COMITÉ FPT DES CHEFS DES POURSUITES PÉNALES
RAPPORT SUR LA PRÉVENTION DES ERREURS JUDICIAIRES
2. LES ÉTUDES MENÉES À L'ÉTRANGER
Un nombre important d'études sur les condamnations injustifiées et leurs causes ont été effectuées au cours des cent dernières années. Ces études ont été réalisées dans un vaste éventail de circonstances, et les éléments qui les sous-tendaient étaient différents. Certaines ont été commandées par des sources privées, d'autres ont été mandatées par l'État; certaines ont été axées sur une cause bien précise, et d'autres ont porté sur un groupe de causes sans lien entre elles; beaucoup d'entre elles ont été réalisées par des universitaires, mais quelques-unes ont été exécutées par des membres de l'ordre judiciaire en exercice ou à la retraite.
Ces études se sont également déroulées dans des milieux juridiques, politiques et sociaux nettement diversifiés, au Canada, aux États-Unis, en Grande-Bretagne, en Australie et en Nouvelle-Zélande. Il convient donc de faire preuve d'une certaine prudence avant de présumer automatiquement que les conclusions de ces travaux s'appliquent au Canada. Aux États-Unis, par exemple, il y a deux dimensions qui n'existent pas chez nous : la peine de mort et la situation raciale. En outre, de nombreux procureurs américains sont élus et nos voisins du Sud n'ont pas le même système d'aide juridique que celui que nous connaissons au Canada, qui assure la représentation adéquate de ceux qui sont confrontés aux accusations les plus graves.
Pourtant, comme Bruce MacFarlane le fait remarquer, malgré la diversité de ces études, les caractéristiques et les tendances qui en ressortent [TRADUCTION] « donnent le frisson et déconcertent ». Il conclut aussi qu'en dépit de la lenteur avec laquelle on a commencé à reconnaître l'existence même d'un problème, les systèmes de justice pénale d'origine anglaise, confrontés au pouvoir d'innovations scientifiques telles que l'analyse d'ADN, sont aujourd'hui aux prises avec l'absolue réalité - et non simplement une croyance - que les condamnations injustifiées sont un phénomène à grande échelle.
Voici une version abrégée de l'analyse que MacFarlane a faite de la documentation internationale sur les condamnations injustifiées.
a) L'étude de l'American Prison Congress (1912)
La toute première tentative pour relever des causes dans lesquelles on avait exécuté des innocents fut effectuée en 1912 par l'American Prison Congress[2] (le « Congrès »). Le Congrès avait pour mandat de [TRADUCTION] « faire soigneusement enquête sur chaque cas signalé de condamnation injustifiée et essayer de découvrir s'il est arrivé qu'on inflige la peine de mort à un homme qui ne la méritait pas »[3]. Après un an d'étude, le Congrès conclut qu'il n'y avait eu aucun cas de ce genre.
Qualifier ce travail d'« étude » est un brin charitable; et il n'était certes pas de nature analytique. La méthode utilisée consista simplement à envoyer une lettre de demande de renseignements au directeur de chaque prison au Canada et aux États-Unis, et à lui demander s'il était personnellement au courant d'exécutions injustifiées. Le Congrès n'indiqua pas le taux de réponse, mais toutes les réponses reçues furent négatives[4]. La seule exception fut celle du directeur de l'établissement Fort Leavenworth, au Kansas. Ce dernier fit savoir que [TRADUCTION] « une ou deux (personnes). selon moi, ont peut-être été exécutées à tort »[5].
Cet examen corrobora l'opinion qui prévalait à l'époque, à savoir que l'on commettait rarement d'erreurs judiciaires (du moins lorsqu'il était question de la peine de mort). S'il en survenait, on les corrigeait dans le cadre des procédures administratives ou judiciaires ordinaires avant que l'exécution ait réellement lieu[6].
b) Document du U.S. State Department (1912)
En 1912, Edwin M. Borchard, alors jeune bibliothécaire de droit au Congrès, écrivit un article intitulé « State Indemnity for Errors of Criminal Justice ». Accompagné d'une préface éditoriale de John H. Wigmore, qui, à l'époque, était doyen de la Faculté de droit de l'Université Northwestern, l'article de Borchard fut publié par le gouvernement américain, et constitue un document sénatorial permanent aux États-Unis[7].
Dans sa préface, Wigmore fit valoir ce qui suit[8] :
[TRADUCTION] L'État est enclin à faire montre d'indifférence et d'insensibilité lorsqu'il doit réparer ses propres fautes et ses propres bévues. Cela est imputable, d'une part, à la difficulté de fournir des mécanismes appropriés et, d'autre part, au principe qu'il est souvent nécessaire de faire des sacrifices individuels pour le bien collectif. Néanmoins, un exemple flagrant de cette insensibilité, inexcusable à tous points de vue, est le défaut de l'État d'indemniser ceux qui ont été condamnés à tort pour un crime.
Wigmore jugea que l'État, ayant soumis un citoyen à des allégations sans fondement, devrait à tout le moins s'efforcer de compenser le tort causé[9] :
[TRADUCTION] Priver un homme de sa liberté, lui imposer de lourdes dépenses pour se défendre et l'empêcher de gagner sa vie, peut-être aussi exiger une amende pécuniaire - ce sont là des sacrifices que l'État lui impose dans le but public de châtier un crime. Si l'on découvre que cet homme a subi ces sacrifices sans avoir commis de faute, qu'il était innocent, ne faudrait-il donc pas au moins que l'État le dédommage, dans la mesure où une somme d'argent peut le faire?
Les commentaires de Borchard suivaient le plaidoyer passionné de Wigmore. Ils avaient été déclenchés par la cause d'Andrew Toth, récemment reconnu coupable de meurtre en Pennsylvanie et condamné à une peine d'emprisonnement à perpétuité. Après avoir passé 20 ans en prison, Andrew Toth fut reconnu innocent du crime. À l'époque, aucune loi ne prévoyait une indemnisation, mais le philanthrope Andrew Carnegie lui versa une pension de 40 $ par mois. Par contraste, Adolph Beck, disculpé d'un crime pour lequel il avait passé sept années derrière les barreaux, s'était vu accorder par le Parlement britannique un paiement forfaitaire de cinq mille livres[10]. Borchard écrivit ce qui suit sur cet état de fait[11] :
[TRADUCTION] En cette époque où la justice sociale est le mot d'ordre de la réforme législative, il est curieux que la société, dans notre pays du moins, ne fasse absolument aucun cas du triste sort de la victime innocente d'une condamnation ou d'une détention injustifiées dans les causes de nature pénale. Aux États-Unis, aucun effort ne semble avoir été fait pour dédommager ces malheureuses victimes d'erreurs commises dans l'administration de la loi pénale, et ce, même si les cas d'épouvantable injustice ne sont pas rares.
Dans son article, Borchard décrivit de manière très détaillée les lois habilitantes qui étaient en vigueur dans toute l'Europe, la pratique qui s'était développée, de même que le cadre théorique qui sous-tendait l'indemnisation des personnes condamnées à tort. Il conclut que même si l'on reconnaissait clairement le principe de la chose, dans la pratique, les mesures de réparation n'étaient accordées que dans les limites les plus étroites de la loi. Et, ajouta-t-il : [TRADUCTION] « … la procédure est en général fort compliquée; si compliquée, en fait, qu'il est difficile de comprendre comment la personne acquittée démunie que l'on rejette dans le monde pourrait jamais trouver les moyens de présenter en justice sa réclamation »[12].
c) L'étude de Borchard (1932)
Ce fut Borchard, une vingtaine d'années plus tard, à titre de professeur de droit à l'Université Yale, qui effectua le premier travail de recherche systématique sur les erreurs judiciaires. Son ouvrage classique paru en 1932 - Convicting the Innocent[13]- releva en tout 65 causes américaines et britanniques dans lesquelles des accusés innocents avaient été reconnus coupables d'actes criminels - 29 pour meurtre, 23 pour vol qualifié et autres infractions similaires, et 13 pour des infractions moins graves, comme la fabrication de faux documents, les voies de fait, les tentatives de corruption et la prostitution.
Au point de vue géographique, son étude recoupe 26 États différents, de même que le District de Columbia et l'Angleterre. Dans les causes choisies par Borchard, l'innocence fut établie de plusieurs façons : la personne prétendument assassinée retrouvée vivante, la condamnation ultérieure du vrai coupable, ou la découverte de nouveaux éléments de preuve démontrant, dans le cadre d'un nouveau procès ou à la satisfaction du gouverneur d'un État ou du président des États-Unis, que l'on avait condamné la mauvaise personne[14].
Borchard conclut que les principales causes de condamnation injustifiée étaient les suivantes : une identification erronée, des preuves circonstancielles menant à des inférences erronées, le parjure ou une combinaison quelconque de ces facteurs.
Mais, par-dessus tout, Borchard décrivit aussi plusieurs facteurs ambiants qui permettaient de prononcer des condamnations injustifiées. Le premier de ces facteurs comprenait la pression exercée par le grand public pour que l'on résolve des crimes horribles[15] :
[TRADUCTION]. il est notoire qu'aux États-Unis, la technique de poursuite consiste à considérer une condamnation comme une victoire personnelle, calculée pour rehausser le prestige du procureur. Sauf dans les rares cas où une preuve est sciemment éliminée ou fabriquée, la mauvaise foi n'est pas nécessairement imputable à la police ou à la partie poursuivante; c'est le milieu dans lequel ils vivent, ainsi que les pressions qu'exerce sans discernement le grand public pour qu'ils éradiquent la criminalité et traitent sans ménagement les suspects, qui les incite souvent à attribuer un crime particulier à une personne accusée.
Borchard décrivit le problème en ces termes[16] :
[TRADUCTION] Souvent, l'opinion publique est tout autant à blâmer que le procureur ou d'autres circonstances pour les erreurs judiciaires commises. Les procès criminels se déroulent dans des conditions qui suscitent facilement l'intérêt et les passions du public. Dans quatorze des causes recensées où l'épouvantable erreur commise aurait pu être évitée, l'opinion publique était galvanisée par le crime et poussée par la vengeance à exiger un sacrifice, une exigence qui ne laisse pas indifférents les procureurs et les jurys. Cela ne peut nullement être considéré comme un argument en faveur de l'abolition du jury, car les juges seuls peuvent être tout aussi sensibles à l'opinion de la collectivité. Mais il s'agit là d'un fait dont il ne convient pas de faire abstraction.
Borchard conclut que deux autres facteurs ambiants tendaient à favoriser les condamnations injustifiées. Le premier était la preuve, produite en cour, d'une condamnation criminelle antérieure, qui, dit-il, était [TRADUCTION] « souvent fatale à un accusé »[17]. Deuxièmement, Borchard conclut que la décision d'un accusé d'exercer son droit de garder le silence laissait souvent un goût amer dans la bouche du jury[18] :
[TRADUCTION] Un refus de témoigner - dans des circonstances où l'on s'attend naturellement à une explication de l'accusé - même si le juge ou le procureur ne peut formuler des commentaires sur ce fait, a inévitablement un effet défavorable sur le jury; mais en outre, le privilège connu qu'a l'accusé de refuser de témoigner incite la police à arracher des « aveux » qui, véridiques ou non, entachent le système permettant de les obtenir et en font un sujet de honte publique.
Le travail de Borchard est important pour plusieurs raisons. Il a été le premier à aborder le sujet de façon analytique et systématique. Sa conclusion, à savoir que les condamnations injustifiées sont principalement imputables à des erreurs d'identification par témoin oculaire, a été confirmée dans presque toutes les études menées depuis lors. Mais il a laissé un legs durable particulier : l'idée que des « circonstances » ou des « facteurs ambiants » peuvent contribuer à une condamnation injustifiée. Il est indubitable que certains facteurs ambiants peuvent mener à une telle issue.
d) L'étude de Frank (1957)
Vingt-cinq années s'écoulèrent avant que d'autres études analytiques d'importance ressortent. En 1957, Jerome Frank, un juge de la Cour d'appel de circuit des États-Unis, publia un ouvrage intitulé Not Guilty, en collaboration avec sa fille, Barbara Frank, et Harold M. Hoffman, un avocat de New York[19]. Cet ouvrage décrit 36 affaires de condamnation injustifiée, et fait ressortir plusieurs causes systémiques : des témoignages erronés, surtout de la part de témoins oculaires, une mauvaise compréhension des éléments de preuve par les jurés, un processus antagoniste qui permet à une mentalité confrontationnelle de mettre l'accent sur les stratégies et le succès plutôt que sur la découverte de la vérité, et un maigre processus de communication de la preuve, qui défavorise l'accusé dès le départ.
Les Frank passèrent nettement plus de temps que Borchard à analyser les causes sous-jacentes d'une condamnation injustifiée. Ils furent frappés par la nature humaine du processus, et notèrent que les faiblesses des intervenants pouvaient, dans bien des cas, influencer l'issue d'une affaire.
Le juge Frank soutint que lorsqu'une personne honnête témoigne d'un fait, cette personne énonce trois choses sous serment : qu'elle a exactement vu le fait en question, que maintenant, dans la salle d'audience, elle se souvient exactement de ce qu'elle a vu, et que maintenant elle relate exactement ce dont elle se souvient. Dans chacun de ces trois éléments, affirma le juge Frank, une erreur peut se glisser et mener à un témoignage erroné[20]. Citant des sources judiciaires et psychologiques contemporaines, le juge Frank ajouta ce qui suit : [TRADUCTION] « La grande majorité des témoignages honnêtes sont subjectivement exacts mais objectivement faux. l'observation est une chose complexe; il s'y mêle des inférences, des jugements et des interprétations »[21].
[TRADUCTION] « Ce que la mémoire a perdu », conclut le juge Frank, « est souvent remplacé par des produits de l'imagination », parfois appelés « oublis créatifs » ou « mémoire imaginative ». Ce phénomène psychologique permet à un témoin de remanier les détails, et de combler inconsciemment les trous de mémoire. Le juge Frank soutint avec vigueur que [TRADUCTION] « des témoins parfaitement honnêtes risquent de transformer des inférences en souvenirs »[22].
Les préjugés inconscients de témoins par ailleurs honnêtes peuvent influencer la mémoire de façon subtile mais marquée. Le juge Frank en donna un exemple[23] :
[TRADUCTION] D'autres types de préjugés inconscients peuvent avoir une influence pernicieuse sur la mémoire : vous êtes témoin d'un affrontement entre des agents de police et des grévistes faisant du piquetage. Votre impression première est vague. Si vous êtes un ardent sympathisant du mouvement syndical, il se peut que, plus tard, vous vous souveniez clairement que la police avait agressé brutalement les grévistes. Un préjugé « honnête ». peut être « le facteur décisif pour ce qui est de combler les trous de mémoire ».
Son analyse personnelle, les points de vue psychologiques qui avaient cours à l'époque, ainsi que les conclusions judiciaires tirées partout aux États-Unis dans un vaste éventail de causes, amenèrent le juge Frank à considérer les témoignages non corroborés avec beaucoup de prudence[24] :
[TRADUCTION] Les tribunaux sont donc d'accord avec les psychologues à propos des tours que joue la mémoire. Ils conviennent que la mémoire est l'élément le plus faible dans un témoignage, et que, en raison des nombreux facteurs inconnus qui l'influencent, la mémoire d'un témoin n'est souvent pas aussi fiable que la preuve d'un fait quelconque au cours d'un procès.
e) L'étude de Du Cann (1960)
En 1960, un avocat britannique du nom de C.G.L. Du Cann publia un ouvrage intitulé Miscarriages of Justice[25]. Ce document, destiné à la fois aux profanes et aux membres de la profession juridique, était révolutionnaire et plutôt flamboyant. Comme Du Cann l'écrivit dans la préface : [TRADUCTION] « Voici ce livre : une voix sacrilège et blasphématrice dans ce Saint des Saints qu'est le temple de la justice »[26]. L'ouvrage n'en est pas moins cité régulièrement.
Appuyant ses commentaires sur neuf causes anglaises de condamnation injustifiée réelle ou apparente, Du Cann recommanda l'apport de changements fondamentaux au droit, à la procédure et aux règles de preuve en matière criminelle. Le droit criminel anglais, dit-il, était à la fois vague et trop rigide. Au sujet des précédents en common law, Du Cann déclara carrément que [TRADUCTION] « la mainmorte nous régit »[27]. Il préconisa l'adoption d'un code criminel qui prévoirait une approche raisonnée, dont l'application serait mesurée, et la réponse certaine.
Du Cann fit valoir avec force que notre procédure criminelle nécessitait une réforme en profondeur, et non un simple élagage[28] :
[TRADUCTION] Ce qui, dans nos tribunaux, paraît inoffensif et pittoresque aux yeux d'un être irréfléchi est en réalité préjudiciable, car cela confère une fausseté et un sentiment d'irréalité à la vérité et à la justice pour le bien desquels les tribunaux existent. Les tenues et les mimiques de théâtre, la rhétorique mensongère, les serments grandiloquents et blasphématoires : tout cela devrait disparaître. Le procès devrait être plus inquisitoire qu'accusatoire, et il faudrait réellement exprimer l'idée que l'accusé est innocent tant que le tribunal ne l'a pas déclaré coupable.
Les règles de preuve classiques furent la cible d'une attaque particulièrement virulente[29] :
[TRADUCTION] La suppression de la vérité dans les tribunaux qui disent rechercher « la vérité, toute la vérité et rien que la vérité » ne devrait pas être tolérée, même dans l'intérêt imaginaire ou réel du détenu. Par exemple, les jurys modernes qui reçoivent du juge des directives détaillées sont suffisamment instruits et avertis pour comprendre qu'un homme peut être un voleur invétéré mais qu'il n'a toutefois pas commis le vol dont on l'accuse à ce moment, et se tenir sur leurs gardes contre tout préjugé susceptible d'en découler.
Contestant les pratiques conventionnelles, comme le système de justice pénale fondé sur le recours à un juge seul, les dépositions reçues sous serment et le recours au système accusatoire plutôt qu'inquisitoire, Du Cann résuma sa thèse maîtresse dans le passage suivant[30] :
[TRADUCTION] La morale est qu'il est peut-être normal que l'on commette des erreurs judiciaires dans les tribunaux d'aujourd'hui. L'atmosphère délibérément cultivée de prétention et d'irréalité, de même que le côté théâtral de l'habillement et du discours, ne sont pas propices à la vérité. Pas plus que les serments démodés et la tolérance au parjure. Il existe une procédure d'instruction dans laquelle la recherche de la vérité a moins d'importance que la poursuite du coupable - qui est de nature accusatoire plutôt qu'inquisitoire, et à laquelle s'ajoutent des inéquités dépassées entre la partie poursuivante et la défense, de même que des capacités de défense et d'intervention inégales qui peuvent faire pencher la balance de la justice du mauvais côté, et dont les règles, en ce qui concerne la partie poursuivante et la défense, demeurent inéquitables à certains égards importants; des règles juridiques de fond très souvent imprécises et incompréhensibles, ou inutilement complexes et déroutantes; le triomphe d'un simple précédent sur la droite raison, et les aspects irréels du passé par rapport au présent; le pari des peines subordonné à l'idiosyncrasie d'un juge seul; le refus obstiné de moderniser les mécanismes judiciaires : telles sont quelques-unes des caractéristiques de nos façons de faire britanniques qui, peut-on s'y attendre avec confiance, militent contre la justice.
f) L'étude de Radin (1964)
L'analyste de la criminalité Edward Radin a publié The Innocents[31] en 1964. Axées sur 80 nouvelles affaires de condamnation injustifiée, les conclusions de Radin au sujet des causes d'une condamnation injustifiée font écho à celles de ses prédécesseurs : des aveux obtenus sous la contrainte par la police, des erreurs d'identification par un témoin oculaire unique, une communication insuffisante des preuves de la poursuite, ainsi qu'une insuffisance de ressources pour défendre les affaires difficiles.
Radin souleva deux autres points auxquels on avait fait à peine attention auparavant, mais qui sont des facteurs critiques dont il faut tenir compte.
Tout d'abord, il déplora la « théorie du jeu » des causes criminelles, théorie selon laquelle le procureur [TRADUCTION] « considère un procès comme une sorte de jeu. il est si occupé à planifier comment se montrer plus malin et intelligent que son adversaire et comment avoir le dessus sur lui en manœuvrant plus habilement qu'il oublie que la justice est le seul objet du procès criminel »[32].
Ensuite, il exhorta la profession juridique à examiner de près les circonstances entourant une condamnation injustifiée, afin d'apprendre ce qui s'était passé et de prendre les mesures nécessaires pour éviter que cela reproduise. La condamnation d'un innocent devrait, soutint-il, [TRADUCTION] « déclencher une sonnette d'alarme au sein du milieu juridique en général »[33].
g) L'étude de Brandon et Davies (1973)
Selon une étude britannique que Ruth Brandon et Christie Davies publièrent en 1973[34], les distinctions de classe sont un facteur critique. Au sujet du profil de la personne la plus souvent incarcérée à tort, les auteurs déclarèrent ce qui suit[35] :
[TRADUCTION] Dans l'ensemble, ils semblaient être un échantillon représentatif ordinaire des gens que l'on envoie habituellement derrière les barreaux. La plupart d'entre eux avaient déjà commis le genre de crime pour lequel, cette fois-ci, ils avaient été condamnés à tort. La plupart d'entre eux effectuaient un travail non spécialisé. Un grand nombre d'entre eux étaient sans travail, ou ne travaillaient qu'à l'occasion. Rares étaient ceux qui provenaient de la classe moyenne ou de la classe ouvrière respectable.
S'inspirant des travaux de Borchard, du juge Frank et de Du Cann, Brandon et Davies recensèrent 70 causes d'incarcération injustifiée reconnues[36] et conclurent qu'il ressortait des thèmes récurrents dans les systèmes de justice pénale d'origine anglaise[37] :
[TRADUCTION] Dans les deux groupes, il y avait une série de caractéristiques qui revenaient souvent en tant que motif d'incarcération : une identification insatisfaisante, particulièrement par voie de confrontation entre l'inculpé et le témoin; des aveux faits par des faibles d'esprit et des incapables; des preuves favorables à la défense retenues par le ministère public; certains procès conjoints; le parjure, surtout dans des causes relatives à des infractions de nature sexuelle ou quasi sexuelle; une défense mal conduite; des criminels appelés comme témoins.
Les propositions de réforme que les auteurs avancèrent étaient de nature à la fois progressiste et hérétique : le ministère public [TRADUCTION] « devrait être obligé de divulguer tous les éléments de preuve en sa possession qui peuvent être favorables à la défense, qu'il se propose ou non de s'en servir durant le procès »[38]. Plus radicalement, cependant, les auteurs soutinrent que la défense devrait être tenue de fournir des détails sur les arguments qu'elle entendait présenter, et ce, bien au-delà de son obligation actuelle en common law de divulguer des preuves d'alibi[39].
h) Les années 1980 : des Commissions royales d'enquête en Australie et en Nouvelle-Zélande
Il est manifeste que les analyses relatives aux condamnations injustifiées qui ont été menées jusque dans les années 1970 ont été, pour la plupart, menées par des particuliers qui se souciaient de ce problème. Certaines de ces analyses étaient de nature savante; d'autres ne l'étaient pas, et paraissent un brin sensationnalistes - étant destinées peut-être à un public de masse, plutôt que conçues comme un instrument de réforme. Cependant, l'opinion publique prédominante continuait d'être la suivante : oui, il y a parfois des erreurs, mais il s'agit simplement d'aberrations dans un système juridique qui est par ailleurs solide et sans failles.
À l'aube des années 1980, le paysage changea de deux façons. Premièrement, il devint tout à fait clair qu'il survenait des cas de condamnation injustifiée dans la quasi-totalité des systèmes de justice pénale d'origine anglaise. Deuxièmement, on se demanda sérieusement si certaines pratiques systémiques fort peu subtiles ne contribuaient pas dans une large mesure au problème.
En Australie, l'affaire Chamberlain[40] (parfois appelée « Dingo Baby ») captiva le pays pendant une vingtaine d'années[41].
Alice Lynne Chamberlain fut reconnue coupable en 1982 du meurtre de sa fille Azaria, âgée de neuf semaines. Son époux, Michael Leigh Chamberlain, fut reconnu coupable de complicité après le fait. Les arguments de la Couronne étaient dénués de toute preuve de motif ou d'aveux, et ni l'arme du crime ni le corps de l'enfant n'avaient été retrouvés. Mme Chamberlain soutenait qu'un dingo (un chien sauvage) s'était emparé de l'enfant. Après que cette dernière eut passé trois années et demie en prison, une Commission royale chargée de l'affaire arriva à la conclusion suivante : [TRADUCTION] « il y a de sérieux doutes et de sérieuses questions quant à la culpabilité des Chamberlain et quant aux éléments de preuve présentés au procès qui ont mené à leur condamnation »[42]. Le Commissaire conclut qu'il n'y avait absolument aucune preuve d'intervention humaine dans la disparition et la mort évidente de l'enfant.
Peu de temps après, le Gouvernement territorial du Nord accorda le pardon à Mme Chamberlain et à son époux, de même qu'un dédommagement de plus de 1 million de dollars. Lors des travaux de la Commission royale, des preuves scientifiques, notamment des examens sanguins, qui avaient été d'une importance critique pour les arguments de la Couronne au procès, furent entièrement discrédités. En outre, il fut conclu qu'un témoin judiciaire clé avait assumé le rôle de protagoniste plutôt que de [TRADUCTION] « fournisseur impartial d'informations scientifiques »[43].
Dans le sillage du rapport de la Commission royale, Judy Bourke fit valoir dans l'Australian Bar Review qu'il arrive souvent, dans des procès au criminel, que l'on utilise des preuves scientifiques à mauvais escient parce que ces dernières sont souvent peu fiables, mais protégées contre tout examen minutieux par une aura sans cesse présente de certitude scientifique[44]. En fin de compte, il fut évident dans l'affaire Chamberlain que la conduite douteuse de la police, conjuguée à des preuves médico-légales peu fiables, avait été tissé ensemble pour soutenir la thèse erronée du ministère public selon laquelle un décès tragique était en réalité un assassinat.
Des preuves scientifiques auxquelles la Couronne s'était fiée avec succès pour obtenir une série de condamnations furent par la suite jugées non fiables dans un certain nombre d'autres poursuites menées en Australie dans les années 1980. Dans l'affaire d'Edward Charles Splatt (The Shannon Report), la Couronne s'était appuyée sur l'effet cumulatif des similitudes de « traces de matières »[45] entre la scène du crime et le domicile de Splatt. Il fut plus tard conclu que tous ces éléments de preuve n'étaient pas fiables[46].
Dans le cas de la condamnation pour meurtre de Douglas Harry Rendell, une enquête ultérieure (The Hunt Report) conclut que les tests sanguins critiques étaient peu fiables et recommanda que l'on accorde le pardon au condamné[47]. Des résultats analogues furent obtenus dans l'affaire Gidley, en Nouvelle-Galles-du-Sud, sur la foi d'analyses sanguines remontant à 1983, et l'affaire Cannon, datant de 1991, sur la foi d'échantillons d'ADN dégradés[48].
Curieusement, des analystes juridiques australiens ont laissé entendre qu'une identification par témoin oculaire erronée - une cause importante de condamnations injustifiées en Amérique du Nord - n'est pas considérée comme une cause importante en Australie. Cela étant dit, une série de caractéristiques nord-américaines établies sont clairement ressorties, dont les suivantes[49] :
- les méthodes de la police (excès de zèle, conduite non professionnelle, incompétence);
- des preuves non fiables (expert en tant qu'intervenant ou protagoniste, preuves circonstancielles faibles);
- des sources secondaires non fiables (informateurs de police, informateurs incarcérés, etc.);
- les pressions exercées par les médias et le public afin que l'on trouve un coupable.
Le Nouvelle-Zélande n'a pas échappé au spectre des condamnations injustifiées. En 1970, Arthur Allen Thomas fut inculpé du meurtre de deux personnes. Après une série de procès, d'appels, de nouveaux procès et de pétitions adressées au gouverneur général, le sort de Thomas demeura inchangé[50]. Des experts légistes inquiets, qui avaient témoigné au procès pour la défense, publièrent deux livres mettant en doute la validité de certaines preuves clés[51], et un ouvrage paru en 1978, Beyond Reasonable Doubt?, de l'auteur britannique David Yallop, incita le Premier ministre de la Nouvelle-Zélande à charger un éminent avocat de revoir l'affaire[52]. C'est ainsi que Thomas obtint le pardon absolu. Une Commission royale fut par la suite mise sur pied pour faire enquête sur les circonstances entourant sa condamnation.
Le président de la Commission royale, l'honorable R. L. Taylor, un ancien juge de la Cour suprême de la Nouvelle-Galles du Sud, signala que [TRADUCTION] « l'affaire avait toujours suscité beaucoup de publicité et un vif intérêt au sein du public »[53]. Dans un rapport accablant, Taylor conclut ce qui suit : une importante pièce à conviction produite au procès avait été fabriquée et mise en place sur les lieux du crime par deux des policiers enquêteurs, une autre pièce à conviction avait été délibérément échangée par la police, cette dernière avait entrepris de dissimuler délibérément ses agissements, et un témoin expert scientifique avait fait montre d'un [TRADUCTION] « manque inquiétant de neutralité » durant son témoignage et par la suite[54]. Les [TRADUCTION] « agissements très autoritaires et oppressifs des personnes responsables des condamnations [de Thomas] » incitèrent Taylor à recommander une indemnisation ex gratia de 1 million de dollars[55] - une recommandation que le gouvernement néo-zélandais suivit avec peu d'hésitation.
Les rapports australiens et néo-zélandais datant des années 1980 sont importants pour deux raisons : a) les preuves médico-légales n'étaient plus inviolables, et b) le scientifique en sarrau de laboratoire pouvait avoir tort - soit par inadvertance, soit par incompétence, soit carrément par fraude et par parjure. Plus important encore, ces rapports montrent que les affaires qui préoccupent le plus le public (les meurtres brutaux et les assassinats de jeunes enfants, par exemple) et dans lesquelles les enjeux sont les plus élevés sont précisément les genres d'affaires dans lesquelles ceux dont la responsabilité consiste à traduire en justice l'auteur d'un acte criminel recourent à des tactiques qui pourraient miner en fin de compte tout la poursuite.
i) Les attentats à la bombe de l'IRA en Grande-Bretagne
Le 30 janvier 1972 - le « Dimanche sanglant » - des parachutistes britanniques tuèrent 13 catholiques non armés lors d'une manifestation pacifique en faveur des droits civils à Londonderry. Le 21 juillet 1972, l'IRA (Armée républicaine irlandaise) secoua Belfast en faisant exploser 22 bombes en 75 minutes, laissant neuf morts et 130 blessés. Les dix années qui suivirent furent marquées par une campagne d'attentats à la bombe à motivations politiques; il y eut ainsi 3 637 victimes dans cette période que les Irlandais appellent aujourd'hui les « Troubles »[56].
Toutefois, il ne s'agissait pas d'une simple question de statistiques. La plupart des victimes étaient des civils : des mères, des pères, des clients d'un magasin ou d'un pub, ainsi que des enfants. Le public était scandalisé et effrayé, et dans l'esprit de bien des gens, l'IRA était devenue l'« ennemi public numéro un ». C'est dans ce bassin de citoyens que les enquêteurs de la police allaient être choisis pour faire enquête sur les attentats à la bombe de l'IRA les années suivantes. Et ce furent des juges et des jurés, issus exactement du même bassin, qui allaient entendre des causes qui, malheureusement, amenèrent à commettre des erreurs judiciaires en Grande-Bretagne au cours des années 1980.
Les Quatre de Guildford
Leur nom collectif est bien connu : les Quatre de Guildford (Paul Hill, Gerard Conlon, Patrick Armstrong et Carole Richardson) passèrent 14 années derrière les barreaux avant que la Cour d'appel, en 1989, annule leurs condamnations pour deux attentats à la bombe de l'IRA à Guildford, le 5 octobre 1974[57]. Hill, qui n'avait que 21 ans au moment de son arrestation, passa plus de 1 600 jours en isolement cellulaire.
Gerry Conlon, un voleur à la sauvette âgé de 20 ans, insouciant, gros buveur et coureur de jupons, déclara ce qui suit au sujet des « aveux » qu'il avait signés lors de l'enquête policière[58] :
[TRADUCTION] Quand je les ai signés, je croyais que je pourrais plus tard me rétracter. Je croyais qu'on ne pourrait jamais montrer qu'ils tenaient debout. Je ne me suis pas rendu compte que je renonçais à ma liberté pour les 15 années à venir.
Et, ajouta-t-il[59] :
[TRADUCTION] Je crois qu'en fin de compte cela se résumait au fait que les avocats étaient terrifiés à l'idée d'avoir affaire à des infractions terroristes, qu'ils étaient incertains de la nouvelle loi, qu'ils étaient méconnaissants de l'IRA et de son mode de fonctionnement, et qu'ils étaient dépassés par la détermination aveugle de la police à nous faire condamner à tout prix.
En 2000, le Premier ministre Tony Blair fit des excuses aux Quatre de Guildford pour leur condamnation injustifiée. Dans une lettre il reconnut [TRADUCTION] « l'erreur judiciaire » dont ils avaient été victimes. Les excuses, signées de la main du Premier ministre, furent envoyées par ce dernier à l'épouse de Paul Hill : Courtney Kennedy Hill, fille du Procureur général américain assassiné Robert Kennedy et nièce de feu John F. Kennedy. Le Premier ministre déclara ce qui suit : [TRADUCTION] « Le fait qu'une personne quelconque subisse un châtiment à la suite d'une erreur judiciaire constitue, selon moi, une condamnation de notre système de justice et un incident des plus regrettables. Des erreurs judiciaires ont été commises dans le cas de votre époux, et dans le cas de ceux qui ont été condamnés avec lui. Je regrette beaucoup qu'une telle chose se soit produite »[60].
Les Six de Birmingham
Cinq semaines après les attentats de Guildford, deux autres explosions retentirent dans des pubs situés à Birmingham, dans les Midlands britanniques[61], tuant 21 personnes et blessant 162 autres. Une semaine plus tôt, un membre actif de l'IRA, James McDade, avait perdu la vie lors de l'explosion prématurée d'une bombe qu'il était en train de poser à un central téléphonique[62]. Les bombes étaient d'une confection similaire à celles qui avaient explosé lors de la campagne de l'IRA en 1974[63].
Six catholiques irlandais de sexe masculin furent inculpés de 21 chefs de meurtre et reconnus coupables par un jury, et ils passèrent 16 années en prison avant que la Cour d'appel les libère en 1991[64]. S'exprimant au nom de la Cour, le lord juge Lloyd fit remarquer qu'en raison des éléments de preuve produits au procès, l'affaire était convaincante. Néanmoins, deux parties des éléments de preuve étaient suspectes : des preuves scientifiques concernant des traces de bombe, et les interrogatoires de la police. La preuve judiciaire était douteuse, conclut la Cour, et plusieurs des enquêteurs de la police [TRADUCTION] « étaient au moins coupables d'avoir induit la Cour en erreur »[65].
Les Six de Birmingham - c'est le nom qu'on leur donna - avaient été calomniés pendant des années comme étant les pires auteurs d'un massacre en Grande-Bretagne. Lorsqu'ils apparurent sur les marches d'Old Bailey (la cour criminelle centrale de Londres) en 1991, après que la Cour d'appel eut cassé leurs condamnations, des psychologues déclarèrent qu'ils se trouvaient dans un état similaire à celui de personnes qui avaient été à la guerre[66].
Les Sept McGuire
La science continua d'être passée sous la loupe dans d'autres poursuites menées contre l'IRA qui se soldèrent par des condamnations injustifiées. Les Sept McGuire, une famille menée par Annie McGuire, furent jetés en prison en 1976 pour possession d'explosifs[67]. En raison de la libération des Quatre de Guildford en octobre 1989 et des demandes de révision concernant les Six de Birmingham, un rapport d'un ancien juge d'appel, John May, persuada le Home Secretary qu'une erreur judiciaire avait été commise dans la cause des McGuire. En juillet 1990, il déféra l'affaire à la Cour d'appel; les sept condamnations furent annulées en juin 1991[68].
On avait accusé les Sept McGuire d'exploiter une fabrique de bombes de l'IRA dans le nord de Londres, au milieu des années 1970. Contrairement au procès des Quatre de Guildford, les preuves scientifiques jouèrent un rôle de tout premier plan dans le procès des McGuire. Les preuves critiques de la Couronne comprenaient des traces de nitroglycérine relevées sur les mains et les gants des accusés. La Cour d'appel conclut qu'ils auraient pu être impliqués en touchant à leur insu une serviette contaminée. Voici ce que déclara le juge McCowan[69] :
[TRADUCTION] La preuve ne nous permet pas de conclure qui étaient le ou les individus qui avaient contaminé à ce point la serviette ou les gants. Étant donné que l'on ne peut exclure l'éventualité d'une contamination involontaire, et pour ce seul motif, nous croyons que les condamnations des appelants ne sont ni sûres ni satisfaisantes.
D'autres, cependant, voyaient les choses différemment. Brian Ford, un éminent scientifique, demanda ouvertement s'il n'y avait pas eu un resserrement des rangs, et il exprima son inquiétude que les scientifiques de la Couronne exploitaient un service d'État en vue d'obtenir des condamnations, plutôt que d'offrir une expertise scientifique indépendante[70]. Il semble avoir eu raison, et la saga de l'IRA empira encore plus.
Judith Ward
Judith Ward fut reconnue coupable en 1974 de douze chefs de meurtre et de trois accusations d'avoir causé une explosion[71]. Dans trois incidents distincts, des explosions de bombes - que l'on croyait être l'œuvre de l'IRA - avaient causé d'horribles dégâts et des pertes de vie. Les arguments de la Couronne reposaient sur des aveux que Ward avait faits à la police, ainsi que sur des preuves d'experts scientifiques de l'État, selon lesquels on avait relevé sur elle des traces de nitroglycérine. Judith Ward fut condamnée à une peine d'emprisonnement à perpétuité, et elle ne porta en appel ni la condamnation ni la peine imposée.
Dix-sept ans plus tard, le Home Secretary transmit le dossier de Ward à la Cour d'appel en vue d'une réévaluation. Il fut dit qu'elle souffrait d'une affection mentale, qui expliquait ce qu'elle avait déclaré à la police. Il fut soutenu aussi que tant la police que le ministère public avaient omis de communiquer des éléments de preuve qui auraient eu une incidence sur le déroulement du procès. La prétention la plus sérieuse concernait la preuve scientifique. Il fut allégué que des scientifiques censément neutres avaient délibérément appuyé les efforts du ministère public pour condamner Ward et avaient supprimé des preuves favorables à la défense. En fin de compte toutefois, les conclusions de la Cour d'appel furent encore plus sérieuses que cela.
Le juge Glidewell, s'exprimant au nom de la Cour unanime, conclut que trois scientifiques supérieurs du gouvernement, appelés comme témoins à charge au procès, avaient délibérément induit la Cour en erreur, qu'ils avaient agi ainsi de concert et qu'ils avaient pris [TRADUCTION] « la loi dans leurs propres mains, et dissimulé à la Couronne, à la défense et à la Cour des éléments qui auraient peut-être changé le déroulement du procès »[72]. Le juge évalua de manière tranchante la conduite de ces trois scientifiques[73] :
[TRADUCTION] Pour l'avenir, il est important de considérer pourquoi les scientifiques ont agi comme ils l'ont fait. Aux yeux des avocats, des jurés et des juges, un expert en médecine légale évoque l'image d'un homme en sarrau blanc qui travaille dans un laboratoire, qui aborde son travail avec une froide neutralité et qui ne se consacre qu'à la recherche de la vérité scientifique. Il est triste de penser que la réalité est parfois différente. Les experts médico-légaux peuvent devenir partisans. Le fait même que la police demande leur aide peut créer une relation entre elle et eux. En outre, la nature antagoniste des procédures tend à promouvoir ce processus. Les experts médico-légaux qui sont au service du gouvernement peuvent en arriver à considérer que leur fonction consiste à aider la police. Ils peuvent perdre leur objectivité, et c'est ce qui a dû se passer en l'occurrence.
Les tribunaux d'appel limitent en général leurs conclusions aux faits de l'affaire et exposent rarement les leçons tirées de la preuve. Mais c'est exactement ce que la Cour d'appel fit dans ce cas-ci. Demandant quelles leçons il était possible de tirer de cette erreur judiciaire, le juge Glidewell nota l'importance de mettre en équilibre la nécessité de réduire le risque de condamnation d'un innocent et l'intérêt public d'éviter une multiplicité de règles ne faisant qu'entraver l'application efficace de la loi. À son avis, deux leçons avaient été apprises[74]. La première était axée sur le fait que les témoins experts étaient devenus partisans[75] :
[TRADUCTION] Premièrement, nous avons déterminé que la cause de l'injustice causée à Mlle Ward au point de vue scientifique de l'affaire résultait du fait que les trois experts en médecine légale supérieurs du RARDE (Royal Armaments Research and Development Establishment) estimaient que leur tâche consistait à aider la police. Ils sont devenus partisans. Il incombe clairement aux experts en médecine légale du gouvernement d'aider de façon neutre et impartiale à mener une enquête criminelle. Ils doivent agir dans l'intérêt de la justice.
Deuxièmement, nous croyons que le moyen le plus sûr d'éviter que l'on se serve de preuves scientifiques à mauvais escient est de s'assurer que l'on comprend bien la nature et la portée du devoir de divulgation du ministère public.
Roger Cook, un expert légiste anglais qui témoigna plus tard dans le cadre de l'enquête Morin, fit remarquer que cette affaire provoqua un [TRADUCTION] « raz-de-marée » dans le milieu médico-légal international[76].
Conclusions
Les affaires liées aux attentats à la bombe de l'IRA ont laissé un triple legs. Premièrement, elles démontrent que la [TRADUCTION] « pression hydraulique » de l'opinion publique[77] est capable de créer une atmosphère dans laquelle les autorités gouvernementales chercheront à condamner quelqu'un même s'il existe des preuves ambiguës ou contradictoires. Deuxièmement, les scientifiques qui travaillent dans des laboratoires de l'État peuvent avoir tendance à se sentir « alignés »[78] sur la partie poursuivante, ce qui peut les amener à penser que leur fonction consiste à appuyer la thèse de la police[79] plutôt qu'à procéder à une analyse scientifique impartiale. Cela, par ricochet, soulève des questions au sujet de l'emplacement physique et des rapports hiérarchiques des laboratoires de médecine légale du gouvernement ou de la police.
Enfin, les scientifiques auxquels se fie la Couronne sont tenus de communiquer au ministère public les preuves relatives à n'importe quelle analyse tendant à mettre en doute l'opinion que l'on se propose de produire en preuve; le ministère public est soumis à l'obligation parallèle et constante de communiquer ces faits à la défense - que cette dernière en ait fait la demande ou non.
j) Les États-Unis : des exécutions - et non pas seulement des condamnations - injustifiées
Le débat entourant la question de savoir si des personnes ont été condamnées à tort aux États-Unis est inextricablement lié à l'imposition de la peine de mort dans ce pays[80]. Borchard en fit état en 1932[81]. Deux universitaires alimentèrent le débat dans les années 1980[82] et la controverse qui fait rage depuis ce temps amena un État en particulier à ordonner un moratoire sur l'imposition de la peine de mort; en outre, le gouverneur de cet État accorda le pardon à quatre détenus et commua la peine de tous les autres condamnés qui se trouvaient dans l'« antichambre de la mort »[83].
En 1987, les professeurs Hugo Bedau, de l'Université Tufts, et Michael Radelet, de l'Université de la Floride, publièrent une étude portant sur 350 causes, dans un ouvrage intitulé Miscarriages of Justice in Potentially Capital Cases[84]. Ces causes, instruites par des tribunaux américains entre 1900 et 1986, concernaient 139 personnes dont l'innocence avait par la suite été prouvée. Toutes ces personnes avaient été condamnées à mort, et un certain nombre d'entre elles furent sauvées par une mesure administrative (ou judiciaire) quelques heures ou quelques jours à peine avant leur exécution.
Poursuivant la tradition dont Borchard avait été l'instigateur, ces chercheurs s'intéressèrent aux [TRADUCTION] « erreurs sur la personne », c'est-à-dire la condamnation ou l'exécution d'un innocent sur le plan des faits[85]. Ils ne s'intéressèrent pas à la condamnation erronée d'innocents sur le plan de la loi, comme les personnes ayant tué quelqu'un en légitime défense, ou les situations dans lesquelles la cause avait été déboutée parce que la preuve montrait que l'on avait violé les droits constitutionnels de l'accusé[86].
Bedau et Radelet ont conclu que, dans le cas de la peine de mort, il existait quatre grandes causes d'erreurs judiciaires[87] : d'abord et avant tout, les erreurs commises par des témoins (comme les erreurs d'identification par témoin oculaire, le parjure d'un témoin, la déposition non fiable ou erronée d'un témoin à charge); deuxièmement, les erreurs commises par la police (comme des aveux obtenus sous la contrainte et un excès de zèle ou de la négligence); troisièmement, les erreurs de la partie poursuivante (comme la suppression de preuves disculpatoires); finalement, d'autres erreurs, telles que des preuves circonstancielles trompeuses, une prise en considération inadéquate de preuves d'alibi, ou les conséquences attribuables à une collectivité en colère qui exige une condamnation.
Le lien étroit qu'il y a entre la controverse entourant la peine de mort et l'émergence des condamnations injustifiées aux États-Unis est devenu évident dans les conclusions auxquelles Bedau et Radelet sont arrivés. Les deux ont admis que rien ne prouve que l'élimination de la peine de mort amoindrirait le risque d'une condamnation injustifiée. Ils ont toutefois soutenu que [TRADUCTION] « aucune preuve n'est requise pour étayer l'argument selon lequel l'abolition totale de la peine de mort ferait disparaître la pire des conséquences pouvant découler d'une condamnation injustifiée dans ce qui constitue aujourd'hui des causes capitales »[88].
Depuis ce temps, le débat entourant la peine de mort continue d'être dominé par la crainte que l'on condamne à mort un innocent[89]. Neuf ans après leur travail fondamental sur le sujet, Radelet et Bedau ont publié une seconde fois leurs vues sur le sujet[90], faisant remarquer cette fois-ci qu'aux États-Unis le risque d'exécuter un innocent est [TRADUCTION] « inévitable »[91]. La question de la race a aussi été soulevée[92] :
[TRADUCTION] Aujourd'hui, les Noirs représentent environ 40 % des condamnés à mort en Amérique, et environ 40 % aussi des cas dans lesquels des gens sont libérés de l'antichambre de la mort parce qu'on a des doutes quant à leur culpabilité.
Depuis lors, un certain nombre d'universitaires[93], de praticiens[94], de membres de l'appareil judiciaire[95] et de médias[96] sont arrivés à des conclusions parallèles à propos du lien entre la peine de mort et les condamnations injustifiées aux États-Unis.
En 2000, le gouverneur de l'Illinois, George Ryan, décréta un moratoire sur les exécutions dans cet État. Ce moratoire faisait suite à de sérieuses questions au sujet du fonctionnement du système de la peine capitale en Illinois, des questions mises particulièrement en lumière par la libération d'un ex-condamné à mort, Arthur Porter, 48 heures avant la date prévue de son exécution. Porter avait été libéré de l'antichambre de la mort à la suite d'une enquête menée par des étudiants en journalisme qui avaient obtenu des aveux du véritable assassin. Le moratoire déclencha par la suite un débat d'envergure sur la peine de mort.
En mars 2000, Ryan chargea une commission de le conseiller et, le 15 avril 2002, les commissaires publièrent leur rapport. Ce dernier passait en revue et prenait en compte un large éventail d'informations, d'études et d'enquêtes antérieures, dont les enquêtes Morin et Sophonow menées au Canada[97].
Tous les membres de la Commission exprimèrent l'avis, en rétrospective, [TRADUCTION] « que l'on a trop souvent infligé la peine de mort en Illinois depuis son rétablissement en 1977 »[98]. Une mince majorité des 17 membres de la Commission[99] était en faveur de l'abolition de la peine de mort dans cet État; cependant, dans l'ensemble, la conclusion principale de la Commission fut que si l'on conservait la peine capitale, il serait indispensable d'apporter un certain nombre de réformes importantes si l'on voulait obtenir un système équitable d'imposition de la peine de mort au sein de l'État[100].
Le long rapport comporte 85 recommandations de réforme, dont l'obligation d'enregistrer sur bande vidéo les interrogatoires dans le cas d'une cause capitale, de revoir les procédures suivies par la police pour obtenir des identifications par témoin oculaire, de réduire le nombre des circonstances dans lesquelles la peine de mort peut être infligée, d'accroître le financement et la formation des avocats et des juges participant à des causes capitales, d'examiner plus en détail les témoignages de dénonciateurs sous garde, et de mettre en œuvre de nouvelles procédures pour réviser les peines capitales.
S'inspirant dans une large mesure des enquêtes Morin et Sophonow, et dans certains cas, adoptant textuellement des recommandations formulées dans les rapports connexes, la Commission insista particulièrement sur le rôle critique des avocats de la défense[101] :
[TRADUCTION] L'analyse qu'a faite la Commission de plus de 250 causes dans lesquelles on a infligé la peine de mort depuis 1977 révèle que quelque 21 % des annulations étaient imputables à des lacunes dans la conduite des avocats de la défense. Environ 26 % des causes ont été annulées à cause de la conduite d'un procureur que la Cour suprême a jugée irrégulière et annulable. Ensemble, ces deux types d'erreurs comptent pour un nombre élevé des causes annulées en appel.
[TRADUCTION] « Les services d'avocats compétents », conclut la Commission, « représentent peut-être, dans le cas de la peine capitale, la mesure de sauvegarde la plus importante qui soit contre une condamnation, une détermination de la peine et une exécution injustifiées »[102].
La réaction du gouverneur Ryan au rapport de la Commission prit bien des gens par surprise. Neuf mois après avoir reçu le rapport, et trois jours seulement avant la fin de son mandat à titre de gouverneur[103], Ryan accorda le pardon à quatre détenus et, le lendemain, commua les peines imposées aux 167 autres détenus condamnés à mort dans l'État[104]. Dans une allocution d'une durée d'une heure, Ryan cita Abraham Lincoln et les juges Stewart et Blackmun de la Cour suprême, et fit part de sa frustration face à l'incapacité d'obtenir l'appui de l'assemblée législative pour procéder à des réformes judiciaires de fond[105] :
[TRADUCTION] À trois reprises, j'ai proposé que l'on réforme le système en adoptant un train de mesures qui limiteraient le recours aux dénonciations en milieu carcéral, qui créeraient un comité d'État chargé de déterminer les causes admissibles à la peine de mort et qui réduiraient le nombre de crimes passibles de la peine de mort. Ces réformes n'auraient pas créé un système parfait, mais elles auraient réduit de beaucoup le risque d'erreurs dans l'administration de la peine ultime.
Dans notre État, le gouverneur est investi du rôle constitutionnel d'agir dans l'intérêt de la justice et de l'équité. La constitution de notre État confère au gouverneur le vaste pouvoir d'accorder des sursis, des amnisties et des commutations de la peine capitale. Notre Cour suprême a rappelé aux détenus qui s'adressent à elle que le dernier recours pour obtenir une mesure de redressement est le gouverneur. Il se peut que le pouvoir de clémence administratif ait parfois servi de béquille aux tribunaux pour éviter d'avoir à accomplir le genre de changement de fond dont, je crois, notre système a besoin.
L'examen systémique par cas que nous avons effectué a permis de relever d'autres cas d'hommes innocents condamnés à tort à la peine de mort. Étant donné que notre étude, qui s'étale sur trois ans, n'a relevé que d'autres questions encore au sujet de l'équité de la détermination des peines, à cause aussi de la spectaculaire incapacité de réformer le système, parce que nous avons vu la justice différée pour d'innombrables condamnés à mort dont les revendications étaient potentiellement méritoires, et, enfin, parce qu'en Illinois le système d'imposition de la peine de mort est arbitraire - et donc immoral - je ne me préoccuperai plus du mécanisme d'imposition de la peine de mort. Je ne puis m'exprimer avant autant d'éloquence que le juge Blackmun. L'assemblée législative n'a pas pu réformer le système. Les législateurs ne l'abrogeront pas. Mais je ne le défendrai pas. Je me dois d'agir.
Notre système de la peine capitale est hanté par le démon de l'erreur - l'erreur dans la détermination de la culpabilité, et l'erreur dans la détermination de ceux qui, parmi les coupables, méritent de mourir. Pour toutes ces raisons, aujourd'hui je commue les peines de tous les condamnés à mort. mes collaborateurs et moi-même avons passé trop de nuits blanches à revoir en profondeur le système. Mais il y a une chose que je peux vous dire : je vais bien dormir, sachant que j'ai pris la bonne décision.
L'Innocence Project, qu'administre l'École de droit Benjamin N. Cardozo de l'Université Yeshiva, à New York, a été créé par Barry C. Scheck et Peter J. Neufeld en 1992. Ce projet a vu le jour en tant que clinique d'aide juridique à but non lucratif, et il poursuit encore sa mission. Il s'occupe uniquement de causes dans lesquelles les tests d'empreintes génétiques (ou « analyses d'ADN ») post-condamnation peuvent mener à une preuve concluante d'innocence. Les étudiants qui participent à cette clinique s'occupent du traitement des dossiers, sous la supervision d'une équipe d'avocats et de membres du personnel de la clinique. Le projet a aidé à organiser l'Innocence Network, un regroupement d'écoles de droit, d'écoles de journalisme et de cabinets de défenseurs publics répartis dans tous les États-Unis qui aide des détenus à tenter de prouver leur innocence.
À ce jour, l'Innocence Project a fait état de 143 disculpations fondées sur des analyses d'ADN. Dans leur ouvrage intitulé Actual Innocence[106], Scheck et Neufeld déclarent que dans le cas des 130 premières disculpations attribuables à une analyse d'ADN, c'est une identification erronée qui en a été la cause dans 101 cas (78 %), de faux aveux dans 35 cas (27 %) et des informateurs sous garde dans 21 cas (16 %). La durée moyenne d'incarcération a été de 10,45 ans, et le temps total purgé par 136 accusés disculpés a été de 1 470 ans. Soixante et un pour cent des accusés disculpés étaient de race noire, tandis que 78 % de leurs victimes étaient de race blanche. Ils signalent aussi que les États où l'on compte le plus grand nombre de disculpations attribuables à des analyses d'ADN après condamnation - Illinois (23) et New York (14) - ont été les deux premiers à adopter une loi autorisant à procéder à des analyses d'ADN pour les détenus après leur condamnation.
Selon Scheck et Neufeld, les analyses d'ADN sont [TRADUCTION] « une source de lumière qui faisait défaut »[107] :
[TRADUCTION] Pendant des générations, des avocats et des défenseurs américains se sont battus pour faire annuler les condamnations de gens qu'ils croyaient innocents, et jusqu'à tout récemment, ils devaient se fier aux rétractations de témoins ou aux aveux des véritables criminels. Du jour au lendemain, ou presque, les analyses d'ADN effectuées au cours des 15 dernières années ont non seulement rendu leur liberté à 132 personnes mais aussi mis au jour un système de droit qui considérait avec nettement trop de suffisance son équité et sa justesse. Ce n'est pas de quelle façon ces personnes sont sorties de prison qui importe le plus, mais de quelle façon elles y sont entrées.
Les auteurs déclarent qu'il y a probablement des milliers d'innocents derrière les barreaux qui, vraisemblablement, ne seront jamais libérés parce que la plupart des crimes commis ne comportent pas de preuves biologiques - du sang, du sperme, des cheveux, de la peau - qu'il est possible de soumettre à une analyse d'ADN[108] :
[TRADUCTION] « Notre procédure », écrivit le juge Learned Hand en 1923, « est depuis toujours hantée par le spectre de l'innocent condamné. Il s'agit d'un rêve irréel ». De nos jours, ces spectres sont partout. Mais le rêve irréel du juge Hand empêche peu de gens de dormir. Les innocents ne comptent pas, pas plus qu'ils ne sont comptés. Chaque service gouvernemental, depuis la plus petite localité jusqu'au ministère de la Justice des États-Unis, totalise les actes criminels, les plaintes, les mandats, les arrestations, les mises en accusation, les plaidoyers, les décisions, les procès, les procès devant jury, les procès devant juge, les verdicts, les peines, les libérations conditionnelles, les appels, les avis. Une division complète du gouvernement fédéral suit le nombre des délits commis, et bien des États se sont dotés d'un mécanisme analogue. Les statistiques recueillies se mesurent en gigaoctets et en étagères pleines.
Pourtant, pas un seul chiffre ne représente le cas distinct de la personne innocente. Personne n'a pour tâche de déterminer où une erreur a eu lieu, ou qui l'a commise. Nul ne tient un relevé des personnes innocentes, condamnées à tort, que l'on finit par disculper. Le temps est venu de le faire.
- [2] R.H. Gault, Find No Unjust Hangings, 3 J. Am. Inst. Crim. L. and Criminology 131 (1912-1913).
- [3] Ibidem, à la p. 131.
- [4] Ibidem.
- [5] Ibidem.
- [6] Carolyn Strange, Comment: « Capital Case Procedure Manual », (1999), 41 C.L.Q. 184.
- [7] State Indemnity for Errors of Criminal Justice, par Edwin M. Borchard, bibliothécaire de droit au Congrès, avec une préface éditoriale signée par John H. Wigmore, doyen, Faculté de droit de l’Université Northwestern, et accompagnant le projet de loi (art. 7675) visant à décerner réparation aux personnes condamnées par erreur au sein des tribunaux des États-Unis (Washington : Government Printing Office, 1912).
- [8] Ibidem, à la p. 8.
- [9] Ibidem.
- [10] Eric R. Watson, Adolf Beck (Toronto : Canada Law Book Company, Ltd.). L’affaire Beck a mené en fin de compte à l’établissement d’une Cour des appels criminels au Royaume-Uni.
- [11] Borchard, précité, à la p. 5.
- [12] Ibidem, à la p. 20.
- [13] Garden City Publishing Company: Garden City, New York, 1932.
- [14] Ibidem, à la p. vi.
- [15] Ibidem, à la p. 369.
- [16] Ibidem, à la p. 372.
- [17] Ibidem, aux p. 369-370.
- [18] Ibidem, à la p. 371.
- [19] Not Guilty, par le juge Jerome Frank et Barbara Frank, en association avec Harold M. Hoffman (Doubleday and Company, Inc., Garden City, New York, 1957). Jerome Frank est décédé après les derniers changements apportés au manuscrit, et Barbara Frank a poursuivi la publication de l’étude, accompagnée d’un avant-propos d’endossement de la part de William O. Douglas, un juge de la Cour suprême des États-Unis.
- [20] Ibidem, à la p. 200.
- [21] Ibidem, à la p. 202.
- [22] Ibidem, à la p. 210; dans le même ordre d’idées, voir R. c. Miaponoose (1996), 110 C.C.C. (3d) 445 (C.A. Ont.), une affaire dans laquelle la Cour, à la p. 451 du recueil, fait mention de documents spécialisés où on laisse entendre que les témoins sont enclins à ajouter d’autres détails aux événements perçus : [TRADUCTION] « Ils feront leur déposition de bonne foi, et le plus honnêtement possible, sans prendre conscience de la mesure dans laquelle elle est déformée par leurs processus d’interprétation cognitifs ».
- [23] Frank, précité, à la p. 213.
- [24] Ibidem, à la p. 212.
- [25] Frederick Muller Limited, Londres, 1960.
- [26] Ibidem, à la p. 6.
- [27] Ibidem, à la p. 266.
- [28] Ibidem, à la p. 267.
- [29] Ibidem, à la p. 268.
- [30] Ibidem, aux p. 177-178.
- [31] Edward D. Radin, The Innocents (New York : William Mauro and Company, 1964).
- [32] Ibidem, à la p. 35.
- [33] Ibidem, à la p. 230.
- [34] Ruth Brandon et Christie Davies, Wrongful Imprisonment (Londres : George Allen and Unwin Ltd, 1973).
- [35] Ibidem, à la p. 22.
- [36] Ibidem, à la p. 19 : ceux qui ont été graciés ou dont la condamnation a été annulée par la Cour d’appel.
- [37] Ibidem, à la p. 21.
- [38] Ibidem, à la p. 255.
- [39] Ibidem, à la p. 256.
- [40] Chamberlain c. the Queen (no 2) (1984), 153 C.L.R. 521 (H.C.)
- [41] Tout récemment, voir « Witch Hunt » par Paul Toohey, dans The Australian (15 juillet 2000) : www.theaustralian.com.au/extras/toohey/s1s1.html et « Scientist in Dingo Case at Heart of Ambush Inquiry », par Patrick Barkham, à Sydney, paru dans The Guardian (R.-U.), le 25 février 2002 : www.guardian.co.uk/uk_news/story/0,3604,656540,00.html. Le principal ouvrage sur cette affaire a été écrit par John Bryson, auteur et avocat plaidant : Evil Angels (New York : Summit Books, 1985).
- [42]Australia Royal Commission of Inquiry into Chamberlain Convictions en 1987 (honorable T.R. Morling, Commissaire), à la p. 342, document examiné plus en détail par les tribunaux à la lumière des conclusions de cette Commission royale dans : Reference under section 433A of the Criminal Code of the Attorney General for the Northern Territory of Australia of convictions of Alice Lynne Chamberlain and Michael Leigh Chamberlain, [1988] N.T.S.C. 64.
- [43] Paul R. Wilson, « When Justice Fails: A Preliminary Examination of Serious Criminal Cases in Australia », 24 Australian Journal of Social Issues 3 (1989), à la p. 12.
- [44] Judy Bourke, Misapplied Science: Unreliability in Scientific Test Evidence, (1993) 10 Aust. Bar Rev. 123, cité en y souscrivant dans l’Enquête Morin, aux p. 276 et suivantes, ainsi qu’aux pages 327 et 342.
- [45] Les matières en question comprenaient des particules de semences, des particules de peinture, des cheveux humains et des fibres de tissu.
- [46] Paul R. Wilson, précité; Enquête Morin, à la p. 284, même s’il est tout aussi clair que les « opinions préconçues » ont joué aussi un rôle : Enquête Morin, à la p. 1137.
- [47] Judy Bourke, précité; Enquête Morin, à la p. 287.
- [48] Judy Bourke, précité, aux p. 136 et 137; Paul R. Wilson, précité, aux p. 11 et 12.
- [49] Paul R. Wilson, précité, aux p. 8 et suivantes.
- [50] Report of the Royal Commission to Inquire into the Circumstances of the Convictions of Arthur Allen Thomas for the Murders of David Harvey Crewe and Jeanette Lenore Crewe (Wellington, Nouvelle-Zélande : Government Printer, 1980), aux p. 13 à 17.
- [51] Dr T. J. Sprott et Pat Booth, ABC of Injustice: The Thomas Case (Auckland: Arthur Thomas Retrial Committee , non daté, 39 pages); Trial by Ambush, par P.J. Booth, deux ouvrages mentionnés dans le Report of the Royal Commission, ibidem, à la p.16.
- [52] Beyond Reasonable Doubt?, par David Yallop (Londres : Hodder and Stoughton, 1978). Entre parenthèses, M. Yallop témoigna par la suite pour la défense lors du procès des sept Maguire. Sir John May conclut toutefois que Yallop avait été discrédité efficacement et avec succès dans des contre-interrogatoires menés par Sir Michael Havers, qui, à l’époque, était procureur général de l’Angleterre et du Pays de Galles. Voir l’analyse connexe, Enquête Morin, aux p. 271 et 272.
- [53] Rapport de la Commission royale, précité, à la p. 16.
- [54] Ibidem, aux p. 96 à 98.
- [55] Ibidem, à la p. 120.
- [56] Irish Republican Army : www.terrorismanswers.com/groups/ira.html, à la p. 2; Lost Lives:www.rte.ie/news/archive/lostlives/adams.html
- [57] L’affaire des Quatre de Guildford a été immortalisée dans le livre intitulé In The Name Of The Father (Penguin Books : 1993), ainsi que dans le film du même nom (Au nom du père), diffusé par Universal Pictures en 1993 et mettant en vedette Daniel Day-Lewis et Emma Thompson.
- [58] Justice: Denied – The Magazine for the Wrongly Convicted: www.justicedenied.org/inthenameofthefather.htm, à la p. 2.
- [59] Ibidem, à la p. 4.
- [60] BBC News : Blair Apologizes to Guildford Four, http://news.bbc.co.uk/1/hi/northern_ireland/778940.stm; voir aussi : http://innocent.org.uk/cases/guildford4/
- [61] R c. McIlkenny (1991), 93 Cr. App. R. 287 (C.A.)
- [62] Ibidem, à la p. 289.
- [63] Ibidem.
- [64] Ibidem.
- [65] Ibidem, à la p. 318. L’affaire a été le sujet de plusieurs ouvrages : voir, par exemple, Bob Woffinden, Miscarriages of Justice (Londres : Hodder and Stoughton, Ltd. 1965); Paddy Joe Hill et Gerard Hunt, Forever Lost, Forever Gone (Londres : Bloomsbury Publishing Ltd., 1995).
- [66] Miscarriages of Justice: The Birmingham Six, www.guardian.co.uk/crime/article/0,2763,634024,0.html. Le même jour, soit le 14 mars 1991, le gouvernement du Royaume-Uni établit la Royal Commission on Criminal Justice, sous la présidence du vicomte Runciman. Cette commission avait pour mandat d’examiner le processus de justice sur tout le territoire de l’Angleterre et du Pays de Galles, y compris [TRADUCTION] « le rôle des experts dans les procédures au criminel, leurs responsabilités envers la Cour, la partie poursuivante et la défense, de même que la relation entre les services criminalistiques et la police ». Il en est question dans l’Enquête Morin, à la p. 276.
- [67] McGuire Seven, http://www.innocent.org.uk/cases/maguire7/index.html
- [68] (1992), 94 Cr. App. R. 133.
- [69] Ibidem.
- [70] Laboratorynews: http://www.sciences.demon.co.uk/aforensc.htm
- [71] R c.Ward, [1993] 2 All E.R. 577 (C.A.)
- [72] Ibidem.
- [73] Ibidem.
- [74] Ibidem.
- [75] Ibidem.
- [76] Enquête Morin, à la p. 268 (et voir la p. 97).
- [77] Payne c.Tennessee, 501 U.S. 808 (1991), à la p. 868, citant les propos célèbres d’Oliver Wendell Holmes dans un jugement dissident : Northern Securities Co. c. U.S., 193 U.S. 197 (1904), aux p. 400-401.
- [78] Dans l’Enquête Morin, à la p. 298, l’honorable Fred Kaufman a cité en y souscrivant l’extrait suivant du Crown’s Prosecution Policy Manual : [TRADUCTION] « Comme les experts médico-légaux qui travaillent dans les laboratoires de l’État connaissent mieux la police et le personnel du ministère public, de même que les méthodes de poursuite et les préoccupations connexes, ils peuvent avoir tendance à se sentir “alignés” sur la Couronne. Dans certaines administrations, ce lien compréhensible entre le ministère public et les experts médico-légaux a amené ces derniers à avoir le sentiment que leur fonction consistait à soutenir la thèse de la police. Ce sentiment est erroné, et présente le risque de contribuer à une erreur judiciaire ». De façon générale, voir l’analyse concernant Fred Zain, ci-après.
- [79] Ibidem.
- [80] À cet sujet, le débat aux États-Unis est assez singulier : voir Michael L. Radelet et col., Death Penalty Symposium: Prisoner’s Released from Death Rows Since 1970 Because of Doubts About Their Guilt, 13 T. M. Cooley L. Rev. 907 (1996); Michael L. Radelet, « Wrongful Convictions of the Innocent », 86 Judicature 67 (2002). Il est clair toutefois que la disponibilité de la peine de mort aux États-Unis a eu un impact sur d’autres pays, et ce, de bien des façons : voir, par exemple, États-Unis c. Burns, (2001), 151 C.C.C. (3d) 97 (C.S.C.).
- [81] Edwin M. Borchard, précité.
- [82] Bedau et Radelet, précité.
- [83] Jodi Wilgoren, TheNew York Times: Systemic Problems Compel Illinois Governor to Commute Remaining Death Sentences: http://www.tcask.org (11 janvier 2003); il est possible de lire le texte de l’allocution de Ryan à : www.initiative-gegen-die-todesstrafe.de/George%20Ryan%20.htm.
- [84] (1987), 40 Stanford Law Rev. 21.
- [85] Les accusés reconnus coupables d’homicide ou de viol et condamnés à mort alors qu’aucun crime de ce genre n’avait réellement été commis, ou alors l’accusé n’était pas impliqué, légalement et physiquement, dans le crime en question. Ibidem, à la p. 45.
- [86] Ibidem, aux p. 45 et 46.
- [87] Ibidem, aux p. 56 et suivantes.
- [88] Ibidem, à la p. 90.
- [89] Radelet et Bedau, précité; Keith A. Findley, précité; Report of the Governor’s Commission on Capital Punishment présenté au gouverneur de l’Illinois George H. Ryan en 2002, voir ci-après; Barry Scheck, Peter Neufeld et Jim Dwyer, Actual Innocence: When Justice Goes Wrong and How to Make it Right, initialement paru sous le titre Actual Innocence: Five Days to Execution, and Other Dispatches From The Wrongfully Convicted (New York: Signet, 2001).
- [90] Cette fois-ci les auteurs ont publié leur ouvrage en signant « Radelet et Bedau », plutôt que « Bedau et Radelet ».
- [91] Ibidem, à la p. 919.
- [92] Ibidem, à la p. 917; pour un ouvrage plus récent, voir Karen F. Parker, Mari A. DeWees et Michael L. Radelet, « Race, the Death Penalty, and Wrongful Convictions », 18 Criminal Justice 49 (2003).
- [93] Keith A. Findley, précité, à la « Part C »; David Horan, The Innocence Commission: An Independent Review Board For Wrongful Convictions, 20 N. Ill. U. L. Rev. 91 (2000); Michael J. Saks, Model Act: Model Prevention and Remedy of Erroneous Convictions Act, 33 Ariz. St. L. J., 665 (2001); James S. Liebman, « Rates of Reversible Error and the Risk of Wrongful Execution », 86 Judicature 78 (2002).
- [94] Barry Scheck et coll., précité.
- [95] The Constitution Project, Mandatory Justice: 18 Reforms to the Death Penalty, mentionné par Keith A. Findley, précité, à la note no 91 [son texte]; Gerald Kogan, « Errors of Justice and the Death Penalty », 86 Judicature 111 (2002) [M. Kogan est un ancien procureur, avocat de la défense, juge de première instance, juge d’appel et juge en chef de la Cour suprême de la Floride].
- [96] Frederick Drimmer, Until You Are Dead (New York: Pinnacle Books, 1990).
- [97] Report of The Governor’s Commission on Capital Punishment, document présenté à George H. Ryan, gouverneur de l’Illinois, le 15 avril 2002 (État de l’Illinois, 2002). Le rapport du commissaire s’inspire dans une large mesure des enquêtes Morin et Sophonow, surtout au chapitre des opinions préconçues (page 20), des dénonciateurs sous garde (pages 40 et 121), de la formation (page 40), de la culture policière (page 45) et de l’enregistrement des déclarations (page 30).
- [98] Ibidem, à la page i.
- [99] Ibidem, aux pages v – vii. La Commission, présidée par un juge fédéral à la retraite, était formée de plusieurs procureurs ou défenseurs publics anciens ou en exercice, d’avocats de la défense, d’éminents plaideurs du secteur privé, d’un président d’entreprise, d’un avocat et auteur (Scott Turow), de même que d’un conseiller spécial : William Webster, associé principal au sein d’un cabinet d’avocats de Washington et anciennement juge d’appel et directeur à la fois du FBI et de la CIA.
- [100] Ibidem, à la p. iii.
- [101] Ibidem, à la p. 191.
- [102] Ibidem, à la p. 105. Un coprésident de la Commission a publié depuis lors un article qui souligne que la mise en œuvre des recommandations fournira des mesures de sauvegarde importantes contre d’autres condamnations injustifiées dans les causes tant capitales que non capitales : Thomas P. Sullivan, « Preventing Wrongful Convictions », 86 Judicature 106 (2002).
- [103] À l’époque, les médias firent remarquer que Ryan faisait lui-même l’objet d’une enquête criminelle et risquait d’être inculpé dans un scandale de corruption : Jodi Wilgoren, précité, note no 152.
- [104] Jodi Wilgoren, ibidem; Death-Row Inmates Pardoned, Winnipeg Free Press, le samedi 11 janvier 2003, à la p. A18.
- [105] www.initiative-gegen-die-todesstrafe.de/George%20Ryan%20.htm, précité, note no 152, à la p. 10 de 11.
- [106] New America Library , décembre 2003.
- [107] Ibidem, p. xvii.
- [108] Ibidem, p. xx
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