Pouvoir discrétionnaire de la police à l'égard des jeunes contrevenants

IV. Facteurs organisationnels influant sur l'exercice du pouvoir discrétionnaire des policiers

3.0 Hiérarchie

On peut mesurer le degré de hiérarchisation d'un organisme de diverses façons (Hall, 2002). Une manière simple est de compter le nombre de postes différenciés verticalement. Dans un service de police, la différenciation verticale se manifeste de deux façons : la situation fonctionnelle du pouvoir, par exemple « agent responsable, division SEG », ainsi que le grade. Ces deux hiérarchies sont si étroitement interreliées qu'on peut les considérer ensemble. La structure type des pouvoirs et grades comporte trois niveaux : i) cadres/haute direction (les grades de chef, sous-chef, surintendant), ii) cadres intermédiaires (inspecteur, sergent d'état-major, sergent) et iii) agents de première ligne (policiers ou gendarmes). Les variations dépendent surtout de la taille du service. Ainsi, certains services policiers de l'Ontario comportent neuf grades, en ajoutant le surintendant d'état-major et l'inspecteur d'état-major. À titre de comparaison, un service de police aussi grand que la GRC comporte dix grades. Le 1er mai 2001, la GRC avait à son effectif 20 866 membres, classés comme suit : commissaire (1), sous-commissaires (6), commissaires adjoints (25), surintendants en chef (46), surintendants (106), inspecteurs (284), sergents d'état-major (677), sergents (1 499), caporaux (2 770) et gendarmes (9 698) (Gendarmerie royale du Canada, 2002).[59] Certains services de police ont éliminé le poste d'inspecteur pour réduire la pyramide hiérarchique (Service de police d'Edmonton) et on a mentionné que la GRC envisage de réduire le nombre de ses policiers cadres intermédiaires (Seagrave, 1997: 39).

Dans la réglementation sur le maintien de l'ordre, on a attiré l'attention sur les liens entre le niveau de hiérarchisation du service et l'exercice du pouvoir discrétionnaire par les policiers. Selon Brown (1981b: 259), les services de police canadiens des années 1970 possédaient trop de niveaux hiérarchiques, de sorte que la structure de commandement à multiples paliers qui en résultait empêchait une décentralisation efficace des services et était dysfonctionnelle sur le plan de l'atteinte des objectifs organisationnels. Toutefois, après beaucoup de recherches sur cette question, on n'a pu ou on n'a pas voulu faire de distinction entre le degré de hiérarchisation, la taille du service de police et le type (ou la taille) de la collectivité qu'il dessert, autant de facteurs étroitement reliés. Nos propres résultats, mentionnés plus loin, souffrent de la même difficulté de faire une distinction entre ces phénomènes intereliés.

D'après certains chercheurs, la probabilité d'une arrestation augmente à mesure que le service de police grossit et se hiérarchise, et qu'il existe une différenciation accrue des grades au niveau de la gestion intermédiaire et supérieure (Smith et Klein, 1994).[60] Les agents des grands services comptant plus de grades ont tendance à subir moins de contraintes de la part des surveillants en ce qui a trait à l'exercice du pouvoir discrétionnaire et ont tendance à faire un plus grand usage de l'arrestation. Cela illustre une anomalie intéressante dans laquelle le service de police a une propriété spéciale : le pouvoir discrétionnaire augmente à mesure que l'on descend dans la hiérarchie (Wilson, 1968, cité dans Reiner, 1997: 1009). Par ailleurs, dans les services plus petits ayant moins de grades, les policiers passent davantage de temps en patrouille de routine dans la collectivité et davantage susceptibles d'être plus souples en ce qui concerne le dépôt d'accusations (Brown, 1981a; Mastrofski, 1981). Dans aucune de ces études, on a examiné les effets de la structure hiérarchique sur le traitement des adolescents.

Dans la classification de notre échantillon de services de police selon le nombre de grades, nous avons classé les détachements de la GRC et la PPO d'après le nombre de grades recensés dans le détachement, et non dans l'organisation dans son ensemble. Le nombre de grades dans les services de police de l'échantillon varie entre 1 et 12, soit en moyenne 4,8 grades, la médiane étant de quatre grades. Toutefois, le nombre le plus courant de grades dans les services de l'échantillon est de trois. L'échantillon est réparti assez également : 36 p. 100 des services et détachements ont de un à trois grades, 37 p. 100, de quatre à six et 27 p. 100, sept grades ou plus. Le degré de hiérarchisation est fortement lié à la taille de la collectivité et au type de maintien de l'ordre, comme nous l'illustrons aux figures IV.5 et IV.6.

Dans les données d'entrevue, nous n'avons observé que peu de variations dans le recours aux mesures officieuses en fonction du nombre de grades. Toutefois, dans les organismes ayant de un à trois grades, on est plus susceptible de recourir à des mesures officieuses (91 p. 100) que dans ceux où la différenciation verticale est plus prononcée (81 p. 100).

Figure IV.5 Hiérarchisation des services de police par type de collectivité

Figure IV.5 Hiérarchisation des services de police par type de collectivité - Si vous ne pouvez visualisez ce graphique, veuillez communiquer avec la Section de la politique en matière de justice applicable aux jeunes à Youth-Jeunes@justice.gc.ca pour obtenir un autre format approprié.

Description

Figure IV.6 Hiérarchisation des services de police selon la taille du service

Figure IV.6 Hiéarchisation des services de police selon la taille du service - Si vous ne pouvez visualisez ce graphique, veuillez communiquer avec la Section de la politique en matière de justice applicable aux jeunes à Youth-Jeunes@justice.gc.ca pour obtenir un autre format approprié.

Description

L'analyse des données du programme DUC sur la proportion de jeunes arrêtés et accusés n'a fait ressortir aucune différence importante attribuable à la hiérarchisation en ce qui concerne les accusations, mais l'analyse souffrait du manque de données et de l'effet confusionnel de variables apparentées, par exemple le type de maintien de l'ordre et de collectivité et la taille du service de police.

Les services de police sont plus susceptibles de recourir à la déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations à mesure qu'augmente la hiérarchisation. Précisons que 69 p. 100 des services comportant au moins sept grades ont mentionné recourir aux mesures de rechange avant le dépôt d'accusations comparativement à 50 p. 100 des services comptant de quatre à six grades et à 43 p. 100 de ceux ayant de un à trois grades. Nous pensons que cela pourrait résulter d'un niveau accru de spécialisation (p. ex., nouvelles recrues, agents des ressources scolaires) ou du fait que les grands services de police ont plus facilement accès à des ressources externes. Nous n'avons observé aucune différence dans le recours aux mesures de rechange après le dépôt d'accusations. Les services de police où l'on trouve au moins quatre grades sont plus susceptibles de juger les mesures de rechange « habituellement » efficaces (69 p. 100) que ceux ayant de un à trois grades (35 p. 100). En plus, 50 p. 100 des services comptant de un à trois grades ont estimé les mesures de rechange « occasionnellement » efficaces. Cela est conforme aux constatations voulant que les services ayant de un à trois grades soient moins susceptibles de recourir à des mesures de rechange dans le cas d'infractions mineures. Encore là, il est possible que plusieurs facteurs confusionnels interviennent. Tout d'abord, selon nos données, il y aurait un manque de programmes disponibles pour la déjudiciarisation avant le dépôt d'accusations dans les régions rurales et les petites villes qui, habituellement, sont desservies par des petits services de police ou des détachements comptant de un à trois grades. De plus, les services de police des régions rurales et petites villes sont plus susceptibles d'appliquer la loi de façon moins formelle (Brown, 1981a; Mastrofski, 1981).

Il n'existe aucune différence apparente dans le recours aux assignations, avis de comparution ou engagements auprès d'un agent responsable, selon le degré de hiérarchisation. Toutefois, certaines constantes intéressantes se dégagent en ce qui a trait à l'utilisation de la promesse de comparaître et aux motifs invoqués pour justifier la détention aux fins d'une audience de mise en liberté provisoire par voie judiciaire. Les services comptant au moins sept grades sont plus susceptibles de recourir à une promesse de comparaître en tant que « conséquence plus ferme » (38 p. 100 compar. à 12 p. 100). Cela ne semble pas découler du type de collectivité. Puisque les services de police des régions rurales et petites villes sont moins susceptibles de détenir des adolescents en raison de récidive, il ne faut pas s'étonner de la présence de la même relation dans les organismes comptant de un à trois grades (38 p. 100) comparativement à ceux en comptant quatre ou davantage (70 p. 100). Précisons que 14 p. 100 seulement des services ayant de un à trois grades ont laissé entendre qu'ils arrêtaient et détenaient « presque toujours » les récidivistes, comparativement à 58 p. 100 des autres organismes comptant quatre grades ou davantage. Les services comptant au moins sept grades sont deux fois plus susceptibles de détenir le jeune contrevenant « dont le cas est déjà devant les tribunaux » que ceux comptant moins de grades (50 p. 100 compar. à 24 p. 100).

Globalement, il ressort de ces constations qu'il existe certaines distinctions en matière de prise de décisions concernant les adolescents dans les services comptant au plus trois grades, comparativement à ceux qui en ont quatre ou davantage et en outre, il existe certaines différences dans le second groupe. Le degré de hiérarchisation ne semble pas avoir d'effet sur le recours aux mesures officieuses et à la détention dans le cas des jeunes contrevenants. Toutefois, comme l'ont constaté d'autres chercheurs, il est difficile de séparer les effets de la différenciation verticale proprement dite de ceux de la taille du service et de la collectivité.