Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants

VI.  Conclusions

2.0  Facteurs environnementaux influant sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers auprès des jeunes

Deux grandes sources d'influence sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers sont l'environnement dans lequel le service de police est situé et la façon dont le service lui-même est structuré. Les services de police travaillent dans un environnement complexe qui comprend, entre autres, la nature de la collectivité locale, les lois fédérales et provinciales, les politiques, procédures et programmes, les ressources publiques et privées ainsi que l'opinion publique. Les policiers n'ont que peu de contrôle sur leur environnement de travail et les organismes gouvernementaux fédéraux ou provinciaux ne peuvent non plus compter avoir une incidence immédiate sur certains aspects importants de l'environnement policier, par exemple le degré d'urbanisation, les caractéristiques socio-démographiques ou le niveau et le type de criminalité dans les collectivités desservies. Par contre, les gouvernements provinciaux ont certainement le pouvoir de modifier d'autres aspects de l'environnement policier qui influent sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire, à savoir la relation du ministère public avec les policiers et, par-dessus tout, l'existence de programmes vers lesquels il est possible de diriger les jeunes comme solution de rechange au dépôt d'accusations (et à l'occasion, à la détention par la police).

De nombreux policiers nous ont dit que la disponibilité de ressources extérieures vers lesquelles ils peuvent orienter les jeunes qu'ils arrêtent est un aspect crucial de leur capacité à éviter de porter une accusation. Cette disponibilité varie grandement. Les ressources extérieures sont beaucoup plus courantes dans les régions métropolitaines que dans les banlieues et les collectivités exurbaines ou, en particulier, dans les collectivités rurales et les petites municipalités. Toutefois, les policiers sont d'avis qu'elles sont insuffisantes peu importe le type de collectivité et la région. Peu importe la province et le territoire, les agents estiment qu'ils ne disposent pas des ressources extérieures nécessaires pour s'occuper efficacement des jeunes aux prises avec l'alcool ou la drogue, ceux qui ont de la difficulté à maîtriser leur colère ou qui souffrent de maladie mentale (notamment du syndrome d'alcoolisme fœtal ou d'effets de l'alcool sur le fœtus). Les représentants de nombreux services de police nous ont dit qu'il n'y avait absolument aucun programme destiné aux adolescents aux prises avec ces problèmes. L'absence de programme de déjudiciarisation convenable a une incidence sur l'augmentation du dépôt d'accusations et du maintien en détention. En l'absence d'organismes auxquels les policiers peuvent confier un adolescent ayant besoin de supervision ou d'intervention immédiate, ils se sentent parfois forcés de garder l'adolescent en attendant une audience sur le cautionnement.

Nous avons examiné plusieurs caractéristiques de la collectivité dans laquelle les policiers travaillent. Certaines études, en particulier aux États-Unis, ont révélé que l'urbanisation est liée à des taux de criminalité plus élevés et à la prise de mesures officielles plus fréquentes par les policiers, tandis que l'on retrouve moins de criminalité et une atmosphère plus conviviale dans les régions rurales et dans les petites municipalités et, par conséquent, les policiers y prennent plus souvent des mesures officieuses. Au Canada, il n'y a pas de lien entre l'urbanisation et le taux de criminalité. Les taux sont aussi élevés dans les petites municipalités que dans les grandes villes. Cependant, la gravité des crimes avec violence et des crimes contre les biens est plus grande et le nombre de crimes liés à des gangs est plus élevé dans les régions métropolitaines. Une autre grande différence entre les contextes canadiens et américains tient au fait que dans la plupart des régions rurales et des petites municipalités au Canada, les services de police sont assurés par des détachements de trois très grands, très professionnels et très bureaucratiques services de police, c'est-à-dire la GRC, la PPO et la Sûreté du Québec, tandis qu'aux États-Unis, les petites villes et les régions rurales sont souvent desservies par des shérifs élus ou par policiers recrutés au niveau local. Les constatations découlant des entrevues nous portent à croire que le style d'intervention policière est différent dans les régions rurales et dans les petites municipalités et qu'il y a également des différences entre le travail policier dans les centres urbains et dans leurs banlieues et régions exurbaines. Les collectivités rurales et les petites municipalités ont un climat social distinctif qui semble influer également sur les décisions des policiers. Comme les gens se connaissent davantage dans les régions rurales et les petites municipalités, les policiers sentent qu'ils ont davantage de comptes à rendre à la collectivité. Par ailleurs, les commandants de détachements de la GRC et la PPO sont comptables envers leurs supérieurs et, en dernière analyse, leurs quartiers généraux à Ottawa ou à Orillia. Les agents des collectivités rurales et des petites municipalités que nous avons interviewés, peu importe qu'ils travaillent dans des services municipaux indépendants ou dans des détachements de la GRC ou de la PPO, ont laissé entendre que les collectivités qu'ils desservent veulent que la police soit sévère à l'égard de la criminalité juvénile mais sans incarcérer leurs jeunes. Les policiers semblent prendre plus souvent des mesures officieuses dans les régions rurales et dans les petites municipalités, mais recourir moins souvent à la déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations que les policiers des régions métropolitaines et des banlieues. Les services de police des régions rurales et des petites municipalités ainsi que ceux des banlieues et des régions exurbaines sont particulièrement susceptibles de n'avoir aucun organisme extérieur vers lequel orienter les adolescents : près de la moitié des policiers que nous avons interviewés dans les collectivités non métropolitaines ont dit ne jamais renvoyer des adolescents vers des organismes extérieurs. Les policiers des collectivités rurales et des petites municipalités ainsi que des banlieues et des régions exurbaines sont plus susceptibles d'utiliser la citation à comparaître parce qu'ils n'éprouvent pas autant de difficultés que leurs homologues des grands centres à la signifier; et les policiers des régions rurales et des petites municipalités sont moins susceptibles de détenir un jeune pour une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire parce que la distance de l'établissement de détention pour adolescents le plus proche rend l'accès problématique autant pour les policiers que pour la famille de l'adolescent.

Pour ce qui est du taux de criminalité juvénile dans la collectivité, 29 % des services de police ont dit qu'il était « élevé », 17 % « peu élevé » et le reste, « normal ». Il est plus courant qu'on perçoive les taux de criminalité juvénile comme élevés dans les Prairies et les Territoires et dans les régions métropolitaines. Les données tirées de la DUC révèlent que les services de police dans les collectivités où les policiers ont dit avoir un taux « peu élevé » de criminalité juvénile ont des taux plus élevés de dépôt d'accusations contre les adolescents arrêtés que d'autres collectivités, ce que les données des entrevues confirment. Cela nous permet de supposer que les policiers ont tendance à exercer davantage leur pouvoir discrétionnaire s'ils ont indiqué que le taux de criminalité juvénile est élevé dans leur territoire. Ils sont plus susceptibles d'utiliser diverses formes de mesures officieuses et de déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations et sont plus susceptibles d'utiliser la détention en vue d'une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire et d'invoquer des motifs « légalistes » plutôt que sociaux pour expliquer la détention.

Quand nous les avons interrogés sur les catégories de criminalité juvénile caractéristiques de leurs régions, il n'est pas étonnant que les agents de la plupart des services de police aient dit faire face à des taux élevés de crimes mineurs contre les biens et de voies de fait mineures. Les trois quarts des services de police rapportent également des taux élevés de crimes graves contre les biens commis par des jeunes, en particulier l'introduction par effraction. Le quart des répondants ont fait état de crimes avec violence graves. Ces derniers étaient plus fréquents dans les régions métropolitaines et dans les provinces des Prairies. Le quart des répondants mentionnent un problème lié aux gangs de jeunes qui sont également plus fréquents dans les régions métropolitaines et dans les Prairies. Fait étonnant, 80 % des services de police de notre échantillon perçoivent un grave problème de criminalité lié aux stupéfiants chez les adolescents de leurs territoires. Ils sont répartis sur l'ensemble des provinces et des territoires et dans toutes les catégories de collectivités, bien que ces problèmes soient légèrement plus fréquents dans les territoires et dans les régions métropolitaines. Dans 14 % des services de police, lesquels étaient tous, sauf un, situés dans des régions métropolitaines, on faisait état d'un problème de prostitution juvénile. Nous n'avons relevé aucune relation significative entre les catégories de criminalité juvénile rapportées dans une région et l'exercice du pouvoir discrétionnaire auprès des adolescents dans cette région.

Les écrits sur l'histoire des relations entre la police et les Autochtones au Canada laissent croire qu'elles ont été caractérisées par le conflit et la méfiance réciproque. Quarante-deux pour cent des services de police de notre échantillon déclarent avoir compétence sur des populations importantes d'Autochtones vivant ou non dans des réserves. On les retrouve le plus souvent dans les Territoires, en Colombie-Britannique et dans les Prairies. Les données tirées de la DUC révèlent que les services de police qui desservent des populations d'Autochtones hors réserve affichent des taux de dépôt d'accusations légèrement plus élevés que les autres services de police. Les entrevues révèlent que les services de police ayant compétence sur des populations autochtones sont légèrement plus susceptibles que d'autres services de police d'utiliser des mesures officieuses, deux fois plus susceptibles de renvoyer les adolescents vers un programme de justice réparatrice, moins susceptibles d'employer des sommations ou des citations à comparaître, plus susceptibles d'utiliser la promesse de comparaître et la promesse envers un agent responsable et plus susceptibles d'utiliser la détention pour une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire si l'adolescent est un récidiviste, s'il est sous l'effet de l'alcool ou de drogue ou s'il faut assurer sa sécurité.

La façon dont les répondants décrivent les relations entre la police et la collectivité dans leurs régions est compatible avec les résultats d'études antérieures. Environ les deux tiers des répondants sont d'avis que la collectivité est généralement satisfaite ou très satisfaite de la police; dans le quart des cas, les évaluations sont plutôt neutres ou mitigées et dans 14 % des cas, les policiers considèrent que l'attitude de la collectivité n'est que quelque peu ou pas favorable. Les policiers des banlieues et des régions exurbaines sont plus susceptibles de penser que la collectivité est généralement ou très favorable; ceux des régions rurales et des petites municipalités étaient légèrement plus susceptibles de penser que la collectivité est généralement ou très favorable que les policiers des régions métropolitaines. Les policiers de la Colombie-Britannique et des Prairies et ceux qui desservent une population autochtone importante sont moins susceptibles que les autres policiers d'être d'avis que la collectivité est généralement ou très favorable. Nous n'avons relevé aucun lien entre l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers auprès des jeunes et le niveau perçu de soutien de la collectivité.