Les problèmes juridiques de la vie quotidienne
La nature, l'étendue et les conséquences des problèmes justiciables vécus par les Canadiens

Chapitre IV : La gravité des problèmes justiciables

La recherche avait pour but de cerner les problèmes justiciables vécus par la population qui satisfaisaient à deux critères. D'abord, les problèmes devaient constituer des problèmes juridiques ayant une teneur juridique, auxquels il était possible d'apporter une solution juridique. Ensuite, les problèmes devaient avoir une certaine gravité. Il n'était pas difficile de satisfaire au premier critère. Comme le contenu juridique des 80 questions particulières concernant l'existence de problèmes justiciables a été contrôlé avec soin lors de l'élaboration du questionnaire, la nature juridique des problèmes signalés par les répondants fait peu de doute. Les répondants devaient répondre par « oui » ou par « non » à la question de savoir s'ils avaient déjà eu des problèmes particuliers ayant un aspect juridique.

Il n'est toutefois pas aussi simple de contrôler le degré de gravité des problèmes justiciables signalés par les personnes qui y ont été confrontées que de contrôler le contenu juridique des problèmes. On a tenté, en employant les expressions « grave » et « difficile à régler » dans les questions, d'éviter que les répondants fassent mention de problèmes sans importance. Cependant, comme le sens des expressions « grave » et « difficile à régler » est laissé au jugement subjectif des répondants, il peut y avoir une certaine ambiguïté car ce jugement varie d'une personne à l'autre. Dans le présent chapitre, nous examinerons la variabilité inhérente aux réponses basées sur des évaluations subjectives en analysant les problèmes qualifiés de graves et difficiles à régler par les répondants dans la section portant sur l'identification des problèmes en rapport avec deux critères : la gravité des problèmes et l'importance de les régler.

Les termes employés dans le questionnaire forçaient les répondants à mentionner seulement les problèmes qu'ils considéraient comme graves et difficiles à régler. Une question en ce sens leur était posée au début de l'entrevue. Plus tard au cours de l'entrevue, une question précise leur était posée au sujet de la gravité : à quel point le problème avait-il rendu leur vie quotidienne difficile? Les répondants devaient également dire à quel point il était important pour eux de régler le problème. Cet aspect était lié au critère « difficile à régler ». Évidemment, ce n'est pas parce qu'une personne considère qu'un problème est grave que celui-ci lui rend nécessairement la vie difficile. Par ailleurs, qualifier un problème de difficile à régler n'implique pas nécessairement qu'il doit être important de le régler. Aussi, les données additionnelles concernant la gravité des problèmes ou la difficulté à les régler ne changent rien aux résultats obtenus précédemment. Elles permettent toutefois d'évaluer l'efficacité des expressions « grave » et « difficile à régler », employées dans la partie du questionnaire portant sur l'identification des problèmes, pour établir une distinction entre les problèmes graves et les problèmes non graves. De plus, les résultats permettront d'en savoir davantage sur la variabilité ou l'élasticité des notions étudiées. Le lecteur pourra ainsi mieux comprendre les résultats[142].

Importance de régler les problèmes

Les répondants devaient préciser à quel point il était important pour eux de régler le problème, en utilisant une échelle de 1 - très important - à 5 - pas du tout important. Cette échelle se rapporte à la notion de « difficile à régler ». Il n'existe pas de lien logique parfait entre dire qu'un problème est difficile à régler et à quel point il est important de le régler. Les répondants devaient cependant vouloir régler tout problème qu'ils considéraient comme grave et difficile à régler. Le tableau 24 montre l'évaluation, faite par les répondants, de l'importance de régler le problème[143]. Une large proportion des répondants, 86,7 %, ont indiqué qu'il était important dans une certaine mesure de régler leur problème justiciable. En fait, plus de 60 % des répondants ont dit qu'il était extrêmement important ou très important de régler le problème. Ces données confirment l'efficacité du libellé des questions de sélection pour faire ressortir les problèmes difficiles à régler.

Tableau 24 : Importance de régler les problèmes
Importance de régler le problème Nombre Pourcentage Pourcentage cumulatif
Extrêmement important 1 726 30,1 30,1
Très important 1 879 32,8 62,9
Un peu important 1 365 23,8 86,7
Pas très important 478 8,3 95,1
Pas du tout important 284 5,0 100,0

Gravité des problèmes causant des difficultés aux répondants dans leur vie quotidienne

Les répondants devaient aussi indiquer dans quelle mesure chaque problème perturbait leur vie. Cette information a trait à la gravité. Il est tout à fait possible cependant que les répondants qualifient un problème de très grave sans pour autant considérer qu'il perturbe leur vie quotidienne. Le tableau 25 montre le pourcentage global de répondants qui ont déclaré que, dans une certaine mesure, le problème avait rendu leur vie difficile. Près de 60 % (58,9 %) des répondants ont indiqué que le problème avait rendu leur vie un peu ou extrêmement difficile. Bien que les pourcentages ne soient pas aussi élevés que dans le cas de l'importance de régler le problème, les résultats semblent permettre de croire à l'efficacité du libellé employé pour cerner les problèmes graves. On peut supposer que la plus grande partie des problèmes mentionnés dans l'enquête peuvent être raisonnablement qualifiés de graves ou de difficiles à régler pour les personnes qui les ont subis.

Tableau 25 : Difficultés causées par les problèmes dans la vie quotidienne
Difficultés causées par le problème dans la vie quotidienne Nombre Pourcentage Pourcentage cumulatif
Extrêmement difficile 629 11,0 11,0
Très difficile 843 14,7 25,7
Un peu difficile 1 902 33,2 58,9
Pas très difficile 1 074 18,7 77,6
Pas du tout difficile 1 281 22,4 100,0

Gravité subjective des types de problèmes

Les problèmes ne sont pas tous aussi graves pour les personnes qui les subissent. Seulement 10,4 % des répondants qui ont eu un problème lié à la consommation ont dit que celui-ci avait énormément ou beaucoup perturbé leur vie, alors que 59,3 % ont dit que le problème n'avait pas beaucoup perturbé ou n'avait pas du tout perturbé leur vie. Par ailleurs, 47,5 % des répondants ayant signalé un problème lié à la consommation ont dit qu'il était extrêmement important de le régler, comparativement à 18,8 % qui ont dit qu'il n'était pas très important ou pas du tout important de le régler. Les données sont totalement différentes dans le cas des problèmes relevant du droit de la famille : 32,9 % des répondants ont affirmé que l'éclatement de la famille avait considérablement perturbé leur vie, alors que 16,4 % ont mentionné que la situation n'avait pas beaucoup ou pas du tout perturbé leur vie. Dans ce cas, 50 % des répondants ont choisi la réponse médiane, soit que la situation avait un peu perturbé leur vie. De la même façon, 59,4 % des répondants ont dit que les autres problèmes relevant du droit familial avaient énormément ou beaucoup perturbé leur vie, alors que seulement 6,5 % ont indiqué que le problème n'avait pas beaucoup perturbé leur vie. Le tableau 26 montre les indicateurs de gravité pour tous les types de problèmes.

Tableau 26 : Gravité subjective des problèmes de justice civile

Élasticité des notions de gravité et de difficulté

Le tableau 27 montre le nombre total de problèmes justiciables par rapport au nombre de problèmes qu'il était très ou un peu important de régler[144]. La baisse de pourcentage du nombre de problèmes entre tous les problèmes et les problèmes qu'il était, selon les répondants, important de régler traduit l'efficacité des termes employés dans le questionnaire. De plus, la différence entre le nombre total de problèmes et le nombre de problèmes qu'il était important de régler d'après les répondants donne une idée de l'élasticité de la notion de problème justiciable. Plus le pourcentage est bas, plus la notion d'un problème justiciable qui peut être considéré comme grave et difficile est élastique. Environ 80 % (80,9 %) des répondants qui avaient indiqué avoir eu un problème en matière de consommation l'ont qualifié de grave et de difficile à régler, avant de dire qu'il était relativement important pour eux de le régler. Même si l'expression « difficile à régler » a eu le moins d'effet sélectif dans le cas des problèmes liés à la consommation, il est à noter que la concordance de 80 % est la plus faible de tous les types de problèmes. Cela ne veut pas dire que les autres 20 % des problèmes liés à la consommation devraient être exclus du calcul de l'incidence des problèmes justiciables. On a déjà soutenu que le fait que les répondants indiquent qu'ils n'ont pas tenté de régler un problème ne signifie pas nécessairement que le problème est sans importance. De la même façon, dire qu'il n'était pas très important ou pas du tout important de régler un problème ne veut pas nécessairement dire que le problème ne satisfait pas à un critère de difficulté nécessaire pour être inclus dans l'échantillon. Cela signifie plutôt que, même si l'élasticité de ce type de problème ne semble pas très grande, il faut en tenir compte quand on considère des aspects de l'analyse concernant des problèmes liés à la consommation. Les autres types de problèmes montrent différents degrés d'élasticité. Ainsi, il y a une concordance entre 80 et près de 100 % entre les critères formulés dans le questionnaire et les évaluations subséquentes de l'importance rattachée au règlement du problème.

Tableau 27 : Problèmes justiciables : Important de régler
Type de problème Nombre total de problèmes Nombre de problèmes qu'il était important de régler Pourcentage
Consommation 1 480 1 197 80,9 %
Emploi 1 421 1 261 88,7 %
Endettement 1 444 1 243 86,1 %
Aide sociale 49 45 91,8 %
Pensions d'invalidité 48 45 93,8 %
Logement 95 85 89,5 %
Immigration 35 34 97,1 %
Discrimination 91 74 81,3 %
Intervention policière 103 88 85,4 %
Éclatement de la famille 224 227 93 %
Autres problèmes relevant du droit de la famille 68 67 98,5 %
Testaments et mandats 330 308 93,3 %
Blessures corporelles 161 153 95 %
Hospitalisation et congé 86 82 95,3 %
Menace de poursuites judiciaires 51 44 86,3 %
Total 5 655 4 953 87,6 %

Le tableau 28 montre la baisse du nombre de problèmes justiciables lorsqu'on tient compte seulement des problèmes qui, selon les répondants, ont rendu leur vie très ou un peu difficile. Évidemment, une personne peut avoir un problème grave qui ne rend pas sa vie difficile. Par contre, un problème qui rend la vie d'une personne difficile est nettement plus grave, à tout le moins selon l'évaluation qualitative qu'en fait cette personne. La différence entre les problèmes que les répondants ont qualifié de graves et les problèmes qu'ils ont dit être graves au point de rendre leur vie difficile donne une deuxième indication de l'élasticité de la notion de problème grave et difficile. Ces résultats devraient dissiper tout doute concernant la fiabilité de la méthodologie, même si les réponses sont subjectives et les données, qualitatives.

Tableau 28 : Problèmes justiciables - Problèmes ayant rendu la vie difficile
Type de problèmes Nombre total de problèmes Nombre de problèmes qui ont rendu la vie difficile Pourcentage
Consommation 1 480 639 43,2 %
Emploi 1 421 978 68,8 %
Endettement 1 444 721 49,9 %
Aide sociale 49 38 77,6 %
Pensions d'invalidité 48 43 89,6 %
Logement 95 65 68,4 %
Immigration 35 29 82,9 %
Discrimination 91 64 70,3 %
Intervention policière 103 59 57,3 %
Éclatement de la famille 224 208 85,2 %
Autres problèmes relevant du droit de la famille 68 63 92,6 %
Testaments et mandats 330 228 79 %
Blessures corporelles 161 136 88,9 %
Hospitalisation et congé 86 69 84,1 %
Menace de poursuites judiciaires 51 29 65,9 %
Total 5 655 3 369 59,6 %

Comparativement à la baisse de l'incidence des problèmes lorsque les répondants ont manifesté le désir de régler le problème, l'incidence des problèmes justiciables graves est réduite de façon beaucoup plus marquée lorsque seuls les problèmes qui ont perturbé la vie des répondants sont pris en compte. Cependant, on peut penser sans trop se tromper qu'un problème qui rend difficile la vie d'une personne est un problème grave. Ici également, c'est dans le cas des problèmes liés à la consommation que la différence est la plus grande entre tous les problèmes signalés et les problèmes qui ont rendu la vie des répondants difficile. Il est toutefois remarquable de constater qu'entre 40 et 90 % environ des problèmes, selon le type, étaient suffisamment graves pour rendre difficile la vie des gens. Encore une fois, ces données laissent croire que les termes employés dans la partie de la recherche portant sur l'identification des problèmes ont permis de faire ressortir les problèmes graves.

Le tableau 29 montre le nombre estimé de problèmes, par type, lorsque la norme plus rigoureuse combinant l'importance du problème et le fait que la vie est devenue difficile est utilisée. Lorsque l'on compare les tableaux 5 et 6, la baisse du nombre de problèmes justiciables graves découlant de l'application des deux critères n'est pas importante comparativement à celle obtenue en appliquant la norme de la vie rendue difficile.

Tableau 29 : Problèmes justiciables - Problèmes importants qui ont rendu la vie difficile
Type de problèmes Nombre total de problèmes Nombre de problèmes qu'il était important de régler et qui ont rendu la vie difficile Pourcentage
Consommation 1 480 600 40,5 %
Emploi 1 421 929 65,4 %
Endettement 1 444 701 48,5 %
Aide sociale 49 38 77,5 %
Pensions d'invalidité 48 43 89,6 %
Logement 95 63 66,3 %
Immigration 35 29 82,9 %
Discrimination 91 64 65,9 %
Intervention policière 103 56 54,5 %
Éclatement de la famille 224 204 83,6 %
Autres problèmes familiaux 68 62 91,2 %
Testaments et mandats 330 225 68,2 %
Blessures corporelles 161 135 83,9 %
Hospitalisation et congé 86 69 84,1 %
Menace de poursuites judiciaires 51 28 54,9 %
Total 5 655 3 234 57,3 %