Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
V. Facteurs conjoncturels influant sur le pouvoir discrétionnaire de la police
8.0 L'attitude
Doob a constaté que la décision du policier sur le traitement d'un dossier acheminé à un bureau des jeunes dépendait grandement de « l'attitude »
de l'adolescent et des « gestes posés lors des contacts avec la police »
, par exemple, s'il admettait son infraction (1983 : 161; Doob et Chan, 1982).
Nous résumons à la figure V.6 les résultats des réponses des policiers sur l'importance qu'ils accordaient à l'attitude de l'adolescent lorsqu'ils décidaient comment régler l'incident.
Figure V.6: L'influence de l'attitude de l'adolescent sur la décision de la police
Près des trois quarts des répondants estiment que l'attitude de l'adolescent est un facteur ou un facteur important dans leur décision. La majorité des répondants ont fait valoir qu'ils n'avaient d'autre choix que de tenir compte de l'attitude de l'adolescent s'ils voulaient recourir à des mesures de rechange. L'adolescent doit assumer la responsabilité de ses gestes afin d'être admissible aux mesures de rechange. De nombreux policiers ont indiqué que ceux qui ont une « mauvaise attitude » avaient tendance à nier leur participation au crime. Cependant, le fait d'assumer la responsabilité de ses gestes et, de préférence, d'exprimer des remords, constituait pour les policiers un facteur qui non seulement rendait l'adolescent admissible aux mesures de rechange, mais qui correspondait également à l'intention même de la LJC, qui veut que les adolescents soient tenus responsables de leurs gestes. Ainsi, pour certains répondants, si l'adolescent arrêté acceptait sa responsabilité, l'intervention de la police ou des tribunaux devenait moins nécessaire.
L'importance accordée par les policiers à l'attitude, dans leur décision, variait en fonction de plusieurs éléments : la région du Canada, le type de collectivité où ils travaillaient, le niveau et les types de crimes commis par des adolescents au sein de la collectivité, la présence d'une réserve des Premières nations sur leur territoire, le lieu, de même que le sexe, le grade et le nombre d'années de service du policier.
Il existe une corrélation entre l'opinion du policier sur l'attitude de l'adolescent et la perception du niveau de criminalité chez les adolescents au sein de la collectivité. Ainsi, 90 p. 100 des policiers des collectivités où il y a « beaucoup » de criminalité juvénile, ont indiqué que l'attitude de l'adolescent était un facteur ou un facteur important dans leur décision, comparativement à 63 p. 100 des policiers des collectivités ayant un « niveau normal » de criminalité chez les adolescents et 50 p. 100 des collectivités en ayant « peu. » Cette corrélation n'existait pas dans le cas des crimes violents graves commis par des adolescents (73 p. 100 des policiers des collectivités ayant des problèmes de crimes violents graves par des adolescents ont indiqué que l'attitude était un facteur ou un facteur important, comparativement à 70 p. 100 des policiers des autres collectivités). Il en était de même pour les gangs d'adolescents; 72 p. 100 des policiers travaillant dans des collectivités ayant un problème de gangs d'adolescents ont affirmé que l'attitude était un facteur ou un facteur important, comparativement à 71 p. 100 de ceux des autres collectivités. Cependant, les policiers des collectivités ayant un grave problème de crimes contre les biens commis par des adolescents étaient plus susceptibles de tenir compte de l'attitude (53 p. 100, par rapport à 39 p. 100 des autres policiers, affirmaient que l'attitude était un facteur important dans leur décision). Il en était de même des policiers des collectivités ayant un grave problème de criminalité juvénile liée à la drogue (75 p. 100, comparativement à 64 p. 100, disant que l'attitude est un facteur ou un facteur important), de prostitution juvénile (100 p. 100 comparativement à 69 p. 100) et de crimes contre l'administration de la justice mettant en cause des adolescents (64 p. 100 comparativement à 37 p. 100 disant que l'attitude était un facteur important).
Les policiers des zones métropolitaines sont beaucoup plus susceptibles (63 p. 100) de considérer l'attitude comme facteur important que ceux des banlieues et des régions exurbaines (39 p. 100) ou des zones rurales et des petites villes (36 p. 100). Cette constatation contredit celle mentionnée ailleurs dans ce document, ce qui permet de croire que les policiers des petites collectivités ont un style plus particulier. Nous avançons l'idée que l'attitude pourrait être un facteur plus important dans les villes où les adolescents sont peut-être plus « bravaches » que dans les petites collectivités. Une autre possibilité, c'est que l'attitude soit davantage un enjeu dans les zones métropolitaines parce qu'on y trouve plus de criminalité chez les adolescents; ce niveau de criminalité a alors une incidence sur la réaction des policiers face à l'attitude des adolescents. Cette hypothèse est analysée dans la figure V.7, où l'on retrouve un portrait très intéressant. Dans les collectivités qui présentent un « niveau normal » de criminalité adolescente, il y a une corrélation positive entre l'attitude des adolescents et la dimension de la collectivité. Cependant, dans les collectivités ayant « beaucoup » de criminalité adolescente, l'attitude est alors plus un problème pour les policiers des zones rurales et des petites villes (100 p. 100) et des banlieues et régions exurbaines (92 p. 100) que pour les policiers des centres métropolitains (71 p. 100). L'attitude de l'adolescent est un problème pour les policiers des centres métropolitains sans égard au niveau de criminalité chez les adolescents. Cependant, la possibilité que l'attitude devienne un problème pour les policiers des autres types de collectivités, surtout ceux des zones rurales et les petites villes, dépend du niveau de criminalité chez les adolescents.
On retrouve à la figure V.8 la répartition régionale des opinions sur cette question. Il n'existe pas de réponse évidente à la question de savoir pourquoi les deux provinces où le ministère public porte les accusations, sont celles où les policiers déclarent que l'attitude de l'adolescent a le moins d'incidence sur leur décision. Ceci est curieux, compte tenu des constatations de Black et Reiss (1970) qui portaient à croire que les policiers, qui ne prennent pas la décision finale de porter des accusations, seraient davantage influencés par des facteurs conjoncturels et « extrajudiciaires » et moins par des aspects purement juridiques. En particulier, on aurait cru qu'il en serait ainsi au Québec, car les policiers y ont rapporté une plus grande incidence des autres facteurs conjoncturels, tels que la préférence de la victime et l'implication d'un gang (section 4.1 ci-dessus), et une incidence moindre de la variable « juridique », c'est-à-dire les antécédents judiciaires (ci-dessus).
L'autre constatation intéressante est que l'attitude des adolescents a une plus forte incidence sur la décision chez les policiers des Prairies et des Territoires. Une explication possible, c'est que les policiers des Prairies étaient beaucoup plus susceptibles de rapporter qu'il y avait « beaucoup » de crimes et de violence chez les adolescents, de même que d'importants problèmes de gang (chapitre III). Ils sont alors peut-être davantage aux prises avec des problèmes de « mauvaise attitude » de la part d'adolescents arrêtés. Cependant, les policiers des Territoires ne signalent pas de niveaux élevés de gangs ou de violence chez les adolescents. Le fait que les problèmes de consommation de stupéfiants et d'alcool soient relativement élevés dans les Territoires explique peut-être le problème d'« attitude ». Les Territoires ont également beaucoup de peuples autochtones, ce qui explique sans doute les problèmes d'attitude de la part des jeunes Autochtones qui ont tendance à être hostiles et à se méfier de la police (Griffiths et Verdun-Jones, 1994 : 641 et 642).
Il est possible de vérifier ces hypothèses en analysant les opinions des policiers sur l'incidence de l'attitude, mais en fonction d'autres variables. Dans la figure V.9, on répartit l'incidence régionale de l'attitude en fonction du niveau de criminalité adolescente, tel que rapporté par les policiers de l'endroit. Les Prairies et les Territoires ne ressortent alors plus. Dans toutes les régions sauf l'Ontario[98], 100 p. 100 des policiers travaillant dans des territoires à hauts niveaux de criminalité chez les adolescents mentionnent que l'attitude est un facteur ou un facteur important dans la décision, tandis que dans les territoires signalant un « niveau normal » de criminalité chez les adolescents (à l'exception du Québec), les deux tiers environ des policiers sont d'avis que l'attitude est un facteur ou un facteur majeur[99]. Ainsi, l'incidence plus élevée de l'attitude dans les Prairies et les Territoires s'explique presque entièrement par la perception de niveaux élevés de criminalité adolescente dans ces régions.
Les policiers des territoires ayant une réserve des Premières nations étaient un peu plus portés (76 p. 100) à voir l'attitude de l'adolescent comme un facteur ou un facteur important que les policiers d'autres services de police (70 p. 100). La figure V.10 illustre les variations régionales entre les opinions sur l'incidence de l'attitude, compte tenu du facteur réserve de Premières nations. L'incidence de l'attitude est variable. En Ontario et dans les Territoires, les policiers des réserves sont plus portés à penser que l'attitude est un facteur ou un facteur important dans leur décision, tandis qu'ils sont moins portés à le penser en Colombie-Britannique et dans les Prairies. Parmi les policiers qui ne travaillent pas sur une réserve, ceux des Territoires et des Prairies étaient encore plus susceptibles que ceux des autres régions d'affirmer que l'attitude était un facteur ou facteur important. Ainsi, bien que la présence d'une réserve augmente la probabilité (de 6 p. 100) que l'attitude de l'adolescent ait une incidence sur la décision de la police, ceci n'explique pas pourquoi l'attitude pose plus problème dans les Territoires et les Prairies.
Dans la hiérarchie policière, les surveillants sont plus susceptibles de considérer l'attitude comme un facteur ou un facteur important (88 p. 100) que les intervenants (71 p. 100) et les cadres intermédiaires (50 p. 100) ou supérieurs (40 p. 100). Les policiers éducateurs (64 p. 100) et ceux de l'escouade jeunesse (47 p. 100) sont plus susceptibles de considérer l'attitude comme un facteur important que les patrouilleurs (39 p. 100) ou les policiers de la SEG (39 p. 100). Les policiers éducateurs ont peut-être tendance à réagir à la perturbation causée par des adolescents manifestant une attitude provocante face à des crimes commis à l'école. La plupart des policiers éducateurs interviewés étaient des femmes. Il n'est donc pas surprenant que les policières soient un peu plus portées à considérer l'attitude comme un facteur important (60 p. 100) que les policiers (44 p. 100). Cependant, il est surprenant que les patrouilleurs soient les moins susceptibles de considérer l'attitude comme facteur important, car on s'attendrait à ce que ce soit eux qui subissent le plus la « mauvaise attitude » des adolescents. Toutefois, en ce qui concerne la proportion de policiers pour lesquels l'attitude était un facteur ou un facteur important, les patrouilleurs étaient les plus susceptibles de l'affirmer (76 p. 100), suivis des policiers de l'escouade jeunesse (73 p. 100), des policiers éducateurs (71 p. 100), des membres de la SEG (65 p. 100) et des cadres (63 p. 100). Ces chiffres confirment l'importance de l'attitude de l'adolescent pour les patrouilleurs impliqués dans la " rencontre " avec l'adolescent. Enfin, les policiers ayant six années ou plus d'expérience étaient plus portés à tenir compte de l'attitude (74 p. 100) que ceux qui en avaient cinq années ou moins (62 p. 100).
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