », (2006) 27 R.P.F.S 235.
- [463] L’article 8.2 de la Loi d’interprétation impose dans une certaine mesure de lire les textes fédéraux avec la lorgnette du droit commun, en faisant référence à l’appartenance ou au sens d’un terme en droit civil ou en common law. Ceci étant, le droit commun d’une province ne saurait toujours se refléter dans le droit fédéral comme dans un miroir. Sur le sens du mot « propriété » et la confluence des traditions dans l’ordre juridique fédéral, voir par exemple F. ALLARD, « Entre le droit civil et la common law : la propriété en quête de sens », loc. cit., note 461.
- [464] Voir Michel BASTARACHE, « Le bijuridisme au Canada », dans L’harmonisation de la législation fédérale avec le droit civil de la province de Québec et le bijuridisme canadien, Deuxième publication, Ottawa, Ministère de la Justice du Canada, 2001, fascicule 1, 18, à la p. 25 : « Le bijuridisme au Canada est davantage que la simple coexistence des deux traditions juridiques. Il suppose le partage de valeurs et de traditions. » Voir aussi Charles D. GONTHIER, « Quelques réflexions sur le bijuridisme – Convergence et valeurs », (2003) 33 R.G.D. 305, 317 : « Nous sommes tous en cheminement par des voies dont l’aire commune va en s’élargissant. »
- [465] Voir seulement Peter W. HOGG, Constitutional Law of Canada, 4e éd. (feuilles mobiles), vol. 1, Scarborough (Ontario), Thomson-Carswell, 1997 (mise à jour « 2005 – Release 1 »), par 8.5 : « The assumption of the [Supreme Court of Canada], which is shared by the Canadian bar, is that, wherever variations can be avoided, Canadian law, whether federal or provincial, should be uniform. ». Voir Lake Erie & Detroit River Railway c. Marsh (1904) 35 S.C.R. 197 (C.S.C.) : «We think it was the intention of the framers of the Act creating this court that a tribunal should be established to speak with authority for the Dominion as a whole and, as far as possible, to establish a uniform jurisprudence, especially within matters falling within section 91 of the B.N.A. Act, where the legislation is for the Dominion as a whole, or, as I have said, where purely provincial legislation may be of general interest throughout the Dominion ». Sur le rôle de la Cour suprême à l’égard du droit civil, consulter F. ALLARD, « La Cour suprême du Canada et son impact sur l’articulation du bijuridisme », loc. cit., note 461 ; et L. LEBEL et P.-L. LE SAUNIER, loc. cit., note 461. Voir aussi les études publiées dans Gérald-A. BEAUDOIN (dir.), La Cour suprême du Canada – The Supreme Court of Canada, Cowanswille (Québec), Éditions Yvon Blais, 1986. Si l’on veut poursuivre cette réflexion, on consultera avec profit la bibliographie publiée dans Luc HUPPÉ, Le régime juridique du pouvoir judiciaire, Montréal, Wilson & Lafleur, 2000, p. 51 et suiv.
- [466] Sur le pouvoir du juge de créer le droit, pouvoir différent dans les deux systèmes, on consultera à titre préliminaire Gisèle LAPRISE, Les outils du raisonnement et de la rédaction juridiques, Montréal, Les Éditions Thémis, 2000 ; Albert MAYRAND, « L’autorité du précédent au Québec », dans Études juridiques en l’honneur de Jean Beetz, (1994) 28 R.J.T. 773 ; Pierre-Gabriel JOBIN, « Les réactions de la doctrine à la création du droit par les juges : les débuts d’une affaire de famille », (1980) 21 C. de D. 258 ; Adrian POPOVICI, « Dans quelle mesure la jurisprudence et la doctrine sontelles source de droit au Québec ? », (1973) 8 R.J.T. 189.
- [467] Arthur RIMBAUD, Une saison en enfer, « Adieu » : « [...] Il faut être absolument moderne. / Point de cantiques : tenir le pas gagné. Dure nuit ! le sang séché fume sur ma face, et je n’ai rien derrière moi, que cet horrible arbrisseau ! ... Le combat spirituel est aussi brutal que la bataille d’hommes ; mais la vision de la justice est le plaisir de Dieu seul. [...] ».
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