Lacunes relatives à la mise en liberté sous caution au Canada : comment y remédier?

5. Recommandations pour améliorer le « problème de la mise en liberté sous caution »

Au cours des cinq dernières années, nous avons certes pris connaissance de nombreuses recommandations formulées par divers organismes gouvernementaux et non gouvernementaux dans le but de régler le « problème de la mise en liberté sous caution ».

À mon avis, on peut plus ou moins les qualifier de « réformettes » du système actuel de mise en liberté sous caution. Si elles étaient adoptées et mises en pratique, l’une ou l’autre d’entre elles pourrait représenter une amélioration par rapport à la réalité actuelle. En fait, un certain nombre de provinces canadiennes ont connu un certain succès par rapport à leur population en détention préventive au cours des dernières années. Toutefois, ces améliorations ont eu peu d’ampleur, malgré les efforts de grande envergure qui ont été déployés dans un certain nombre de cas (p. ex. l’initiative Justice juste à temps de l’Ontario). De plus, en dépit de la chute des taux généraux de renvois en détention préventive des provinces entre 2009 et 2010 (figure 1), ceux-ci ont recommencé à augmenter progressivement.

Selon mon interprétation, notre incapacité actuelle à réduire nos taux de renvois en détention préventive de manière significative donne à penser, en deux mots, que ce ne sont pas des « réformettes » qui nous ont placés dans cette situation et qu’il est improbable qu’elles nous en sortent. Notre système actuel de mise en liberté sous caution repose sur une mentalité particulière baignant en grande partie dans un climat d’aversion pour le risque et de gestion du risque. Les problèmes que nous éprouvons sont de nature à la fois endémique et systémique. En fait, ils s’entretiennent mutuellement dans ce qui équivaut à un cercle vicieux. Ce dont nous avons besoin, c’est d’une méthode qui brisera ce modèle de rétroaction en remettant en question la mentalité sous-jacente. En fait, il est peu probable que des changements isolés seraient particulièrement efficaces à long terme. Par exemple, même si l’abrogation des dispositions sur l’inversion du fardeau de la preuve pourrait avoir une valeur symbolique, elle aurait probablement peu de conséquences réelles, étant donné que la plupart des infractions sont déjà traitées, dans nos pratiques actuelles (fondées sur l’aversion pour le risque), comme s’il y avait inversion du fardeau de la preuve. Une nouvelle politique qui éliminerait expressément l’obligation pour les cautions de se présenter devant le tribunal pourrait légèrement accélérer le processus de mise en liberté sous caution, mais elle serait peu utile pour régler le problème sous-jacent (l’aversion pour le risque) du recours fréquent à ce genre plus pénalisant de mise en liberté. Même l’obligation pour le juge qui préside (et qui a une aversion pour le risque) de justifier, voire d’examiner à la loupe, tous les ajournements serait susceptible de se traduire en rien de plus qu’une diminution négligeable des nombreuses comparutions qui servent actuellement à repousser aussi longtemps que possible la décision sur la mise en liberté sous caution. En dépit de ces changements dans la législation, les politiques ou les pratiques, la culture sous-jacente d’aversion pour le risque demeure bien vivante. Pour réaliser un changement systémique, nous avons besoin d’une nouvelle mentalité qui forcera les principaux acteurs à conceptualiser de nouveau la mise en liberté sous caution comme ils l’avaient fait à l’origine, c’est à dire comme une procédure sommaire qui protège et défend la présomption d’innocence tout en assurant en priorité la présence de l’accusé au tribunal.

Bien sûr, l’astuce consistera à créer des incitations favorisant ce type de changement de culture. Je vois deux moyens possibles. Cela étant dit, ceux-ci ne doivent pas être considérés comme incompatibles.