Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants

V. Facteurs conjoncturels influant sur le pouvoir discrétionnaire de la police

1.0 Historique

L'analyse de l'incidence des facteurs conjoncturels sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers sur les jeunes contrevenants est une vieille tradition en criminologie. L'étude classique de la « rencontre » entre la police et un suspect adolescent est celle de Black et Reiss (1970), reprise par Lundman et coll. (1978). Dans les deux études, on a constaté que la probabilité que la rencontre mène à une arrestation dépendait beaucoup de la gravité du crime, de la préférence du plaignant, de la présence d'éléments de preuve « conjoncturels » (c'est-à-dire facile à obtenir) et de l'attitude du suspect. Dans les deux études, on a insisté sur l'importance déterminante du plaignant, qui est à la fois :

Ainsi, s'il existe un plaignant et qu'il exprime effectivement une préférence, le policier y attache beaucoup de poids et souvent « [TRADUCTION] abdique son pouvoir discrétionnaire en faveur du plaignant » (Black et Reiss, 1970 : 72).

Ces études sont significatives tant dans le cas des facteurs qui ne jouaient pas un rôle dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers que de ceux qui en jouaient un. D'abord, bien que les jeunes Noirs fussent plus susceptibles que les jeunes Blancs d'être arrêtés, on concluait dans les deux études que cette situation ne découlait pas d'un préjugé d'ordre racial de la part de la police, mais plutôt du fait que les plaignants (Noirs) préféraient l'arrestation de suspects (Noirs), tandis que les plaignants blancs étaient plus portés à être cléments envers les suspects blancs. Il y avait peu d'incidents inter-raciaux. Deuxièmement, les antécédents judiciaires de l'adolescent, qui sont un facteur clé lors du prononcé de la sentence, n'ont pas été pris en compte par les chercheurs et, peut-on supposer, n'entraient pas en ligne de compte. Selon les auteurs, les études portaient sur des « rencontres » entre les policiers et les suspects « sur le terrain ». Or, à l'époque où l'étude a été réalisée, les patrouilleurs n'avaient généralement pas accès au dossier de l'adolescent et, de plus, décidaient simplement s'ils devaient procéder à une arrestation, et non s'ils devaient porter une accusation (c'est-à-dire le diriger vers la cour juvénile) (Black et Weiss, 1970 : 68-69).[89] Il s'agit ici d'une question cruciale quant à la pertinence, pour le contexte canadien, de recherches étrangères (surtout américaines) sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers auprès d'adolescents. La recherche américaine, dans la lignée de Black et Reiss, porte généralement sur la décision prise par les patrouilleurs sur le terrain de procéder à une arrestation. Pour sa part, la recherche canadienne porte généralement sur la décision de porter (ou de recommander) des accusations. Tel que souligné par Black et Reiss eux-mêmes, la décision de renvoyer devant le tribunal (au Canada, porter une accusation) avait trait à la « poursuite au pénal » et, dans les services de police qu'ils ont étudiés, cette décision n'était pas prise pas les patrouilleurs, mais plutôt par les responsables des escouades jeunesse travaillant dans leurs bureaux. Ils étaient sans doute plus influencés par les attentes des tribunaux juvéniles que par le contexte de la rue (1970 : 68-69).

Des chercheurs américains et britanniques[90] ont fait subséquemment (et antérieurement) à peu près les mêmes constatations : la décision des policiers sur la façon de traiter des incidents liés à des adolescents est liée aux facteurs suivants, par ordre approximatif d'importance : [91]

La documentation canadienne, peu abondante, sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers auprès des adolescents, fait l'objet ci-dessous d'une analyse distincte. Les chercheurs canadiens ont dégagé certains autres facteurs influant sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers : la relation entre la victime et l'adolescent arrêté, la présence et le genre de complices, l'effet possible de l'alcool ou de la drogue sur l'adolescent, l'heure et le lieu de l'incident et enfin, l'appartenance à un gang. Nous étudions ces autres facteurs dans notre recherche. Les facteurs conjoncturels envisagés dans le présent chapitre sont présentés en deux groupes : d'abord les circonstances de l'incident, puis les caractéristiques de l'adolescent arrêté.