Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants
II. Profil descriptif
8.0 Résumé
Nos discussions avec la police au sujet de l'exercice du pouvoir discrétionnaire dans leurs décisions de recourir à l'arrestation, au dépôt d'accusations, aux mesures officieuses ou à la déjudiciarisation, ainsi que sur la manière d'ordonner la comparution lorsque des accusations sont portées, donne à penser que les policiers (ainsi que les services de police) tendent à voir leurs pouvoirs, utilisés en association, comme un répertoire varié de choix pour « résoudre » un incident ou prendre une décision à l'égard de l'incident. Dans le cadre des limites imposées par la loi et les politiques provinciales, la police exerce ses choix en se fondant sur une kyrielle de facteurs liés au cas, mais tellement complexes qu'ils défient toute analyse. Au cours des entrevues, les agents résistaient constamment à nos tentatives de les amener à traduire leur processus de prise de décision en facteurs distinct et classés en ordre de priorité. Les agents faisaient plutôt valoir que leurs décisions concernant chaque cas dépendaient des circonstances propres à celui ci.
Il semble que les policiers visent deux objectifs principaux lorsque vient le temps de prendre une décision pour régler un incident. L'un de ceux-ci est de respecter les exigences du travail policier traditionnel, soit d'enquêter sur l'incident, d'identifier et d'arrêter les auteurs et de rassembler les preuves nécessaires s'il doit y avoir poursuite. L'autre objectif, moins explicite, semble être d'imposer une sanction ou « conséquence » appropriée, presque indépendamment du tribunal pour adolescents et du système correctionnel. Les agents ont, à maintes reprises, souligné qu'il importe que les adolescents subissent des conséquences en rapport avec leurs gestes illégaux et beaucoup d'agents, mais certainement pas tous, ont exprimé des doutes sur la capacité des tribunaux et du système correctionnel d'y parvenir, justifiant ainsi l'exercer d'une justice « de rue » nécessaire. Nous ne voulons pas laisser entendre par là que les gestes de la police sont illégaux ou répréhensibles, mais plutôt que leur propre vision des fonctions policières dans le domaine de la prévention, de l'intervention et de la répression de la criminalité juvénile est sensiblement plus large que la vision traditionnelle voulant que les forces policières n'agissent qu'à titre d'agents d'application de la loi.
Surtout dans les régions métropolitaines, les policiers avaient tendance à illustrer négativement l'impression d'éloignement du ministère public et du tribunal pour adolescents, ainsi que la lourdeur et la lenteur de leurs procédures, en regard de leur propre proximité avec la réalité de la criminalité de la rue, de leur propre capacité d'imposer rapidement des sanctions et de leur connaissance des circonstances ainsi que des besoins de chaque contrevenant. Dans les régions rurales et les petites municipalités, les agents sont plus susceptibles d'établir une relation professionnelle plus étroite avec le ministère public et les fonctionnaires de la cour et, dès lors, ont une plus grande confiance dans la capacité de ces organismes de trouver des solutions satisfaisantes à la criminalité chez les jeunes. Plus particulièrement, les agents des détachements de la GRC dans les régions rurales et les petites municipalités sont plus susceptibles d'avoir confiance dans la capacité des organismes communautaires locaux ou des organismes de déjudiciarisation de s'occuper des jeunes contrevenants, et ont donc moins l'impression de devoir résoudre la situation en ne comptant que sur eux-mêmes.[23]
En nous fondant sur nos discussions avec la police, il est possible d'établir une liste de conséquences, ou sanctions, auxquelles ont habituellement recours les policiers lorsqu'ils ont des motifs raisonnables de croire qu'un adolescent a commis une infraction. Les voici, par ordre croissant de gravité :
- Ne prendre aucune mesure supplémentaire.
- Donner un avertissement officieux.
- S'assurer la participation des parents.
-
a. Donner un avertissement officiel; et(ou)
b. procéder à l'arrestation, emmener l'adolescent au poste de police, puis le remettre en liberté sans accusation.
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a. Procéder à l'arrestation, emmener l'adolescent au poste de police, et l'aiguiller vers des mesures de rechange avant le dépôt d'accusations; ou
b. porter une accusation sans arrestation, au moyen d'une citation à comparaître ou d'une sommation, et ensuite recommander le renvoi à des mesures de rechange après le dépôt d'accusations.
- Procéder à l'arrestation, puis remettre en liberté en vertu d'une citation à comparaître, d'une sommation ou, plus couramment, d'une promesse de comparaître sans condition.
- Procéder à l'arrestation, porter une accusation, puis remettre en liberté en vertu d'une promesse de comparaître, assortie de conditions énumérées dans une promesse envers un agent responsable.
- Procéder à l'arrestation, porter une accusation, mettre sous garde jusqu'à une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire
(La sévérité des options 6, 7 et 8 pourrait être atténuée par la recommandation de mesures de rechange après le dépôt d'accusations.)
Mis à part ces deux objectifs principaux, soit appliquer la loi et imposer des sanctions officieuses, un troisième objectif des mesures policières découle de ce que les policiers perçoivent comme leur responsabilité en matière de prévention du crime et d'aide sociale, responsabilité que, dans certains cas, ils préféreraient ne pas avoir à assumer, mais qu'ils se croient obligés d'assumer en raison des lacunes des services sociaux en place. Il arrive que les policiers renvoient un adolescent vers un programme de déjudiciarisation, non pas pour lui imposer une sanction, mais dans le but de répondre à ses besoins, selon ce qu'ils en perçoivent, que ces besoins soient directement liés à l'infraction ou qu'ils soient vus comme des problèmes pour lesquels le jeune a besoin d'aide. De plus, dans certains cas, le policier peut décider d'arrêter un adolescent, lorsqu'il croit qu'il serait irresponsable de laisser l'adolescent « dans la rue», mais qu'il n'arrive pas à communiquer avec les parents ou que ceux-ci ne veulent pas prendre leur adolescent en charge ou ne sont pas en mesure de le faire, et qu'il n'arrive pas non plus à trouver un organisme prêt à accueillir l'adolescent. Les circonstances que l'on juge constituer un risque pour l'adolescent sont le fait d'être sous l'emprise de l'alcool ou de la drogue, la prostitution, ou un environnement dangereux à la maison. Dans ces circonstances, l'agent se sent obligé de mettre l'adolescent sous garde; les études sur les enquêtes sur le cautionnement donnent à penser que le juge peut alors approuver le maintien en détention, également pour des motifs d'aide sociale (Doob et Cesaroni, 2002 : 139 à 146). Dans nombre d'administrations, les policiers disent être forcés de recourir à cet expédient faute d'établissements et d'organismes appropriés pour les adolescents.
[23] À la section 4.1 du chapitre III, nous effectuerons une comparaison plus poussée du travail policier face à la criminalité des jeunes entre les régions métropolitaines et les régions rurales et petites municipalités.
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