Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
V. Facteurs conjoncturels influant sur le pouvoir discrétionnaire de la police
Dans ce chapitre, nous analysons les incidences possibles des facteurs propres à un incident et à l'adolescent arrêté sur les décisions prises par la police à l'égard de l'adolescent. Les circonstances de l'incident que nous évaluons sont notamment, la gravité du crime selon le type d'infraction, la présence ou l'utilisation d'une arme et le tort causé à la victime, les circonstances liées à la victime, notamment la préférence de celle-ci pour une action particulière par la police, le genre de victime (un particulier ou une entreprise) et la relation entre la victime et le contrevenant; viennent ensuite les aspects liés à la complicité, notamment le fait qu'il y ait eu un ou plusieurs complices, qu'il s'agissait ou non d'un adulte et que le crime semblait avoir été commis par un gang; puis la consommation de drogue ou d'alcool par l'adolescent au moment de l'incident et, enfin, le lieu et le moment de la journée où l'incident a eu lieu. Nous examinons aussi les caractéristiques Page suivantes au sujet de l'adolescent arrêté : antécédents d'activités criminelles, âge, sexe, race, attitude, appartenance à un groupe ou à un gang, situation à la maison et à l'école et engagement des parents.
Nous avons tenté d'évaluer de deux manières les incidences de chacune de ces influences sur les décisions de la police. D'abord, dans nos entrevues avec les policiers, nous avons demandé à tous les agents qui participaient ou avaient récemment participé à une décision concernant un adolescent arrêté dans quelle mesure chacun de ces facteurs avait eu une influence sur leur décision d'avoir recours ou non à une mesure officieuse, de diriger l'adolescent vers un programme de mesures de rechange, ou de porter une accusation (ou de recommander l'une ou l'autre de ces mesures, si la décision ne leur revenait pas). Nous avons posé ces questions à au moins un agent de chacun des services de police de notre échantillon. Dans les services et détachements de police plus petits où nous avons interrogé seulement un ou deux agents, les répondant occupaient des postes allant de policiers-patrouilleurs à commandants, mais tous prenaient part ou avaient récemment pris part à une décision concernant un jeune contrevenant. Dans les services de police plus importants où nous avons interrogé de deux à sept agents, nous n'avons pas posé ces questions aux membres de la direction puisque, de façon générale, ils n'avaient pas pris part à ce genre de décision depuis plusieurs années ou davantage.
Les réponses pour chaque facteur ont été codées sur une échelle de Likert, variant de « facteur important » à « pas un facteur. » Un facteur important signifie que le policier prend ce facteur en compte presque chaque fois qu'il décide de porter une accusation, d'employer des mesures de rechange ou de traiter l'adolescent de façon officieuse. Un facteur signifie que ce facteur joue un rôle dans la prise de décision, mais n'est pas aussi significatif qu'un facteur important et n'est pas nécessairement pris en considération chaque fois. Un facteur mineur (secondaire) signifie que le facteur joue parfois un rôle, mais que son incidence dépend de chaque cas. Le code mineur (secondaire) a également été utilisé lorsqu'un policier indiquait que le facteur jouait un rôle, mais secondaire et de concert avec d'autres facteurs. Donc, il n'avait pas une incidence primordiale ou indépendante sur la prise de décision. Enfin, on a codé pas un facteur lorsque le policier indiquait clairement ne jamais tenir compte du facteur dans sa décision. Parfois, des catégories ont été combinées, telles « pas un facteur/facteur mineur » ou « facteur/facteur important. »
Pour chacun de ces facteurs, nous faisons une évaluation générale de l'importance qui y est accordée par la police au moment de traiter l'incident et le contrevenant ainsi que des variations dans l'importance qui lui était accordée par les répondants. Nous avons cherché à identifier les variations selon les régions du Canada, les types de collectivités, la présence sur le territoire desservi d'une réserve des Premières nations ou d'un nombre important d'Autochtones habitant hors réserve, le niveau et le type de criminalité juvénile dans la collectivité, le type de service policier, la compétence pour porter des accusations (c'est-à-dire, si elle relevait de la police ou du ministère public) et, enfin, les caractéristiques du policier, tels le grade, l'emplacement du service (patrouille, section des enquêtes générales, escouade jeunesse, etc.), le sexe, les années de service, la formation spécialisée en criminalité juvénile et l'expérience antérieure dans l'escouade jeunesse.
Les répondants identifiaient parfois d'eux-mêmes un facteur qui influe sur leur décision concernant les méthodes utilisées pour forcer l'adolescent à comparaître. On l'a noté au besoin. Cependant, on trouvera au chapitre II, section 7, une analyse détaillée du processus décisionnel relatif à l'assignation à comparaître.
Contrairement aux chapitre III et IV, où l'unité d'analyse était le service ou le détachement de police, l'unité d'analyse ici est le policier seul et son point de vue quant aux facteurs qui influent sur la décision d'exercer son pouvoir discrétionnaire.[86]
La deuxième méthode que nous avons utilisée pour évaluer l'incidence des facteurs conjoncturels sur le pouvoir discrétionnaire de la police est une analyse multivariée des données statistiques provenant du Programme DUC 2. Les données analysées touchent 38 727 adolescents arrêtés en 2001 par 186 services de police municipaux et détachements de police provinciale participant au Programme DUC 2.[87] Dans chaque cas d'adolescent arrêté, la décision que nous avons analysée (variable dépendante) était la décision du service de police : si le jeune contrevenant avait été accusé (ou qu'on avait recommandé qu'il le soit, dans les provinces ou territoires où le ministère public effectue la sélection), ou si le cas avait été traité autrement (c.-à-d. au moyen de mesures officieuses ou de mesures de rechange, bien qu'on ne fasse malheureusement pas de distinction entre les unes et les autres dans les données disponibles). Les facteurs dont l'incidence a été analysée comprennent : le type d'infraction (en utilisant le classement du Code criminel), le nombre d'arrestations Page précédentes, l'âge, le sexe et la race (Autochtone ou non), si un seul contrevenant avait participé à l'incident ou s'il avait des complices, la présence d'une arme, toute blessure infligée à une victime et toute relation entre l'accusé et la victime. Nous avons évalué l'incidence de chaque facteur au moyen d'une analyse multivariée tout en gardant constants les autres facteurs connexes, puis nous avons évalué l'importance relative des divers facteurs.[88]
Cette analyse statistique est semblable à celle utilisée dans une étude Page précédente sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire de la police auprès des jeunes contrevenants au Canada en 1992-1993 (Carrington, 1998a), mais notre analyse comporte deux nouveautés. La première est l'utilisation des données du Programme DUC 2 de 2001. Non seulement ces données sont plus récentes, mais elles regroupent aussi beaucoup plus de services de police qu'au cours de la période Page précédente du Programme DUC 2. Cependant, la nouveauté la plus importante est l'introduction, en tant que variable indépendante, des contacts précédents du jeune contrevenant avec la police (arrestation). Bien que ces renseignements ne soient pas inscrits dans les dossiers du Programme DUC 2, ils ont été recueillis grâce à un projet de liens interdossiers mis sur pied par le Centre canadien de la statistique juridique et conçu expressément pour le présent projet. On trouvera à l'annexe méthodologique la méthode d'élaboration des variables sur les contacts précédents de l'adolescent avec la police.
Chacune de ces deux sources de données, c'est-à-dire les opinions exprimées par les policiers durant les entrevues et les données statistiques du Programme DUC 2, comportait des forces et des faiblesses, dont on fait état dans l'annexe méthodologique. Une lacune importante des données du Programme DUC 2 est l'absence de plusieurs facteurs identifiés par les divers auteurs comme ayant une incidence sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers auprès des jeunes contrevenants, à savoir la préférence exprimée par la victime quant à la façon de traiter l'incident, l'implication d'un gang lors de l'incident, l'attitude de l'adolescent, le contexte familial et scolaire, l'affiliation de l'adolescent à un gang ou à des pairs délinquants et le niveau d'engagement des parents. Il faut donc se fier à l'opinion des policiers sur l'incidence de ces facteurs. De plus, de nombreuses variables qu'on utilisait pour déceler des variations dans l'incidence des facteurs, telles les caractéristiques du policier prenant la décision et celles du service de police dans lequel il travaillait, ne font pas partie du Programme DUC 2. Ainsi, contrairement aux résultats tirés des données d'entrevue, nos évaluations d'impact tirées des données du Programme DUC 2 ne sont pas différenciées par ces variables.
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