Élaboration de l’Indice de l’accès à la justice pour les entités administratives fédérales

1.0 Introduction

L’Indice de l’accès à la justice pour les entités administratives fédérales a vu le jour en 2014, dans le cadre d’un projet pilote visant à élaborer un outil qui permettrait d’évaluer l’accès à la justice dans le contexte du droit administratif, en particulier pour les entités administratives fédérales. Le présent rapport décrit les concepts qui sous-tendent l’Indice et la façon dont il a été élaboré.

1.1 Définir l’accès à la justice

L’accès à la justice a été décrit comme le plus grand défi auquel est confronté actuellement le système de justice canadienNote de bas de page 6. L’accès à la justice a longtemps été perçu comme l’accès aux services d’avocats (p. ex. l’aide juridique) et aux procédures judiciairesNote de bas de page 7. Toutefois, au cours des dernières années, comme en témoigne le travail de nombreuses personnes, l’accès à la justice a pris un sens beaucoup plus largeNote de bas de page 8. Les barreaux, l’Association du Barreau canadien, la Cour suprême du Canada, par l’intermédiaire du Comité d’action national, le Forum canadien sur la justice civileNote de bas de page 9, ainsi que des universitaires, des étudiants, des avocats praticiens et d’autres professionnels qui s’intéressent à nos systèmes juridiques s’interrogent tous sur les façons d’améliorer l’accès à la justice au pays et formulent tous des recommandations à ce sujet.

Les définitions de l’accès à la justice sont donc nombreuses. Le juge Cromwell de la Cour suprême du Canada, par exemple, définit l’accès à la justice comme les connaissances, les ressources et les services qui permettent d’avoir recours au système de justice dans le domaine de la justice familiale, pénale et civileNote de bas de page 10. Selon le professeur de droit Trevor Farrow de l’école de droit Osgoode Hall, [traduction] « il est important d’avoir de bons juges, avocats et éducateurs, des lois et des règles efficaces et des salles d’audience fonctionnelles. Toutefois, ceux-ci ne sont pas une fin en soi, mais plutôt des étapes sur le chemin qui mène à la justice et qui permet d’accéder à cette dernièreNote de bas de page 11 ».

Pour concevoir ce projet, il était important de commencer par établir une compréhension commune de la notion d’« accès à la justice ». Roderick Macdonald, un ancien professeur de droit de l’Université McGill, qui est considéré comme l’un des plus grands spécialistes du droit dans le domaine de l’accès à la justice, a résumé un ensemble d’éléments qui définissent, en définitive, un système de justice accessible :

Dans ce même article fondamental paru en 2005, Macdonald définit les cinq vagues – ou catégories – de l’accès à la justiceNote de bas de page 13. Macdonald a soutenu que pour assurer l’accès à la justice, il serait important de laisser de côté les stratégies axées sur la résolution de problèmes particuliers et d’adopter une « stratégie globale d’accès à la justiceNote de bas de page 14 ».

Au ministère de la Justice, l’accès à la justice est considéré comme une valeur fondamentale du système de justice canadien. Il s’agit d’un principe qui découle du respect de la « primauté du droit » et à l’égard duquel l’ensemble du gouvernement a un rôle à jouer. Dans cet esprit, le ministère de la Justice définit comme suit l’accès à la justice :

Offrir aux Canadiens les moyens d’obtenir l’information et l’assistance dont ils ont besoin pour les aider à prévenir les problèmes juridiques et régler de tels problèmes de façon efficace, abordable et équitable, soit au moyen de mécanismes informels de règlement, si possible, ou à travers le système de justice formel, au besoinNote de bas de page 15.

Cette conception plus large de l’accès à la justice fait ressortir les idées suivantes :

  1. Le système de justice s’étend au-delà des tribunaux judiciaires et administratifs et comprend aussi un vaste système informel (p. ex. les sources d’information, les stratégies d’auto-assistance et les autres modes de règlement des différends). Il est essentiel d’élargir l’accès à la justice en faisant appel à des systèmes formels ou informels si l’on veut obtenir des résultats équitablesNote de bas de page 16 et justesNote de bas de page 17, permettant ainsi au gouvernement ainsi qu’au système de justice dans son ensemble de réaliser de plus grandes économies de coûts grâce à une meilleure répartition des ressources;
  2. Il est nécessaire de développer chez les Canadiens une meilleure compréhension et une meilleure connaissance du système juridique et de les habiliter davantage à cet égard, et ce, au moyen d’un éventail de mesures (p. ex. donner à tous les Canadiens une formation juridique de base) nécessaires pour permettre aux gens de mieux gérer leurs problèmes susceptibles d’être tranchés par la justiceNote de bas de page 18;
  3. D’autres composantes et conditions, notamment des facteurs socioéconomiques et des facteurs liés à la santé ou des décisions stratégiques prises dans d’autres domaines de responsabilité, viennent souvent compliquer les problèmes d’accès à la justiceNote de bas de page 19.

1.2 Le projet relatif à l’Indice

La Division de la recherche et de la statistique du ministère de la Justice a lancé le projet d’Indice de l’accès à la justice pour les entités administratives fédérales dans le but d’élaborer et de mettre à l’essai une mesure quantitative de l’accès à la justice dans le contexte du droit administratif canadien. Cette mesure, qui comprend des indicateurs, des données et des résultats, vise à montrer l’importance d’adopter des programmes et des politiques axés sur les données. L’Indice peut être une ressource importante pour les entités administratives, dans la mesure où les résultats démontrent la capacité de ces dernières à assurer l’accès à la justice pour leurs utilisateurs, leurs clients ou les parties.

Ce projet est une adaptation de l’Access to Civil Justice Index, qui a été lancé en 2014 par le National Center for Access to Justice des États-UnisNote de bas de page 20 dans le but d’évaluer l’accès à la justice, dans les 50 États américains, dans le contexte de la justice civile. Ce projet pilote canadien vise à pallier une lacune dans les connaissances entourant les problèmes d’accès à la justice dans le contexte administratif fédéral. Son but est d’atteindre cet objectif d’une manière qui respecte le mandat et l’indépendance des entités administratives participantes, de même que les résultats stratégiques du Ministère – un système de justice équitable, adapté et accessible et un gouvernement fédéral secondé par des services juridiques de haute qualité –, tout en contribuant au dialogue concernant l’accès à la justiceNote de bas de page 21.

L’Indice proprement dit a été élaboré par un groupe de travail composé de représentants du Ministère et de quatre entités administratives fédérales et de deux professeurs de droit. Deux entités administratives fédérales, à savoir la CCDP et le Tribunal de la concurrence, ont participé à la mise à l’essai de l’Indice, appelée plus communément le « projet pilote ». Il est important de souligner que la composition, le mandat et les processus de la CCDP sont différents de ceux du Tribunal de la concurrence. L’Indice s’applique malgré ces différences.

En résumé, les objectifs de ce projet sont les suivants :

  1. combler une lacune en ce qui a trait à la mesure de l’accès à la justice administrative à l’échelle fédérale, au Canada;
  2. fournir des renseignements de base concernant quelques indicateurs clés aux entités administratives participantes afin qu’elles puissent suivre les progrès réalisés au fil du temps;
  3. inciter les entités administratives à se dépasser et à fournir aux différentes parties un accès à la justice encore meilleur;
  4. cerner des pratiques exemplaires que d’autres entités administratives fédérales pourront adopterNote de bas de page 22.

1.3 Entités administratives

[Traduction] « La primauté du droit n’est pas moins importante dans une salle d’audience ou un processus décisionnel de nature administrative que dans la salle d’audience de tout autre tribunalNote de bas de page 23. »

Les entités administratives sont des organismes gouvernementaux spécialisés et autonomes, établis en vertu des lois fédérales ou provinciales, en vue de mettre en œuvre, en toute impartialité, des politiques législatives portant sur des questions particulières. La nomination des membres de ces organismes se fait généralement au moyen d’un décret, et les candidats sont choisis pour leur expertise et leur expérience dans le secteur particulier régi par la loi. Sossin suggère que ces organismes auraient notamment pour objectifNote de bas de page 24 :

De nombreuses entités administratives ont recours à un processus d’audience pour déterminer les droits et les obligations qui sont susceptibles d’entrer en conflit ou pour établir ce à quoi ont droit les parties au différend. L’audience formelle est un processus juridictionnel qui fonctionne de la même façon que les tribunaux; la procédure est moins formelle que devant les tribunaux et les règles de la preuve ne s’appliquent pas, bien que les décisions doivent être fondées sur des preuves solides.

Les décisions des entités administratives sont définitives et sans appel, bien qu’en vertu de la loi habilitante, un droit d’appel puisse être accordé aux cours ou encore à un autre tribunal administratif ou au Cabinet. Même lorsqu’aucun droit d’appel n’est accordé, la Constitution canadienne garantit aux cours supérieures le pouvoir d’examiner le fonctionnement de tout tribunal administratif – contrôle judiciaire – afin de s’assurer que celui-ci agit dans les limites de la compétence qui lui est conférée par le législateur.

Les entités administratives, qu’elles soient de compétence fédérale, provinciale, territoriale ou municipale, sont assez différentes les unes des autres en ce qui touche leur mandat, leur structure et leurs pouvoirs. Ces différences sont et continueront d’être importantes dans le cadre de l’élaboration et de la mise en application de l’Indice. L’objectif a été de veiller à ce que les indicateurs et les questions sélectionnés pour cet indice d’accès à la justice soient universels, dans la mesure où ce dernier s’applique aux différentes entités administratives qui participent au projet pilote.

Comme l’a mentionné Ian Mackenzie dans une publication parue dans Slaw au début de 2014, la plupart des entités administratives ont [traduction] « partagé des préjugés à l’égard des processus accusatoiresNote de bas de page 25 ». L’auteur souligne que lorsque les parties ne sont pas représentées (que ce soit par choix ou non) et qu’elles ne comprennent pas les complexités et les paramètres juridiques de l’affaire en cause, les hypothèses sous-jacentes propres au processus juridictionnel ne s’appliquent plus. Les arbitres n’ont pas été particulièrement actifs par le passé. Toutefois, comme pour la magistrature, les arbitres sont de plus en plus souvent appelés à jouer un rôle actif, compte tenu :

Selon Sossin, la prise de décision active doit être perçue [traduction] « comme un point milieu entre les modèles contradictoire et inquisitoire d’un processus judiciaire, où l’accent est mis sur le contexte stratégique plutôt que sur le modèle judiciaire d’un arbitre neutre ou sur le modèle d’enquête adopté lors d’une enquête dirigée par un jugeNote de bas de page 27 ». Sossin ajoute également ce qui suit :

[traduction]

Le lien entre la prise de décision active et l’accès à la justice est clair. Si les membres des tribunaux veillent à assurer plus activement un processus équitable, il sera possible de réduire les inégalités à l’égard de la représentation et, de façon plus générale, des pouvoirs et des ressources entre les parties, et l’accès s’en trouvera amélioréNote de bas de page 28.

1.4 Parties qui se représentent elles-mêmes

L’autoreprésentation est devenue, au cours des 10 dernières années, l’un des problèmes les plus importants en ce qui a trait à la question de l’accès à la justice, en particulier dans le domaine du droit civil et familial, compte tenu de la rareté des services juridiques subventionnés par l’État, surtout pour ceux qui sont défavorisés sur le plan économique. Les entités administratives ont, pour la plupart, été conçues de manière à être plus informelles que le système judiciaire accusatoire traditionnel et pourtant, dans bien des cas, surtout lorsqu’une des parties est représentée par un avocat alors que l’autre ne l’est pas, un déséquilibre des pouvoirs peut être observé tout au long des procédures.

Chaque entité administrative possède son propre ensemble de règles. Lorsque les procédures et les règles sont simples et que l’autoreprésentation est la norme, cette dernière peut aider à améliorer l’accès à la justice. Toutefois, dans un tel contexte, le soutien (information, orientation, etc.) offert par l’entité administrative devient encore plus important que dans un environnement plus complexe. L’autoreprésentation est l’un des plus grands défis auxquels font face les juges et les membres des tribunaux. Au cours des dernières années, les groupes responsables de la formation des juges, comme l’Institut national de la magistratureNote de bas de page 29, ont tenu compte de cette problématique lors de la planification d’ateliers. Il s’agit là d’une question clé pour le Conseil des tribunaux administratifs canadiens (CTAC), et cette question continuera d’être examinée par ses différents comités et d’être abordée lors des conférences annuellesNote de bas de page 30.

Le CTAC a mené une enquête, en 2014, concernant les parties qui se représentent elles-mêmes, dans le cadre de laquelle 250 de ses membres ont été invités à indiquer le nombre de plaideurs non représentés qui se présentent aux audiences ou à d’autres procédures. En outre, les participants devaient préciser quels outils, politiques ou formation les organismes membres ont à leur disposition pour résoudre les problèmes auxquels font face les parties qui se représentent elles-mêmes. Cette enquête existe maintenant sous forme de liste de contrôle mise à la disposition des membres de l’organisation. Les résultats obtenus auprès des 124 entités administratives qui y ont participé ont été regroupés et présentés par secteur de compétenceNote de bas de page 31. La phase d’élaboration du projet d’Indice a coïncidé avec l’enquête du CTAC, et l’auteure a rencontré les représentants du CTAC en vue de discuter de leur travail et de leur demander l’autorisation d’utiliser des questions tirées de leur enquête/liste de contrôle concernant les parties qui se représentent elles-mêmes.

Dans son document sur les plaideurs non représentés, la professeure de droit Michelle Flaherty de l’Université d’OttawaNote de bas de page 32 examine les tendances en ce qui concerne le règlement judiciaire de différends et décrit efficacement certaines décisions pertinentes se rattachant à la portée de l’obligation qu’a l’arbitre d’aider une personne qui se représente elle-même. Elle conclut qu’en règle générale, les tribunaux en sont venus à la conclusion que les arbitres doivent aider les plaideurs non représentés en ce qui concerne les questions de procédure, mais qu’ils n’ont pas l’obligation formelle de les aider relativement aux questions juridiques de fondNote de bas de page 33.

1.5 Recherches sur le coût et la qualité de l’accès à la justice

Un principe important dans le domaine de l’accès à la justice est que la justice et l’accès à cette dernière devraient être considérés du point de vue de la personne qui fait face au problème juridique en question. Ce principe trouve son expression dans des concepts comme la justice thérapeutique, les services juridiques globaux ou complets et la justice réparatrice.

Les chercheurs du Tilburg Institute for Interdisciplinary Studies of Civil Law and Conflict Resolution Systems (TISCO) de l’Université de Tilbourg ont mis au point l’idée de concevoir l’accès à la justice du point de vue de la personne qui fait face au problèmeNote de bas de page 34. À la suite d’une revue détaillée de la littérature, les chercheurs ont mis au point un outil de mesure bien conçu, qui tient compte de trois principaux aspects : le coût, la qualité de la procédure et la qualité du résultat. Un certain nombre d’indicateurs particuliers ont été définis à l’intérieur de chacune de ces composantes, et chacun d’eux est évalué sur une échelle de cinq points. La mesure uniforme des indicateurs permet d’assurer l’uniformité du processus de notation, de même que l’élaboration d’échelles et d’indices qui permettent de présenter les mesures du coût et de la qualité.

L’approche utilisée ici pour évaluer le coût et la qualité de l’accès à la justice a été mise au point pour les problèmes relevant de la justice civile. Toutefois, le concept devrait être suffisamment souple pour être appliqué dans le domaine de la justice pénale ou dans d’autres domaines. Il est possible d’adapter le modèle, en conservant les principales composantes et en apportant des modifications importantes à certains indicateurs. Par exemple, les chercheurs de Tilbourg ont adapté le modèle pour pouvoir l’appliquer aux victimes d’actes criminelsNote de bas de page 35. Les chercheurs du ministère de la Justice ont adopté une version modifiée du modèle à l’égard des personnes inculpées, dont la cause est entendue par le Tribunal de traitement de la toxicomanie d’OttawaNote de bas de page 36.