Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
II. Profil descriptif
7.0 Procédures utilisées pour garantir la comparution en cour
Les membres de nombreux postes de police ont exprimé leurs réserves concernant le recours excessif à l'incarcération des adolescents au Canada, qui dépasse celle de nombreux autres pays occidentaux (ministère de la Justice Canada, s.d.). Bien que l'on porte plus d'attention aux condamnations à la détention, les adolescents placés en détention préventive, c'est-à-dire en attendant ou pendant leur procès, constituent une proportion appréciable de tous les adolescents emprisonnés au Canada. Au cours de 2000-2001, les admissions d'adolescents en détention préventive comptaient pour 39 p. 100 de l'ensemble des admissions en détention (Marinelli, 2002; les provinces n'ont pas toutes participé à l'enquête sur laquelle se fonde ce rapport). En raison de la durée relativement courte du séjour des adolescents en détention préventive, ceux-ci comptent pour une proportion moindre mais malgré tout importante (22 p. 100) des adolescents en établissement de détention au cours d'un « jour type » en 2000-2001 (ibid.)[17].
Les études sur les enquêtes sur le cautionnement dans les tribunaux pour adolescents ont fait ressortir que les juges élargissaient parfois l'interprétation du Code criminel sur les motifs permettant d'ordonner la mise sous garde des adolescents, particulièrement dans le cas d'adolescents provenant de foyers instables ou vivant des situations néfastes. Pourtant, comme de nombreux auteurs l'ont souligné, la détention avant la condamnation, c'est-à-dire la détention des personnes présumées innocentes, est une mesure non souhaitable dont l'utilisation devrait être limitée, particulièrement dans le cas des adolescents, qui sont spécialement vulnérables à ses conséquences désastreuses (Bala et col., 1994b; Groupe de travail, 1996; Doob et Cesaroni, 2002; Varma, 2002). À moins qu'elle ne soit absolument nécessaire, la détention des adolescents avant le procès semble être contraire à l'esprit de la Loi sur la réforme du cautionnement (voir la Commission de réforme du droit au Canada, 1998), à la Loi sur les jeunes contrevenants, qui met l'accent sur le moins d'entrave possible à la liberté des adolescents (Platt 1991 : 80), et à la Convention des Nations-Unies relative aux droits de l'enfant (Groupe de travail, 1996). Plusieurs chercheurs ont également constaté que la détention avant le procès devant les cours pénales augmentait la probabilité de condamnation et de peine de mise sous garde (Griffiths et Verdun-Jones, 1994 : 226).
Les tentatives visant à expliquer, au Canada, les taux étonnamment élevés de détention des adolescents avant leur procès se sont orientées principalement vers l'enquête sur le cautionnement en elle-même (p. ex., Gandy, 1992 - cité dans Doob et Cesaroni, 2002 : 139 à 146; Varma, 2002). Cependant, les policiers sont les « portiers » de la détention avant procès, puisque ce sont eux qui prennent la décision initiale d'arrêter l'adolescent et ultérieurement, de le remettre en liberté ou de le garder pour une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Malgré l'absence de données à ce sujet, il semble probable qu'une proportion importante des adolescents qui sont en détention avant procès à un moment donné soient en garde à vue, c.-à-d., n'ayant pas encore eu d'audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. De plus, seuls les adolescents arrêtés et non remis en liberté par la police comparaissent devant un tribunal des cautionnements : ainsi, les forces policières sont le mécanisme initial de « sélection » pour la détention avant procès. Il semble également probable (malgré l'absence de données à ce sujet) que la position et les arguments du ministère public lors de l'audience sur le cautionnement soient fortement influencés par les commentaires de la police.
Selon Grossman :
[Traduction]
Lorsque la Loi sur la réforme du cautionnement a été déposée au Canada en 1972, les policiers étaient inquiets du grand pouvoir discrétionnaire qui leur revenait en vertu de cette nouvelle loi. On confiait au policier le soin de décider s'il était « dans l'intérêt du public » de placer un suspect sous garde…par conséquent, plutôt que de courir le risque (de mal interpréter « intérêt public »), les policiers refusaient de placer les suspects sous garde à moins qu'on ne les ait trouvés en train ou sur le point de commettre une infraction grave. Ils refusaient d'exercer le vaste pouvoir discrétionnaire qu'on leur accordait, (1975 : 49)
La seule étude canadienne que nous ayons pu trouver sur les décisions de la police au sujet de la détention, particulièrement celle des adolescents, est l'étude de Carrington, Moyer et Kopelman (1986; 1988) fondée sur des données recueillies lorsque la Loi sur les jeunes délinquants était toujours en vigueur. Ils ont constaté que les taux de détention à l'arrestation dans cinq villes importantes en 1981 et 1982 variaient grandement, d'un taux de détention des adolescents arrêtés allant de 18 p. 100 à Toronto à 63 p. 100 à Edmonton. Les facteurs pouvant avoir une influence sur la possibilité de détention comportaient des variables de nature « juridique » (les antécédents de l'adolescent, la gravité de l'infraction, et les antécédents de défaut de comparaître en cour); une variable « sociolégale » (l'« absence de racines collectives »), et des variables « extra-judiciaires »(sexe et âge de l'adolescent, s'il avait ou non déjà été placé sous garde et, à Winnipeg seulement, s'il s'agissait ou non d'un Autochtone).
Si l'adolescent n'est pas arrêté, on peut l'obliger à se présenter au tribunal par une citation à comparaître (délivrée par la police et ensuite confirmée par un juge de paix, une fois que les accusations ont été portées), ou par une sommation délivrée par un juge de paix lorsque les accusations ont été portées.
Lorsque l'adolescent est arrêté, le Code criminel exige, pour établir si la détention de l'adolescent est pertinente, que l'agent ayant procédé à l'arrestation (article 497) ou l'agent responsable de l'établissement de la garde à vue (article 498) évalue si la détention est nécessaire afin :
- d'identifier la personne,
- de recueillir ou conserver une preuve de l'infraction ou une preuve relative,
- d'empêcher que l'infraction se poursuive ou se répète, ou qu'une autre infraction soit commise,
ou parce que l'agent à des raisons de croire
b) que, s'il met la personne en liberté, celle-ci omettra d'être présente au tribunal…
En établissant cette évaluation, la police tient généralement compte des antécédents personnels de l'accusé (manquements antérieurs, éducation, famille et emploi), des circonstances de l'accusation particulière, et de la réaction de la victime (Bala et col., 1994a). Dans une étude canadienne, on a prouvé qu'un accusé « qui ne coopère pas » est plus susceptible d'être mis sous garde par la police (Hagan et Morden, 1981). On doit généralement amener en cour pour une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire (« caution ») dans les 24 heures ou « aussitôt que possible » les personnes accusées qui ne sont par remises en liberté par la police. Selon Bala, [Traduction] «dans la pratique, certains adolescents sont détenus pendant quelques jours avant qu'on ne les amène en cour »
(1997 : 137).
Comme solution de rechange à la détention continue, il existe trois méthodes différentes que les policiers peuvent utiliser pour remettre en liberté un adolescent qui a été accusé. Ces méthodes, et leurs critères d'utilisation, sont les mêmes pour les jeunes contrevenants que pour les adultes. Ces diverses méthodes de remise en liberté présentent des différences importantes quant à leur nature restrictive, ce que Klinger (1996) appelle « la quantité de justice appliquée ». Premièrement, la police peut remettre en liberté l'adolescent en vertu d'une citation à comparaître, qu'il doit signer, ou en vertu de l'intention de faire délivrer une sommation. Deuxièmement, elle peut remettre l'adolescent en liberté moyennant une promesse de comparaître, signée par l'accusé. Troisièmement, la police peut procéder à une mise en liberté au moyen d'une promesse qui exige du suspect qu'il reconnaisse officiellement une dette envers le ministère public d'un montant pouvant aller qu'à cinq cents dollars et comportant ou non un dépôt. La promesse de comparaître et une promesse peuvent tous deux être accompagnés d'une promesse supplémentaire par laquelle l'adolescent accepte les conditions de la mise en liberté comme les heures d'interdiction, les restrictions sur les déplacements ou la supervision parentale.
Nous avons demandé à la police des précisions sur les moyens possibles d'ordonner la comparution d'adolescents pour lesquels ils ont porté des accusations, et les circonstances et facteurs qui ont influé sur leur décision.
7.1 La sommation et la citation à comparaître>
La sommation et la citation à comparaître sont les seules méthodes d'assignation à comparaître qui n'exigent pas que l'on arrête l'adolescent et qu'on l'amène au poste de police. C'est pourquoi leur utilisation peut paraître particulièrement pertinente pour les adolescents, et en harmonie avec le principe de l'« entrave minimale à la liberté » prévu par la LJC. Cependant, selon les personnes interrogées, ces outils sont rarement utilisés au Canada pour les jeunes contrevenants. Nous résumons à la figure II.18 les réponses que nous avons reçues lorsque que nous avons interrogé les agents sur l'utilisation qu'ils faisaient des sommations pour les jeunes contrevenants (la somme des pourcentages dépasse 100 p. 100 puisque les réponses multiples étaient permises).
Environ les deux tiers (62 p. 100) des services de police interrogés n'utilisaient jamais ou que très rarement la sommation dans le cas des adolescents, tandis que 41 p. 100 ont répondu utiliser la sommation pour les infractions mineures. Seulement 4 p. 100 d'entre eux ont recours à la sommation pour la plupart des infractions.
Lorsque nous leur avons demandé pourquoi ils n'utilisaient jamais, ou utilisaient très rarement, la sommation dans le cas des adolescents, beaucoup n'ont pas donné de raisons particulières sauf le fait que ce n'était pas la procédure courante dans leur service de police.
Figure II.18 Recours à la sommation chez les adolescents
La principale raison donnée pour procéder à une arrestation au lieu d'avoir recours à la sommation avec les adolescents est le besoin de les amener au poste de police afin de mener une enquête appropriée. Ceci suppose généralement : établir l'identité, recueillir une déclaration, prendre éventuellement les empreintes digitales, éventuellement aviser les parents, et remplir un ou plusieurs formulaires, formalités toutes beaucoup plus faciles à effectuer au poste de police que dans la rue ou dans une voiture de patrouille.
Une autre raison donnée pour ne pas avoir recours à la sommation est la difficulté de retracer l'adolescent pour lui signifier une assignation (ce qui doit être fait par un policier en personne, et non par la poste). Cette raison a été mentionnée plus souvent dans les grands services de police métropolitains qui traitent avec un nombre important de jeunes en transit. Plus de la moitié (53 p. 100) des services de police ayant déclaré n'avoir jamais recours à une sommation avec les adolescents venaient des régions métropolitaines.
Bien que la majorité des répondants aient indiqué ne pas avoir recours à la sommation dans le cas des adolescents, les agents de la PPO sont plus susceptibles d'y avoir recours que les autres types de forces policières, et ce dans une proportion de 64 p. 100 comparativement à 38 p. 100. Les agents de la PPO ont mentionné que pour la plupart des infractions criminelles commises par les adolescents, c'est la méthode la plus appropriée d'assignation à comparaître. Ils ne croyaient pas avoir besoin d'amener l'adolescent au poste de police pour des infractions mineures (p. ex., méfaits, vols à l'étalage, infractions commises à l'école).
On semble avoir recours à la sommation avec les jeunes contrevenants beaucoup plus fréquemment dans les provinces de l'Atlantique et dans les territoires que partout ailleurs au Canada : seulement 33 p. 100 des services de police des territoires, et 45 p. 100 de ceux de la région de l'Atlantique, ont indiqué qu'ils n'utilisaient que rarement ou jamais la sommation dans le cas des adolescents, comparativement à 83 p. 100 en Ontario, 88 p. 100 dans les Prairies et 92 p. 100 en Colombie-Britannique[18]. L'on peut classer en trois groupes les réponses aux questions sur le recours aux citations à comparaître chez les adolescents. La réponse lorsque aucune autre option ne s'applique émane des services qui ont recours à une citation à comparaître lorsqu'on ne peut traiter de manière appropriée un incident impliquant un adolescent par la détention, une promesse de comparaître, une promesse ou une sommation. Les services de police de ce groupe avaient tendance à ne pas avoir recours à la sommation avec les adolescents et, par conséquent, optaient pour une citation à comparaître pour les infractions mineures s'il n'était pas nécessaire de procéder à une arrestation et qu'il n'y avait pas d'inquiétude quant à la comparution en cour. Dans les provinces où existent des mesures de rechange après le dépôt d'accusations, la citation à comparaître est utilisée couramment si les policiers croient que l'adolescent fera probablement l'objet d'une mesure de déjudiciarisation. La réponse pour les infractions très mineures provient des services qui ont indiqué avoir recours à la citation à comparaître uniquement dans les cas où ils considèrent l'infraction comme très mineure. Et la définition de « très mineure » du policier peut également être influencée par les contacts antérieurs de l'adolescent avec la police (interactions où l'on n'a pris aucune mesure officielle). Enfin, certains services de police ont indiqué qu'ils avaient rarement recours aux citations à comparaître pour les adolescents. La figure II.19 montre la répartition des réponses (la somme des pourcentages dépasse 100 p. 100 puisque les réponses multiples étaient permises).
Figure II.19 Recours à la citation à comparaître chez les adolescents
Il vaut la peine de signaler qu'aucun des services de police interrogés n'a indiqué avoir recours aux citations à comparaître « fréquemment » ou « pour un grand nombre d'infractions ». Leurs réponses dénotent un manque d'enthousiasme universel pour la citation à comparaître, et pour la sommation, en tant que moyens d'assignation à comparaître, et varient uniquement dans le degré d'indifférence face à ces mesures.
Comme pour la sommation, la principale raison donnée pour expliquer l'absence de recours aux citations à comparaître est le besoin d'arrêter et d'amener l'adolescent au poste de police afin de procéder à l'enquête sur l'incident. Une autre raison est que, bien souvent, l'adolescent est arrêté en compagnie de copains; il est alors nécessaire de procéder à une arrestation afin de le séparer des autres dans le but d'obtenir une certaine coopération, puisque les jeunes n'aiment généralement pas qu'on les voie collaborer avec la police.
Une troisième raison pour préférer l'arrestation n'a pas été mentionnée explicitement, mais il nous semble implicite que, du point de vue des policiers, ramener un jeune au poste de police est une forme de mesure officieuse (c.-à-d. une solution de rechange à la déjudiciarisation ou au dépôt d'accusations). Il semble que dans certaines circonstances, arrêter un adolescent et l'amener au poste de police, puis le remettre en liberté sans déposer d'accusations soit considéré par certains policiers comme une « conséquence » plus importante que la remise en liberté sur les lieux de l'incident, mais moins grave que le renvoi aux mesures de rechange ou le dépôt d'accusations. Il s'agit, en effet, d'une forme d'« avertissement officiel » pouvant faire comprendre à l'adolescent que sa conduite est inacceptable, sans nécessairement le soumettre à des accusations officielles. (Il va sans dire que l'arrestation en tant que mesure officieuse est une option uniquement s'il y a des motifs d'ordre juridique permettant l'arrestation.)
Enfin, les agents de 33 p. 100 des services de police ont dit qu'ils avaient recours à la citation à comparaître dans les cas « très mineurs ». Dans une certaine mesure, cette limitation figure au Code criminel qui prévoit (à l'article 496) que la citation à comparaître (contrairement à la sommation) peut être délivrée uniquement s'il s'agit d'une infraction de délit, d'une infraction mixte, ou d'actes criminels mineurs (les infractions criminelles de « juridiction absolue » contenues à l'article 553, comme le vol, la fraude, et la possession de biens volés). Cependant, les infractions pour lesquelles le Code criminel permet le recours à la citation à comparaître comprend la grande majorité des infractions commises par les jeunes : vols de faible importance, la plupart des fraudes, méfaits, voies de fait simples, violations des conditions de la liberté sous caution, défaut de comparaître et possession de drogue sont des infractions mixtes, mais le défaut de se conformer à une condition aux termes de la LJC est un délit. Ainsi, les seules infractions que peuvent commettre relativement souvent les adolescents et pour lesquels la citation à comparaître est exclue en vertu de l'article 496 sont l'entrée par effraction (dans une habitation) et le vol qualifié.
Arrêter un jeune et l'amener au poste de police n'exclut pas le recours à la sommation ou à la citation à comparaître, puisque celles-ci sont également utilisables au moment où on remet le jeune en liberté; mais les agents les préfèrent habituellement à d'autres méthodes pour ordonner la comparution lors de la remise en liberté. Nous examinons ces méthodes ci-dessous.
Il existe certaines variations chez les forces de police en ce qui a trait au recours à la citation à comparaître.
Les services de police des régions rurales et des petites municipalités sont particulièrement peu susceptibles de recourir à la citation à comparaître. Ils étaient moins nombreux à avoir opté pour la citation à comparaître pour une infraction mineure (une proportion de 16 p. 100, comparativement à 32 p. 100 dans les banlieues et régions exurbaines et à 32 p. 100 des services de police des régions métropolitaines). Ils étaient également moins nombreux à avoir recours à une citation à comparaître quand aucune autre option ne s'appliquait (une proportion de 32 p. 100 comparativement à 51 p. 100 des services des banlieues et des régions métropolitaines). Ils étaient plus susceptibles d'avoir «rarement » recours à la citation à comparaître avec les adolescents (une proportion de 43 p. 100, comparativement à 22 p. 100 des services de police des banlieues et des régions métropolitaines).
Les réponses des détachements de la police provinciale (y compris la PPO et la GRC), qui desservent les régions rurales et les petites municipalités suivent les mêmes tendances dans le recours à la citation à comparaître en ce qui a trait aux différences en fonction du type de collectivité. Ces détachements optent rarement pour la citation à comparaître avec les jeunes, dans une proportion de 50 p. 100 comparativement à 20 p. 100 pour les services de police municipaux indépendants, et ils ont moins recours aux citations à comparaître même pour les infractions mineures, dans une proportion de 23 p. 100 comparativement à 40 p. 100 pour les services de police municipaux indépendants.
7.2 Remise en liberté sur promesse de comparaître
Beaucoup de services de police comptent sur la promesse de comparaître pour ordonner la comparution en cour des adolescents arrêtés et amenés au poste de police. Nous résumons les motifs invoqués pour le recours à la promesse de comparaître à la figure II.20 (la somme des pourcentages dépasse 100 p. 100 en raison de réponses multiples).
Figure II.20 Motifs de mise en liberté sur promesse de comparaître
La majorité (60 p. 100) des services de police ont mentionné procéder à des remises en liberté en vertu d'une promesse de comparaître chaque fois qu'ils avaient mis sous garde temporaire un adolescent, mais que le maintien en détention n'était plus nécessaire. Les agents de 45 p. 100 des services de police ont fourni une explication semblable : la promesse de comparaître est la méthode habituelle de remise en liberté à partir du poste de police. Ceci confirme les résultats présentés plus haut voulant que les sommations et les citations à comparaître soient rarement utilisées comme méthode de remise en liberté au poste de police, ce qui est justifié ainsi par 60 p. 100 des agents qui laissent entendre que la promesse de comparaître est utilisée parallèlement à une promesse envers un agent responsable (que nous examinons ci-dessous), qui impose à l'accusé certaines conditions, mais qui ne peut-être utilisé avec une remise en liberté en vertu d'une sommation ou d'une citation à comparaître.
Un petit nombre de personnes interrogées (15 p. 100) ont indiqué que la promesse de comparaître est appropriée dans le cas d'« infractions mineures », ce qui laisse probablement supposer que la détention pour une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire est plus appropriée dans le cas d'infractions majeures.
Un petit nombre de répondants (14%) ont mentionné qu'une remise en liberté en vertu d'une promesse de comparaître, particulièrement si elle est accompagnée d'une promesse signé, constitue une « conséquence plus grave » que la remise en liberté en vertu d'une sommation ou d'une citation à comparaître. Ce qui n'est pas sans rappeler le point de vue (examiné plus haut) voulant qu'arrêter l'adolescent, l'amener au poste, pour ensuite le remettre en liberté sans porter d'accusation constitue une forme de « conséquence », donc un élément utile du répertoire de mesures dont disposent les policiers. En fait, le processus d'arrestation et de remise en liberté devient une forme de sanction, ou une conséquence, en tant que telle, indépendante de toute mesure ultérieure prise par le tribunal.
Les détachements de la police provinciale (y compris la GRC et la PPO) ont plus souvent recours à une promesse de comparaître pour effectuer une remise en liberté sans mise sous garde que les services de police municipaux indépendants (73 p. 100 et 54 p. 100 respectivement). Ceci se produit plus fréquemment dans le cas des détachements et des services situés dans les Prairies (82 p. 100) et en Ontario (83 p. 100), comparativement aux provinces de l'Atlantique (27 p. 100), où l'on a plus souvent recours à la sommation pour assigner à comparaître (voir plus haut). Enfin, les agents possédant cinq ans ou moins d'expérience étaient plus susceptibles de remettre en liberté un adolescent en vertu d'une promesse de comparaître (71 p. 100) que les policiers ayant au moins six ans d'expérience (44 p. 100).
Les services des régions métropolitaines (23 p. 100) sont ceux qui ont le plus souvent recours à la promesse de comparaître en tant que « conséquence plus grave », comparativement aux services de police des régions rurales et des petites municipalités (9 p. 100) et à ceux des banlieues et des régions exurbaines (11 p. 100).
7.3 Remise en liberté en vertu d'une promesse envers un agent responsable
Les services de police de notre échantillon ont répondu dans une proportion de 60 p. 100 avoir recours à une promesse de comparaître accompagnée d'une promesse envers un agent responsable. Ceci nous a mené à examiner les types de conditions qui y sont rattachées et la fréquence à laquelle ils sont utilisés. Les réponses des personnes interrogées sont résumées à la figure II.21 (la somme des pourcentages dépasse 100 p. 100 puisque les réponses multiples étaient permises).
La condition endroit interdit défend à un adolescent de se rendre à certains endroits ou dans certaines régions. Il peut s'agir de beigneries, d'écoles, de quartiers, ou de centres commerciaux. Environ un quart (26 p. 100) des services de police qui utilisent les promesses nous ont déclaré qu'ils y rattachaient couramment une condition d'« endroit interdit ». De plus, les détachements de police provinciale (y compris la GRC et la PPO) sont deux fois plus susceptibles (40 p. 100) de rattacher une clause d'« endroit interdit » que les services de police municipaux indépendants (18 p. 100). Et il n'est pas étonnant de constater que seulement 9 p. 100 des services de police des provinces de l'Atlantique ont déclaré rattacher une condition d'« endroit interdit »; ce qui est conforme aux résultats précédents voulant que les policiers des provinces de l'Atlantique soient moins susceptibles d'avoir recours à une promesse de comparaître accompagnée d'une promesses.
Figure II.21 Conditions rattachées aux promesses envers un agent responsable
La condition d'interdiction d'entrer en contact empêche l'adolescent qui y est soumis d'entrer en contact avec certaines personnes en particulier. Par exemple, cette condition peut être utilisée dans le cas de voies de fait simple (pour le tenir loin de la victime), d'un crime lié à un gang (pour qu'il ne fréquente pas les membres du gang), ou de crimes commis en groupe (pour séparer les co-accusés). Un peu plus du tiers (36 p. 100) des services de police ont mentionné qu'ils rattachaient couramment une condition d'« interdiction de contact » à la promesse. Encore une fois, les détachements de police provinciale (y compris la GRC et la PPO) sont plus susceptibles (45 p. 100) de rattacher cette condition que les services de police municipale indépendants (32 p. 100). Cette condition est également utilisée plus fréquemment dans les Prairies (47 p. 100) et en Ontario (53 p. 100) que dans les autres régions du Canada.
Les promesses comportent couramment la condition obligation de ne pas troubler l'ordre public et de bien se conduire. L'étude de nos données laisse toutefois entendre que la définition précise de cette condition est pour le moins controversée. Beaucoup de policiers ont mentionné que cette condition était très difficile à faire respecter, puisqu'on pouvait en faire de nombreuses interprétations. Environ le quart (24 p. 100) des services de police nous ont pourtant dit qu'ils rattachaient couramment cette condition aux promesses. Cependant, nous soupçonnons qu'ils le font beaucoup plus fréquemment, et nous pensons que s'ils ne l'ont pas mentionné de manière plus constante, c'est en raison de l'importance que les agents accordent aux diverses conditions. Puisqu'on peut interpréter cette condition de nombreuses façons, lorsque les agents répondaient affirmativement, c'était après y avoir réfléchi. Ils nous répondaient souvent que cette clause pouvait vouloir dire n'importe quoi. Ainsi, un adolescent qui ne fréquentait pas l'école ou qui n'obéissait pas à ses parents pouvait contrevenir à cette condition. La plupart des agents disent vouloir que les conditions de la promesse aient un lien plus spécifique avec le contrevenant et l'infraction. Parmi les détachements de police provinciale interrogés, 40 p. 100 ont répondu rattacher couramment cette condition, comparativement à seulement 14 p. 100 des services de police municipaux indépendants. En outre, les services de police des régions rurales et des petites municipalités étaient plus susceptibles de rattacher cette condition (32 p. 100) que les services de police des autres types de collectivité (18 p. 100). Ceci pourrait rendre compte de la plus grande cohésion sociale qui caractérise les régions rurales et les petites municipalités où la police a tendance à connaître les adolescents, leurs amis et leur famille. Enfin, comme on pouvait s'y attendre, les services de police des provinces de l'Atlantique étaient les moins susceptibles dans une proportion de 9 p. 100 de rattacher cette condition à une promesse.
Les agents rattachent également à la promesse la condition visant à empêcher l'adolescent de consommer des boissons alcoolisées ou des drogues. Cette condition est destinée à contrôler l'abus des substances de la part de l'adolescent. Elle est couramment rattachée à une promesse lorsque l'adolescent a commis une infraction sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue. Les services de police ont dit, dans une proportion de 19 p. 100, rattacher couramment cette condition aux promesses visant les adolescents. Les détachements de la police provinciale (y compris la GRC et la PPO) sont deux fois plus susceptibles dans une proportion de 28 p. 100, de rattacher la condition « ni alcool, ni drogue » que les services de police municipaux indépendants (14 p. 100). Ceci peut refléter le type de criminalité des jeunes et les enjeux sociaux dans les territoires que desservent la GRC et la PPO. Les services de police des Prairies (35 p. 100), de l'Ontario (30 p. 100) et des territoires (22 p. 100) rattachent cette condition à la promesse plus souvent que dans les autres régions du pays.
La condition interdiction d'arme vise à empêcher les jeunes d'être en possession d'une arme. Seulement 2 p. 100 des services de police de notre échantillon ont mentionné qu'ils rattachaient couramment ces conditions à la promesse. De nombreux agents ont indiqué que cette condition était utilisée beaucoup plus fréquemment avec les adultes qu'avec les adolescents.
La condition heures d'interdiction représente l'heure limite à laquelle l'adolescent doit rentrer à la maison. L'heure de rentrée est généralement établie au moyen d'heures précises de début et de fin, comme par exemple du crépuscule à l'aube, ou de 19 h à 7 h le matin. Beaucoup d'agents nous ont répété qu'ils n'avaient pas l'autorité juridique de rattacher une heure de rentrée à un engagement envers un agent responsable, que cette condition ne pouvait être ordonnée que par un juge de paix. Malgré le fait que beaucoup des répondants dans tout le pays aient indiqué ne pas avoir le pouvoir juridique de rattacher une heure de rentrée à une promesse, 31 p. 100 le faisaient toutefois couramment. Certains des répondants nous ont informé que les juges maintenaient couramment la condition d'heures d'interdiction qu'ils avaient rattachée à une promesse[19]. D'autres ont mentionné qu'ils devaient « surveiller » l'adolescent pour s'assurer qu'il ne répéterait pas l'infraction avant sa première comparution en cour. Comme dans le cas des autres conditions, les détachements de la police provinciale étaient plus susceptibles, dans une proportion de 38 p. 100, d'imposer des heures d'interdiction que les services de police municipaux indépendants (28 p. 100), bien que cette différence soit minime. Il semble y avoir un lien précis entre l'adoption d'une heure de rentrée et le type de collectivité. Parmi les services de police des régions métropolitaines, 40 p. 100 ont indiqué qu'ils rattachaient une heure de rentrée, comparativement à 32 p. 100 des services des banlieues et régions exurbaines et à 25 p. 100 des services des régions rurales et des petites municipalités. Ceci donne à penser que ce n'est pas nécessairement le type de force policière qui détermine le recours à la condition relative aux heures d'interdiction, mais plutôt le type de région desservie. La condition heures d'interdiction est plus souvent rattachée à une promesse dans les Prairies (47 p. 100), en Ontario (43 p. 100) et dans les territoires (33 p. 100).
Une autre condition mentionnée par les répondants est l'obligation de fréquenter l'école. Dans certains cas, les infractions sont commises par l'adolescent pendant les heures d'école et, après consultation avec les autorités scolaires, les agents ont découvert que l'adolescent manquait souvent l'école. Les agents ont mentionné que dans ces cas ils imposaient cette condition.
Cependant, dans la plupart des cas, ce ne sont pas les policiers patrouilleurs mais les agents de liaison avec l'école qui mènent également des enquêtes au sein des écoles qu'ils desservent.
La dernière catégorie de conditions, soit conditions non précisées représente les services de police ayant indiqué avoir recours aux promesses avec conditions dans le cas d'incidents impliquant un adolescent, mais n'ayant pas précisé clairement les conditions couramment imposées. Cinquante-six pour cent des forces policières de notre échantillon se situaient dans cette catégorie. Certains services de police ont été inscrits sous cette catégorie de même que sous une autre, parce qu'il ressortait clairement de l'entrevue qu'ils rattachaient couramment des conditions non précisées en plus des conditions précisées.
De nombreux agents semblaient attacher une importance considérable aux conditions d'une promesse. Ils voient ces conditions comme des mesures précises, immédiates et exécutoires permettant de contrôler le comportement ultérieur de l'adolescent et comme des conséquences (ou sanctions) immédiates et concrètes du geste criminel commis par l'adolescent, par opposition à ce qu'ils considèrent être des mesures de contrôle et des sanctions sans rapport, différées, imprévisibles, et sans doute inopportunes, qui, tôt ou tard, peuvent être (ou ne pas être) imposées par le tribunal pour adolescents et le système correctionnel.
7.4 Mise en liberté sur engagement
L'article 498 du Code criminel prévoit que le policier ayant procédé à l'arrestation ou l'agent responsable puisse mettre un adolescent (ou un adulte) en liberté pourvu que celui-ci contracte « une promesse d'un montant maximal de 500 $ »
. À moins que la personne ne réside à plus de 200 km du lieu où elle est sous garde, aucun dépôt ne peut être exigé. Comme pour la promesse de comparaître, une promesse peut être accompagné d'une promesse de se conformer à certaines conditions particulières.
Lorsque nous avons interrogé les répondants sur le recours à l'engagement avec les adolescents, tous ont répondu qu'ils ne l'utilisaient pas. Aucune raison autre que « c'est comme ça que nous faisons les choses ici »
n'a été invoquée, mais nous présumons que le recours à des conditions financières est considéré comme inapproprié dans le cas des adolescents. Ceci reflète le point de vue apparent des juges du tribunal pour adolescents qui imposent très rarement une amende. Peut-être également le fait de faire respecter à un jeune de moins de seize ans une promesse constitue-t-il un obstacle juridique, puisque une promesse est considéré comme un titre de créance[20].
7.5 Résumé : méthodes d'assignation à comparaître sans détention
Avant de se lancer dans un examen du recours à la détention, nous résumerons nos constatations au sujet des diverses autres méthodes utilisées par la police pour ordonner la comparution en cour. Celles-ci comprennent : la sommation et la citation à comparaître, qui peuvent être utilisées à la place d'une arrestation, ou comme méthode de remise en liberté après l'arrestation; et la mise en liberté en vertu d'une promesse de comparaître, avec ou sans promesse assortie de conditions. Théoriquement, la police peut également remettre un adolescent en liberté en vertu d'une promesse, mais il semble que cela ne se fasse jamais.
Bien que le recours à la sommation ou à la citation à comparaître sans arrestation semble être particulièrement souhaitable avec les jeunes contrevenants, parce que ces mesures sont moins restrictives, on y a, en fait, rarement recours, et ce pour plusieurs raisons. La raison principale semble être que lorsqu'un policier évalue la possibilité de porter une accusation ou de recourir à des mesures de rechange avant le dépôt d'accusations, il doit recueillir suffisamment de preuves pour appuyer une poursuite judiciaire (que celle-ci ait en fait lieu ou non). Ceci veut généralement dire qu'il faut établir l'identité, obtenir une déclaration, prendre éventuellement les empreintes digitales, éventuellement aviser les parents, et remplir un ou plusieurs formulaires, ce qui peut être fait beaucoup plus aisément au poste de police que sur la rue ou dans une voiture de patrouille.
Une autre raison est le fait que procéder à l'arrestation d'un adolescent et de l'amener au poste de police avant de porter des accusations est vu comme une manière de faire comprendre à l'adolescent la gravité de la situation, tandis qu'il pourrait ne pas prendre au sérieux une sommation ou une citation à comparaître. Et à cette fin, il est parfois nécessaire, dans certaines circonstances, de prendre le contrôle de la situation et de séparer l'adolescent de ses copains afin d'obtenir sa collaboration. Enfin, une dernière raison est la difficulté dans certaines circonstances ou dans certaines administrations de signifier une assignation.
À la suite d'une arrestation et de la détention temporaire, la plupart des agents préfèrent avoir recours à la promesse de comparaître plutôt qu'à la sommation ou à la citation à comparaître comme méthode de mise en liberté. La principale raison est que la promesse de comparaître peut être accompagnée d'une promesse qui précise les conditions de la mise en liberté. De nombreux agents semblent accorder une importance considérable aux conditions contenues dans une promesse. Ils voient ces conditions comme des mesures relativement précises, immédiates et exécutoires permettant de contrôler le comportement ultérieur d'un adolescent, et comme des conséquences (ou sanctions) immédiates et concrètes pour l'infraction criminelle commise par l'adolescent, par opposition à ce qu'ils considèrent être des mesures de contrôle et des sanctions sans rapport, différées, imprévisibles, et sans doute inappropriées, qui, tôt ou tard, peuvent être (ou ne pas être) imposées par le tribunal pour adolescents et le système correctionnel.
7.6 Détention en vue d'une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire
Le dernière moyen, le plus restrictif, d'ordonner la comparution en cour est la détention en vue d'une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Les explications offertes par la police pour avoir recours au maintien de la détention sont résumées par la figure II.22 (la somme des pourcentages dépasse 100 p. 100 puisque les réponses multiples étaient permises).
En grande majorité, les services de police (82%) ont indiqué qu'ils observaient la loi pour décider si un adolescent devait être détenu ou mis en liberté. Cette catégorie renferme toutes les personnes interrogées qui ont répondu ne pas mettre sous garde un adolescent à moins que la loi ne leur en donne le pouvoir. Ils avaient tendance à définir la décision de mettre sous garde ou de remettre en liberté comme relativement non discrétionnaire et déterminée par les articles du Code criminel. Cependant, un examen plus approfondi du sujet révélait souvent des facteurs supplémentaires, et la décision commençait alors à paraître plus complexe.
Figure II.22 Motifs de détention pour une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire
L'acronyme 4 P et R.I.C.E. est couramment utilisé par les policiers de l'Ontario. L'acronyme en lui-même n'est pas inscrit dans le Code criminel; cependant, son contenu tire son origine des paragraphes 497 (1.1) et 498 (1.1) du Code criminel. Les « 4 P » sont utilisés pour apprendre aux nouvelles recrues les circonstances dans lesquelles ils ne peuvent remettre en liberté un contrevenant, adulte ou adolescent. Ces 4P correspondent à : (1) protection de l'intérêt du public, (2) protection de l'accusé[21], (3) protection de la propriété, (4) prévenir d'autres infractions. L'acronyme « R.I.C.E. » signifie :
- R = Repetition - Répétition (de l'infraction)
- I = Identity - Identité (de l'accusé)
- C = Court - Cour (possibilité de comparaître en cour)
- E = Evidence - Preuve (protéger la preuve).
Si un policier n'a pas de motif raisonnable de croire que l'accusé commettra une autre infraction, qu'il détruira des éléments de preuve, qu'il ne comparaîtra pas en cour, ou s'il n'a pas de doute concernant l'identité de l'accusé, il doit alors remettre l'adolescent en liberté. Parmi les services de police, 11 p. 100 ont indiqué que la présence des critères des « 4P et R.I.C.E. » était l'un des motifs pour avoir recours à la mise sous garde des adolescents. Il s'agissait principalement de services de police municipaux indépendants, ce qui permet de croire que les programmes de formation de la GRC et de la PPO n'utilisent pas ces acronymes.
Près de la moitié des services de police (46 p. 100) envisagent de mettre sous garde un adolescent qui récidive. Certains agents ont mentionné qu'ils pensent à la mise sous garde si l'adolescent a déjà commis la même infraction auparavant. Toutefois, la grande majorité des services ont laissé entendre qu'ils seraient plus susceptibles d'avoir recours à la mise sous garde si l'adolescent possédait déjà un casier judiciaire rempli. Bien que cela ne soit pas mentionné de manière explicite, la justification implicite semble être la propension d'un tel adolescent à commettre une nouvelle infraction s'il est remis en liberté. Cependant, certains agents ont un point de vue plutôt différent voulant qu'il s'agisse d'une mesure nécessaire, car l'adolescent n'avait de toute évidence pas compris la gravité de ses actes, et que passer une nuit en prison pouvait peut-être le lui faire comprendre. Comme pour l'analyse des autres mesures, nous voyons ici le recours à la détention par la police comme une sanction ou « conséquence » pratique et immédiate à la conduite illicite de l'adolescent, ou comme une réaction au manque de respect apparent de l'adolescent envers la loi. Dans une proportion de 65 p. 100, les agents de la GRC étaient plus susceptibles que ceux des autres types de service de police (42 p. 100) d'avoir recours à la mise sous garde pour les jeunes récidivistes. Les services de police des régions métropolitaines ont mentionné la récidive comme motif de détention dans une proportion de 63 p. 100, comparativement à 37 p. 100 des services des banlieues et des régions exurbaines et à 41 p. 100 de ceux des régions rurales ou des petites municipalités.
Un type particulier de récidiviste est celui qui possède des antécédents de manquements multiples pouvant comprendre des manquements aux conditions de la probation, des promesses ou de la mise en liberté sous caution. Et 36 p. 100 des services de police ont mentionné, qu'à leurs yeux, cela constituait une raison de mettre l'adolescent sous garde. À cet effet, ils ont mentionné des justifications semblables à celles qu'ils avaient données pour la détention d'un récidiviste. Les détachements de la police provinciale (y compris la GRC et la PPO) ont plus tendance à mettre sous garde un adolescent pour manquements multiples que les services de police municipaux indépendants (45 p. 100 et 32 p. 100 respectivement). Comme dans le cas de la mise sous garde des récidivistes, les services de police des régions métropolitaines ont plus tendance à avoir recours à la mise sous garde pour manquements multiples : 50 p. 100, comparativement à 30 p. 100 des services dans les autres types de collectivités.
La catégorie s'ils doivent comparaître comprend les adolescents mis sous garde parce qu'ils font toujours l'objet d'accusations devant les tribunaux. Autrement dit, il s'agit d'adolescents qui avaient été mis en liberté après une première infraction, mais qui ont commis une autre infraction avant leur première comparution en cour ou pendant le procès pour cette première infraction. Les services de police ont mentionné dans une proportion de 26 p. 100 qu'ils pouvaient avoir recours à la mise sous garde d'un adolescent pour ces motifs. Les services de police des régions métropolitaines et ceux des banlieues et régions exurbaines sont, dans une proportion de (35 p. 100), beaucoup plus susceptibles que les services desservant les régions rurales et les petites municipalités (18 p. 100) d'avoir recours à la mise sous garde pour ce motif. Les services de police de l'Ontario sont beaucoup plus susceptibles (43 p. 100) que ceux de toutes les autres régions du Canada de procéder à la mise sous garde parce que l'adolescent doit comparaître devant les tribunaux.
Certains services de police ont mentionné qu'ils pouvaient mettre sous garde un adolescent afin d'obtenir des conditions de mise en liberté sous caution lors de l'audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire, c'est-à-dire, dans l'espoir que l'adolescent soit mis en liberté conditionnelle par le juge ou le juge de paix. Les services qui procèdent à la mise sous garde pour ce motif n'ont pas tendance à avoir recours aux promesses envers un agent responsable. Les services de police de notre échantillon ont mentionné dans une proportion de 28 p. 100 qu'obtenir des « conditions de cautionnement » était l'un des motifs pour lesquels ils mettaient sous garde un adolescent en vue d'une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Certains autres répondants ont mentionné que les conditions imposées par un juge ou un juge de paix sont beaucoup plus « contraignantes » que celles d'une promesse envers un agent responsable. Ils ont également ajouté qu'un juge ou un juge de paix pouvait imposer des heures d'interdiction exécutoires pour les délinquants à risque élevé. Il faut prendre note que les organisations qui possèdent un programme d'intervention auprès des récidivistes (PIRI) comptent sur les conditions de cautionnement ou de probation pour assurer la surveillance de leur clientèle. On retrouve la plupart de ces programmes dans les services policiers municipaux les indépendants, ce qui explique sans doute pourquoi ceux-ci sont plus susceptibles d'avoir recours à la mise sous garde afin d'obtenir des conditions de cautionnement que les autres types de service de police (38 p. 100 comparativement à 20 p. 100). Dans le même ordre d'idées, les services de police des régions métropolitaines sont beaucoup plus susceptibles que ceux des banlieues et des régions exurbaines ou rurales et des petites municipalités d'avoir recours à la mise sous garde pour obtenir des conditions de cautionnement (50 p. 100, 37 p. 100 et 11 p. 100 respectivement).
Près du quart des services de police ont mentionné avoir recours à la mise sous garde pour un adolescent en état d'ébriété ou sous l'emprise de drogues (facultés affaiblies). Dans plusieurs cas, les agents ont mentionné qu'il n'y avait pas d'autre endroit pour accueillir l'adolescent puisque les parents ne pouvaient s'en occuper ni le surveiller parce qu'ils étaient eux-mêmes en état d'ébriété ou encore, qu'il n'y avait pas de centre de désintoxication pour jeunes dans leur compétence. Cet exemple a été cité par la police dans tous les types de collectivités et presque toutes les provinces et tous les territoires. Dans de nombreux cas, les policiers ont dit avoir de grandes inquiétudes à remettre en liberté un adolescent qui était en état d'ébriété, invoquant la sécurité de l'adolescent. Dans les administrations qui présentent des taux élevés de consommation de drogue et d'alcool chez les adolescents, les agents ont également exprimé leurs craintes face à la responsabilité juridique de remettre en liberté, sans supervision parentale, un adolescent en état d'ébriété. Ils ont laissé entendre qu'ils pourraient ainsi mettre l'adolescent en danger de victimisation et augmenter la probabilité qu'il puisse commettre une infraction. Les services policiers des régions métropolitaines sont beaucoup plus susceptibles de mettre sous garde un adolescent pour motif d'ébriété (37 p. 100) que ceux des autres types de collectivités (19 p. 100) De plus, 55 p. 100 des services des provinces de l'Atlantique ont mentionné mettre sous garde les adolescents pour ce motif, ce qui est considérablement plus élevé que dans les autres régions du Canada où la proportion varie de 0 p. 100 à 30 p. 100.
L' intérêt supérieur de l'adolescent (aucun adulte responsable) est un autre motif pour mettre sous garde un adolescent, invoqué par les agents de 20 p. 100 des services de police. Les cas autres que l'ébriété dans cette catégorie sont l'impossibilité pour un policier de trouver un adulte responsable ou de prendre des arrangements avec les services sociaux pour que l'on prenne soin de l'adolescent. Dans certaines provinces ou territoires, il peut être difficile pour les policiers de demander aux services sociaux de placer un adolescent de plus de quatorze ans dans un foyer d'accueil s'il n'y a jamais été placé auparavant. Et plusieurs agents ont mentionné que les services sociaux refusaient de prendre en charge un adolescent de plus de quatorze ans. Ceci a été mentionné plus souvent par les policiers des régions métropolitaines que par ceux des autres types de collectivités, dans une proportion de 40 p. 100 comparativement à 11 p. 100. Comme pour les cas d'intoxication, les services de police des provinces de l'Atlantique sont beaucoup plus susceptibles de mettre sous garde les adolescents pour leur propre bien, dans une proportion de 55 p. 100, comparativement à des proportions variant de 0 p. 100 à 27 p. 100 dans les autres régions. Il s'agit clairement, comme pour la catégorie Page précédente, d'un problème de bien-être social qui soulève la question de la suffisance des services sociaux dans nombre d'administrations. Ainsi, 6 p. 100 des services de police ont mentionné expressément le manque de soutien de la part des services sociaux (p. ex., le placement familial) comme motif pour mettre sous garde un adolescent. Dans le même ordre d'idées, 4 p. 100 des services de police ont mentionné qu'ils devaient mettre un adolescent sous garde afin de le faire admettre dans un programme (p. ex., un programme de prévention de la toxicomanie). Un agent a déclaré qu'à moins de mettre un adolescent sous garde pour lui permettre de « reprendre ses esprits », il n'a pas la possibilité de le renvoyer aux programmes de prévention de la toxicomanie en place dans la grande ville où il travaille, parce que l'une des conditions d'admission à ces programmes est d'être sobre et de n'avoir pas consommé pendant au moins soixante-douze heures, conditions qui sont pratiquement impossibles à respecter dans le cas d'adolescents héroïnomanes et sans abri.
Plusieurs autres motifs de mise sous garde des adolescents ont été mentionnés moins fréquemment. Pour les éloigner de la prostitution est un motif invoqué par 3 p. 100 des services de police, provenant tous des régions métropolitaines. Un autre 3 p. 100 des services ont indiqué mettre les adolescents sous garde en raison de leur attitude. Et enfin, 6 p. 100 des services ont mentionné mettre sous garde un adolescent si l'incident était lié à un gang. Ces services de police étaient presque tous des services des grandes villes des Prairies et de l'Ontario.
On peut ranger en trois grandes catégories les motifs invoqués par les policiers pour mettre sous garde un adolescent. La première comprend les motifs liés au respect de la loi, définis de façon précise, et illustrés par l'acronyme « 4P et R.I.C.E. ». On peut résumer ainsi le deuxième groupe de motifs : « mise sous garde pour le bien de l'adolescent »
; il s'agit de la mise sous garde des adolescents sous l'emprise de l'alcool ou de drogue, qui n'ont pas de chez-soi sûr où l'on peut les renvoyer, qui ne peuvent être pris en charge par les services sociaux, ou qui s'adonnent à la prostitution. Dans ce dernier cas, les policiers n'agissent pas uniquement à titre d'agents d'application de la loi, mais en tant que préposés du « seul service d'urgence qui fonctionne vingt-quatre heures sur vingt-quatre en ville »
[22].
Dans le troisième type de motifs, la mise sous garde devient l'une des décisions possibles, c'est-à-dire un autre outil dans le répertoire de mesures que peuvent prendre les policiers pour imposer à l'adolescent une sanction ou une «conséquence convaincante » pour sa conduite illicite. Ce point de vue semble inspirer les déclarations de certains agents, qui mettraient sous garde un récidiviste ou un adolescent ayant maintes fois enfreint des conditions, ou un adolescent ayant une « mauvaise attitude », ou impliqué dans un incident lié à un gang. Une variante consiste à recourir à la mise sous garde et à l'audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire pour obtenir des conditions de cautionnement, afin de pouvoir exercer une surveillance immédiate et, dans certains cas, de faciliter le travail effectué au sein de programmes destinés aux jeunes à risques élevés, par exemple les programmes d'intervention auprès des récidivistes (PIRI).
7.7 Infractions entraînant presque toujours l'arrestation et la mise sous garde
Nous avons tenté de simplifier le raisonnement qui appuie la décision de mise sous garde/mise en liberté en demandant aux répondants s'il y avait des types d'infractions pour lesquelles ils avaient presque toujours recours à la mise sous garde d'un adolescent en vue d'une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Cette question a suscité beaucoup de réticence, car nombre de répondants soutenaient que ces décisions étaient prises au cas par cas, c'est-à-dire en fonction d'une série de facteurs spécifiques à chaque cas. Nous résumons à la figure II.23 les réponses reçues.
Plus de la moitié (60 p. 100) des services de police de notre échantillon ont mentionné avoir presque toujours recours à l'arrestation et à la mise sous garde des adolescents en cas d'infractions graves. Il était toutefois extrêmement difficile d'obtenir une définition concise d'« infraction grave ». L'exemple que les agents ont donné le plus souvent était les voies de fait avec blessures corporelles et la plupart des infractions avec utilisation d'une arme. Les services de police des régions métropolitaines, dans une proportion de 73 p. 100, ont déclaré qu'ils avaient presque toujours recours à l'arrestation et à la mise sous garde pour les infractions graves, comparativement aux services des banlieues et des régions exurbaines (63 p. 100) et à ceux des régions rurales et des petites municipalités (52 p. 100). C'est dans les territoires que les services de police sont les moins susceptibles (22 p. 100) de déclarer avoir presque toujours recours à l'arrestation et à la mise sous garde pour les infractions graves. Puisqu'un grand nombre de détachements des territoires sont éloignés et isolés, nous présumons que ceci est attribuable au manque d'établissements de détention situés à une distance raisonnable.
Figure II.23 Infractions pour lesquelles la police opte presque toujours pour l'arrestation et la mise sous garde
Près du tiers (34 p. 100) des services de police ont indiqué avoir presque toujours recours à l'arrestation et à la mise sous garde pour les récidivistes. Pour la plupart, les agents disent que ces contrevenants sont ce qu'ils considèrent comme leur « clientèle régulière ». Dans la majorité des cas, ces récidivistes sont mis sous garde en raison à la fois de la nature de l'infraction et de leur casier judiciaire.
Plus du tiers (36 p. 100) des services de police indiquaient avoir presque toujours recours à l'arrestation et à la mise sous garde en raison d'une politique du service établie dans les lignes directrices de leur service. Par exemple, la PPO énumère quinze infractions « de référence » au Code criminel, où l'accusé est toujours arrêté et mis sous garde (p. ex., meurtre). Parmi les détachements de la PPO interrogés, 93 p. 100 ont signalé qu'ils avaient «presque toujours » recours à l'arrestation et à la mise sous garde des adolescents uniquement dans les cas d'infractions de référence.
L'une des raisons avancées par 19 p. 100 des répondants pour avoir « presque toujours » recours à l'arrestation et à la mise sous garde était : pour obtenir des conditions de mise en liberté. Tel que mentionné ci-dessus, la majorité de ces répondants n'ont pas couramment recours aux promesses envers un agent responsable. Les autres choisissent la mise sous garde pour obtenir des conditions de mise en liberté si l'adolescent avait précédemment manqué à ce type de promesse. Les services de police municipaux indépendants sont plus susceptibles, dans une proportion de 26 p. 100, que les autres types de services de police (12 p. 100), de répondre recourir presque toujours à l'arrestation et à la mise sous garde pour obtenir des conditions.
Enfin, une petite proportion (5 p. 100) des services de police ont indiqué avoir presque toujours recours à l'arrestation et à la mise sous garde des adolescents dans les cas d'infractions liées à l'abus d'alcool ou de drogue.
- [17] Doob et Cesaroni (2002: 142 et 143) signalent qu'au cours de l'exercice 1998-1999, les admissions en détention préventive comptaient pour 60 p. 100 des admissions d'adolescents en détention, et pour 18 p. 100 du nombre quotidien moyen d'adolescents en détention au Canada (à l'exclusion de certaines provinces n'ayant pas participé à cette enquête).
- [18] Trop peu de services dwe police du Québec ont répondu à ces questions pour que nous puissions faire une analyse.
- [19] Voir les condition de « cautionnement » à la section 7.6 ci-dessous.
- [20] À propos de l'exécution de dettes par les enfants, consulter ala et Clark (1981 : 223 à 225).
- [21] C'est ce que l'on nous a dit, et on nous a donné l'exemple de criminels notoires comme par exemple Paul Bernardo, qui pourraient risquer de subir la vengeance publique s'ils étaient remis en liberté. Toutefois, les articles 497 et 498 ne font pas mention de la protection de l'accusé, mais uniquement de celle des victimes our des témoins.
- [22] Des motifs analogues se présentent au cours des audiences de mise en liberté provisoire par voie judiciaire; Doob et Cesaroni analysent les études menées sur ce thème (Doob et Cesaroni, 2002: 139 à 146).
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