Lacunes relatives à la mise en liberté sous caution au Canada : comment y remédier?
3. Une évaluation globale du problème actuel
Le paysage rend certainement très crédible l’affirmation selon laquelle il existe des « lacunes relatives à la mise en liberté sous caution » au Canada. En fait, il serait difficile de conclure que l’une ou l’autre de ses diverses composantes n’a pas besoin de « réparations ». En fait, une mentalité généralisée d’aversion pour le risque a été progressivement adoptée au cours des dernières décennies et elle a déclenché une surabondance de changements au cadre législatif, à la culture judiciaire et, en fin de compte, aux politiques et aux pratiques qui régissent les activités quotidiennes relativement aux audiences de mise en liberté sous caution au Canada. Sur le terrain, nous avons efficacement amélioré la proverbiale « porte tournante » du système de justice pénale à de multiples niveaux. Parce qu’ils se préoccupent davantage de réduire le risque individuel et institutionnel, les policiers portent davantage d’accusations en général et, en particulier, d’accusations relatives à l’administration de la justice. Il n’est pas surprenant de constater une augmentation du nombre d’affaires qui commencent leur cheminement dans l’appareil judiciaire criminel par une audience de mise en liberté sous caution, étant donné que le nombre de chefs d’accusation et la présence d’accusations concernant l’administration de la justice sont liés à une plus grande probabilité de détention en vue d’une enquête sur le cautionnement. Une fois devant le tribunal, le processus de mise en liberté sous caution prend plus de temps, il donne lieu à davantage d’ajournements, à un degré plus élevé de traitement de dossier et, en fin de compte, à un plus grand nombre de jours passés en détention préventive en attente d’une décision sur la mise en liberté sous caution. Il est entendu que tout temps passé en prison fait augmenter la probabilité de comportement criminel futur.
Lorsqu’on accorde la mise en liberté sous caution, on préfère des formes plus pénalisantes de mise en liberté et on impose un plus grand nombre de conditions. Bien entendu, davantage de personnes accusées manquent aux conditions de leur mise en liberté (en commettant principalement des actes qui seraient normalement considérés comme un comportement non criminel, plutôt que comme de nouvelles infractions substantielles), et la police, en retour, porte un plus grand nombre d’accusations relatives à l’administration de la justice. Compte tenu des dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve qui s’appliquent aux personnes accusées qui contreviennent à une ordonnance de la cour pendant qu’elles sont en liberté sous caution, la probabilité d’obtenir une deuxième mise en liberté sous caution est grandement réduite. Même dans les (très rares) cas où la personne accusée est remise en liberté sous caution, on lui impose des conditions supplémentaires et encore plus pénalisantes, ce qui accroît davantage la probabilité d’une autre audience de mise en liberté sous caution à la suite d’un manquement supplémentaire aux conditions de la mise en liberté sous caution. Avec un casier judiciaire qui continue d’allonger, la probabilité d’obtenir la mise en liberté sous caution à la suite d’une infraction future est d’autant plus réduite. En ce qui concerne les personnes détenues (officiellement ou officieusement) jusqu’à leur procès, les pratiques de plus en plus inefficientes dans le traitement des dossiers par l’appareil judiciaire en général se traduisent par un séjour plus long en détention préventive. Sans accès aux programmes d’enseignement, de traitement ou de loisirs, le temps passé en détention préventive est à toutes fins utiles du véritable « temps mort » qui offre peu de possibilités de conserver (ou d’acquérir) des valeurs à caractère sociable, mais de multiples occasions et raisons de devenir (encore plus) imprégné d’un mode de vie criminel. Là encore, il est entendu que le temps passé en prison est associé au récidivisme. Et le cycle se poursuit.
En fin de compte, au cours des 44 dernières années, nous nous sommes apparemment éloignés de la philosophie protectrice des droits qui sous tendait à l’origine la Loi sur la réforme du cautionnement de 1971Note de bas de page 7. Même si les Canadiens bénéficient peut être encore d’un système de mise en liberté sous caution libéral et éclairé, du moins comparativement à son voisin immédiat (les États Unis), des comparaisons plus étendues avec d’autres pays démocratiques occidentaux ne nous placent pas sous un éclairage favorable comme nation qui est véritablement attachée à la présomption d’innocence et qui la défend vigoureusement, à la retenue dans le recours à l’emprisonnement et à des principes fondamentaux comme l’équité et l’égalité. En fait, les modifications législatives et les politiques ainsi que les pratiques au cours des quatre dernières décennies donnent apparemment à penser que nous retournons, de nombreuses façons importantes, à un passé où la détention avant le procès pouvait être qualifiée, du moins jusqu’à un certain point, d’excessive, d’injuste et d’inéquitable.
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