5.0 Constatations et discussion

Cette section présente les constatations provenant des trois sources suivantes :

5.1 Principaux thèmes de l’analyse documentaire

La bibliographie de la section 7 contient des références choisies concernant les cliniques juridiques au Canada au cours des 30 dernières années. Les principaux thèmes abordés dans cette analyse documentaire portent sur la typologie des cliniques, leur philosophie, leur utilisation par les clients, les résultats obtenus et les répercussions de la pandémie.

5.1.1 Typologie des cliniques juridiques

Voici les trois principaux modèles de « Justice de Proximité » dans la typologie 2014 de Noreau et Pasca :

Même si elles peuvent inclure tout ou partie des objectifs de ces trois modèles, les cliniques juridiques décrites dans ce rapport partagent le plus souvent le modèle du comptoir juridique pour la prestation de services juridiques. Les activités décrites pour les modèles multifonctionnel et d’intercession qui sont pratiquées dans certaines cliniques sont exclues de la description des administrations, car elles ne correspondent pas à la définition d’une clinique juridique figurant à la section 3.

5.1.2 Philosophie des cliniques juridiques

Dans la mesure où elles sont cohérentes, les philosophies ont tendance à varier d’une administration à l’autre. C’est l’Ontario qui a le mieux défini la philosophie qui anime son système de cliniques. En 1976, l’Ontario a promulgué en vertu de la Loi sur l’aide juridique un règlement qui permet de financer des cliniques communautaires d’aide juridique. Bien que d’autres aspects de l’aide juridique aient continué de s’étendre après cette date (p. ex., certificats pour les avocats de pratique privée, avocats-conseils, services d’avocats nommés d’office, cabinets d’avocats et sociétés étudiantes d’aide juridique), Abramowicz affirme qu’en Ontario, les trois caractéristiques les plus fondamentales des cliniques juridiques communautaires sont les suivantes :

Faisant également référence au cas de l’Ontario, en 1991, Blazer a énoncé les principes suivants qui conditionnent l’évolution du système de cliniques :

Ces descriptions de la philosophie des cliniques se rapportent spécifiquement à l’Ontario. Même si ces principes s’appliquent aussi à d’autres administrations pour distinguer les cliniques d’aide juridique d’une approche axée uniquement sur le cas par cas, chaque administration revendique divers degrés de participation communautaire et aussi de portée dans la gamme des questions juridiques prises en compte. Par exemple, dans son rapport de 2019 intitulé « Roads to Revival » en Colombie-Britannique, Maclaren décrit le Mental Health Law Program (MHLP) de la Community Legal Assistance Society comme une « clinique mixte modèle » évolutive et adaptable aux circonstances changeantes, ayant recours à des avocats à tarif horaire pour étendre la portée de ses services à toutes les régions de la Colombie-Britannique, mais comptant fortement sur un noyau de défenseurs à faible coût pour répondre aux besoins juridiques des clients vulnérables (Maclaren 2019 : 17).

Sur le plan administratif, les cliniques des provinces de l’Atlantique fournissent généralement des services par l’entremise de programmes d’aide juridique, mais, sur le plan philosophique, leur orientation consiste à offrir seulement des renseignements et des conseils. De cette façon, le service ne se confond pas avec les cas approuvés individuellement et bénéficiant d’une représentation complète par le régime d’aide juridique de la province.

5.1.3 Types de problèmes rencontrés et de résultats obtenus par les cliniques juridiques

Bertrand et Paetsch décrivent les résultats obtenus auprès des clients de quatre cliniques communautaires en Alberta (Calgary Legal Guidance, Edmonton Community Legal Centre, Central Alberta Community Legal Clinic à Red Deer et Lethbridge Legal Guidance). Près de 80 % des clients sont restés à la clinique de 15 à 44 minutes. Les cinq questions de droit les plus fréquentes (représentant 76 % du total) concernaient le divorce, la pension alimentaire pour époux et enfants, les relations entre propriétaire et locataire, le rôle parental après la séparation, la garde ou le droit de visite et l’immigration. Les autres questions représentant 25 % de l’ensemble concernaient diverses affaires criminelles, civiles et familiales (Bertrand et Paetsch, 2018 : 13).

Sur les quelque 6 600 répondants, un peu plus de 90 % ont déclaré être « tout à fait d’accord » ou « d’accord » avec le constat que leur visite à la clinique leur avait permis de mieux comprendre leurs droits, leurs responsabilités juridiques, leurs options, et les prochaines étapes à suivre. De plus, 89 % des répondants ont déclaré mieux connaître les avantages et les inconvénients des options qui s’offrent à eux (Bertrand et Paetsch, 2018 : 20).

Il reste beaucoup de travail à faire pour définir des mesures des résultats vraiment axées sur le client et qui pourraient être utiles au système des cliniques juridiques. Comme l’indique un rapport de l’Association du Barreau canadien (ABC) de 2015 :

Les services axés sur le client détournent l’attention de l’importance accordée habituellement au processus par les acteurs du système judiciaire au profit d’une approche centrée sur les personnes et les résultats. Auparavant, le principal critère pour les fournisseurs de services juridiques était la qualité des services offerts afin de garantir des procédures équitables, et peu de fournisseurs mesuraient les résultats de ces services. Les fournisseurs d’aide juridique et leurs bailleurs de fonds commencent à s’attaquer à l’évaluation plus difficile de « ce qui s’est passé » à la suite de l’aide juridique, bien qu’il s’agisse encore dans une large mesure du « meilleur des mondes ».

Dans le système canadien d’aide juridique, les points de référence pourraient se rapporter à au moins trois catégories générales de résultats, à savoir les résultats procéduraux, substantiels et systémiques. Les résultats procéduraux sont les facteurs comme le degré de satisfaction du client à l’égard du processus et le stress vécu. La satisfaction compte plusieurs dimensions : le client s’est-il senti bien préparé, a-t-il perçu le processus comme étant équitable, a-t-il le sentiment d’avoir été entendu, etc. Une fois de plus, il est possible de mesurer les résultats substantiels en fonction de la satisfaction de l’individu envers le résultat (initial et à long terme).. . (ou).. . en fonction d’une norme objective (évaluation par rapport à d’autres cas semblables). Parmi les autres objectifs qualitatifs figurent l’autonomisation de l’individu par l’information, l’éducation et le renforcement des capacités juridiques. Les résultats systémiques sont la mesure de la rétroaction sur le processus et les résultats dans le système judiciaire. Une telle rétroaction peut favoriser l’apprentissage, l’innovation et permettre de déterminer si l’aide juridique a contribué à la résilience et à la prévention de conflits futurs. (ABC, 2015, 100-101)

Le projet « Measuring the Impact of Legal Service Interventions » (Mesurer l’incidence des interventions des services juridiques) du Forum canadien sur la justice civile vise à évaluer en plusieurs phases, de 2019 à 2024, l’efficacité de différents types d’interventions des services juridiques sur l’issue des litiges, les effets à long terme sur la santé des clients et les coûts et avantages au fil du temps. La mise en place de cliniques juridiques dans plusieurs administrations constitue un élément clé de cette étude (Farrow et coll., 2020).

5.1.4 Lacunes dans les services et besoins non satisfaits dans les cliniques juridiques

Dans un rapport à l’intention de l’Association du Barreau canadien, Mme Buckley décrit des projets de cartographie en Colombie-Britannique et en Alberta, indiquant que les délais pour accéder aux services des cliniques juridiques sont plus longs en zone rurale qu’en zone urbaine. Les conclusions font ressortir l’absence de tels services dans de nombreuses collectivités, les frustrations et les obstacles liés à l’utilisation du téléphone ou d’Internet pour obtenir de l’aide, le manque d’avocats dans le Nord disposés à accepter des mandats d’aide juridique, le besoin accru d’aide pour les populations autochtones, l’accès limité aux services pour les personnes peu scolarisées et à faible revenu, et le manque de logements abordables qui permettraient aux gens de gérer leur propre vie (Buckley, 2010 : 47).

Mme Buckley a ajouté qu’au Canada, les cliniques communautaires sont souvent submergées par les dossiers individuels, de sorte qu’il n’est pas possible de mener à bien les activités stratégiques à long terme et les causes types visant à façonner les lois et à protéger les droits (Buckley, 2010 : 9).

Un rapport intitulé « Une analyse des services en matière de droit des pauvres au Canada » par le Conseil de planification sociale et de recherche de la Colombie-Britannique et publié par le ministère de la Justice du Canada présente une analyse sur les services d’aide juridique en matière de droit des pauvres offerts dans chaque administration canadienne, ainsi que par des organismes communautaires. Le rapport mentionnait à la fois le manque de financement pour la prestation de tels services dans la collectivité et le caractère incomplet de la couverture de l’aide juridique en droit des pauvres. Comme le rapport a été publié en 2002, il n’est pas possible de considérer que les données sont à jour.

5.1.5 Incidence de la pandémie de COVID-19 sur le type de cas traités par les cliniques juridiques

Les répercussions de la pandémie sur les activités des cliniques juridiques et leurs stratégies pour y faire face sont traitées dans les sections 5.3.4 à 5.3.7 du présent rapport. Il est également important de comprendre l’incidence de la pandémie sur certains types de cas que les cliniques peuvent traiter. Macnab affirme que la pandémie a touché tous les domaines du droit, p. ex., le droit pénal, de la famille, de la propriété intellectuelle et de la concurrence, mais il cite l’avocat spécialisé en droit du travail Howard Levitt qui affirme « qu’aucun domaine du droit n’a été plus touché que le droit du travail et du chômageNote de bas de page 11 ».

5.2 Résumé des structures des cliniques dans chaque administration

La section 8 présente sous forme de tableaux des résumés des systèmes de prestation des services de clinique juridique dans chaque administration. Les tableaux indiquent 1) les bailleurs de fonds; 2) la principale orientation juridique; 3) le nombre de cliniques, les paramètres de la prestation et les sous-catégories de questions juridiques; 4) l’étendue des services; 5) les structures de gouvernance; 6) les modes de prestation antérieurs à la CODIV-19 et les adaptations apportées.

Ces tableaux permettent de faire les grandes généralisations suivantes :

5.3 Constatations tirées d’entrevues avec des informateurs clés

Le chercheur a mené des entrevues téléphoniques ou virtuelles semi-structurées auprès de 24 répondants des 13 administrations canadiennes, à peu près en proportion du nombre et de la diversité des types de cliniques juridiques dans chaque administration. Cinq entrevues ont été menées en Colombie-Britannique, quatre en Ontario, quatre au Québec, deux au Manitoba et une dans chacune des neuf autres administrations. Dans plusieurs cas, l’entrevue a été réalisée avec deux répondants du même organisme pour ajouter de la profondeur. Dans la mesure du possible, ont été sélectionnés pour une entrevue les répondants qui avaient une vue d’ensemble de la prestation dans leur administration (p. ex., à titre de principal bailleur de fonds du gouvernement, de fondation juridique, de service d’aide juridique ou d’association de cliniques juridiques). Des entrevues ont également été menées auprès des directeurs ou d’autres membres clés du personnel des cliniques offrant des services à des populations particulières ou faisant appel à divers modes de prestation, comme les cliniques bénévoles offertes aux immigrants, les centres de justice familiale, les cliniques mobiles, les fournisseurs de VIJ et les cliniques étudiantes.

5.3.1 Modèles de financement

Il n’existe pas de modèle de financement uniforme pour les cliniques juridiques au Canada, et dans la majorité des administrations, les bailleurs de fonds peuvent appartenir à diverses catégories. Dans toute administration donnée, il peut s’agir du ministère de la Justice du Canada, des gouvernements provinciaux ou territoriaux, d’un organisme provincial ou territorial d’aide juridique, de fondations juridiques, d’un barreau provincial, d’un organisme provincial bénévole, d’organismes communautaires sans but lucratif, de facultés de droit universitaires et de subventions provinciales associées au jeu (c.-à-d. les recettes gouvernementales provenant des entreprises commerciales de jeu).

Une dernière forme de soutien financier est constituée par des services gratuits provenant du barreau privé ou d’étudiants sous la supervision d’un avocat, habituellement — mais pas toujours — en fonction des seuils de revenu des clients ou selon la durée des services fournis.

Principaux bailleurs de fonds dans chaque administration

Les fondations juridiques fournissent l’essentiel du financement des services juridiques en Colombie-Britannique, en Alberta et en Saskatchewan, et une partie importante du financement au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse, à l’Île-du-Prince-Édouard et à Terre-Neuve-et-Labrador.

Les régimes d’aide juridique provinciaux et territoriaux sont les principaux bailleurs de fonds des cliniques juridiques du Manitoba, de l’Ontario, du Nouveau-Brunswick, de la Nouvelle-Écosse, de l’Île-du-Prince-Édouard, de Terre-Neuve-et-Labrador, du Yukon, des Territoires du Nord-Ouest et du Nunavut. Les gouvernements fédéral et provinciaux financent surtout les régimes d’aide juridique.

Les facultés de droit subventionnent des cliniques dans toutes les administrations où elles sont présentes (c.-à-d. toutes les autres hormis les trois territoires, Terre-Neuve-et-Labrador et l’Île-du-Prince-Édouard). Ces cliniques proposent certains services d’information et de conseil par des étudiants. Ces services sont offerts sur le campus ou dans une clinique communautaire sous la supervision d’un avocat. Ils sont fournis gratuitement dans le cadre des crédits de cours des étudiants.

En Colombie-Britannique, en Alberta, en Saskatchewan, en Ontario et au Québec, des organisations bénévoles permettent aux avocats d’aider gratuitement les personnes admissibles, souvent dans le cadre d’une clinique juridique. Par exemple, en Colombie-Britannique, l’organisation Access Pro Bono qui reçoit un financement important de la BC Law Foundation, coordonne la prestation bénévole de services juridiques dans 114 sites de la province. En mai 2022, cette organisation lancera un nouveau service qui combine les concepts 1) de cliniques juridiques comme mécanisme d’enseignement pour les étudiants en droit; 2) d’intervention auprès des collectivités mal servies. Ce service est décrit comme suit :

.. . La Clinique juridique pour tous servira de centre d’apprentissage par l’expérience pour les stagiaires en droit et les nouveaux notaires, ainsi que d’incubateur individuel ou de petite entreprise pour les praticiens qui offriront ensuite des services juridiques abordables aux collectivités mal servies de la Colombie-Britannique. Au cours de sa première année, la clinique embauchera des douzaines de mentors professionnels et emploiera quatre avocats superviseurs, un notaire superviseur et un administrateur pour former, encadrer et superviser à distance 25 stagiaires et cinq nouveaux notaires sur deux semestres.

5.3.2 Évolution des modèles de clinique juridique

Comme il a été décrit plus haut, les modèles sont variés, de même que leurs sources de financement, si bien que le tableau de leur évolution est tout aussi différencié. En termes généraux, les « systèmes » cliniques ont commencé à apparaître dans les années 1970 (p. ex., en Colombie-Britannique, en Saskatchewan et en Ontario), en grande partie suite à une prise de conscience que l’approche conventionnelle de l’aide juridique était inadéquate pour répondre aux besoins juridiques liés à la pauvreté et aux autres affaires civilesNote de bas de page 15. Le concept des cliniques était associé à la prestation communautaire, à l’intervention précoce et aux services intégrés (c.-à-d. qui pouvaient traiter d’autres aspects juridiques et non juridiques associés à la question juridique présentée par le client).

Comme l’ont indiqué les informateurs clés, l’évolution des systèmes cliniques ne s’est pas faite sans heurts. Dans les années 1970, c’est souvent le ministère fédéral de la Justice qui a pris l’initiative de financer les cliniques individuelles, avec le soutien des gouvernements provinciaux. Sur le plan administratif, le financement de ces cliniques a commencé à se consolider dans les années 1970, généralement sous l’égide d’un organisme provincial d’aide juridique.

En Colombie-Britannique, après que le gouvernement provincial ait réduit considérablement le soutien financier accordé à la Legal Services Society en 2002, la Law Foundation a pris en charge l’initiative de soutenir et d’étendre les cliniques, et elle demeure leur principal bailleur de fonds dans cette province.

La Law Foundation of Saskatchewan a toujours financé les systèmes de cliniques depuis les années 1970. En 1976, l’Ontario a promulgué un règlement faisant suite au rapport Osler de 1974, et permettant de financer les cliniques communautaires d’aide juridique. Ces cliniques ont conservé une très grande autonomie grâce à la création de conseils communautaires et de l’Association des cliniques juridiques communautaires qui encadre le tout. Au Manitoba, dans les quatre provinces de l’Atlantique et dans les trois territoires, les régimes d’aide juridique existent depuis les années 1970. Dans le cadre de ces régimes, des cliniques ont été créées, certaines étant intégrées à la structure des bureaux d’aide juridique (p. ex., au Nouveau-Brunswick, en Nouvelle-Écosse et au Manitoba) et certaines autres à des organismes de VIJ (p. ex., à Terre-Neuve-et-Labrador et à l’Île-du-Prince-Édouard). Les Centres de proximité du Québec, créés en 2010, sont maintenant au nombre de onze dans neuf régions. Le Québec compte également de nombreuses cliniques dans les associations communautaires qui ont connu leur essor surtout au cours des 10 dernières années. Au Nunavut, le concept de « cliniques » a été principalement associé aux activités des aides judiciaires autochtones qui rencontrent des clients aux bureaux des services sociaux (p. ex., de santé) dans plus de 20 petites collectivités où il y a une cour de circuit.

5.3.3 Forces et faiblesses du modèle de clinique juridique

Forces

Selon les informateurs clés interrogés dans le cadre de ce projet, les cliniques juridiques présentent de réels avantages par rapport aux autres modèles pour répondre aux besoins de service :

Faiblesses

Pour les informateurs clés, les principales faiblesses ou vulnérabilités du système des cliniques sont plutôt de nature financière que relatives à la qualité des services :

Les informateurs clés estiment que le modèle de clinique juridique permet de réaliser des économies dans les secteurs des services sociaux, de la santé et du logement parce que les cliniques peuvent répondre de façon précoce à de multiples besoins de services. Ils sont également d’avis que des engagements financiers plus importants et à plus long terme envers le système des cliniques juridiques seraient à la fois nécessaires et bénéfiques pour les gouvernements fédéral et provinciaux.

5.3.4 Incidence de la pandémie de COVID-19 sur le financement des cliniques

Pendant la pandémie de COVID-19 et depuis la rédaction de ce rapport à l’été 2021, le financement des cliniques juridiques a été suffisant pour répondre aux demandes de services. Au cours des premiers confinements en mars 2020, la demande de services a diminué. Par exemple, les tribunaux sont restés fermés pendant une grande partie de cette période, ce qui a éliminé les frais de déplacement des cours de circuit. De plus, même si le service a été maintenu en personne ou à distance dans la plupart des administrations, les clients qui ont fait appel aux contacts virtuels ont été moins nombreux. Il y a eu des dépenses supplémentaires liées à la COVID-19, et il continuera d’y en avoir, comme les barrières en plexiglas, les masques, les ajustements informatiques et l’installation du personnel pour travailler à distance. Mais jusqu’à présent, ces mesures ont généralement été financées par des fonds existants ou par les subventions spéciales de fondations juridiques provinciales et du gouvernement fédéral.

L’un des principaux facteurs qui ont permis de préserver les services pendant la pandémie de COVID-19 a été la volonté des fondations juridiques de plusieurs administrations de maintenir leur financement malgré des taux d’intérêt extrêmement bas. Pour y arriver, les fondations ont puisé dans leurs fonds de réserve. Les fondations ne peuvent pas continuer indéfiniment ces prélèvements dans leurs réserves sans compromettre leur propre stabilité financière.

Les perspectives d’avenir sont beaucoup moins prometteuses :

Tous ces facteurs réunis ont incité de nombreux informateurs clés à souligner la nécessité d’une nette majoration du financement fédéral et provincial pour stabiliser et renforcer la structure de prestation des cliniques juridiques dans le monde de l’après-COVID-19.

5.3.5 Mesures prises pour servir les clients pendant la pandémie de COVID-19

Voici quelques-unes des mesures d’adaptation à la COVID-19 qui ont été prises pour servir les clients :

5.3.6 Incidence de la pandémie de COVID-19 sur la prestation de services juridiques aux populations les plus vulnérables

Comme mentionné dans la section précédente, la clientèle la plus vulnérable des cliniques juridiques rencontre souvent des difficultés d’accès à la technologie. Pour les avocats, le recours à la technologie pour remplacer les demandes et les audiences en personne constitue souvent un avantage majeur. Toutefois, il peut devenir un obstacle pour bon nombre des clients les plus vulnérables des cliniques, comme ceux des régions rurales ou du Nord, les parents qui ont des enfants à la maison et les personnes qui n’ont peut-être pas facilement accès à la clinique. Il peut s’agir de sans-abri, de clients qui n’ont pas accès à un ordinateur ou à un téléphone intelligent (ou à tout autre téléphone), d’aînés qui ne sont pas à l’aise avec la technologie, ou de personnes qui n’ont tout simplement pas l’intimité nécessaire à leur domicile pour discuter à leur aise de questions personnelles ou criminelles (p. ex., la violence familiale). Même si les personnes vulnérables disposent d’un téléphone intelligent, il peut arriver qu’il leur manque les données ou le WIFI nécessaires pour communiquer avec une clinique.

En plus de la vulnérabilité technologique, les compétences linguistiques nécessaires pour mener une conversation téléphonique peuvent faire défaut à certains immigrants. Pour certains clients autochtones ou d’autres personnes intimidées par les démarches juridiques, le seul moyen de les rassurer est de leur donner un accès physique à une clinique.

5.3.7 Modalités de service novatrices découlant de la pandémie de COVID-19

Voici certaines modalités de service qui découlent de la pandémie, sont considérées comme novatrices et demeureront probablement en place (avec les mises en garde mentionnées dans la section précédente) dans au moins une administration :

5.3.8 Données recueillies par les cliniques juridiques

L’étendue de la collecte des données variait d’un administration à l’autre, ainsi qu’au sein des administrations.

Les données les plus fréquemment recueillies portent sur le sexe, le revenu, le domaine du droit et, lorsque nécessaire à des fins de financement, sur l’indigénéité. Il s’agit habituellement de données essentielles pour déterminer l’admissibilité à certains types de services.

Parmi les éléments mentionnés un peu moins fréquemment, mentionnons l’âge, l’état matrimonial, l’emplacement géographique, les distinctions entre les divers groupes autochtones, le sexe, l’identité ethnoculturelle, le pays d’origine, les langues parlées, le niveau de scolarité, la méthode de contact et le type de service demandé ou fourni.

Dans certains services provinciaux, il est demandé au personnel de consigner le mode d’utilisation de son temps, le nombre de visites à la clinique et le nombre de cas devant les tribunaux.

5.3.9 Qui détermine le type de données recueillies

Dans la plupart des cas, le type de données recueillies est déterminé par l’organisation elle-même, plutôt que par une autorité de financement. Lorsque la clinique est régie par un conseil d’administration local, c’est habituellement le conseil et le personnel qui établissent les exigences en matière de données. Les organismes financés par les gouvernements fédéral et provinciaux sont moins susceptibles d’être assujettis exigences particulières en matière de collecte de données. Seulement deux informateurs clés ont déclaré qu’à leur connaissance, c’est après la prestation du service que les cliniques de leur administration recueillent les données sur les résultats.

5.3.10 Données qui ne sont pas recueillies mais qui pourraient répondre à des questions importantes

Les informateurs clés ont mentionné trois types de données qui ne sont pas recueillies régulièrement, mais qui pourraient mener à des résultats plus efficaces, à des renvois appropriés ou à des rendez-vous de suivi :

5.3.11 Niveau d’agrégation des données

Au Manitoba et dans certaines provinces de l’Atlantique où les services des cliniques juridiques sont fournis par un organisme provincial d’aide juridique, il est possible de communiquer des données agrégées à l’échelle provinciale. L’Ontario élabore actuellement système agrégé, mais cette démarche a été décrite comme des travaux en cours parce que les données sont détenues localement par le conseil d’administration de chaque clinique. Le Réseau des Centres de Justice de Proximité du Québec publie de façon uniforme les données de chaque Centre dans ses rapports annuels, mais la province n’a préparé ni publié aucune version agrégée.

5.3.12 Principaux besoins juridiques des utilisateurs des cliniques

Selon les personnes interrogées, les principaux besoins juridiques des utilisateurs des cliniques se divisent en trois catégories :

Le besoin d’assistance en matière d’immigration et de réfugiés a également été mentionné, mais moins fréquemment que dans les trois autres domaines indiqués. Les cliniques sont parfois intégrées à un service communautaire qui répond à un large éventail de besoins des immigrants.

Voici d’autres observations sur les besoins juridiques :

5.3.13 Données à l’appui de l’analyse du rendement social du capital investi

Les analyses coûts-avantages déterminent d’abord le coût d’exécution d’un programme, puis convertissent tous les principaux résultats d’un service en unités monétaires. L’analyse du rendement social du capital investi (RSCI) est une forme plus complexe d’analyse coûts-avantages qui exige la prise en compte des coûts et des avantages sociaux et économiques plus vastes des programmes. Ces avantages sociaux sont souvent intangibles (p. ex., une augmentation ou une diminution de la confiance du public envers le système de justice), de sorte qu’il est difficile de les monnayer.

Il a été demandé aux informateurs clés si des données recueillies dans leur administration serviraient de base à une analyse du RSCI. Presque tous les répondants ont répondu que pour pouvoir réaliser ce type d’analyse, il manque encore des données sur les résultats. Ils ont quand même exprimé leur intérêt pour diverses formes d’analyse socio-économique tout en estimant possible d’appliquer une approche de RSCI aux politiques et aux lois du gouvernement en matière de justice. Par exemple, un répondant d’une administration de l’Ouest a laissé entendre qu’il est extrêmement difficile pour un locataire de se conformer à une ordonnance de mise en possession de 48 heures avec expulsion automatique si le locataire est en retard de cinq jours dans le paiement du loyer. L’expulsion peut éventuellement contraindre le gouvernement à absorber les coûts d’aide sociale, de santé mentale, de soins médicaux ou même de protection de l’enfance. Par conséquent, les campagnes des cliniques en faveur de changements de politique pourraient à terme rapporter des bénéfices, tant pour le gouvernement que pour les particuliers.

Un informateur clé d’une autre administration a cité des statistiques selon lesquelles la proportion de détenus en attente d’une accusation criminelle est plus élevée chez les sans-abri que dans la population en général. Les sans-abri présentent aussi un taux d’incarcération plus élevé au moment de la détermination de la peine. Cet informateur est d’avis que l’aide juridique est un moyen efficace de réduire le taux d’incarcération des clients sans domicile fixe, et qu’une analyse du RSCI de ces cas pourrait montrer que les coûts des services cliniques supportés par le gouvernement sont compensés par la réduction des coûts du système correctionnel.

Plusieurs répondants ont évoqué d’autres types d’analyses économiques portant sur les coûts et les avantages pour étayer l’analyse de rentabilisation de leur service. Par exemple, un service bénévole a indiqué qu’en calculant à leur taux horaire le temps que les avocats bénévoles consacrent aux clients, puis en comparant le résultat au budget du service bénévole, ils peuvent déterminer qu’ils ont obtenu quatre fois la valeur des services juridiques. Dans l’ensemble, malgré l’intérêt et l’appui quasi unanimes des informateurs clés envers le concept des analyses du RSCI des coûts-avantages, les données pour ce type d’analyse ne sont pas recueillies à l’heure actuelle.