Lacunes relatives à la mise en liberté sous caution au Canada : comment y remédier?
4. Que faire maintenant?
En réfléchissant à diverses stratégies pour « réparer » les « lacunes relatives à la mise en liberté sous caution », il est important de séparer le problème de la mise en liberté sous caution au sens strict (c. à d. les prisonniers renvoyés sous garde en attentant que la cour statue sur leur mise en liberté sous caution) du problème du « renvoi en détention préventive » (c. à d. les prisonniers renvoyés sous garde qui demeurent détenus soit volontairement, soit officiellement jusqu’à leur procès ou à l’issue de leur affaire). Même si les deux situations sont sources de préoccupations graves, elles sont la manifestation de problèmes sous-jacents qui sont apparentés, mais quelque peu différents. Autrement dit, régler le premier problème (c. à d. les retards dans les décisions sur la mise en liberté sous caution) ne réglera pas adéquatement le deuxième problème (c. à d. la longueur du traitement des dossiers plus généralement). Qui plus est, ces deux groupes de détenus ne contribuent pas également à l’augmentation du nombre des personnes accusées qui sont placées en détention préventive. Plus particulièrement, la population croissante en détention préventive au Canada n’est pas principalement imputable aux nombreux prisonniers qui attendent encore une décision relativement à leur mise en liberté sous caution. Elle est plutôt attribuable au nombre beaucoup plus restreint de personnes accusées qui sont renvoyées en détention préventive pendant de longues périodes. Le tableau 3 illustre la différence.Durée de la détention | Nombre de personnes | % de tous les prisonniers en détention | % de tous les jours de détention de ce groupe |
---|---|---|---|
De 1 à 7 jours | 28 490 | 65,6 % | 10,1 % |
De 8 à 60 jours | 11 676 | 26,9 % | 33,1 % |
61 jours ou plus | 3 270 | 7,5 % | 56,8 % |
Total | 43 436 | 100 % | 100 % |
En nous servant des données de l’Ontario comme exemple, on constate que 65,6 % de tous les prisonniers en détention préventive y passent seulement une courte période (au plus une semaine); ce sont eux qui forment le grand groupe de détenus en attente d’une décision sur leur mise en liberté sous caution. On peut voir le contraste entre ce groupe et le groupe beaucoup plus petit de prisonniers (qui constituent seulement 7,5 % des prisonniers en détention préventive) qui y séjournent pendant des périodes beaucoup plus longues (au moins deux mois), probablement parce qu’ils ont renoncé à leur mise en liberté sous caution ou qu’elle leur a été refusée. Toutefois, même si seulement 10,1 % de toutes les journées purgées en détention préventive sont attribuables au premier groupe, le deuxième groupe est responsable d’environ 57 % des jours de détention préventive purgés par la totalité de la population renvoyée sous garde en détention provisoire. Sur le plan mathématique, une place en détention préventive par année peut servir soit à héberger 52 détenus différents qui passent une semaine en détention provisoire, soit un seul détenu qui y séjourne pendant un an. Autrement dit, une personne renvoyée en détention préventive pendant un an représente exactement la même chose que 52 personnes renvoyées en détention provisoire pour une semaine chacune en termes de leur contribution à la population totale en détention préventive. (Toutefois, on ne doit pas en déduire que les coûts administratifs pour les services correctionnels provinciaux et territoriaux relativement à ces deux groupes – un prisonnier pendant 52 semaines par opposition à 52 prisonniers pendant une semaine chacun – seraient les mêmes.)
À mon avis, il faudrait intervenir essentiellement dans deux sens différents, mais pas tout à fait sans rapport : 1) réduire le temps requis pour régler les dossiers des personnes qui sont détenues (officiellement et officieusement) avant leur procès; 2) réduire le nombre de personnes accusées qui sont détenues pendant le processus de la mise en liberté sous caution ou en attente de leur procès.
Dans le premier cas, les solutions reposeraient en grande partie sur l’amélioration de l’efficience dans le traitement des dossiers, un problème de « délais judiciaires » qui afflige les tribunaux criminels canadiens depuis de nombreuses années et qui ne se limite pas au processus de la mise en liberté sous caution. Mais il est entendu qu’un débat de cette nature dépasse clairement la portée du présent document, car il s’agit d’un problème en soi dont de nombreuses causes fondamentales sont différentes de celles qui touchent en particulier la mise en liberté sous caution.
Dans le deuxième cas, privilégier les recommandations visant à « réparer » le « problème de la mise en liberté sous caution » – l’objet du présent document – aura probablement des retombées sur les changements dans cette direction. À titre d’exemple, si on tient pour acquis que la proportion des détenus qui demandent la mise en liberté sous caution et qui sont en fin de compte détenus jusqu’à leur procès ne change pas – une réalité qu’on a constaté récemment en Ontario –, le simple fait de réduire le nombre réel d’affaires qui commencent par une audience de mise en liberté sous caution fera diminuer le nombre de personnes accusées qui sont détenues jusqu’à leur procès.
- Date de modification :