Conclusion : Faire progresser l’aide en matière de justice communautaire
Notre rapport tient compte du paradigme actuel qui, au Canada et dans la plupart des administrations comparatives, met fortement l’accent sur la prestation de services juridiques par des avocats. Nous tenons compte des répercussions de ce paradigme sur l’accès à la justice, principalement sur les personnes à faible revenu ou qui sont confrontées à d’autres désavantages sociaux liés au droit. Nous suggérons que le fait d’encadrer l’accès à la justice pour y inclure le concept de l’autonomisation juridique pourrait mener à une approche plus significative qui englobe le soutien à l’aide en matière de justice communautaire.
De plus, notre rapport examine toute la gamme d’aide en matière de justice communautaire, en donnant des exemples qui illustrent son ampleur et sa nature au Canada et dans les administrations comparatives. Nous incluons des notes sur les évaluations de programme de ces services. Et nous examinons brièvement comment les organismes communautaires tirent parti de la technologie pour améliorer ou élargir leur aide en matière de justice communautaire. Le rapport passe également en revue la littérature universitaire pertinente qui évalue la qualité de l’aide en matière de justice communautaire ou qui témoigne de celle-ci.
Dans cette section, nous formulons des réflexions finales sur notre examen de la documentation. Nous réfléchissons aux principales constatations, nous les identifions, nous soulignons les lacunes dans les connaissances et nous suggérons les prochaines étapes.
Principales constatations et réflexions
Notre examen montre que les cadres de réglementation existant au Canada, bien qu’axés sur les avocats, comprennent des permissions établies depuis longtemps pour les rôles des non-avocats, dont certains peuvent être associés à de l’aide en matière de justice communautaire. De plus, il y a d’autres autorisations dans les cadres de réglementation actuels qui servent de base aux activités d’aide en matière de justice communautaire.
Cela nous amène à notre première constatation : Les efforts et les initiatives visant à transformer le paradigme axé sur les avocats en rôles plus importants pour les non-avocats en général et l’aide en matière de justice communautaire en particulier visent, dans une certaine mesure, à modifier le degré plutôt que la nature.
Notre examen indique également qu’au cours des dernières années, les organismes de réglementation de la profession juridique et la prestation de services juridiques au Canada ont pris des mesures réglementaires visant à améliorer l’accès à la justice. Bien que peu de ces mesures soient directement liées à l’habilitation ou au soutien de l’aide en matière de justice communautaire, elles peuvent représenter un changement graduel du paradigme de réglementation axé sur les avocats. La mesure la plus susceptible d’être pertinente pour l’aide à la justice communautaire est l’introduction d’un pouvoir d’octroi de licences à portée limitée en Saskatchewan et au Manitoba, qui a été expressément justifié comme moyen de soutenir la prestation d’aide liée au droit par des non-avocats d’organisations sans but lucratif en milieu communautaire.
Cela nous amène à notre deuxième constatation : Certaines mesures réglementaires récentes, bien qu’elles ne reflètent pas un changement de paradigme axé sur l’avocat, encouragent au moins l’orientation du paradigme vers des modes de prestation de services auxquels plus de gens pourraient avoir accès. Mais, dans la mesure où ces modes de prestation de services fonctionnent à but lucratif, même s’ils coûtent moins cher, il est peu probable qu’ils offrent une grande avance en matière d’accès à la justice pour les personnes à faible revenu ou qui vivent d’autres formes de désavantage social et de marginalisation.
Bien que le paradigme axé sur l’avocat ne soit que progressivement en train de se déplacer vers des rôles élargis pour les non-avocats et l’aide en matière de justice communautaire, il est important de noter que les justifications de ces mesures réglementaires s’appuient sur une nouvelle approche de recherche et de compréhension de l’accès à la justice. Cette nouvelle approche met davantage l’accent sur les approches axées sur les personnes et l’autonomisation, plutôt que sur les avocats ou le système.
Cela nous amène à notre troisième constatation : La nouvelle approche et la compréhension de l’accès à la justice peuvent modifier le fondement sur lequel le paradigme axé sur l’avocat a été érigé et elles continueront probablement d’exercer des pressions pour changer ce paradigme. Nous prévoyons que cela mènera à des mesures réglementaires plus délibérées — formelles ou informelles — pour permettre et soutenir l’aide en matière de justice communautaire.
Notre rapport décrit également un éventail d’aide liée au droit fournie par des organismes communautaires sans but lucratif et donne des exemples d’organismes qui illustrent la gamme de services d’aide en matière de justice communautaire, au Canada et dans d’autres administrations comparatives. Les partenariats de justice communautaire prolifèrent; de nombreux organismes desservant les communautés marginalisées intègrent l’aide liée au droit dans leur gamme de services; des programmes judiciaires et des programmes d’orientation offrent de l’aide en matière de justice communautaire axée sur le processus; et les Amis McKenzie et les personnes de soutien judiciaire fournissent un soutien moral, émotionnel et autre aux personnes impliquées dans une procédure judiciaire.
Cela nous amène à notre quatrième constatation, qui fait écho à des constatations semblables dans d’autres rapports (y compris notre propre rapport en juillet 2020) : L’ampleur et la vigueur de l’activité d’aide en matière de justice communautaire reflètent la réalité de l’endroit et de la façon dont les gens abordent leurs problèmes multidimensionnels, y compris les problèmes qui peuvent inclure un élément lié au droit. Le fait de reconnaître et de soutenir cette réalité est très prometteur pour améliorer l’accès significatif à la justice.
Enfin, notre rapport traite de l’ensemble croissant de données probantes qui indiquent que les organismes sans but lucratif en milieu communautaire, et les non-avocats en général, sont, dans les bonnes circonstances, en mesure de fournir de l’aide liée à la loi efficace et de bonne qualité, et ne sont pas plus susceptibles de présenter des lacunes que les avocats.
Cela nous amène à notre cinquième constatation : L’adoption d’une approche favorable et habilitante de l’aide en matière de justice communautaire (par les organismes de réglementation, les gouvernements et d’autres) est une approche solide fondée sur les données probantes. Il n’y a pas de preuves qui indiquent que cela mettrait le public en danger. Nous reviendrons sur cette recommandation sous peu.
Lacunes en matière de connaissances
Bien qu’une constatation clé soit que les programmes et les activités d’aide en matière de justice communautaire examinés dans le présent rapport semblent répondre à des besoins réels et qu’il n’y a aucune preuve qu’ils sont inefficaces ou causent un préjudice (en fait, au contraire), il existe des lacunes évidentes dans les connaissances liées à l’aide à la justice communautaire.
Pour commencer, il y a un manque d’information détaillée sur l’étendue réelle des programmes et des activités d’aide en matière de justice communautaire au Canada et dans les administrations comparatives. Dans une certaine mesure, c’est compréhensible, parce que les organismes qui sont les principaux prestataires d’aide en matière de justice communautaire sont une myriade; ils sont diversifiés, locaux et en constante évolution. Et l’aide liée au droit qu’ils offrent est habituellement liée à d’autres services qu’ils fournissent; ces organismes communautaires ne considèrent peut-être pas leur aide comme étant de nature « juridique ». Il serait difficile de maintenir un portrait complet et actuel du vaste paysage de « l’aide en matière de justice communautaire ».
Ce qui est plus important, et ce qui est plus favorable à une intervention adaptée, c’est qu’il y a une lacune dans les connaissances en ce qui a trait à l’absence d’évaluations accessibles au public de l’efficacité des activités et des programmes actuels comportant la prestation d’aide liée au droit par des organismes communautaires sans but lucratif. Notre examen a tenu compte de la documentation limitée disponible dans ce domaine et il appuie l’utilité d’une telle recherche.
Les évaluations de programme et les évaluations universitaires indépendantes — qualitatives et quantitatives — peuvent fournir de riches données probantes qui appuient l’apprentissage et l’amélioration dans le domaine de l’aide en matière de justice communautaire. Nous insistons sur le fait que, pour être productifs et constructifs, les organismes sans but lucratif qui fournissent de l’aide en matière de justice communautaire doivent participer activement, sinon diriger, ces efforts d’évaluation. Ils sont très sensibles aux besoins de leurs collectivités et au problème plus vaste du manque d’accès à la justice auquel font face leurs collectivités.
Dans le même ordre d’idées, nous suggérons que la qualité et l’efficacité de l’aide en matière de justice communautaire soient évaluées en fonction de points de repère éclairés par les solutions de rechange réelles offertes par les prestataires de services juridiques (par exemple, ce que les avocats ou les parajuristes offrent réellement) et l’alternative de l’absence totale d’aide. En d’autres termes, il ne sera pas nécessairement utile d’évaluer l’aide en matière de justice communautaire de façon hors contexte et en fonction d’une norme idéalisée.
Approche recommandée et prochaines étapes
La discussion et l’analyse qui précèdent ont permis de cerner un éventail de programmes et d’activités actuels qui font appel à du personnel dans des milieux communautaires sans but lucratif offrant divers types d’aide liée au droit. La discussion a également révélé qu’il y a deux approches générales que les organismes de réglementation peuvent adopter en ce qui concerne l’aide en matière de justice communautaire.
Une approche consiste à faire en sorte que les organismes de réglementation intègrent ces auxiliaires de la justice communautaire dans leur cadre de réglementation en délivrant des licences limitées qui autorisent leurs activités, sous réserve de diverses exigences réglementaires et de divers mécanismes de surveillance. À notre avis, cette approche comporte de multiples problèmes et entraîne des répercussions importantes sur le travail effectué par ces aides. L’autre approche ne vise pas à entraver ou à faire obstacle à l’aide en matière de justice communautaire, mais plutôt à la reconnaître comme faisant partie de l’écosystème de justice en général, à reconnaître l’importance de ses services communautaires intégrés et à soutenir activement ce rôle.
Nous recommandons fortement la deuxième approche, pour un certain nombre de raisons qui sont exposées dans une étude distincte que nous avons entreprise355. Pour commencer, la réalité, c’est-à-dire comment et où les gens ont accès à de l’aide pour un grand nombre de leurs problèmes multidimensionnels, et le manque général d’accessibilité des prestataires de services juridiques autorisés, signifie qu’une approche « d’ouverture des portes » favorable, plutôt qu’une « gestion des portes » restrictive sera plus efficace pour améliorer l’accès des gens aux diverses formes d’aide dont ils peuvent avoir besoin. De plus, étant donné que le secteur communautaire sans but lucratif est déjà débordé et qu’il manque de ressources, tout fardeau réglementaire supplémentaire important pourrait être contre-productif.
De plus, il faut reconnaître que, lorsque les gens ont des préoccupations liées au travail, au logement, au soutien du revenu et à l’immigration, ils sont confrontés à des problèmes qui recoupent les garanties des droits de la personne, tant au pays qu’à l’étranger. En effet, l’accès à la justice est un élément de la protection adéquate des droits de la personne et une telle approche devrait être adoptée pour améliorer l’accès à la justice. Bref, la restriction des soutiens communautaires auxquels les gens cherchent à avoir accès pour régler ces problèmes — lorsque d’autres services ne sont généralement pas accessibles — porte atteinte aux droits de la personne et va à l’encontre de la notion d’une approche fondée sur les droits de la personne.
Notre approche recommandée est donc axée sur le soutien et la mise en œuvre de la pratique concrète de l’aide en matière de justice communautaire de « bonne qualité ». Conformément à la principale conclusion de ce rapport et d’autres rapports, selon laquelle les activités d’aide en matière de justice communautaire semblent être de bonne qualité, nous avons défini, dans notre travail distinct356, un cadre qui articule bon nombre des pratiques exemplaires déjà en place dans les milieux communautaires. Le cadre est axé sur trois caractéristiques d’une aide en matière de justice communautaire de bonne qualité et fournit un ensemble de repères indicatifs pour chaque caractéristique. Pour les besoins actuels, nous ne reproduirons ici que notre formulation des trois caractéristiques.
Nous proposons que l’aide en matière de justice communautaire soit considérée comme de « bonne qualité » lorsque les trois caractéristiques suivantes sont présentes
- Les auxiliaires de la justice communautaire ont les connaissances, les compétences et l’expérience dont ils ont besoin pour aider les gens à composer avec les éléments juridiques de leurs problèmes et à s’y retrouver dans les processus juridiques pertinents.
- Les auxiliaires de la justice communautaire travaillent au sein d’un organisme sans but lucratif et d’une infrastructure éthique qui protège la dignité, la vie privée et le bien-être des personnes qu’ils aident.
- Les auxiliaires de la justice communautaire offrent un soutien qui répond aux besoins de leurs clients de façon holistique, en se fondant sur la compréhension de la nature multidimensionnelle de leurs besoins, du contexte social de leur vie, et de la disponibilité d’autres services appropriés dans la collectivité. En bref, les travailleurs communautaires connaissent leurs clients et leur collectivité à fond357.
En retour, nous proposons que les prochaines étapes d’aide en matière de justice communautaire s’inspirent de l’approche « de soutien et d’habilitation » que nous recommandons.
En ce qui concerne l’éventail des prochaines étapes possibles pour le ministère de la Justice, nous suggérons les possibilités suivantes :
- Étudier la possibilité de soutenir et d’habiliter la justice communautaire pour aider à améliorer l’accès à la justice dans les domaines de compétence fédérale et dans les domaines couverts par les partenariats de programmes intergouvernementaux et les cadres de financement connexes.
- Déterminer et corriger les obstacles ou les restrictions actuels à l’aide en matière de justice communautaire dans les domaines de compétence fédérale, en particulier dans le domaine de l’aide liée au droit de l’immigration et des réfugiés fournie par les organismes sans but lucratif.
- Financer et faciliter de toute autre manière la recherche afin de mieux comprendre l’ampleur actuelle de l’aide en matière de justice communautaire et d’évaluer de façon constructive et contextuelle sa qualité et les domaines d’amélioration possibles.
- Financer et faciliter de toute autre manière la recherche afin de mieux comprendre comment l’aide en matière de justice communautaire aide les organismes à soutenir la qualité de leur travail à l’interne et collectivement.
- Financer et faciliter de toute autre manière des projets, des projets pilotes ou d’autres initiatives propres à un secteur ou à un organisme, visant à élaborer, à établir, à maintenir, à évaluer ou à améliorer la qualité de l’aide en matière de justice communautaire.
- Financer et faciliter de toute autre manière la recherche qui explore avec une attention et une profondeur particulières les mesures prises et l’aide recherchée par les personnes à faible revenu ou qui subissent d’autres désavantages sociaux pour régler leurs problèmes de vie multidimensionnels qui peuvent inclure des éléments liés au droit, ainsi que l’efficacité des mesures et les défis connexes.
- Favoriser l’échange d’information et de connaissances sur les activités d'aide à la justice communautaire et les meilleures pratiques au Canada et à l’étranger.
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