COMITÉ FPT DES CHEFS DES POURSUITES PÉNALES
RAPPORT SUR LA PRÉVENTION DES ERREURS JUDICIAIRES

3. LES COMMISSIONS D'ENQUÊTE CANADIENNES

Le Canada n'a malheureusement pas été à l'abri du problème mondial des condamnations injustifiées.

Malgré quelques différences culturelles juridiques par rapport aux pays que nous avons vus au chapitre précédent, le Canada a eu lui aussi sa part d'affaires à grand retentissement dans lesquelles un innocent a été reconnu coupable d'un crime qu'il n'avait pas commis. Un grand nombre des facteurs qui ont contribué à commettre des erreurs judiciaires ailleurs dans le monde sont également présents, là aussi, dans les affaires canadiennes.

En un sens, toutefois, le Canada est unique : la confirmation d'un cas à grand retentissement de condamnation injustifiée a souvent été suivie d'une enquête publique complète.

Trois enquêtes provinciales de ce genre ont déjà eu lieu, une quatrième est en cours à Terre-Neuve et au Labrador, et une cinquième a récemment été instituée en Saskatchewan.

En général, ces enquêtes ne se limitent pas aux faits qui ont amené à commettre une erreur judiciaire particulière, mais constituent un examen à grande échelle des causes systémiques de condamnation injustifiée au Canada et ailleurs. Les rapports qui en ont résulté figurent parmi les analyses les plus complètes qui soient du phénomène des condamnations injustifiées, et sont souvent cités dans le monde entier.

En octobre 1986, une commission royale a été constituée pour examiner l'affaire de Donald Marshall, condamné par erreur pour le meurtre, en 1971, à Sydney (Nouvelle-Écosse), d'un jeune homme de 17 ans, Sandy Seale, et ayant passé 11 ans en prison.

La Commission était formée de trois juges : le juge en chef T. Alexander Hickman de Terre-Neuve, le juge en chef adjoint Lawrence A. Poitras du Québec, et le juge Gregory Thomas Evans de l'Ontario. Après avoir entendu 113 témoins en 93 jours d'audiences publiques, la Commission a présenté son rapport en décembre 1989[109].

Dix ans plus tard, en juin 1996, l'honorable Fred Kaufman, c.r., ancien juge de la Cour d'appel du Québec, a été nommé par le gouvernement ontarien pour examiner l'affaire Guy Paul Morin.

Le 30 juillet 1992, Morin avait été reconnu coupable du meurtre d'une voisine immédiate, une fillette de neuf ans appelée Christine Jessop. Il a fallu attendre jusqu'au 23 janvier 1995, soit près de 10 ans après sa première arrestation et deux procès plus tard, pour que Morin soit disculpé à la suite d'analyses d'ADN que l'on aurait pas pu effectuer auparavant. Le véritable assassin n'a jamais été trouvé.

Lors des audiences publiques, qui ont duré 146 jours, 120 témoins ont été appelés. Plus de 100 000 pages de preuves, de pièces à conviction et de documents produits en appel ont été examinés. Vingt-cinq parties ont obtenu qualité pour agir, et un certain nombre de personnes qui étaient soit des experts, soit des membres du secteur de l'administration de la justice pénale du monde entier ont été appelées à témoigner.

Kaufman a rendu public son rapport en deux volumes le 9 avril 1998[110]. Ce rapport contenait 1 380 pages, ainsi que 119 recommandations de changements, dont un grand nombre étaient de nature systémique. MacFarlane déclare que ce document [TRADUCTION] « est probablement l'examen judiciaire le plus exhaustif que l'on n'ait jamais mené sur les causes de condamnations injustifiées, et sur la façon de les éviter ».

En juin 2000, l'ancien juge de la Cour suprême Peter Cory a été nommé par le gouvernement du Manitoba pour examiner l'affaire Thomas Sophonow.

Sophonow avait été jugé à trois reprises pour le meurtre de Barbara Stoppel, une adolescente de 16 ans, et, chaque fois, la Cour d'appel avait annulé la condamnation. En 1998, le Service de police de Winnipeg entreprit une nouvelle enquête sur l'assassinat et, le 8 juin 2000, annonça que Sophonow n'était pas coupable du meurtre et qu'un autre suspect avait été identifié. Le même jour, le gouvernement du Manitoba fit des excuses publiques à Sophonow pour avoir [TRADUCTION] « subi trois procès et deux appels et passé 45 mois en prison pour un crime qu'il n'a pas commis ».

Le Juge Cory a présenté son rapport en septembre 2001[111].

En mars 2003, Antonio Lamer, ancien juge en chef de la Cour suprême du Canada, a été nommé pour étudier trois affaires pour le compte du gouvernement de Terre-Neuve et du Labrador, dont une affaire reconnue de condamnation injustifiée[112]. Il est censé produire son rapport en décembre 2005.

En février 2004, le gouvernement de la Saskatchewan a désigné le juge Edward P. MacCallum, de la Cour du Banc de la Reine de l'Alberta, en vue d'étudier la cause de David Milgaard, qui a passé 23 ans derrière les barreaux pour un meurtre qu'il n'a pas commis[113].

Le tableau présenté dans les pages qui suivent compare les recommandations des trois commissions d'enquête qui ont publié à ce jour un rapport. En outre, chacun des chapitres suivants reproduit les recommandations des commissions d'enquête concernant le sujet dont il question dans le chapitre.

Le présent rapport n'a clairement pas pour but de répondre à chacune des recommandations des commissions d'enquête, et le fait que le Groupe de travail les reproduise ne signifie pas forcément qu'il les sanctionne. Ces recommandations servent toutefois de point de départ utile à des discussions sur le sujet et, dans ses délibérations, le Groupe de travail les a prises soigneusement en considération. Par ailleurs, dans bien des administrations, de nombreux efforts ont été faits pour donner suite à ces recommandations et les mettre en œuvre, et cela aussi est mis en lumière dans chacun des chapitres.


CAUSES
 

RECOMMANDATIONS
Marshall Morin Sophonow
1. Preuves médico-légales  

· Les limites des preuves médico-légales doivent être comprises par toutes les parties qui prennent part à une instance judiciaire, et expliquées au jury.

· Les preuves médico-légales doivent être conservées en vue de la répétition des analyses.

· Les scientifiques doivent s'occuper de mettre en doute ou de réfuter une hypothèse, plutôt que d'en prouver une.

· La défense doit avoir accès à des experts médico-légaux.

· Les scientifiques doivent être formés pour témoigner afin d'éviter qu'on les interprète mal.

· Les preuves doivent être soumises à toutes les analyses raisonnables (obligation imposée à la partie poursuivante et à la police).

2. Dénonciateurs sous garde

Utilisation restreinte.

 

Utilisation interdite, sauf dans de rares cas (p. ex., un enlèvement pour lequel un témoin sait où se trouve la victime).

a) Procédure utilisée par la partie poursuivante pour recourir à des dénonciateurs sous garde

 

· Les politiques de la Couronne devraient refléter les dangers de ce genre de preuve.

· Il est important que les preuves soient fiables (liste de 13 critères d'évaluation de la fiabilité).

Trois critères issus de l'Enquête Morin sont principalement étudiés : [(1) seul l'auteur de l'infraction pouvait connaître l'information; (2) la déclaration est détaillée et révélatrice; (3) l'enquête de la police confirme que la déclaration est juste et exacte] ET les 10 autres critères sont également notés.

b) Mise en garde du jury

 

La mise en garde doit être formulée en des termes plus forts que ceux que renferme une mise en garde faite selon les principes énoncés dans Vetrovec.

Directives très précises quant au manque de fiabilité des preuves.

3. Police

   

a) Formation des agents

· Formation plus intensive pour les policiers cadets s'occupant d'un crime à grand retentissement.

· La formation devrait être surveillée par des parties indépendantes du corps de police.

· Évaluation des capacités d'enquête.

· Formation relative à la sensibilité aux questions concernant les minorités visibles.

Établissement de normes minimales concernant la formation initiale et la formation permanente.

Participation de tous les agents à un cours ou à un exposé annuel sur les opinions préconçues (ou la « vision étroite des choses »).

b) Toutes les entrevues de suspects doivent être enregistrées sur bande magnétoscopique ou sonore.

Mesure recommandée

Mesure recommandée

· Si les entrevues n'ont pas été enregistrées sur une bande magnétoscopique, le juge du procès peut en tirer une inférence négative.

Mesure recommandée

· Si l'entrevue n'a pas été enregistrée sur une bande magnétoscopique, la règle générale veut que cette preuve soit irrecevable.

c) Il faut encourager la police à enregistrer sur bande magnétoscopique les entrevues des témoins dont le témoignage peut être contesté en cour.

 

Mesure recommandée

· Dispenser une formation en matière de techniques d'entrevue pour plus de fiabilité.

· Les entrevues des témoins d'un alibi doivent être enregistrées sur bande magnétoscopique ou sonore, et être irrecevables s'il n'y a pas de transcription.

d) Il faut accorder une attention spéciale à certaines catégories de témoins au moment de leur entrevue.

Mesure recommandée pour les témoins/suspects d'un jeune âge ou psychologiquement instables.

 

Il ne faut pas influencer ou interroger les témoins d'un alibi.

(e) Témoins d'un alibi : des agents autres que ceux faisant enquête sur l'accusé doivent faire enquête sur l'alibi de ce dernier.

 

Mesure recommandée.

Mesure recommandée.

f) Évitement des idées préconçues (vision étroite des choses).

 

· Sensibilisation des agents de police à la façon de relever et d'éviter les idées préconçues.

· Ne pas élever à un rang supérieur les agents enquêteurs parce qu'ils ont poursuivi le « meilleur » indice ou suspect.

Participation de tous les agents à un cours ou un exposé annuel sur les idées préconçues.

g) Utilisation de tests polygraphiques.

 

Les policiers doivent suivre une formation sur l'utilisation appropriée des tests polygraphiques, ainsi que sur les limites de leurs résultats.

 

h) Utilisation restreinte de l'établissement d'un profil criminel.

 

Les policiers ne doivent s'en servir que comme un simple outil d'enquête.

 

i) Établir une politique exhaustive et uniforme au sujet de la conservation des calepins des policiers.

 

· Les calepins doivent être faciles à trouver.

· Objectif ultime : informatisation.

· Les calepins ne doivent pas être mis de côté par les agents eux-mêmes.

· Ils doivent être mis de côté par la municipalité (possibilité de les préserver sur microfiche).

· Calepins conservés pendant 20 à 25 ans.

j) Préservation des pièces à conviction.

   

· Les pièces à conviction doivent être conservées pendant 20 ans.

k) Identification des témoins oculaires.

   

· Procédure additionnelle pour les parades d'identification.

· Procédure additionnelle pour les séances d'identification sur photo.

· Instructions fermes et claires au jury au sujet des faiblesses de l'identification par témoin oculaire.

· Les preuves d'experts sur l'exactitude d'une identification par témoin oculaire doivent être admises facilement.

l) Enquête sur une personne disparue.

 

· La police ne doit pas perdre de vue qu'une telle enquête peut se transformer en une enquête criminelle d'envergure, et elle doit prendre les mesures appropriées pour préserver les preuves.

· Énumère la procédure à suivre dans le cas des fouilles effectuées sur place.

 

4. Couronne

     

a) Formation

Programmes visant à relever et à réduire les cas de discrimination systémique.

· La Couronne devrait suivre une formation sur la façon de relever et d'éviter les idées préconçues (vision étroite des choses).

· La preuve d'autres suspects doit être réexaminée.

 

b) Force de la preuve.

 

La Couronne doit être tenue de ne pas évoquer des éléments de preuve qui sont raisonnablement considérés comme faux.

Le procès devient inéquitable si la Couronne soulève des questions préjudiciables sans preuve suffisante.

c) Techniques d'entrevue.

 

Énumère les critères permettant d'améliorer la fiabilité des entrevues, y compris leur enregistrement.

 

d) Représentations partisanes de la Couronne.

 

Les procureurs de la Couronne devraient suivre une formation sur les limites des représentations partisanes de la Couronne, y compris le fait d'être empêchés d'interjeter appel d'un acquittement par jury.

 

e) Divulgation par la Couronne.

Modifications au Code criminel au sujet de la divulgation.

Création d'un comité pour examiner les questions de divulgation et en discuter.

 

5. Absence d'examen indépendant en cas de condamnation injustifiée.

Comité indépendant pour examiner les condamnations injustifiées.

Commission indépendante pour examiner les condamnations injustifiées.

Commission indépendante pour examiner les condamnations injustifiées.

6. Relation entre la Couronne et la défense.

 

Le gouvernement provincial devrait fournir des fonds aux avocats de la défense et aux procureurs en vue de discuter des questions pertinentes.

Amoindrir l'atmosphère de suspicion entre les procureurs de la Couronne et les avocats de la défense au moyen de réunions tenues régulièrement pour discuter des problèmes.

7. Absence de divulgation d'une défense d'alibi.

 

Apporter des modifications législatives afin de pouvoir admettre, dans certaines conditions, l'introduction d'une déclaration disculpatoire de l'accusé au moment de l'arrestation.

La divulgation par la défense doit être faite dans un délai raisonnable.

8. Manque de sensibilité du système de justice pénale aux minorités visibles.

· Tous les échelons de l'administration de la justice (juge, avocats, services correctionnels, etc.) devraient faire des efforts à cet égard.

· Création d'un système judiciaire distinct, contrôlé par la collectivité, pour les Autochtones.

   

9. Traitement de l'accusé

 

La personne accusée d'un crime doit être traitée de façon neutre en cour.

 

10. Mise en garde du jury.

 

Mettre en garde le jury contre le fait que des preuves peuvent être entachées par des accusations criminelles ou d'autres facteurs externes, tels que la notoriété de l'affaire.

Mettre en garde le jury contre la faillibilité des témoins oculaires et le manque de fiabilité des dénonciateurs sous garde.

11. Pouvoirs restreints de la cour d'appel.

 

· Permettre à la Cour d'appel d'entretenir un « vague doute » au moment de décider s'il convient ou non d'annuler une condamnation.

· Les pouvoirs de la Cour d'appel au sujet des « éléments de preuve nouveaux » doivent être élargis ou changés.

 

12. Procédure suivie pour le dépôt d'accusations.

Comporte des recommandations additionnelles à l'intention de la police et de la Couronne.

   

13. Manque de clarté des questions relatives à l'intérêt public.

Énumère une série de critères liés à l'intérêt public, relativement à la continuation d'une poursuite.